Pour nous, qui pensons que la non-violence doit remplacer l’actuelle violence des rapports humains, il est normal que nous nous penchions sur un aspect du problème sexuel : la contraception.
La sexualité est une forme des rapports entre les individus. Cette étude est volontairement limitée à la contraception au sens large puisque cet aspect de la question défie la chronique. À l’occasion, quelques points annexes seront abordés, mais il faudrait plusieurs volumes pour approfondir la position anarchiste sur la sexualité.
Avant de développer le sujet, mettons-nous d’accord sur le terme de contraception. Je le limiterai volontairement à l’usage des moyens contraceptifs sérieux utilisés en France et dans le monde, à savoir : pilule, diaphragme, stérilet et quelques autres procédés interdits en France. J’élimine volontairement les méthodes dites naturelles, Ogino et températures, à cause de la trop faible sécurité qu’elles offrent. En effet, leurs chances de réussite tiennent plus du hasard que de la volonté du couple. Ceux qui, d’ailleurs, les emploient le font pour des motifs moraux dont je me propose d’analyser le contenu.
Beaucoup de non-violents non anarchistes pensent que la contraception est violente et nous accusent de trahir la non-violence en ce domaine. Je me propose de montrer que nous ne sommes pas violents, mais, bien au contraire, que la contraception est une attitude non violente.
La contraception n’est pas violente
Nous pouvons être d’accord pour dire qu’il y a violence lorsque la volonté d’un homme est subordonnée à celle d’un autre malgré lui. Pour que la contraception soit violente, il faut donc qu’une volonté soit violée. À partir du moment où les deux personnes formant le couple sont d’accord pour utiliser un procédé contraceptif, il n’est pas possible de dire que l’une d’elles viole la volonté de l’autre. La violence se trouve donc ailleurs. Deux arguments sont alors avancés, qui ne sont d’ailleurs que les deux seules portes de sortie. Si la violence n’est pas interne au couple, c’est donc qu’il y a soit violence sur une personne qui transcende le couple (en l’occurrence la nature), soit violence de chaque partenaire sur lui-même qui, en employant la contraception, se fait violence. Examinons tour à tour ces deux cas.
Violence par rapport à la nature
Parler de violence suppose l’existence d’une volonté. Donc il faut alors attribuer à la nature une volonté, autrement dit la personnaliser. Ne dit-on pas en parlant de la méthode des températures qu’elle respecte la nature ? Si certains le pensent, je ne peux pas les en empêcher, mais nous avons assez de mal à respecter les humains dans notre société, sans aller chercher le respect d’un être dont l’existence dépend plus de la métaphysique que de la réalité objective.
Pour nous, anarchistes, donc rationalistes, cet argument ne saurait nous convaincre. Il ne nous reste donc plus qu’à examiner le second et dernier.
Violence par rapport à soi
Le non-violent se caractérise par une recherche permanente de la maîtrise de lui-même. Or, si les rapports sexuels dans le couple peuvent avoir lieu n’importe quand ou presque, certains pensent que toute maîtrise disparaît à ce niveau. Il y a donc, pour eux, violence ou, du moins, comportement non conforme à la non-violence. Regardons‑y de plus près.
Peut-on parler de maîtrise lorsque le couple décide de ne pas avoir de rapports pour ne pas avoir d’enfant ? Non, ce n’est que de la prudence. La maîtrise consiste bien au contraire à ne pas avoir de rapports par la simple volonté, sans que la désobéissance à celle-ci entraîne une sanction. Si je risque de me noyer en nageant, je ne peux pas dire que je me sois maîtrisé si je ne plonge pas. Par contre, si je reste à terre uniquement pour satisfaire à ma volonté, déterminée par des raisons personnelles, je peux alors parler de maîtrise.
Nous pouvons donc, d’ores et déjà, dire que celui qui emploie des méthodes naturelles par maîtrise de soi court de grands risques d’échecs en se racontant des histoires.
La contraception est non violente
L’existence des hommes est la condition sine qua non de l’existence de la société. Vérité première qui nous oblige à réaliser que vouloir résoudre les problèmes de mode de vie sans se pencher sur la source fondamentale de notre société est une erreur. Ce qui revient à dire que la démographie n’est pas seulement une question économique, mais la base même de toute modification. Je trouve personnellement attristant que des personnes se refusent à tuer quelqu’un, mais n’ont pas d’hésitations à mettre au monde un être nouveau. Reprenons ces deux points.
Le problème démographique
Plus nous sommes, plus la liberté de chacun est réduite. Il est par exemple impossible de prendre tous nos vacances au mois d’août au bord de la mer. Il faut donc étaler les congés. Seuls des privilégiés pourront alors prendre un repos au moment considéré comme étant le meilleur. Ce qui est vrai sur ce point est vérifiable sur tous les aspects de la vie : travail, transports, etc.
La population mondiale s’accroissant sans cesse, comment s’étonner que la liberté diminue. D’autant plus que l’expansion des villes et la culture industrielle des terres font disparaître toute possibilité de vie libre. Il apparaît partout des buildings, des routes, des tracteurs, etc.
Pour reprendre le termede Gaston Bouthoul, je dirai que nous vivons une période « d’inflation démographique ».
Vouloir que cette situation cesse, c’est se refuser à avoir des enfants, ou du moins beaucoup d’enfants. Si un couple veut élever un enfant, pourquoi n’en adopterait-il pas un ? Cela ferait unmalheureux de moins. Bien sûr, actuellement, les parents veulent avoir un gosse bien à eux. Mais, disent-ils, un seul c’est trop peu, il aura tous les défauts de l’enfant unique. Encore une conséquence de la division de notre société en familles. Si les enfants vivaient avec leurs parents en communauté1La communauté étant prise ici au sens très large. Elle peut être formée par des familles qui, vivant séparément, se voient souvent et n’hésitent pas à laisser leurs enfants ensemble., ils ne seraient plus des enfants uniques. Mais il faudrait alors renoncer à vouloir que son gosse soit sa propriété. Il faudrait reconnaître la liberté de l’enfant, admettre qu’il puisse évoluer dans un sens différent de celui des parents. Malheureusement, tout comme la femme est propriété de l’homme, l’enfant est celle des parents.
Choisir la liberté, vouloir éviter les catastrophes de l’inflation démographique, c’est opter pour une natalité consciente. La contraception s’impose donc logiquement, à moins que l’on pratique l’ascétisme qui est inconcevable au niveau de la vie du couple. On ne vit pas à deux uniquement pour avoir des rapports sexuels, mais ils sont indispensables et forment un tout avec toutes les autres formes de rapports : psychologiques, affectifs, matériels, etc.
Qu’offre-t-on aux gosses ?
Faire naître m’apparaît aussi important que tuer. Si je tue quelqu’un au hasard, je passerai pour un fou, mais si je mets des gosses au monde au hasard, je serais félicité. Or, tout comme pour celui que je tue, je n’ai pas demandé à l’enfant son avis. Aussi sera-t-il en droit de me reprocher plus tard sa venue au monde.
Un nouveau-né est un homme en puissance. Mais pourra-t-il le devenir ? L’évolution concentrationnaire et massificatrice de notre société va à l’encontre du développement de l’individu. Nous assistons même à la prise en main de l’enfant par l’État qui fait son éducation. Les parents n’ont donc même plus la possibilité d’éduquer leur enfant. Il n’est plus qu’un rouage de notre société.
Ayant pris conscience de la responsabilité que j’encours en mettant un gosse au monde et de la violence de cet acte qui peut n’avoir pour conséquence que de faire un robot de plus, il est normal que je veuille rester maître de la procréation. La contraception qui m’offre les moyens que je cherche est non violente, car, refusant de tuer quelqu’un, je refuse de mettre au monde, au hasard d’une rencontre, un être qui n’est pour rien dans toutes ces histoires.
La résolution des problèmes démographiques et sexuels permettrait de faire un pas vers la libération des hommes. Cette libération étant l’objectif premier des anarchistes et des non-violents, il est donc normal de parler de contraception, car, je le répète, nous ne serons libres que lorsque nous serons capables de maîtriser l’aspect quantitatif de notre société.
Jean Coulardeau
- 1La communauté étant prise ici au sens très large. Elle peut être formée par des familles qui, vivant séparément, se voient souvent et n’hésitent pas à laisser leurs enfants ensemble.