Les socialistes qui voudraient par un accord organique ou moral rattacher les Syndicats au parti, ne voient pas – ou voient trop – qu’ils en feraient de pures officines électorales.
Cela, semble-t-il, va de soi, puisque les intérêts d’un parti sont avant tout électoraux. Mais l’expérience est ici encore plus probante que la logique. Il suffit de regarder le passé pour voir ce que les socialistes ont fait des organisations syndicales qu’ils tenaient en tutelle.
L’ancien Parti Ouvrier Français voyait d’abord, dans les Syndicats, des recruteurs du parti. En 1890, à son Congrès de Lille, il le proclamait en termes non équivoques : « Le Congrès, considérant que l’organisation de la classe ouvrière par métiers s’impose pour refréner l’exploitation capitaliste et sera d’un puissant secours pour l’organisation de la production sociale ; Invite tous les membres du parti à se faire inscrire à la Chambre Syndicale de leur corporation pour y répandre l’idée socialiste et y recruter des adhérents au programme et à la tactique du Parti.»
Mais il leur assignait aussi des besognes spécialement électorales. Les listes communes entre candidats du parti et candidats des Syndicats étaient la règle. Lafargue, entre autres, le recommandait dans le Socialiste du 23 octobre 1892, en ces termes : « Je conseille à l’Association des travailleurs républicains socialistes bordelais, lorsqu’elle aura à dresser une liste électorale, de faire place aux Syndicats, ainsi que cela se pratique à Lille, Roubaix, Marseille et ailleurs. »
Là où les Syndicats ne faisaient pas liste électorale commune avec le parti, ils servaient à préparer les élections. Carrette, qui fut maire de Roubaix, l’expliquait à ce fameux congrès de Marseille de 1892, où il vota avec ses amis la grève générale qu’il devait combattre le lendemain dans le congrès du P.O.F. Le compte rendu officiel de ce congrès « mémorable », où Briand joua le grand rôle, était resté inédit dans les archives de la Bourse du Travail de Marseille. On vient de l’exhumer et il paraîtra prochainement dans la Bibliothèque du Mouvement Socialiste. On y pourra lire ce qui suit, exprimé par Carette : « Contrairement à divers orateurs du matin. Carette est on ne peut plus partisan que les groupes corporatifs et fédérations ouvrières s’occupent de politique, et il ne voit point là matière à division. Et pour le prouver, il cite Roubaix et toute la région du Nord. Là, il existait deux fédérations bien distinctes : l’une essentiellement ouvrière, et l’autre politique en même temps. Cette dernière fit toute la propagande possible pour amener les travailleurs au socialisme et il n’exista alors qu’une seule fédération. Aussi les résultats furent probants et admirables tout à la fois, car à l’heure actuelle, toute la fédération politique est en parfait accord… Et voici, dit-il, quels sont les moyens d’alimentation de la caisse de cette Fédération. Chaque membre de chaque syndicat adhérent verse 0 fr.05 par mois. Il arrive quelque fois que cette caisse est impuissante à faire les frais nécessaires pour les élections. On s’adresse alors à chaque syndicat respectif, et tous, suivant leurs moyens, fournissent les subsides nécessaires pour assurer le triomphe de leurs idées.»
C’est à ces temps heureux que les amis de Guesde voudraient ramener les Syndicats. Vérecque ne rappelait-il pas, dans le Travailleur de Lille du 13 juillet 1907, un « précédent », qu’il aurait voulu voir se renouveler, et qui vise un fait contemporain de la théorie de Lafargue et de la pratique de Carette ? Il s’agissait de ce « Secrétariat du Travail », dont le congrès international de Bruxelles de 1897 avait décidé la création dans chaque pays, et qui fut, un moment, institué en France. «… Il comprenait, dit Vérecque, les délégués de l’organisation syndicale et de l’organisation socialiste… il constituait un rapprochement entre l’organisation corporative et l’organisation politique de la classe ouvrière et aboutissait à leur collaboration régulière et permanente… Ce qui s’est fait en 1891, pourquoi ne pourrait-il pas se faire en 1907?…»
De même, c’est le « précédent » de Bordeaux – qui, lui, s’est répété – que Cachin recommande dans le Socialisme du 1er décembre. Les socialistes bordelais fidèles aux bonnes traditions, ne recueillirent 13.000 voix, en 1904, que « parce qu’ils avaient constitué une liste dans laquelle les représentants des Syndicats et du Parti avaient également leur juste place. Elle s’appelait « Liste de l’Union des Syndicats ouvriers et des Socialistes de Bordeaux. » Elle comprenait, sur 36 candidats, 23 représentants et fonctionnaires des plus importants syndicats de la ville qui y figurèrent avec leur titre. Et Cachin nous apprend que l’enthousiasme provoqué par la liste fut si grand que « de nombreux anarchistes se décidèrent même à voter pour elle. »
Et par quel charme peut-on ainsi séduire les Syndicats et faire voter même des anarchistes ? En payant en bonnes subventions leur concours électoral. « Le budget municipal, aux mains des ouvriers (c’est-à-dire du parti), c’est aussi – explique Cachin – la question des Bourses du Travail réglée chez nous. On ne peut nier que la situation d’un grand nombre d’entre elles soit, en ce moment, ou paradoxale ou fort précaire. Nos Syndicats ouvriers sont trop pauvres, en général, pour s’offrir le luxe de locaux et de fonctionnaires salariés… Plus d’humiliation, plus de menaces de suppression des subventions, si le budget municipal est géré par les travailleurs, s’octroyant à eux-mêmes les ressources nécessaires à leurs œuvres de classe. »
Ce qu’on veut est donc clair : c’est un retour au passé. Et cela, au moment où, libérés de toute tutelle politique, les Syndicats s’affirment comme les organes de la lutte de classe, dénoncent les subventions, font appel à l’esprit de sacrifice et au sentiment de la dignité.
Mais c’est en vain qu’on évoquera les revenants. Les morts ne ressuscitent pas.
Hubert Lagardelle