La Presse Anarchiste

Vers une paix physique

Après 1914, qui son­na le « ral­lie­ment des peuples contre les tyrans. » ; après 1939, qui vit s’organiser la « croi­sade des démo­cra­ties contre le fas­cisme », l’humanité se lais­se­ra-t-elle entraî­ner dans un nou­veau conflit sous le pré­texte, chaque fois pro­cla­mé et chaque fois démen­ti par les évé­ne­ments, de « faire dis­pa­raître la menace du mili­ta­risme dans le monde ? »

Cela ne sera pos­sible qu’avec le consen­te­ment des tra­vailleurs. Les hommes d’État qui ordonnent le grand mas­sacre le savent bien, qui ont impu­dem­ment féli­ci­té la classe ouvrière — c’était à la Confé­rence Syn­di­cale de Londres, en 1945 — d’avoir per­mis l’écrasement du nazisme en pre­nant l’engagement incon­di­tion­nel de ne pas recou­rir à la grève en temps de guerre.

Hit­ler est mort, à ce qu’on pré­tend — encore sa dis­pa­ri­tion fût-elle pure­ment acci­den­telle — mais pas la guerre avec lui. C’eût été trop beau ! Aus­si pré­pare-t-on, en grande hâte, une pro­chaine « fraîche et joyeuse » pour sau­ver, une fois de plus, le Droit et la Civilisation…

Cette fois, ce n’est plus le ger­ma­nisme qui est en cause. Pour varier les plai­sirs, on res­sort « l’homme au cou­teau entre les dents », réa­li­sant ain­si le rêve du sinistre incen­diaire du Reichs­tag : la croi­sade antibolchevique.

Seule­ment, la mobi­li­sa­tion amor­cée sus­cite des réac­tions qu’on n’avait pas pré­vues. Nos sla­vo­philes occi­den­taux ne vont-ils pas décla­rant à qui veut les entendre, que « le peuple de France ne fera jamais la guerre à l’Union Sovié­tique » ! Cette atti­tude serait-elle l’indice d’un retour au défai­tisme révo­lu­tion­naire pré­co­ni­sé par les pion­niers du syn­di­ca­lisme et tra­hi par tous leurs suc­ces­seurs (à de si rares excep­tions près !).

Mais non. L’internationalisme n’a que faire en ce débat. Deux chau­vi­nismes se heurtent désor­mais : l’occidental et l’oriental, pour reprendre une ter­mi­no­lo­gie chère à nos com­men­ta­teurs diplo­ma­tiques, et de leur choc dési­ré par les uns, redou­té par les autres, mais atten­du par tous, comme un évé­ne­ment fatal, ne peut plus rien sor­ti que l’anéantissement de l’espèce humaine, sinon de la planète.

Est-il encore pos­sible de se dres­ser contre la folie col­lec­tive, d’éviter la catas­trophe ato­mique qui nous guette ? Ce sera l’honneur de Défense de l’Homme d’avoir ten­té ce suprême sur­saut de la rai­son contre le crime dont chaque jour forge les instruments.

Gar­ry Davis, qui s’est inti­tu­lé lui-même avec cou­rage « pre­mier citoyen du monde », paraît beau­coup attendre d’une Consti­tu­tion, d’un Par­le­ment et d’un Gou­ver­ne­ment mon­diaux. Saluons le « petit homme » comme il convient, sans iro­nie ni mépris, mais gar­dons-nous des douces et tou­jours dan­ge­reuses illu­sions. Quand on a soi-même éprou­vé, dans son propre pays, l’efficience du par­le­men­ta­risme, on ne peut qu’incliner au doute à l’égard d’une sem­blable initiative.

L’essentiel, à mon sens, est de pro­mou­voir une action directe contre la guerre. Le véri­table « mini­mum vital » n’est-il pas d’abord le droit à la vie ? Et pour ceux qui ne se sen­ti­raient pas la force d’âme néces­saire pour lut­ter contre le monstre, exploi­tons ce qui reste d’instinct de conser­va­tion aux humains, culti­vons la peur du grand fléau.

Puisque le paci­fisme demeure, pour la plu­part de nos contem­po­rains, une mala­die hon­teuse, répan­dons l’horreur de la « guerre dégueu­lasse », que Gabriel Che­va­lier dési­gna un jour par cette innom­mable péri­phrase : « Une sacrée vache­rie d’apocalypse de merde. »

À défaut de ver­tu, la diar­rhée sau­ve­ra le monde.

[/​Eugène Mer­ser/​]

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