La Presse Anarchiste

Le Congrès des Maîtres Imprimeurs

1Congrès de l’U­nion des Maîtres-Impri­meurs, tenu à Mar­seille, du 3 au 9 juillet 1909.

Dès l’ou­ver­ture du Congrès, un fait retient l’at­ten­tion. Le pré­fet des Bouches-du-Rhône, c’est-à-dire le repré­sen­tant du pou­voir gou­ver­ne­men­tal, le sym­bole de la puis­sance conser­va­trice, ouvre le Congrès de l’U­nion des Maîtres Impri­meurs de France. N’est-ce pas là l’ac­cord avoué, affi­ché, de la puis­sance poli­tique et de la puis­sance économique ?

le Pré­fet encense les Maîtres Impri­meurs et affirme que c’est par leurs soins que se pro­page la pen­sée humaine, qu’elle se mul­ti­plie et rayonne sur le monde, et que c’est grâce à eux qu’elle se fixe et se perpétue…

Après avoir oublié aus­si béné­vo­le­ment les tra­vailleurs ano­nymes dont l’ef­fort ne compte pas pour lui, M. le Pré­fet donne la parole à M. Del­mas, pré­sident sor­tant de l’Union.

Celui-ci, après un pré­am­bule aimable et encou­ra­geant pour ses col­lègues, entre dans l’ac­tua­li­té brûlante :

L’as­su­rance contre les grèves atti­re­ra votre atten­tion, et j’ose espé­rer que le meilleur résul­tat de votre adhé­sion en nombre à ce pro­jet sera le rap­pro­che­ment ren­du obli­ga­toire des patrons et des ouvriers, pour les­quels les inté­rêts doivent res­ter communs.

On ne peut qu’ad­mi­rer cette for­mule mani­fes­te­ment confuse. La menace et l’es­pé­rance y figurent en un bizarre assemblage.

M. Del­mas, qu’on peut clas­ser dans la caté­go­rie des patrons « rai­son­nables », avoue ingé­nu­ment que le rap­pro­che­ment, tant sou­hai­té par lui, ne se réa­li­se­ra que lorsque les Maîtres Impri­meurs, en grand nombre, auront adhé­ré à une for­mi­dable orga­ni­sa­tion oppres­sive dont le but avoué est l’empêchement de toute grève. Le droit de grève n’é­tant plus exer­cé, que res­te­ra-t-il aux ouvriers pour faire abou­tir leurs légi­times reven­di­ca­tions et ne pas subir la loi du maître ?

M. Del­mas qui veux, lui aus­si, décré­ter l’a­mour obli­ga­toire, va nous dire com­ment les choses s’arrangeront :

Les der­nières mani­fes­ta­tions ont fait consta­ter aux ouvriers appar­te­nant aux grou­pe­ments modé­rés l’i­na­ni­té des théo­ries révo­lu­tion­naires. La recherche de l’u­ni­fi­ca­tion des salaires et des heures de tra­vail, et de l’a­mé­lio­ra­tion des tarifs, doivent se faire par des réformes étu­diées en com­mun afin de ne pas jeter le désar­roi dans une pro­fes­sion, arrê­ter les affaires, etc.

M. Del­mas, comme la plu­part des patrons, ne voit le monde ouvrier qu’à tra­vers les com­men­taires de la grande presse qui, elle-même, n’en aper­çoit que la façade.

Les dif­fé­rences de doc­trine, de concep­tion, de méthode, qui semblent sépa­rer en deux grandes frac­tions la classe ouvrière, ne sont guère que des appa­rences. Seuls, les mili­tants, les enthou­siastes, res­sentent for­te­ment ces divi­sions. Mais les tra­vailleurs qui peinent dans les ate­liers n’at­tachent qu’une impor­tance très rela­tive aux dis­cus­sions trop théo­riques ou byzan­tines. Pré­oc­cu­pés par la dif­fi­cul­té de joindre les deux bouts, sou­vent le moindre grain de mil fait bien mieux leur affaire.

Le rêve de M. Del­mas : éta­blir un tarif com­mun, se réa­li­se­rait si ouvriers et patrons mar­chaient du même pas, avec la même hâte d’a­bou­tir. Mais M. Del­mas sait, beau­coup mieux que nous, qu’une table bien gar­nie dans une mai­son confor­table n’in­cite pas les gens à la précipitation.

Les ouvriers appar­te­nant aujourd’­hui aux grou­pe­ments modé­rés sont assez sem­blables à ceux qui font par­tie des grou­pe­ments révo­lu­tion­naires. On les classe, arbi­trai­re­ment, selon la concep­tion per­son­nelle de leurs per­ma­nents qui, le plus sou­vent sont dési­gnés par le hasard. Et les patrons peuvent être convain­cus que l’en­semble des tra­vailleurs, avec une éner­gie presque iden­tique, dési­rent, demandent, réclament et impo­se­ront l’a­mé­lio­ra­tion de leur situation.

Les réformes étu­diées en com­mun par des hommes dont les besoins immé­diats sont inéga­le­ment satis­faits, appor­te­ront une paix bien pré­caire, à moins que, tout à coup, la bour­geoi­sie ne s’é­lève jus­qu’à la concep­tion idéale de l’é­vo­lu­tion économique.

M. Del­mas croit avoir trou­vé le moyen de tout conci­lier. Affir­mant que les exi­gences des lino­ty­pistes pari­siens n’ont eu d’autre résul­tat que d’or­ga­ni­ser la résis­tance patro­nale, il constate qu’à Mar­seille l’en­tente des patrons a per­mis de résis­ter à ces exa­gé­ra­tions, et il affirme, sans hési­ter, « qu’ai­dés par les vrais tra­vailleurs, ceux qui demandent l’é­vo­lu­tion et non la révo­lu­tion, les réfor­mistes et non les révo­lu­tion­naires, les dif­fi­cul­tés actuelles n’au­raient pas été sou­le­vées aus­si brutalement… »

M. Del­mas ignore, sans doute, que les lino­ty­pistes pari­siens ont répu­ta­tion de révo­lu­tion­naires et ceux de Mar­seille celle de réformistes.

Nous crai­gnons bien que, pour M. Del­mas, les « vrais tra­vailleurs » ne soient ceux qui se sou­mettent, sans mur­mu­rer, à toutes les exi­gences patronales.

Ceux-là sont grou­pés dans des asso­cia­tions qui ont accep­té l’é­pi­thète qu’on leur avait don­née par iro­nie : les Jaunes. Ce n’est qu’à eux, et non à une quel­conque frac­tion syn­di­ca­liste que peuvent avoir pen­sé les Maîtres Impri­meurs réunis à Marseille.

La caisse noire contre les grèves

Dans le rap­port de M. Ley­dier, pré­sen­té au nom de l’Of­fice cen­tral, on va retrou­ver la pré­oc­cu­pa­tion domi­nante du dis­cours de M. Delmas.

La tâche d’un grou­pe­ment syn­di­cal, dit M. Ley­dier, ne sau­rait se bor­ner à se défendre contre les empié­te­ments de l’É­tat, mais aus­si à « assu­rer contre les grèves le déve­lop­pe­ment nor­mal de nos ate­liers ». Après avoir consta­té que la grève est deve­nue « un des traits de notre état éco­no­mique » et affir­mé qu’elle « est moins un moyen d’a­mé­lio­rer les condi­tions du tra­vail qu’une arme entre les mains des révo­lu­tion­naires », M. Ley­dier dit que l’un des moyens étu­diés par l’U­nion des Maîtres Impri­meurs « consiste dans l’or­ga­ni­sa­tion d’une caisse d’as­su­rance patro­nale contre les risques de grève ».

Cette idée ne semble pas faci­le­ment réa­li­sable. Depuis plu­sieurs années, la ques­tion est posée aux patrons. Et ceux-ci en sont encore à se deman­der quelle forme doit revê­tir cette organisation :

Doit-elle être limi­tée aux membres de notre cor­po­ra­tion ? Devons-nous, au contraire, nous rat­ta­cher à d’autres grou­pe­ments ? Com­ment rendre à la fois son fonc­tion­ne­ment très effi­cace et peu oné­reux pour les inté­res­sés, etc. ?

Le dan­ger n’est pas encore immi­nent, mais on aurait tort de n’y point veiller. Cette pré­oc­cu­pa­tion évi­dente de résis­ter aux demandes ouvrières peut abou­tir à une réa­li­sa­tion à la faveur d’un évè­ne­ment inat­ten­du. Les points d’in­ter­ro­ga­tion de M. Ley­dier prouvent seule­ment qu’en France les patrons semblent goû­ter encore moins que leurs ouvriers le charme de l’as­so­cia­tion et la force qu’elle procure.

M. Ley­dier rap­porte que d’autres moyens ont été étu­diés pour assu­rer la paci­fi­ca­tion des ate­liers, notam­ment un pro­jet ten­dant à assu­rer les ouvriers contre les risques de chô­mage, et la créa­tion d’un bureau de pla­ce­ment patro­nal. Les typo­graphes se sou­viennent que ces pro­jets ont eu un com­men­ce­ment d’exé­cu­tion, mais les patrons ont consta­té, non sans stu­peur, le dédain des ouvriers pour l’au­mône qu’on leur vou­lait faire sous forme d’in­dem­ni­té de chô­mage, afin qu’ils devinssent les humbles ser­vi­teurs de leurs employeurs. Le bureau de pla­ce­ment patro­nal a par­ta­gé ce suc­cès éphémère.

Ces deux grandes pen­sées de l’Of­fice Cen­tral n’a­mè­ne­ront pas, seules, la paix tant dési­rée par les Maîtres Imprimeurs.

Chez les ouvriers, il s’est fait un lent, mais sûr tra­vail, qui les a conduits à une plus forte conscience de leur fier­té et de leur dignité.

À Paris, où ces deux ten­ta­tives furent amor­cées, les indem­ni­tés de chô­mage n’al­lé­chèrent que les lous­tics ou des « binai­seurs » et le bureau de pla­ce­ment patro­nal n’a, jus­qu’à ce jour, conser­vé que quelques mal­heu­reux, dont la déchéance est irrémédiable.

Ces leçons, d’un pas­sé récent, ne suf­fisent sans doute pas à MM. les Maîtres Impri­meurs, si l’on en juge par la suite de la discussion.

Quand, au Congrès des Maîtres Impri­meurs, on lut le rap­port de M. Vignal sur l’or­ga­ni­sa­tion d’une Caisse d’as­su­rance natio­nale contre les risques de grève, dont la conclu­sion consta­tait que « la consti­tu­tion d’un grou­pe­ment d’im­pri­meurs suf­fi­sant paraît, à l’heure actuelle, impos­sible à réa­li­ser », M. Lahure, patron « dérai­son­nable », pré­sen­ta les obser­va­tions suivantes :

Nous ne vous pro­po­sons pas de vœu. C’est une simple com­mu­ni­ca­tion. Vous savez com­bien l’or­ga­ni­sa­tion ouvrière est puis­sante. Vous n’i­gno­rez pas que la Fédé­ra­tion du Livre sub­ven­tionne toutes les grèves. Contre une telle pré­ten­tion, il faut nous grou­per et nous défendre. Nous avons son­gé à une caisse d’as­su­rance patronale.

Croyez-vous que lorsque les syn­di­cats sau­ront que nous sommes assu­rés et que, grâce à l’as­su­rance, nous pour­rons résis­ter des jours et des mois, croyez-vous qu’ils ne réflé­chi­ront pas, et qu’au lieu de venir vous trou­ver avec man­dat impé­ra­tif, ils ne trou­ve­ront pas plus sage de nous trans­mettre leurs demandes, sans menaces, afin que nous puis­sions les exa­mi­ner et les solu­tion­ner sans bles­sures, ni d’un côté, ni de l’autre.

Après avoir affir­mé qu’en 1878, en 1906 et cette année, à Mar­seille et à Paris, c’est l’in­tran­si­geance des syn­di­cats et le man­dat impé­ra­tif qui ont été les causes de ces grèves, M. Lahure arrive au pas­sage du rap­port concer­nant l’as­su­rance, par l’in­dus­triel, contre le chô­mage par manque de tra­vail, et dit qu’ain­si « dis­pa­rai­trait le plus dan­ge­reux motif de grève », les ouvriers étant tou­jours assu­rés du len­de­main. Et il ajoute, lais­sant per­cer la pré­oc­cu­pa­tion prin­ci­pale de tous ses col­lègues : « Il faut don­ner aux ouvriers non syn­di­qués un encou­ra­ge­ment néces­saire, car il leur arrive quel­que­fois de se voir occu­pés pen­dant la grève et congé­diés ensuite. »

M. Lahure a pré­sen­té, dans ses obser­va­tions, le point de vue des patrons com­ba­tifs, déci­dés à ne pas céder devant les demandes ouvrières. Le résul­tat qu’il espère de sa résis­tance, et de celle de ses col­lègues ani­més du même esprit, sera peut-être tout autre que celui qu’il désire.

Ces menaces auront pour résul­tat de rendre plus étroi­te­ment soli­daires les hommes des diverses ten­dances du monde ouvrier. Devant une décla­ra­tion de guerre aus­si caté­go­rique, les modé­rés, les réfor­mistes, sur qui les patrons « rai­son­nables » osaient fon­der quelque espoir, mon­tre­ront eux-mêmes les dents. Nous n’en vou­lons pour preuve que les décla­ra­tions faites dans l’or­gane de la Fédé­ra­tion du Livre, la Typo­gra­phie fran­çaise, du 15 sep­tembre 1909, où notre confrère Bur­gard, réfor­miste notoire, écrit : « Le but des patrons, c’est d’en­tre­te­nir, sous forme d’in­dem­ni­té au chô­mage, une équipe de sar­ra­sins tou­jours prête à inter­ve­nir dans les grèves. À ces mœurs nou­velles, nous répon­drons en emprun­tant au besoin la fameuse « machine à bos­se­ler » de nos cama­rades terrassiers. »

On ne sau­rait mieux dire. Nous qui ne par­ta­geons pas sou­vent la manière de voir de nos confrères du Comi­té cen­tral de la Fédé­ra­tion du Livre, nous voyons, sans déplai­sir, M. Lahure nous aider à convaincre nos cama­rades que nous n’ob­tien­drons jamais que des pro­messes, si nous n’a­vons pas le cou­rage de cou­rir le risque des batailles.

Pour mon­trer aux fédé­rés du Livre et à tous ceux qu’in­té­resse la lutte ouvrière que l’é­tat d’es­prit mani­fes­té par M. Lahure ne lui est pas par­ti­cu­lier, nous devons noter un inci­dent sou­le­vé par M. Lefebvre, maître impri­meur parisien.

Le tarif minimum

Au cours du Congrès, la ques­tion de l’ap­pren­tis­sage et de l’or­ga­ni­sa­tion ration­nelle d’une pro­fes­sion avait fait l’ob­jet d’un rap­port de M. Del­mas. Mais avant de se pro­non­cer sur l’a­dop­tion de ce rap­port, M. Lefebvre avait déclaré :

Dans le tableau annexé au conscien­cieux tra­vail de M. Del­mas, j’ai consta­té pour les ouvriers de 24 à 28 ans cette men­tion : « tarifs ouvriers fixant le salaire et la durée de la jour­née de tra­vail, adop­tés par les syn­di­cats patro­naux et ouvriers » ; l’a­dop­tion du vœu pré­sen­té par la Com­mis­sion impli­que­ra-t-elle l’adhé­sion de l’U­nion à une mesure que je pré­co­nise depuis plu­sieurs années, c’est-à-dire l’en­tente entre patrons et ouvriers pour l’a­dop­tion d’un tarif minimum ?

Sur la réponse que la ques­tion n’é­tait pas à l’ordre du jour, M. Lefebvre atten­dit la fin des dis­cus­sions pour repar­ler de l’en­tente entre ouvriers et patrons pour l’a­dop­tion d’un tarif minimum :

M. LEFEBVRE. J’a­vais pris la parole [au cours du Congrès] pour deman­der aux membres de cette réunion si en votant la dif­fu­sion dans les ate­liers du tra­vail de M. Del­mas, ils admet­taient toutes les idées qui y étaient for­mu­lées, notam­ment l’é­ta­blis­se­ment de tarifs de main‑d’œuvre faits d’un com­mun accord entre patrons et ouvriers…

Après avoir consta­té com­bien était pré­caire la situa­tion de l’im­pri­me­rie et que les causes du mal étaient, selon les uns, dans la concur­rence ou dans la mul­ti­pli­ci­té des grèves, et, selon les autres, dans l’i­gno­rance des chefs d’in­dus­trie, inca­pables de comp­ter leurs frais géné­raux et leurs prix de revient, M. Lefebvre affirme que, pour lui, le mal pro­vient uni­que­ment de l’an­ti­no­mie du capi­tal et du tra­vail et que le remède réside tout sim­ple­ment dans l’a­dop­tion d’un tarif mini­mum com­mun à tous les impri­meurs français.

M. Lefebvre, pour être fixé sur les inten­tions de ses col­lègues, for­mule un vœu deman­dant au Congrès des Maîtres Impri­meurs de don­ner man­dat au Comi­té cen­tral de l’U­nion d’é­tu­dier un pro­jet de tarif mini­mum qui sera sou­mis l’an pro­chain, pour être approu­vé ou reje­té par l’As­sem­blée géné­rale de 1910.

Le pré­sident demande le ren­voi au Comi­té cen­tral. M. Lefebvre déclare que ce serait un enter­re­ment de pre­mière classe. M. Lahure pré­co­nise le ren­voi à la Com­mis­sion per­ma­nente du Comi­té Cen­tral de l’U­nion qui déci­de­ra s’il est utile ou non de s’en­tendre avec les syn­di­cats ouvriers. M. Lefebvre constate que ce sera alors l’en­ter­re­ment dont il par­lait, mais où il ne sera envoyé ni fleurs ni couronnes.

M. Lahure, repre­nant la parole, fait l’in­té­res­sante décla­ra­tion que huit à neuf cents impri­meurs appar­tiennent à l’U­nion, alors qu’en France, il y a deux mille quatre cents indus­triels impri­meurs, et, dit-il, même en accep­tant le point de vue de M. Lefebvre, fau­drait-il que nous fus­sions sui­vis par la majorité.

M. Lefebvre répond que l’ob­ser­va­tion est sans valeur, le tarif mini­mum alle­mand, en 1876, n’a­vait que 400 adhé­rents sur 4.000 impri­meurs ; aujourd’­hui, il y a 4.000 adhé­rents et 300 réfrac­taires. Et il ajoute : « Si la majo­ri­té de nos confrères ne nous suit pas le pre­mier jour, tôt ou tard, elle sera dans la néces­si­té de venir à nous. »

M. LAHURE. Il faut être clair et net. La pro­po­si­tion de M. Lefebvre est tout sim­ple­ment que nous fas­sions notre sou­mis­sion aux syn­di­cats ouvriers. Ce n’é­tait pas la peine de résis­ter dans presque toute la France en 1906, à Mar­seille et à Paris cette année, pour céder aujourd’­hui aux exi­gences des syn­di­cats qui veulent nous impo­ser la jour­née de neuf heures, en atten­dant qu’ils exigent, comme ils nous le décla­raient, la jour­née de huit heures. Nous sommes pour la liber­té, mais pas pour la tyrannie.

M. LEFEBVRE. S’il y avait une entente solide éta­blie de bonne foi entre les patrons et les ouvriers, entente où rési­de­raient la jus­tice, le droit et aus­si la bon­té, il ne pour­rait plus y avoir de grèves.

Après quelques obser­va­tions, le ren­voi au Comi­té Cen­tral de l’U­nion est voté à l’unanimité.

Nous avons don­né à ce der­nier inci­dent un assez long déve­lop­pe­ment parce qu’il paraît conte­nir toute la phi­lo­so­phie du Congrès des Maîtres Imprimeurs.

M. Lefebvre qui, dans ses ate­liers, affirme net­te­ment sa qua­li­té de patron par des déci­sions auto­ri­taires et sans « bon­té », n’a pas fait, par pure phi­lan­thro­pie, sa pro­po­si­tion au Congrès des Maîtres Impri­meurs. La grève de 1906 fut pour lui assez dou­lou­reuse et sa résis­tance opi­niâtre éton­na même les fédé­rés du Livre qui savaient, que M. Lefebvre, après une étude appro­fon­die des usages typo­gra­phiques d’Al­le­magne, était par­ti­san de la jour­née de neuf heures.

C’est donc uni­que­ment la pénible consta­ta­tion des troubles pro­fonds qu’ap­porte une grève dans l’ex­ploi­ta­tion indus­trielle qui incite M. Lefebvre à appor­ter une ardeur consciente pour l’é­la­bo­ra­tion, entre patrons et ouvriers, d’un tarif commun.

Mais M. Lefebvre, qui peut être clas­sé, sans injus­tice, dans la moyenne indus­trie, ren­contre des adver­saires redou­tables par­mi ses col­lègues pla­cés à la tête de plus grandes exploitations.

La ques­tion ne se pose pas de même façon pour les uns et les autres.

Les grandes entre­prises, comme celle de M. Lahure, dis­posent, pour la résis­tance, de forces presque incal­cu­lables. Elles peuvent sup­por­ter, sans ris­quer la ruine irré­pa­rable, des dom­mages consi­dé­rables. Et les hommes qui dirigent ces grandes exploi­ta­tions jouissent, grâce à la noto­rié­té de leurs mai­sons, d’une grande influence morale sur leurs col­lègues moins fortunés.

De là, sans aucun doute, l’é­chec d’une pro­po­si­tion comme celle de M. Lefebvre. Celui-ci affirme tout haut ce que beau­coup d’im­pri­meurs dési­rent silen­cieu­se­ment, mais ces der­niers craignent de paraître subir la domi­na­tion ouvrière, et ont d’elle, d’ailleurs, une crainte obscure.

D’autre part, les ouvriers ne voient pas avec enthou­siasme l’é­la­bo­ra­tion d’un tarif qui res­te­rait lettre morte pour les direc­teurs des grandes exploi­ta­tions. Contre ces der­niers, après comme avant le tarif com­mun, une seule arme sera à la dis­po­si­tion des ouvriers : la grève. Alors, beau­coup d’entre eux pensent qu’il est inutile de se lier les mains.

Les évé­ne­ments de ces der­nières années ont mon­tré la valeur illu­soire des contrats de tra­vail. Trop de patrons n’en ont exé­cu­té les clauses que contraints et for­cés ; d’autres, pour s’y sous­traire, ont pro­fi­té, sans scru­pules, de la fai­blesse pas­sa­gère de l’ac­tion ouvrière.

Quelle valeur repré­sente un contrat dont il faut garan­tir l’exé­cu­tion par une force tou­jours en éveil ?

Une pro­po­si­tion comme celle de M. Lefebvre n’est ins­pi­rée que par des mobiles d’in­té­rêt. Son adop­tion par les patrons sup­po­se­rait chez eux une volon­té de « bon­té » et un désir de justice.

Est-il des indus­triels qui aient, de leur ini­tia­tive, sans y être contraints, mani­fes­té de la sol­li­ci­tude pour leurs ouvriers et aug­men­té leur puis­sance de consom­ma­tion ou amé­lio­ré leurs condi­tions d’hy­giène à l’atelier ?

Qu’ont fait les patrons pour faire com­prendre à leurs ouvriers qu’ils ne consi­dé­raient pas leur syn­di­cat comme un enne­mi redoutable ?

Rien. Au contraire, depuis la grève de 1906, les patrons ont exa­gé­ré la manière forte. Croient-ils, ain­si, inté­res­ser les ouvriers à la pros­pé­ri­té d’une indus­trie qui ne leur apporte que vexa­tions, chô­mage et misère ?

Les paroles de « bon­té » et d’es­pé­rance pro­non­cées au Congrès des Maîtres Impri­meurs par M. Lefebvre, seul de son avis, n’ef­fa­ce­ront pas les décla­ra­tions bel­li­queuses de M. Lahure, approu­vé par la majo­ri­té de ses collègues.

§§§

Aujourd’­hui, la classe ouvrière ne veut plus se satis­faire de paroles vaines. Doit-elle attendre les preuves maté­rielles de cette bonne volon­té patro­nale qui se mani­feste verbalement ?

Que fera la Fédé­ra­tion des Tra­vailleurs du Livre devant les ten­dances qui se sont mani­fes­tées au Congrès des Maîtres Impri­meurs ? Quel moyen compte-t-elle employer pour parer à l’é­ven­tua­li­té d’une caisse de grève patro­nale ? Com­ment pro­cé­de­ra-t-elle pour ten­ter d’é­ta­blir un tarif natio­nal qui ne lais­se­rait plus les fédé­rés se concurrencer ?

Ce sera la tâche qui incom­be­ra au Congrès que la Fédé­ra­tion doit tenir à Bor­deaux en juillet 1910.

Tout ce que nous nous per­met­trons de signa­ler, pour le moment, c’est l’ur­gence de l’é­la­bo­ra­tion d’un tarif natio­nal, car le Bul­le­tin offi­ciel de l’U­nion des Maîtres Impri­meurs sou­haite que l’é­tude des ques­tions sou­le­vées au Congrès abou­tisse à un tarif mini­mum PATRONAL.

Dans ces ques­tions de tarif, les ouvriers ne doivent jamais se lais­ser dis­tan­cer s’ils veulent avoir des bases sérieuses de résis­tance contre l’of­fen­sive patro­nale pos­sible. La vic­toire sera tou­jours à ceux qui seront prêts les premiers.

Hen­ri Normand

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    Congrès de l’U­nion des Maîtres-Impri­meurs, tenu à Mar­seille, du 3 au 9 juillet 1909.

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