La Presse Anarchiste

Définir la non-violence ?

Définir la non-vio­lence est un prob­lème qui se pose assez sou­vent, ne serait-ce qu’au cours de dis­cus­sions, et qui est générale­ment esquivé. On en est réduit d’une part à laiss­er à ce mot, bâti à par­tir de celui de vio­lence, un con­tenu intu­itif, d’autre part à essay­er de cern­er des sig­ni­fi­ca­tions, de car­ac­téris­er la non-violence.

Ce sera le cas de ce court exposé d’Ira Sand­perl qui pour être récent n’en est pas plus orig­i­nal, rap­pelant et par le style et par le con­tenu les quelques textes écrits en français dus à Lan­za del Vas­to ou issus de l’Action civique non violente.

Ceci représente donc l’acquis, et le fait de citer Ira Sand­perl, c’est rap­pel­er cet acquis, le reprendre.

Dès lors, on pour­ra se pos­er quelques ques­tions, quelques prob­lèmes. Le pre­mier sera celui du dia­logue, et les quelques réflex­ions qui suiv­ent le texte d’Ira Sand­perl se rap­porteront aux faib­less­es et aux incon­vénients de la discussion.

Par la suite, il con­vien­dra d’asseoir plus solide­ment l’idée que l’on exprime par non-vio­lence, en se défi­ant de notre ten­dance con­stante à s’accrocher à des abso­lus, en évi­tant de con­fon­dre dual­isme (vio­lence, non-vio­lence) – un procédé – et manichéisme (Mal, Bien) – une con­cep­tion – en ne por­tant pas sur la vio­lence un juge­ment moral a pri­ori, etc.

D. D.


1Qu’est-ce que la non-vio­lence ?  Texte extrait du « Jour­nal » numéro 1 de l’«Institute for the study of non­vi­o­lence » dont Ira Sand­perl est le directeur – voir la présen­ta­tion de cet insti­tut dans ANV, n° 7.La non-vio­lence est cette force qui, si elle est com­prise en pro­fondeur et si elle est organ­isée sur le plan social, peut débouch­er sur une société d’un type égal­i­taire à l’échelle du monde.

La non-vio­lence n’est jamais pas­sive et ceux qui la prô­nent ne res­teront jamais inertes tant que l’on portera physique­ment préju­dice à quelqu’un (que ce soit un cama­rade de tra­vail ou un adver­saire) ou que l’on exercera une coerci­tion psy­chologique sur lui – mais leur action con­sis­tera à rester maître de la sit­u­a­tion et à créer des alter­na­tives con­struc­tives plutôt qu’à exercer des représailles.

Car le but de la non-vio­lence est de met­tre un terme à ce regret­table enchaîne­ment de vio­lence et de trans­former les rela­tions humaines de telle manière qu’il devi­enne évi­dent que nous sommes tous impliqués dans l’aventure humaine, que nous sommes non pas le gar­di­en de notre frère, mais le frère de notre frère, et que le fait d’aider quelqu’un (y com­pris les adver­saires) est le véri­ta­ble moyen de nous aider nous-mêmes.

En bref, la non-vio­lence est cette force d’amour, de vérité et de souf­france rédemptrice qui opère totale­ment dans chaque sphère de vie et qui ne cause aucun tort en paroles, en pen­sées ou en actes. Même la défense vio­lente, celle qu’on appelle la repré­saille jus­ti­fiée, est écartée, et, à sa place, sont pro­posées une solu­tion qui respecte la vie et une résis­tance résolue et basée sur des principes. La non-vio­lence n’est ni la soumis­sion ni l’oppression.

La non-vio­lence rend évi­dent le fait que, même s’il y a des raisons justes à la vio­lence, la vio­lence elle-même n’est jamais jus­ti­fiée. Les fins non seule­ment ne jus­ti­fient pas les moyens, mais, sans excep­tion, les moyens déter­mi­nent les fins, et à vrai dire tous les moyens devi­en­nent des fins tem­po­raires – cela est leçon de l’histoire et réflex­ion pragmatique.

Ira Sand­perl

o o o o o

Ce court essai de déf­i­ni­tion de la non-vio­lence, comme tant d’autres, ne sat­is­fera prob­a­ble­ment pas davan­tage ceux qui la sus­pectent. Il m’apparaît que le plus sou­vent cette atti­tude de sus­pi­cion (sauf lorsque celle-ci tire son orig­ine de sit­u­a­tions par­ti­c­ulières : fas­cisme, colo­nial­isme, etc.) résulte d’un malen­ten­du. Nom­bre de dis­cus­sions sont qua­si­ment stériles pour des ques­tions de pur lan­gage. Qui ne s’attache pas, par exem­ple, à déter­min­er la non-vio­lence comme la néga­tion de la vio­lence – mais il est bien évi­dent que figer, pos­er en absolu une biva­lence dans le lan­gage ne cor­re­spond à aucune réal­ité ! Toute­fois, dans la mesure où je ne me laisse pas pren­dre au piège du lan­gage (si, util­isant l’opposition vio­lence non-vio­lence, je reste maître de mon mode d’expression), je ne vois aucun incon­vénient à dire que refuser la vio­lence, c’est faire acte de non-vio­lence – encore que cette dernière forme d’expression soit plus nuancée. Donc, le plus sou­vent, la dis­cus­sion de ce type est un sim­ple jet de paroles simul­tané­ment à un refus de la communication.

Cela peut provenir de ce que l’interlocuteur (même lorsqu’il n’est pas a pri­ori soupçon­neux) veut et attend à tout prix une déf­i­ni­tion raison­née, pré­cise (la non-vio­lence, c’est… par exem­ple, une expres­sion inhab­ituelle, mais qui se veut rationnelle et con­struc­tive, de la force) et sat­is­faisante. Mais, d’une part, le lan­gage habituel présente bien des incon­vénients, et, d’autre part, la solu­tion ad hoc à tous les prob­lèmes vitaux de l’homme en société n’est tou­jours pas effec­tive­ment trouvée !

Cela peut égale­ment provenir de ce que le défenseur de la non-vio­lence (qui prend alors sou­vent, et à son insu, fig­ure de mani­aque de la non-vio­lence !) com­mente d’une façon her­mé­tique pour l’interlocuteur ou s’enferre lit­térale­ment à vouloir don­ner cette déf­i­ni­tion « cartési­enne » de la non-vio­lence, ce que ne lui per­me­t­tent pas ses moyens (lan­gage, etc.).

Per­son­nelle­ment, j’essaie de ne pas dis­cuter avec le style : la non-vio­lence, c’est…, car pour peu que l’interlocuteur s’arrête aux mots, la dis­cus­sion devient flot­tante et vide de sens. Je préfère, au cours d’une dis­cus­sion, dire : cela, c’est de la non-vio­lence. Mais la pra­tique me mon­tre que, mal­gré ma recherche intéressée de la nuance, je n’arrive pas à me libér­er notable­ment de cette apparence de mani­aque. Je suis tou­jours le non-vio­lent – dont les pen­sées et les com­porte­ments sont déter­minés par un principe théorique : la non-vio­lence ! Je suis figé dans un déter­min­isme – ce à quoi je me refuse.

Pour­tant, il est bien évi­dent pour moi que, d’une part, la non-vio­lence n’est qu’un mot de onze let­tres, absol­u­ment pas mag­ique, et que, d’autre part, je peux à l’aide de mon indi­vid­u­al­ité don­ner à ce mot une sig­ni­fi­ca­tion, un sens lié à moi, à ma vie. Cette sig­ni­fi­ca­tion n’a donc rien de sta­tique, de figé, de déter­miné extérieure­ment à moi. Elle est, au con­traire, toute dynamique, indi­vid­u­al­isée. (Et je pour­rais en dire autant du mot anarchisme.)

Observ­er le degré de non-vio­lence de mes atti­tudes de chaque instant, com­par­er deux com­porte­ments vis-à-vis d’une « même » sit­u­a­tion, envis­ager le plus non vio­lent, et rechercher un com­porte­ment encore plus non vio­lent. Mon mode d’expression est ren­du relatif au temps, à la sit­u­a­tion, à moi – et, en out­re, il est pru­dent (emploi de l’adjectif non vio­lent plutôt que du nom-éti­quette). Mais je peux être ten­té de don­ner un peu d’absolu à ma phrase : cette atti­tude, c’est de la non-vio­lence ; ou encore davan­tage : la non-vio­lence, cela con­siste à… Et ain­si de la réal­ité quo­ti­di­enne, je suis passé à la philoso­phie, au dogme – et je ne serais com­pris que par ceux qui le voudront bien, ceux qui veu­lent bien voir que, mal­gré tout ce que je peux dire, c’est moi qui, au cours du temps et face à des sit­u­a­tions, déter­mine ma non-vio­lence (et non l’inverse !).

La non-vio­lence de Lan­za del Vas­to ou celle d’Ira Sand­perl ne sont donc pas les mêmes que la mienne, ne serait-ce que par le fait de nos indi­vid­u­al­ités dif­férentes. Mais pour exprimer la non-vio­lence, nous avons tous ten­dance, plutôt que de racon­ter notre vie, à tenir des raison­nements moins relat­ifs plus abso­lus, plus généraux. Sachant cela, je ne resterai pas blo­qué à la lec­ture d’affirmations caté­goriques comme celles d’Ira Sand­perl : je prendrai ma part dans tout cela, c’est-à-dire que je reporterai toutes les général­ités sur un plan qui m’est relatif, j’individualiserai par rap­port à moi le texte.

Denis Durand


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