La Monarchie et la Classe ouvrière, par GEORGES VALOIS. — Un volume de x‑392 pages in-12, à 3 fr. 50 ; Nouvelle Librairie Nationale, 85, rue de Rennes, Paris.
De même que, pour les politiciens socialistes, le parti unifié et la C.G.T. sont les deux jambes ou les deux bras (images consacrées) dont la classe ouvrière doit se servir pour s’émanciper, de même, pour M. Georges Valois, la C.G.T. n’est qu’une doublure de l’Action française : « la double action, dit-il, de négation et d’affirmation que poursuit l’Action française dans sa propagande intellectuelle et politique, la Confédération générale du Travail la répète dans son action économique ». Son livre est le résultat d’une enquête entreprise « pour discuter avec les intéressés les raisons, les préjugés, les préventions qu’ils entretiennent contre la Monarchie et pour établir que ces préventions, ces préjugés et ces raisons ne leur sont pas imposés par l’intérêt ouvrier et s’opposent aux progrès de l’organisation ouvrière ».
À vrai dire, l’enquête de M. Valois fut plutôt maigre en résultats, et les réponses qu’il obtint de quelques « militants ou théoriciens syndicalistes » n’occupent guère qu’une cinquantaine de pages parmi les quelques quatre cents que compte ce volume. Celui-ci est bien une œuvre personnelle de M. Valois dont la thèse, un peu simpliste, ne réclamait peut-être pas un tel développement. En voici l’argument :
L’avènement du régime républicain a été marqué par la suppression des anciennes corporations qui étaient l’équivalent des syndicats actuels. Si ceux-ci ont pu renaître, grâce à la force ouvrière qui les a imposés aux gouvernants de la République, le régime républicain est néanmoins un obstacle à l’accomplissement de leur besogne propre, qui est la défense des intérêts économiques de la classe ouvrière. En effet, dans une société soumise au régime parlementaire, il existe nécessairement des partis politiques qui se disputent le pouvoir. Ces partis politiques s’immiscent dans les organisations syndicales, y créent des divisions qui les affaiblissent et en fin de compte les détournent de la lutte économique pour les mettre au service de leur intérêt électoral. Il faut donc supprimer politiciens. Or il suffit pour cela « que l’état politique rende impossible leur existence, en supprimant leur raison d’être, qui est la conquête de l’État »1p. 235. Ceci peut se faire de deux façons : en supprimant l’État purement et simplement ou en le plaçant hors des atteintes des citoyens. Dans le premier cas, c’est l’anarchie. M. Valois n’en veut pas car il ne croit pas « que la production puisse être assurée par l’entente des travailleurs »2p.143 et pense « que l’ordre dans le travail ne peut être assuré que par la contrainte »3p.145. Ceci admit, il ne reste donc pour le salut du syndicalisme et de la classe ouvrière que la Monarchie.
Et voilà comment M. Valois nous explique que nos préventions contre la Monarchie s’opposent aux progrès de l’organisation ouvrière.
On pourrait bien se dire que dans les pays environnants à constitution monarchique, les partis politiques existent, se disputent le pouvoir et gênent les syndicats aussi bien qu’en France ; et que notamment en Italie et en Hollande, ni le roi Emmanuel ni la reine Wilhelmine ne peuvent empêcher que la classe ouvrière ne soit coupée en deux organisations rivales ; mais M. Georges Valois répondrait que ce sont là des monarchies constitutionnelles, et que la Monarchie dont il parle c’est non pas « la Monarchie qui partage son pouvoir avec le peuple amorphe… la prétendue Monarchie qui fait avec un prétendu peuple de prétendus contrats nommés constitutions, mais la vraie Monarchie, où le roi tient seul le pouvoir de l’État national4p. 168.… », en un mot l’Absolutisme.
Le point de vue de M. Georges Valois est essentiellement politique. Le côté économique des choses lui échappe complètement. Il ne s’arrête pas un instant à l’idée que la suppression des corporations aurait été causée par les nécessités du commerce et de l’industrie plutôt que par le fait des gouvernants républicains ; il ne relève même pas que les anciennes corporations ont aussi bien disparu dans les pays à gouvernement monarchique que dans les pays à gouvernement républicain ; et que la lutte pour la conquête des quelques libertés syndicales actuelles fut aussi difficile dans les premiers que dans les seconds.
En réalité, quelle que soit la forme politique du gouvernement, c’est toujours le même pouvoir qui impose ses volontés, aussi bien à la Monarchie qu’à la République, c’est le pouvoir du Capital. M. Valois ferme les yeux devant cette vérité. Et c’est pourquoi il ne peut comprendre que si les travailleurs perdent tout attachement à la forme républicaine, ce n’est point pour retourner à la monarchie. Ils ont constaté que rien n’a changé depuis qu’ils ont substitué la première de ces formes de gouvernement à la seconde ; et ils savent par là même que revenir à celle-ci ne changerait rien non plus. Ils ont compris que l’État, monarchique ou républicain, est toujours, pour les gruger, au service du Capital. Le pouvoir politique est une superfétation et une nuisance qui n’aura plus sa raison d’être dans la société que préparent leurs groupements de producteurs. Ce n’est pas vers la Monarchie, c’est bien vers l’Anarchie que nous mène le syndicalisme.
H. Amoré.
- 1p. 235
- 2p.143
- 3p.145
- 4p. 168.