La « loi de la crise », autrefois exposée par Jaurès, se vérifie partout avec constance dans le socialisme et se vérifiera naturellement aussi longtemps que le Parti socialiste n’aura pas une constitution homogène. En attendant, l’attitude de la majorité du groupe parlementaire socialiste, à l’arrivée de Briand au pouvoir, n’est pas pour faciliter le rapprochement avec les syndicalistes, quoique le fond du différend ne soit pas là.
Il est certain que la défiance de plus en plus manifeste des masses populaires envers les choses de la politique se retrouve dans le mouvement qui oppose la Confédération Générale du Travail au Parti socialiste ; mais on ne peut pas laisser supposer que c’est à des incidents comme celui qui nous occupe en ce moment qu’il faille attribuer la cause de nos divergences, comme le croient nombre de socialistes et de syndiqués, trop prévenus qu’ils sont par le fait de quelques défections, pourtant prévues. D’un tel point de vue, l’analyse des conflits sociaux s’abaisserait à une mesquine inquisition des visées personnelles et l’avenir des groupes en lutte ne dépendrait que de la conduite de leurs représentants. Il ne s’agit pas ici de nier l’importance du rôle des personnalités, et encore moins de vouloir atténuer la responsabilité, la malfaisance des individus qui trahissent ceux qui leur avaient innocemment accordé leur confiance ; mais les mouvements sociaux, ni leurs causes déterminantes, n’étant le résultat des idées, de l’ambition, de l’enthousiasme ou des appétits de quelques hommes, c’est l’essentiel pour nous, et c’est d’un point de vue tout objectif qu’il convient d’examiner les différends actuels entre le socialisme et le syndicalisme.
Le mouvement syndical affirme de plus en plus une volonté d’autonomie qui est peut-être la manifestation la plus intéressante à relever dans l’histoire de la politique sociale depuis la renaissance du mouvement prolétarien. C’est la preuve que la classe ouvrière, prenant peu à peu conscience de son existence propre, cherche à se donner les méthodes adéquates à son action de classe. C’est là un but immédiat suffisant à solliciter les énergies, afin de pouvoir ensuite, par l’expérience directe de la vie sociale, préparer les conditions de l’affranchissement rêvé, avec sa conséquence nécessaire : l’abolition des classes.
Le Parti socialiste soutient certainement les travailleurs dans leurs revendications ; il a formulé pour eux le programme le plus radical qui soit : socialisation des instruments de travail. Mais est-ce là une raison pour que le prolétariat reste quelque chose d’indéterminé, ou passe tout au plus à la condition de pupille du Parti, sans espoir d’initiative et d’indépendance ? La formation du mouvement ouvrier, distinct de tout parti, n’est que le développement normal de l’expérience politique, l’application — au social — de la division du travail. Outre que révolutionnaire comme tout fait nouveau, il l’est encore parce que s’opposant aux anciennes méthodes ; et ce caractère révolutionnaire se manifeste fatalement, jusque dans les actes des syndiqués les plus réformistes, puisque la caractéristique de l’action autonome de la classe ouvrière, action essentiellement économique, c’est la lutte de classe.
La lutte de classe figure, il est vrai, dans les discours et les écrits de la plupart des militants socialistes ; et ceux-ci, en s’efforçant d’appuyer l’action du Parti sur cette base, espéraient sans doute la garantir, par là, des incertitudes et des défaillances si fréquentes dans la vie politique. Mais la lutte de classe peut-elle avoir, pour des intellectuels, le sens, la force qu’elle revêt pour l’ouvrier ?
L’avènement du « ministère des réalisations » permet de juger combien est vague cette notion de lutte de classe dans l’esprit du plus grand nombre des représentants les plus autorisés du Parti socialiste. Le dernier incident est assez significatif ; réunis pour décider de l’attitude qu’aurait à tenir le groupe parlementaire en face du cabinet Briand, les élus se séparèrent sans avoir pu prendre la résolution « unanime » qu’on était en droit d’espérer1Ont voté contre le Ministère : Allard, Bedouce, Betoulle, A. Blanc, Bouisson, Bouveri, P. Constans, Compère-Morel, Dejeante, Delory, Ducarouge, J. Dufour, Ghesquière, Guesde, Mélin, Rognon, Vaillant, Willm.
Se sont abstenus : Aldy, Allemane, Basly, Breton, Brousse, Cabrol, Cadenat, Chauvière, Durre, Ferrero, Fiévet, Goniaux, Groussier, Jaurès, Lassalle, Lecointe, Mille, Nicolas, Poulain, Roblin, Rouanet, Rozier, Selle, Sembat, Thivrier, Varenne, Weber, Vigne, Walter.
Il paraît que deux députés « unifiés » auraient voté la Déclaration ministérielle ; ils auraient rectifié leur vote, sur le conseil pressant de Briand lui-même.
Les éléments du débat provoqué par la séance d’irrésolution du G.P.S. et qui s’est poursuivi entre les citoyens Bracke, Varenne, Allemane, Jaurès, A. Thomas, etc., se trouvent notamment dans l’Humanité, n° des 28, 31 Juillet, 6, 14, 28 août, 2, 3, 5, 8, 12 septembre en particulier. ; le souci de l’unité s’inspira sans doute cette prudente irrésolution. Mais alors, le socialisme ne deviendrait-il à son tour, comme l’anarchisme actuel, qu’une affaire de tempérament ? S’avise-t-on qu’on ne voit plus bien ce qui distingue le P.S.U. des socialistes indépendants, puisque chacun garde sa liberté d’action pour participer ou non au maintien du pouvoir bourgeois ?
Jaurès, toujours optimiste et facilement enthousiaste, voyait déjà, derrière le nouveau ministère, « une porte entr’ouverte à l’espérance ». Un « ombrageux », il est vrai, a jeté quelque froid en cherchant à fermer cette porte ; mais qui oserait croire qu’il y parviendra ? Ce malencontreux s’étonna que les élus du P.S. n’aient pas comme un seul homme voté contre le nouveau gouvernement, voulu par la Chambre et représentant bien les intérêts et les appétits de la majorité ; il n’y avait rien, dans la Déclaration ministérielle qui expliquât une telle indécision, rien que n’eussent dit les ministères précédents, rien même qui ne fût déjà escompté, dans les promesses du nouveau cabinet, par la presse conservatrice comme une orientation à droite (Bracke, Humanité, 31 juillet).
Allemane se méprit-il sur le sens de la critique ? Par des explications amicales, plutôt maladroites, il voulut justifier l’attitude du groupe parlementaire ; il est des motifs, paraît-il, devant lesquels doivent se taire nos ressentiments : nous ne faisons pas la guerre aux individus, mais seulement aux institutions (Humanité, 2 août). Or les institutions capitalistes n’étant point renversées ni même beaucoup ébranlées encore, les « motifs » élevés qui imposaient silence aux ressentiments (?) exigeaient, par contre et plus que jamais, la poursuite du combat socialiste. Pourquoi donc cesser la bataille, s’abstenir ?
On dira peut-être qu’il y a souvent trêve entre belligérants, armistice au milieu d’une guerre ; et c’est vrai… notamment quand on songe à conclure la paix. Les élus abstentionnistes l’estiment-ils possible ? Celui qui envisage le but du P.S. ne peut être taxé d’outrance s’il soutient que, procédant même par un réformisme pacifique, la réconciliation impliquerait pour le moins l’établissement effectif du Droit ouvrier, de l’organe politico-juridique destiné, paraît-il, à compenser l’inégalité économique. Est-ce que le « ministère des réalisations » laisse la porte ouverte à une telle espérance ?
Non, certainement, la plupart des abstentionnistes parlementaires n’espèrent pas, comme Allemane le dit, que le « nouveau gouvernement accomplira des miracles de mansuétude vis-à-vis du prolétariat ». Pourquoi donc alors avoir désarmé ? Allemane en donne une raison stupéfiante, exprimant bien la principale préoccupation des élus : le recrutement du Parti. Convaincu que « l’antagonisme des intérêts ira grandissant et quels que soient les hommes au pouvoir, les salariés de tout ordre doivent s’attendre à être traités en ennemis par les gardiens des privilèges économiques », il ajoute que « c’est parce qu’il en doit être fatalement ainsi et parce que des millions de travailleurs ne se peuvent décider à croire à cette fatalité, que la tactique condamnée par Bracke nous apparaît comme imposée aux élus du parti socialiste ».
Peut-on plus parlementairement condamner la lutte de classe ? Il reste à développer ce raisonnement, à le poursuivre dans sa conséquence logique : comme des millions de gens, des millions de travailleurs ne peuvent se décider à admettre la nécessité, à croire à la justice de la socialisation des instruments de travail et de la propriété capitaliste, il conviendrait de ne plus parler de socialisme… dans le Parti socialiste.
Qu’on ne veuille pas mettre, ainsi, la lumière sous le boisseau, soit. Mais il y a là, pour l’avenir, des indications, des précédents regrettables, et rien ne sauvegarde le Parti contre des concessions funestes, contre des reniements même, alors qu’on soutient déjà qu’il ne faut rien faire qui puisse « être exploitable contre nous, et qui ne pourrait que desservir notre Parti ». Quand la lutte de classe est écartée sous le prétexte d’un incident aussi secondaire qu’un changement de ministres, n’est-ce pas substituer « notre parti » au prolétariat, à toute classe opprimée et exploitée, subordonner son existence, son émancipation ou le maintien de sa servitude à l’exclusif intérêt du Parti, d’un parti quelconque ? C’est donc à bon droit que des militants socialistes protestent contre l’abandon de la lutte de classe, comme tactique, qu’ils s’inquiètent de la faiblesse morale — faiblesse autrement redoutable que la faiblesse numérique — d’un parti « qui ne peut plus songer à faire du socialisme » du fait d’un changement de ministère.
Les partisans de la détente ne pouvaient accepter aisément si dure critique et Jaurès répond qu’il sait que « le parti socialiste est prêt, si on l’y oblige, à recommencer la bataille de tous les jours » (Humanité, 2 septembre). On ne peut que s’arrêter, rêveur, sur cette réserve singulière « si on l’y oblige ». Quel est ce « ON » ? Personne ne suppose certainement que ce ON irrévérencieux puisse désigner le prolétariat, survenant pour rappeler ses élus à la lutte de classe. Il s’agit donc de la bourgeoisie ; la menace conditionnelle de Jaurès fait songer à je ne sais quelle capitulation déguisée de la classe capitaliste, abdiquant tous privilèges à la discrétion d’un gouvernement nouveau… Loin qu’il en soit ainsi, nul n’ignorait les intrigues nouées, bien avant la chute du ministère précédent, en vue de l’escamotage de l’impôt sur le revenu, escamotage que s’apprête si élégamment à opérer le « ministère des réalisations ». Et alors qu’on se dispose à détourner les ressources qu’une augmentation des droits successoraux devait assurer aux retraites ouvrières, sans préjudice d’autres « réformes » aussi peu démocratiques, Jaurès est-il sûr que le Parti ne sera pas obligé — comme le fait prévoir A. Thomas — de sauver peut-être le ministère ?
Les adversaires de l’attente d’une détente qui pourrait bien aboutir à l’entente, comme dit malicieusement Bracke, ont donc raison de protester contre l’abandon de la lutte de classe ; mais, loin de le faire « pour le plaisir de se montrer intransigeants » comme on les en accuse, ils n’ont pour but, eux aussi, que d’activer un recrutement dont la lenteur afflige les militants ; l’opposition au pouvoir existant fait espérer que ceux qu’on aura avertis prêteront une oreille plus attentive à la propagande socialiste — et pourquoi ? Afin que « le pouvoir passe entre nos mains », en ne prêtant pas l’appui de la classe ouvrière à la bourgeoisie radicale ; la lutte de classe devient ainsi simple tactique2La question de la conquête du pouvoir et de ses rapports avec la lutte de classe, avec l’avenir du socialisme, ne peut trouver place ici ; ce sera le sujet d’un autre article., et ce serait suffisant encore si elle inspirait le Parti tout entier ; mais il se trouve des unifiés qui traitent ouvertement la lutte de classe de « principe faux et étroit » ; aussi s’explique-t-on difficilement l’unanimité du Congrès de Toulouse qui consacra ce principe puisque les adversaires de la lutte de classe furent de ces unanimes.
Certainement, par sa composition, le P.S., quoique vivant sur une tradition prolétarienne, est surtout l’expression des classes opprimées et exploitées qu’il s’efforce de grouper malgré leurs intérêts contradictoires — et il n’y parvient que par une neutralisation qui caractérise précisément la direction actuelle du Parti. Il faudrait peut-être ici effleurer la question de la prédominance de l’élément bourgeois dans cette direction, mais on risque de faire croire que, posée par un travailleur, cette question marque la malveillance des mains calleuses envers les mains blanches ; les militants intellectuels qui parlent en faveur « des frères qui ont les fers aux pieds » se rendent compte de la vraie position du problème ; cela n’exige pas l’abandon de la lutte de classe, seule sauvegarde de l’intégrité de l’action socialiste dans la mêlée politique.
Afin de donner peut-être plus de garanties à l’unité d’action du Parti, des militants envisagent la possibilité de grouper seulement ceux qui ne profitent pas de la plus-value ; mais s’efforçât-on d’y atteindre, outre que les rapports des manuels et des intellectuels ne seraient pas sans oppositions, le P.S. peut-il s’interdire de vouloir défendre des classes en voie de prolétarisation ? Non, il n’est pas possible de repousser les artisans, les fermiers, les boutiquiers, les petits propriétaires, etc. ; il faut les arracher à la sujétion politique et morale du capitalisme, afin de les préparer à une lutte plus vigoureuse, unis aux ouvriers, fin de faire évanouir les préjugés, les préventions qui les divisent tous, à peu près comme ce stupide « esprit de corps » qui fait se détester des soldats d’armes différentes quoique enrôlés sous le même drapeau ; quant aux intérêts contradictoires ainsi représentés par le Parti, c’est affaire aux philosophes ayant à résoudre les difficultés internes du socialisme de chercher à généraliser les formes de l’action, de les « unifier ». Donc, il est certain que la lutte de lasse, politiquement, ne peut avoir qu’un caractère abstrait ; c’est aussi ce qui fait que le prolétariat, grâce aux conditions spéciales de son existence, échappant à l’isolement des autres classes opprimées, a pu organiser son action propre et nettement circonscrite. Le propre de la lutte de classe est d’instruire sur l’importance du fait économique et de rejeter au second plan l’action politique. C’est là une conséquence issue de l’expérience sociale même, et c’est peut-être une des raisons qui irritent les socialistes parlementaires, croyant que rien ne se fait de réel en dehors de leurs agitations politiques. On n’a même voulu voir, dans cette évolution du prolétariat vers l’action essentiellement économique, qu’un effet de la propagande anarchiste. Il est vrai que des compagnons entrèrent dans le mouvement syndical, contraire à leur idéal, mais où ils espéraient faire de nombreuses recrues, trompés qu’ils furent par les tendances anti-politiciennes des organisations ouvrières dont le but était l’autonomie.
Il serait plaisant de voir ceux qui, au sein de l’unité socialiste, entendent garder leur liberté d’action, contester aux travailleurs le droit de réaliser cette liberté, cette autonomie acquise par la pratique de la vie sociale dans un risque quotidien. La comparaison des deux actions du Parti socialiste et de l’organisation syndicale ne laisse pas de doute sur la netteté et la valeur de la méthode « lutte de classe ». En dépit des divergences de vues et des tendances particulières existant partout, la chute et l’avènement d’un ministère ne troublent point l’allure du combat mené par la classe ouvrière en vue d’une revendication quelconque. L’unité d’action résulte ici, non d’une théorie toujours interprétable, mais de la nécessité immédiate, des rapports et de l’antagonisme du Travail et du Capital.
N’insistons pas sur les innombrables dangers qu’on découvre à un mode d’action si différent des modes anciens, toujours basés sur la politique, sur des concessions hypocrites, des surprises des duperies. Les uns méprisent les préoccupations grossières, le terre-à-terre caractérisant la vie syndicale ; les autres, au contraire, s’effarouchent des visées ambitieuses de ce mouvement qui veut conquérir la société, s’emparer de toute la richesse sociale. Ce qu’on redoute, en réalité, c’est le développement même de cette autonomie de la classe ouvrière s’affirmant en raison de la conscience de classe, témoignant du progrès de la conscience individuelle.
Remarquons ici à quel contre-sens aboutissent ceux qui, unifiés, traitent la lutte de classe en principe faux, puisqu’elle indique précisément, au degré de sa force, l’état de développement de la conscience des membres de cette classe. Pour que la lutte de classe pût cesser, il faudrait que les prolétaires perdent jusqu’au sentiment de la misère. On voit ainsi, d’autre part, quelle chimère est la fadaise de l’union des classes rêvée par les prêcheurs de paix sociale ; celle-ci ne pourra résulter que de la disparition des injustices sociales.
La méthode prolétarienne de « lutte de classe » est le moyen le plus propre à développer l’énergie, à éveiller la conscience, à élever le niveau moral, capable même d’assainir la politique par la position précise des problèmes qu’elle pose. C’est ce que comprennent tous les socialistes soucieux du progrès de leurs idées et de leur réalisation. L’exemple de deux Fédérations, celle de la Seine et celle des Alpes, prouve bien que, indifféremment aux contradictions inhérentes à la collaboration des classes réunies en son sein, le Parti socialiste peut et doit maintenir le principe de la lutte de classe dans son action générale, comme dans son rôle parlementaire. L’ordre du jour voté par le Conseil fédéral de la Seine à l’unanimité des délégués, dans la réunion du lundi 6 septembre 1909, mérite d’être retenu :
« Considérant que tout gouvernement, en période capitaliste, représente nécessairement contre le prolétariat l’intérêt de la bourgeoisie et la conservation d’un ordre social à détruire ;
« Que si les procédés par lesquels il est pourvu à cette conservation peuvent varier de la brutalité extrême aux ménagements intéressés, le but n’en reste pas moins constant : le maintien dans l’oppression d’un prolétariat qui ne peut s’affranchir que par le renversement de l’ordre capitaliste ;
« Qu’il résulte de cette proposition fondamentale un confit qui va s’accentuant entre les gouvernements et la classe prolétarienne, et qui détermine l’action du Parti socialiste, telle que l’ont définie tous les Congrès et notamment la résolution de l’Internationale d’Amsterdam, base de l’unité socialiste en France ;
« Que la présence dans le cabinet d’hommes qui ont quitté le Parti pour se faire une place dans le personnel gouvernemental, ne saurait être qu’un motif de défiance de plus ;
« Le Parti socialiste (section française de l’Internationale ouvrière) a doublement le devoir de refuser toute confiance au gouvernement que s’est actuellement donnée la classe bourgeoise, et de mettre en garde le prolétariat vis-à-vis d’un ministère dirigé par des hommes qui l’ont trahi ;
« Le Conseil fédéral, tout en rappelant d’anciennes décisions du Parti, recommandant l’unanimité des votes du groupe socialiste parlementaire, émet le voeu qu’à la suite d’une déclaration ministérielle le groupe socialiste soit invité à opposer une contre-déclaration indiquant nettement l’attitude du Parti. »
Cette attitude de la Fédération de la Seine pourrait s’expliquer par l’importance de l’élément ouvrier dominant dans les sections ; dans la Fédération des Alpes se mêlent des citadins et des ruraux, ouvriers d’usine, journaliers agricoles, patrons, propriétaires, intellectuels, etc. Malgré la contradiction de leurs intérêts économiques, ces groupes peuvent donc s’opposer ensemble au capitalisme, en s’exprimant par l’intermédiaire du Parti socialiste. Mais celui-ci devrait donc, en s’inspirant du principe de la lutte de classe, passer du rôle des partis politiques ne groupant que des électeurs et les dirigeant à l’aide de formules, à la fonction nécessaire d’instituteur, ayant pour souci de faire des hommes libres, capables d’organiser leurs groupements économiques autonomes, à moins que leur classe ne soit plus assez forte pour s’opposer d’elle-même à la classe bourgeoise et ne puisse lui résister que dans un parti. C’est par l’analyse même des caractères de l’évolution économique, sous les clartés de la lutte de classe, que se justifie ainsi l’existence du Parti socialiste pour ce but ; et ceux qui ont tant de préventions envers le syndicalisme révolutionnaire devraient bien au contraire lui savoir gré d’avoir opposé le prolétariat à toutes les classes, à tous les partis — y compris l’Unifié — puisque c’est de l’application de sa méthode, de la lutte de classe, que pourra se réaliser, avec la compréhension claire de toutes les données du problème social, l’émancipation intégrale.
E. Murmain
- 1Ont voté contre le Ministère : Allard, Bedouce, Betoulle, A. Blanc, Bouisson, Bouveri, P. Constans, Compère-Morel, Dejeante, Delory, Ducarouge, J. Dufour, Ghesquière, Guesde, Mélin, Rognon, Vaillant, Willm.
Se sont abstenus : Aldy, Allemane, Basly, Breton, Brousse, Cabrol, Cadenat, Chauvière, Durre, Ferrero, Fiévet, Goniaux, Groussier, Jaurès, Lassalle, Lecointe, Mille, Nicolas, Poulain, Roblin, Rouanet, Rozier, Selle, Sembat, Thivrier, Varenne, Weber, Vigne, Walter.
Il paraît que deux députés « unifiés » auraient voté la Déclaration ministérielle ; ils auraient rectifié leur vote, sur le conseil pressant de Briand lui-même.
Les éléments du débat provoqué par la séance d’irrésolution du G.P.S. et qui s’est poursuivi entre les citoyens Bracke, Varenne, Allemane, Jaurès, A. Thomas, etc., se trouvent notamment dans l’Humanité, n° des 28, 31 Juillet, 6, 14, 28 août, 2, 3, 5, 8, 12 septembre en particulier. - 2La question de la conquête du pouvoir et de ses rapports avec la lutte de classe, avec l’avenir du socialisme, ne peut trouver place ici ; ce sera le sujet d’un autre article.