Cette préoccupation de l’éducation de l’enfant en dehors du contrôle et de la gestion de l’État, est la preuve que la question sociale ne se restreint plus à une formule étroite, mais embrasse un ensemble de manifestations touchant à la fois les intérêts et les sentiments de la classe ouvrière. Toutes ces manifestations prennent un caractère « d’action directe ». À la lutte économique s’ajoute la lutte non moins indispensable pour la libération des cerveaux et la formation des individualités.
L’éducation ! Quel monde d’activités et d’études. Détruire tous les systèmes absolutistes, supprimer les formules, ne pas les remplacer par de nouvelles, faire naître la curiosité, éveiller l’intelligence, faciliter le développement de l’originalité, provoquer des questions nombreuses sur les commentaires incompris : c’est combattre non seulement toutes les écoles religieuses, mais encore l’école laïque, l’école de l’État, qui a conservé non les termes, mais l’esprit dogmatique des écoles d’antan, et qui a remplacé le culte chrétien par celui de l’État, avec tout ce qui en résulte : patrie, propriété, drapeau, etc., créant un nouveau dogme indiscutable, une nouvelle chose sainte qu’on doit respecter de par la volonté des plus forts.
De plus, il est nécessaire de constater combien tout le système éducatif présent est peu attrayant pour l’esprit de l’enfant. L’étude devient une fatigue, presque une punition. Le bâtiment ou maison d’école a trop souvent l’aspect d’une caserne. Le professeur ou maître d’école n’a pas toujours les qualités d’un pédagogue, ou s’il les possède, fatigué par les obligations d’un programme étroit auquel il est soumis, par le nombre considérable d’élèves qu’il a l’obligation d’éduquer et qu’il ne peut que dresser aigri par une vie précaire, il se désintéresse souvent de sa besogne et l’accomplit comme une corvée.
Finalement, un seul but est envisagé : l’obtention du certificat d’études, pauvre certificat qui ne prouve rien. Cependant, pour arriver à ce résultat, on a inculqué une foule de notions générales inutiles et quelquefois des plus incompréhensibles pour l’enfant. De là un surmenage intellectuel entraînant fréquemment le dégoût pour l’étude.
Pour obtenir de cet adolescent franchise, sincérité et éveil de la pensée, il aurait fallu un travail considérable, impossible de par les difficultés et les nécessités sociales. Il aurait fallu réagir contre l’influence du premier milieu où il a été éduqué. En sorte que, une fois accaparé par la vie de l’atelier ou du bureau, si le hasard ne met pas sur son chemin quelque intelligent camarade provoquant dans son cerveau des éclaircissements nécessaires, s’il ne lit pas, le voilà devenu bientôt un rouage de la machine sociale ; électeur quelconque, être sans originalité de pensée et d’action : remplaçant un maître par un autre, une formule par une autre et considérant comme une réforme profonde le changement de couleur d’un drapeau.
Or, si nous nous rendons compte qu’une transformation réelle, complète, ne peut se faire qu’à la condition d’une part, qu’il y ait éducation économique, et qu’il y ait d’autre part, des individus en grand nombre qui soient « des caractères », il faut, en ce qui concerne cette dernière condition, une certaine préparation, une certaine tendance, un effort dans cette voie.
Pourquoi négligerions-nous cette forme d’activité directe ? activité qui déterminera, au surplus, des préoccupations d’ordre très élevé dans la pensée des militants qui s’intéresseront à cette tâche.
Il y a longtemps déjà que les libertaires ont manifesté ces opinions en diverses brochures qui peuvent ne pas nous satisfaire, mais qui n’en marquent pas moins l’intérêt porté à cette forme de la propagande. Mais il faut avouer que depuis peu de temps seulement des essais pratiques ont été tentés. Cela se comprend aisément et il suffit d’entreprendre une œuvre de ce genre, même très modestement, pour se rendre compte des difficultés matérielles qu’elle comporte, ainsi que la préparation particulière, de l’étude que tous nous avons encore à faire, études pratiques, expériences méthodiques et suivies. Raison de plus pour s’y intéresser d’une façon effective et tenace. La société de demain se prépare un peu chaque jour ; c’est actuellement la période de tâtonnements, d’études, d’essais de méthodes nouvelles ; c’est de plus en plus en plus le peuple qui agit par lui-même.
Pour contrecarrer l’influence des patronages cléricaux, ― dans les grands centres tout au moins — des groupements se sont constitués sous le titre de patronages laïques. En dehors des cours d’enseignement, ces patronages se donnent pour but de continuer l’éducation donnée à l’école laïque : on y retrouve les mêmes défauts, avec en plus la possibilité pour certains organisateurs de conquérir les palmes ou autres faveurs ; ces patronages sont d’ailleurs placés, à peu près tous, sous un patronage officiel. Ce n’est donc pas là l’œuvre ouvrière proprement dite. On ne peut pas y trouver cette préoccupation de rénovation morale, sociale, car on ne peut jamais concilier l’arrivisme, même atténué, avec un souci d’éducation élevée.
Il y a quelques années, nous avions tenté, dans le XIIe arrondissement de Paris, de réunir un certain nombre d’enfants. Nous ne voyions pas à cette époque la possibilité d’intéresser à une œuvre de ce genre, les organisations ouvrières. Cette œuvre, des plus modestes, insuffisante dans ses moyens d’action, ne vécut pas longtemps. Elle eut tout au moins pour résultat de nous convaincre de la logique des idées nouvelles en matière d’éducation. Avoir constaté la facilité avec laquelle on conquiert l’amitié de l’enfant le moins doué intellectuellement, la facilité également avec laquelle on arrive à éviter tout mensonge, toute jalousie sournoise, n’était-ce pas là des points importants ? Et nous nous disions : qu’obtiendrait-on si les éducateurs avaient à leur disposition un matériel d’enseignement approprié aux besoins de curiosité de l’enfant, s’ils avaient la possibilité matérielle de leur donner, avec les soins physiques, cette éducation morale, au milieu même des choses de la nature, parmi l’air et la lumière ?
La tentative de Paul Robin à Cempuis, le bruit fait autour de son nom et des méthodes pratiques d’enseignement employées par lui dans cette école, a provoqué d’importantes discussions tant sur la coéducation que sur l’enseignement lui-même. Cela a contribué au réveil des consciences chez les éducateurs et les pédagogues ; le problème s’est mieux imposé à l’attention de tous.
Les pupilles des Syndicats et des Coopératives.
Actuellement, un certain nombre de coopératives de consommation qui ne répartissent pas tous leurs bénéfices se sont mises à consacrer une partie de ces ressources à former des groupes des enfants. L’Union des Syndicats de la Seine de son côté, certaines Bourses du Travail de province, aussi, comme celle de Bourges, ont constitué de pareils groupements.
Cette création de groupes de pupilles prouve bien qu’un désir existe en ce qui concerne l’éducation dont nous parlons.
Les petits sont réunis ; quant à l’éducation qu’on leur donne examinons-la. Les enfants sont réunis pour se réjouir, s’amuser, ou leur apprendre des chansons, les chansons dites « révolutionnaires », parce qu’elles expriment ce que nous pensons. Mais ces chansons, les termes en sont-ils compréhensibles pour les gosses ? Ceux-ci les chantent avec l’apparence d’une conviction qu’on sait leur donner. Certes, ils clament ces refrains avec une ardeur qui provoque les applaudissements des auditeurs. Mais notre but est-il atteint ? Ce succès répété me paraît dangereux et néfaste même. L’enfant, plus que l’adulte encore, a des tendances à devenir rapidement un cabotin. Se sachant regardé, applaudi, on lui se crée un état d’esprit absolument contraire à ce que nous nous proposons d’atteindre.
L’on pourrait également se demander : pourquoi cet uniforme ? ce béret rouge ? cette cravate rouge ? et cette bannière encore plus rouge ? Pourquoi ce besoin de façade qui ne prouve pas que la mentalité des enfants soit supérieure ? Pourquoi ces exhibitions constantes ?
Mieux encore, dans le compte rendu d’une fête à laquelle participaient plusieurs groupes d’enfants, l’Humanité déclarait que le succès avait été plus particulièrement pour tel groupe. Et nous prétendons combattre les tares de l’école laïque qui, avec ses punissions, ses récompenses, son classement, établit des degrés, des différences, et corrompt la simplicité de l’enfant ! La conséquence de tout cela n’est-ce pas toujours l’ignoble cabotinage qui déforme l’esprit.
Certes, il existe, dans ces groupements, des camarades dévoués, bien intentionnés, sincères ; cependant je crois qu’il ne suffit pas, en l’occasion, d’avoir de bonnes intentions ; il faut encore voir si le résultat réel correspond à nos espoirs.
En somme, si l’enfant n’est plus lui-même, s’il n’a plus cette vraie et gracieuse nature, sans recherche, sans pose, il n’est plus qu’un répugnant petit personnage, et je ne sais rien de plus douloureux que ce spectacle. Les prêtres ont fait de l’enfant un être sournois, les laïques un arriviste, n’en faisons pas un être superficiel, prétentieux et grotesque.
Rien n’est évidemment plus beau que l’enfance joyeuse, l’enfant dans une fête créée pour lui, à la condition toutefois que ces fêtes ne deviennent pas l’occasion d’exhibitions constantes.
Personnellement, j’ai une très grande confiance, au point de vue éducatif, dans la musique : cette expression la plus simple, la plus saisissante traduisant un sentiment ; mais, de même qu’il y a des textes idiots en littérature, il y a une mauvaise musique, qui, au lieu de développer le goût et la sensibilité, les atrophie. Il faut donc procéder avec beaucoup de tact dans le choix des chants. Ils sont rares ceux qui ont été écrits pour les enfants. Avant tout, pourquoi sont-ils si rares ? est-ce parce qu’ils doivent être simples ? Évidemment rien n’est plus difficile à créer : Les auteurs, en général, sont plus aptes à rechercher le mot à effet qu’à exprimer une émotion sincère.
Chanter, pour un gosse, est une chose naturelle. Les réunir et les faire rythmer des airs jolis, qui soient de leur âge, airs simples comme il convient à des petits, rondes dans lesquelles ils acclameront ce qui les enchantent : le soleil, le jeu, le printemps, voilà qui les animera ! Le fait de chanter leur est tellement agréable qu’ils précipitent la cadence, ne respectent plus les meures ; mais cette gaieté et cette ardeur ont leur beauté. Écrire pour eux, c’est tenir compte de cela ! c’est se subordonner à cette loi et non pas contrarier de façon pédantesque leur nature si intéressante.
Un auteur à peu près inconnu, François Jasmin, a écrit pour eux de ces choses délicieuses, basant toute sa morale sur l’observation des choses et des êtres : réflexions de gosses qui n’aiment pas ce qu’ils ne comprennent pas, qui se moquent des pédants, des menteurs, et cela avec des mots d’enfants. La musique : quelques notes, pas de complications. C’est le chant du soleil, des abeilles, des fleurs, etc. Combien, selon moi, la morale qui se dégage de telles phrases est de beaucoup supérieure à tout ce fatras de poèmes clinquants que ressassent nos pauvres gosses.
Mais il y a plus grave ; je lisais, il y a quelques mois, dans un numéro du Bulletin de la Bourse des Coopératives socialistes de France que des coopérateurs, s’intéressant aux enfants, organisent des concours à leur intention. La singulière idée : qui dit concours ne dit-il pas récompense ? Et ces récompenses consistent pour les premiers à bénéficier d’un voyage à l’étranger. Certes, il est bon que les enfants voyagent. Mais c’est payer cher ce résultat que de sacrifier à la sotte méthode des concours. Et que demande-t-on à ces enfants ? Leurs idées sur la coopération ! Pauvres enfants à qui on pose des questions bien au-dessus de leur âge et qui embarrasseraient peut-être bien fort leurs parents eux-mêmes. Triste sujet ! triste méthode !
Mais voici encore le premier alinéa du sujet de concours : « Deux petits amis, Jacques et Marie, dont les parents sont membres de la même coopérative, bons écoliers tous deux, ayant été reçus premiers au Certificat d’études, ont eu le premier prix du canton. Leurs parents ont décidé de les « récompenser » etc…
Ces quelques lignes suffisent pour montrer la conception de nos camarades en matière d’éducation. Les premiers élèves sont les plus intéressants, les plus intelligents. Ce sont ceux qui doivent bénéficier des avantages donnés. C’est exactement conforme à l’esprit laïque de nos écoles. Cependant, les premiers ne sont pas toujours les plus intéressants, ni les plus intelligents, ni les plus généreux. Le dernier a fait, quelquefois, plus d’efforts ; c’est souvent un timide ; c’est quelquefois un intelligent mais turbulent ; c’est un indiscipliné que rebutent les méthodes abstraites d’enseignement. Et même si ce dernier était un inintelligent, il n’y a aucune raison pour qu’il ne bénéficie pas des avantages qui reviennent à certains. Il a droit comme les autres à toutes les joies.
Dans l’esprit de nos camarades, il faut faire l’éducation sociale de nos enfants. Or, comme ces enfants ne peuvent pas comprendre un mot de sociologie, les éducateurs sont obligés d’employer la méthode religieuse, c’est-à-dire de catéchiser l’enfant. Il y aura « des vérités indiscutables » et on les lui enseignera. Qu’adviendra-t-il ? De deux choses l’une : ou bien devenu adulte, l’enfant ne conservera absolument rien de ces notions catéchisées, alors les amis auront perdu leur temps ; ou bien il gardera, au contraire, intacte la conception de « ses maîtres » comme certains adultes conservent pieusement le souvenir de la morale civique apprise à l’école.
Si l’enfant ne peut comprendre un seul mot de sociologie, il peut vibrer en présence de certains faits. Il est possible de l’intéresser à sa vie familiale, à sa vie avec ses petits camarades, à ses jeux. Les enfants que nous groupons ont l’occasion assez souvent, malheureusement, de voir souffrir autour d’eux. C’est là qu’il faut procéder avec conscience. La vie ouvrière, de misère, de travail surhumain, abrutissant, nous devons la lui faire sentir et connaître. Comment ?
Voilà des enfants réunis dans une coopérative ou une Bourse du Travail ; ils sont une centaine. L’année ne se passera pas — hélas ! — sans tristesse. Ce sera la mort du père de l’un d’eux ou de la mère. La vie de la famille ouvrière brisée, vie nouvelle pour ce petit être. Sans le père, c’est la plus grande des misères. Sans la mère, c’est l’abandon, la rue. Ou bien ce sera un accident du travail, ou bien encore l’expulsion du logis d’une famille miséreuse. Puis le frère partant au régiment. Le chômage, etc. ! Heures de tristesses répétées, qui alternent avec de rares heures de joies.
Ce sont ces faits qu’on redoute, mais qui surgissent, redoutables, qu’il faut qu’ils voient ! Qu’ils leur soient donc une leçon de la vie, afin que tous — sans de longs discours — aient le sentiment d’une réelle union, d’une simple et fraternelle solidarité. Qu’ils aient ce sentiment que des êtres souffrent, et ils arriveront vite à comprendre pourquoi on souffre. Je crois que par les rapports fréquents avec les petits, on apprend à leur dire ce qu’il faut. L’amitié qu’ils inspirent vous dicte des mots pour leur cœur.
Ne croyons pas aider à la formation de mentalités révolutionnaires en donnant aux cerveaux d’enfants une doctrine. Ce fût le procédé du prêtre ; point n’était besoin de rechercher la vérité puisqu’elle « existait » renfermée dans le dogme. Le seul effort à faire consistait à l’apprendre. Ce fût, et c’est encore, le procédé de l’État : il est des dogmes intangibles ; le libre-penseur Ranc ne disait-il pas un jour : « La patrie ne se discute pas ! »
À l’exaltation pour le drapeau, pour l’armée, pour la propriété, pour la loi, etc., certains socialistes voudraient opposer une autre doctrine. Le procédé serait exactement le même.
Il nous intéresse, au contraire, de former des « convictions » ; or, la conviction est individuelle. C’est après l’observation, le développement du sens critique, que cette conviction se fera. Alors, mais alors seulement, nous nous trouverons en présence non d’un numéro, mais d’un être conscient, d’une valeur morale et intellectuelle assez haute pour accomplir un acte sérieux.
C’est de la neutralité cela, direz-vous ? Non. Je ne crois pas à la neutralité : l’éducateur voudrait-il être absolument neutre qu’il ne le pourrait pas. L’éducateur est entraîné, dans une certaine mesure, à expliquer, à commenter, à conclure suivant sa façon de voir personnelle. Mais s’il est honnête, au sens élevé du mot, s’il est éducateur conscient de sa responsabilité, il ne perdra jamais de vue qu’il n’a pas le droit de prétendre à l’infaillibilité et, conséquemment, à pétrir l’esprit de l’éduqué.
J’ai confiance, d’ailleurs, au point de vue du résultat, en cet adolescent qui aura été habitué à ne considérer comme vrai que ce qu’il aura pu vérifier par lui-même, qui ne supportera aucune exploitation, aucun mensonge et qui, curieux, voudra toujours se renseigner, se documenter. En un mot, nous lui aurons donné tous les moyens de se développer, de s’affirmer progressivement ; il aura eu l’occasion de voir souffrir, de pratiquer la solidarité ; il n’ignorera pas la misère, il n’ignorera rien de ce qu’il aura été possible de lui faire connaître de la vie à son âge. Agir autrement, ce serait faire du « dressage », non de l’éducation.
La Fédération des groupes de pupilles
De nombreux groupes d’enfants existent. N’y aurait-il pas intérêt à ce qu’ils soient en contact les uns avec les autres ? Cela vient naturellement à l’esprit. Aussi l’idée de les fédérer est-elle posée. Les amis de l’enfance trouveront là un moyen de discuter entre eux les idées et les méthodes d’éducation ; il en résultera certainement pour tous une compréhension plus nette de l’action à faire.
N’est-il pas intéressant, par exemple, de créer, d’une façon sérieuse et étendue, des moyens de développement physique, d’organiser des colonies, des promenades, ainsi que le propose le camarade Jouenne dans le Bulletin de la Bourse des Coopératives socialistes, de janvier 1909 ? Puis de s’occuper de créer des cours de gymnastique rationnelle — non de « sports » au sens où on l’entend dans les journaux professionnels, mais d’exercices physiques qui contribueraient à affermir la santé de nos gosses.
Il y a lieu de s’occuper des jeux qui, tels qu’ils existent encore actuellement, sont tout simplement barbares et idiots. Ces jeux du gendarme, du voleur, du soldat, etc., qui forment les délassements des enfants, sont, on ne se l’explique que trop, la représentation de ce qu’ils voient tous les jours. Le jeu a une portée morale dont il faut tenir compte.
Il serait possible, également, de créer un matériel de science amusante, science expérimentale concrète, excitant la curiosité des bambins et les instruisant, quelque chose dans l’esprit des travaux du mathématicien Laisant et du chimiste Darzens qui, contrairement aux méthodes appliquées dans nos écoles, trouvent la possibilité d’intéresser de jeunes cerveaux à des sciences profondes, et cela simplement en sachant satisfaire chez l’enfant le besoin de voir, de comprendre.
Et les parents, n’est-il pas indispensable de les intéresser à cette tentative ? On le peut par des cours sur l’hygiène, sur l’éducation familiale, par le contact avec les éducateurs.
De plus, l’enfant ayant le besoin de lire, de contempler des images, d’assister par la gravure à des scènes qui l’intéressent, il faut qu’il ait, chaque dimanche, son journal. Luttons donc contre l’insanité, contre la lecture de tout ce qui peut corrompre déjà ce jeune cœur. Et puisqu’il aime cette gamme de couleurs que représente l’image, facilitons-lui la possession de ce plaisir et qu’il en résulte un peu plus de joie et un peu plus d’intelligence.
Il y a encore à combattre toutes les formes d’exploitation de l’enfance, entre autres les maisons de correction. Nous avons à révéler comment on exploite le ou la jeune apprenti dans les bagnes industriels, à organiser des campagnes intenses de propagande, pour mettre cette situation au grand jour. Des camarades nous on d’ailleurs précédés. Ils ont révélé déjà de nombreux forfaits. Mais, il faut bien le déclarer, rien n’a été absolument tenté de sérieux, de continu, par l’élément ouvrier dans ce sens. Et puisque nous parlons des apprentis, ne devons-nous pas également demander aux organisations syndicales de faciliter aux parents leur tâche délicate en ce qui concerne le choix de la profession à donner à l’enfant.
Au point de vue qui nous intéresse, il me semble indispensable que l’ouvrier devienne aussi bien un technicien parfait qu’un militant décidé.
Partisans de l’initiative individuelle sous toutes ses formes, nous sommes tenus de poursuivre cette éducation jusques et y compris l’apprentissage. Enfin, pour parachever cette action déjà très vaste ; afin d’expérimenter avec précision et d’une façon complète nos méthodes d’éducation ; afin de créer l’exemple qui suggérera des idées nouvelles, quelle plus belle œuvre que l’école modèle ouvrière ! cette œuvre de la collectivité syndicale, comprenant la nécessité de s’attaquer à la corruption sous tous ses aspects, montrant la classe ouvrière préparant la société nouvelle économique et protégeant l’enfant, ses enfants, contre l’État bourgeois. Après les tentatives de Sébastien Faure, de Madeleine Vernet, de Ferrer, une école placée sous le contrôle des organisations ouvrières et des professeurs préparant les cahiers de l’enseignement dans un esprit nouveau, conforme aux besoins de rénovation sociale, une telle école s’impose.
Le champ de l’éducation de l’enfant est illimité. Cette question offre assez d’attraits, de joies, de travail intelligent et passionné pour tous ceux que préoccupe l’avenir. Il en est qui ont souffert de voir leur idéal trop loin des réalités, et peut-être par faiblesse, peut-être aussi à la suite d’injustices subies, se sont retirés d’une lutte qui les avait séduits. Qui sait ? Ils ont négligé peut-être le terrain d’action qui convenait à leur sentimentalité : ils ont négligé l’enfant. L’éducation de l’enfant, à mon avis, ne crée point de désillusions.
Allons vers lui, non avec un geste de doctrinaire, mais d’ami, et nous verrons les plus délaissés s’éveiller au bonheur. Et ce sera du bonheur — pour soi-même — que de vivre au milieu de cette douceur et de cette franchise réconfortantes. Ce sera un excellent travail que d’avoir aidé à la formation de techniciens habiles, de cœurs francs et de caractères droits.
Léon Clément