La Presse Anarchiste

La mainmise du parti

La lettre sui­vante que publie l’«Action Directe » est ins­truc­tive à plus d’un titre. Elle indique des pré­oc­cu­pa­tions et des com­bi­nai­sons chez cer­tains indi­vi­dus que, pour ma part, je ne soup­çon­nais pas à l’é­poque où son auteur l’écrivit.

Je dois à notre secré­taire de rédac­tion d’en avoir pu prendre connais­sance avant sa publi­ca­tion ; j’en pro­fite pour la faire suivre de quelques réflexions.

— O —

Paris, 28 mars 1904

Citoyen Mos­dier, Secré­taire de la
Fédé­ra­tion dépar­te­men­tale des
Syn­di­cats ouvriers de l’Aube
à Troyes

Cher cama­rade,

Tout d’a­bord, per­met­tez-moi de vous remer­cier d’être mon inter­prète en ce sens auprès de la Com­mis­sion Exé­cu­tive de la Fédé­ra­tion, de la confiance que vous m’a­vez accor­dée en me délé­guant au Comi­té des Bourses.

Je vous en remer­cie, d’au­tant plus que ne vous ayant pas caché le but que je me pro­po­sais en accep­tant la can­di­da­ture posée par des cama­rades, vous m’a­vez don­né un man­dat suf­fi­sam­ment large pour le rendre com­pa­tible avec mon titre de membre dis­ci­pli­né du Par­ti Socia­liste de France.

Au reçu de votre lettre, je me suis empres­sé d’é­crire au citoyen Yve­tot, pour le prier de me convo­quer à la plus pro­chaine réunion, et ces assem­blées n’ayant lieu que men­suel­le­ment, j’ai assis­té à celle du 11 mars.

À l’ordre du jour était la pro­po­si­tion de la Bourse du Tra­vail de Lyon, qui ten­dait à inter­dire la repré­sen­ta­tion des Bourses aux jour­na­listes professionnels.

Elle était moti­vée par les attaques faites dans la « Petite Répu­blique », par Louis Mau­rice et Mau­rice Char­nay, contre l’or­ga­ni­sa­tion des Bourses et le Comi­té confé­dé­ral. Je me sou­viens avoir lu ces articles dans la « P.R. » ain­si que les réponses et attaques des orga­ni­sa­tions visées dans la « Voix du Peuple », et l’im­pres­sion qui m’en est res­tée est que, si la polé­mique de Louis Mau­rice et M. Char­nay était bru­tale et mal­adroite, il y avait néan­moins un grand fond de véri­té, sur­tout en ce qui concerne l’or­ga­ni­sa­tion pari­sienne, et que la défense des comi­tés dans la « Voix du Peuple » por­tait à faux et répon­dait à côté. Je tâche­rai de me pro­cu­rer les jour­naux qui relatent cette polé­mique afin de vous les envoyer. Je n’ai, à cette époque, atta­ché d’autre impor­tance à ces faits et me suis conten­té de consta­ter avec satis­fac­tion le fos­sé qui se creu­sait entre la « P.R. » et les por­te­foins d’une part et les orga­ni­sa­tions syn­di­cales d’autre part.

Nos cama­rades, mus par le désir d’af­fai­blir les bandes minis­té­rielles dans leur action syn­di­cale, se sont joints aux anar­chi­sants. Peut-être ont-ils eut rai­son et en aurais-je fait autant ? Cepen­dant, cette polé­mique eut pour effet de ravi­ver la lutte menée depuis long­temps par les anar­chi­sants, alle­ma­nistes et autres, contre l’ac­tion poli­tique, confon­dant notre atti­tude fran­che­ment d’op­po­si­tion révo­lu­tion­naire avec celle des réfor­mistes portefouinards.

Enga­gés dans cette voie, nos amis n’ont mal­heu­reu­se­ment pas su faire le dis­tin­guo néces­saire, et ont été entraî­nés dans ce mou­ve­ment et englo­bé dans l’a­gi­ta­tion faite par quelques indi­vi­dua­li­tés se contem­plant dans leur rôle de néga­teurs cri­tiques de toute action poli­ti­cienne (sic).

Depuis plus de six mois, cette polé­mique faite contre les orga­ni­sa­tions syn­di­cales par les deux Mau­rice tient toutes les réunions du Comi­té des Bourses. Dès les pre­miers mois, les deux auteurs sont venus s’y défendre, et depuis ils se sont abs­te­nus d’as­sis­ter aux séances en décla­rant qu’ils se jus­ti­fie­ront devant le pro­chain Congrès.

C’é­tait pour mettre fin à la fausse situa­tion résul­tant de l’ab­sence des deux prin­ci­paux inté­res­sés que le Comi­té a voté une pro­po­si­tion du citoyen Luquet, ren­voyant au Congrès de Bourges, la pro­po­si­tion de la Bourse de Lyon, pro­po­si­tion moti­vée par l’in­com­pa­ti­bi­li­té pour une Bourse de se faire repré­sen­ter par un jour­na­liste qui se retrouve obli­gé d’é­crire par ordre et n’a pas l’in­dé­pen­dance néces­saire pour rem­plir son man­dat, comme c’est pour le cas pour Louis Mau­rice et Mau­rice Char­nay, ain­si qu’en fait foi la décla­ra­tion de la « P.R. » transformée.

N’ayant pas pris part aux pre­mières dis­cus­sions et igno­rants les argu­ments four­nis par les deux par­ties, j’ai cru devoir m’abs­te­nir de ce vote.

Je ne crois pas pos­sible de faire actuel­le­ment besogne utile au Comi­té fédé­ral des Bourses.

J’ai pu consta­ter le peu d’im­por­tance de la Fédé­ra­tion des Bourses qui semble tom­ber en déca­dence, faute d’une direc­tion pré­cise. Mon but, si nous sommes d’ac­cord, sera, sitôt la cam­pagne élec­to­rale ter­mi­née, de rele­ver la liste des villes repré­sen­tée de m’in­for­mer près du Conseil cen­tral et des diverses Fédé­ra­tions de notre Par­ti, des rap­ports de nos Sec­tions avec les Bourses ou Fédé­ra­tions syn­di­cales de leurs contrées res­pec­tives et de ten­ter, après entente des Bourses ou Syn­di­cats adhé­rents ou sym­pa­thi­sants à notre Par­ti, de nous empa­rer de la direc­tion de la Fédé­ra­tion des Bourses.

Je suis per­sua­dé, que des cama­rades comme Grif­fuelhes, ancien can­di­dat de l’Al­liance Com­mu­niste ; Luquet, ancien P.O.F., etc., qui se sont enga­gés der­rière les Yve­tot et autres Dele­salle, mar­che­raient dans une voie plus conforme à notre P.S.D.F. s’ils se sen­taient sou­te­nus par un bloc de délé­gués ayant un but bien arrê­té et que l’in­do­lente Fédé­ra­tion des Bourses, qui semblent être la cin­quième roue d’un cha­riot, pour­rait être d’un grand concours à notre Par­ti : 1° En nous per­met­tant de por­ter notre pro­pa­gande dans des milieux jus­qu’i­ci hos­tiles ; 2° En ser­vant de trait d’u­nion entre les Syn­di­cats et le Parti.

Voi­là, je crois, la seule besogne qu’il y ait à faire et ce, en agis­sant par la pro­vince, car les délé­gués m’ont l’air d’être trop sou­vent lais­sés à eux-mêmes et semblent ne repré­sen­ter que leur opi­nion per­son­nelle, allant par­fois à l’en­contre de celle de nos amis des départements.

Je vous prie de me dire si nous sommes d’ac­cord dans ce but, et dans l’at­tente de vous lire,

Agréez, cher cama­rade, mon salut fraternel.

F. Col­li­gnon,
9, rue du Ruisseau

— O —

Ain­si, déjà en 1904, Col­li­gnon ne venait pas au Comi­té des Bourses pour y tra­vailler à la défense et à la pros­pé­ri­té de cet orga­nisme syn­di­cal. Il avait un but tout autre, celui de manœu­vrer en vue de s’emparer de la direc­tion de la Fédé­ra­tion des Bourses. Il n’est pas modeste, Col­li­gnon ! Mais, au moins, il eut dans cette lettre une fran­chise qu’il sut dis­si­mu­ler pen­dant long­temps aux yeux des membres mêmes de son par­ti politique.

Il est vrai que, déjà, ces der­niers étaient sus­pects. Grif­fuelhes, moi-même, n’é­tions-nous pas enga­gés der­rière les Yve­tot et autres Delesalle ?

Ça, c’est une trou­vaille, et vrai­ment, j’en appelle à Yve­tot et à Dele­salle, ils ne se dou­taient pas de celle-là.

Mais Col­li­gnon veillait et se dis­po­sait à « nous faire mar­cher dans une voie plus conforme au… Par­ti Socia­liste de France ».

Il y a de cela 4 ans bien­tôt, et Col­li­gnon en est encore à battre le rap­pel des man­dats des Bourses du Tra­vail, en vue de ser­vir… quoi ? l’ac­tion syn­di­cale ? non pas ; l’ac­tion politique.

Eh bien, n’en déplaise à Col­li­gnon, je lui dirai avec une fran­chise, dont je l’ai crû capable jadis, que tous les membres du par­ti ne lui res­semblent pas et que loin de lais­ser mettre l’or­ga­ni­sa­tion syn­di­cale au ser­vice de la poli­tique, leur action dans le par­ti fut tou­jours et est encore de tendre à ce que l’ac­tion poli­tique serve l’ac­tion de classe du pro­lé­ta­riat grou­pé dans ses Syndicats.

Gageons que c’est aus­si la pen­sée de l’im­mense majo­ri­té des Bourses du Tra­vail, mal­gré les ten­ta­tives de tous les Collignon.

Mais, n’est-ce pas qu’elle est édi­fiante cette lettre et qu’elle pré­cise bien le sens des réso­lu­tions des Fédé­ra­tions du Nord et de la Dor­dogne dont elle posait les pré­misses et que cer­tains hommes poli­tiques vou­draient impo­ser à l’or­ga­ni­sa­tion syn­di­cale contre la volon­té même du par­ti socialiste ?

A. Luquet


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