La Presse Anarchiste

L’Imitation et l’Originalité chez la Femme

Un des reproches les plus fré­quem­ment adres­sés aux femmes, c’est qu’elles manquent d’originalité, qu’elles se res­semblent un peu toutes. On s’accorde à leur recon­naître plus de sen­si­bi­li­té qu’à l’homme, mais c’est pour mieux leur reti­rer les apti­tudes pro­pre­ment intel­lec­tuelles — esprit cri­tique, idée de la dif­fé­ren­cia­tion des idées et des choses — qui res­tent ain­si l’apanage incon­tes­té du sexe fort. Elles sont rares, en lit­té­ra­ture comme en art, les femmes qui ont ins­crit leur nom, et la pro­por­tion de celles-là, si faible à côté des hommes, est un effet, sans doute, de leur médio­cri­té intel­lec­tuelle. Du moins, beau­coup d’hommes le pensent ainsi. 

En art, pré­tendent-ils, comme par­tout où elle essaie de se mesu­rer avec l’homme, la femme n’a jamais réus­si à créer vrai­ment. Là où elle a fait quelque chose, elle a sim­ple­ment copié, imi­té un modèle en l’adaptant, en le trans­po­sant aux condi­tions nou­velles, aux temps nouveaux. 

Mais, peut-on répondre, les artistes eux-mêmes (les artistes hommes, bien enten­du) sont-ils donc si ori­gi­naux, si créa­teurs ? Il y a tou­jours, dans l’œuvre d’art, une grande part d’imitation, et celle qui revient à l’invention pure­ment per­son­nelle est, le plus sou­vent, très réduite. Dans toute œuvre artis­tique, il y a beau­coup plus de notions acquises que de spon­ta­néi­té. L’originalité sup­pose une grande force indi­vi­duelle, qui s’attache, avant tout, à bri­ser les liens du pas­sé pour mar­cher libre­ment vers l’avenir. Peu d’hommes sont capables d’un tel effort, ou portent en eux un tel don. Peu de femmes aus­si : car le res­pect des tra­di­tions, l’enchantement du pas­sé, le besoin de sécu­ri­té que la femme, le plus sou­vent, porte en elle-même, et que l’éducation déve­loppe encore, toutes ces habi­tudes de pen­ser et d’agir ne sont guère propres à déve­lop­per l’originalité de l’esprit féminin. 

Son rôle natu­rel, qui est de créer un foyer et de le conser­ver, oblige la femme à recher­cher la sécu­ri­té sous tous ses aspects, phy­siques et moraux. Et la sécu­ri­té, au point de vue maté­riel, c’est la régu­la­ri­té dans le tra­vail, c’est une « posi­tion sûre », c’est le loge­ment stable, les meubles à soi ; au point de vue moral, ce sont les idées sus­cep­tibles de faire obte­nir ou de pro­té­ger cette sécu­ri­té maté­rielle, les opi­nions en cours, peu dis­cu­tées, nul­le­ment dan­ge­reuses. Enne­mie des bou­le­ver­se­ments, la femme, le plus sou­vent, pré­fère une vie médiocre, mais sûre, à une exis­tence meilleure, ache­tée au prix de trop grands efforts, d’une perte de sa tran­quilli­té. Ses enfants ont besoin de calme, pour gran­dir ; la mère doit le leur pro­cu­rer. C’est peut-être pour cela que la nature a fuit ain­si la femme. 

On ne peut, certes, se faire autre qu’on est ; mais on pour­rait sans doute se modi­fier, si on en pre­nait la peine et si on s’y appli­quait assez tôt. Si l’éducation, au lieu de confi­ner l’esprit des femmes dans le domaine fami­lial, avait essayé de réagir contre leur paresse intel­lec­tuelle, elle aurait contri­bué for­te­ment à faire un monde beau­coup plus beau que le monde actuel. Mais l’éducation fémi­nine, orien­tée géné­ra­le­ment dans le sens ména­ger et matri­mo­nial, ne se pré­oc­cupe guère de faire pen­ser la femme. Dres­sée en vue de l’homme, du mariage et de la famille, pour­quoi se sou­cie­rait-elle de pen­ser ? Qu’elle soit tran­quille à ce sujet, d’ailleurs, car d’autres pen­se­ront fort bien pour elle. Ce sera peut-être contre elle, plu­tôt que pour elle, qu’ils pen­se­ront ; mais la femme, relé­guée dans sa cui­sine ou son ménage, ne s’en aper­ce­vra pas, ou ne pour­ra rien faire pour y remédier. 

Et, pour­tant, la femme parait être, avec l’enfant, par­ti­cu­liè­re­ment sen­sible à l’influence de l’éducation, beau­coup plus sug­ges­tion­nable, et aus­si plus por­tée à s’assimiler faci­le­ment les idées reçues. On lui reproche d’imiter tou­jours, comme les enfants. Mais le propre de l’éducation, c’est de pro­po­ser aux élèves un cer­tain modèle, ou, si l’on veut, un cer­tain idéal, dont ils devront s’inspirer plus ou moins, en le modi­fiant selon leur tem­pé­ra­ment particulier. 

Mais, parce que l’exemple du mal est plus conta­gieux que celui du bien, parce que les choses absurdes ou mau­vaises sont, davan­tage que les autres, au niveau men­tal de la majo­ri­té des humains, on suit, natu­rel­le­ment, la pente facile, qui ne demande nul effort. 

Les entraî­ne­ments col­lec­tifs ont beau­coup de prise sur l’esprit des femmes ; mais, à cet égard, com­bien d’hommes leur res­semblent!… On a raillé maintes fois leur aveugle sou­mis­sion aux exi­gences de la mode, cette reine d’un jour. Cette conta­gion, si absurde soit-elle, sou­vent, est du moins plus inof­fen­sive que d’autres, comme le patrio­tisme, le sen­ti­ment de l’honneur, dont les exi­gences réclament les plus basses cruau­tés. Ce besoin d’être « comme tout le monde », si les femmes l’éprouvent, est d’ailleurs com­bat­tu en elles par la vani­té, qui lui dis­pute sou­vent la pré­pon­dé­rance. Mal­heu­reu­se­ment, l’éducation exa­gère, là aus­si, les tra­vers de la nature. On leur a ensei­gné à plaire, et là se bornent trop sou­vent leurs dési­rs. Les femmes, sen­sibles à l’apparence, recherchent la supé­rio­ri­té en se dis­tin­guant par leur parure, leurs rela­tions, le sou­ci d’éclipser par leur luxe, vrai ou faux, leurs amies moins fortunées. 

Cette ému­la­tion, qu’elles mani­festent en elles pour des buts insi­gni­fiants ou nui­sibles, l’éducation pour­rait la diri­ger dans le sens de la rai­son. Ce ne sont pas, chez elles, les qua­li­tés natu­relles qui font défaut, mais l’éducation ou l’habitude qui les ont per­ver­ties, et qui sont, en grande par­tie, res­pon­sables des méfaits qu’on attri­bue à la nature ou à la fatalité. 

La femme ne pos­sède-t-elle pas, comme l’homme (je veux dire l’homme intel­li­gent) cet esprit de recherche, de curio­si­té, d’insatisfaction, qui est la condi­tion pre­mière de toute trans­for­ma­tion, de tout pro­grès ? Dans la marche de l’humanité, l’homme seul devrait-il, par son désir de nou­veau­té, de créa­tion, frayer har­di­ment le che­min, tan­dis que sa com­pagne, gar­dienne éter­nelle, se bor­ne­rait à conser­ver les conquêtes anciennes ? Elle aus­si, cepen­dant, elle éprouve, comme lui, un désir d’émancipation, d’idéal, de rêve. Elle aus­si a besoin de sor­tir de la mono­to­nie banale où la ren­ferme sa vie. Mais ce n’est pas dans le domaine intel­lec­tuel qu’elle donne libre cours à ce désir, car son domaine à elle, c’est l’amour. Sem­blable à l’héroïne de Flau­bert, c’est sa vie sen­ti­men­tale qu’elle tend à modi­fier dans le sens de ses rêves ; c’est par elle qu’elle vou­drait mode­ler son exis­tence sur un idéal qui reste tou­jours d’autant plus irréa­li­sable qu’il paraît plus beau. 

Idéa­liste dans l’amour, pour­quoi la femme ne le serait-elle pas dans les autres concep­tions de la vie ? Il suf­fi­rait, peut-être, de diri­ger son acti­vi­té, ses dési­rs et ses forces dans un sens plus intel­lec­tuel ; de don­ner à son esprit, sen­sible aux sug­ges­tions de l’exemple, un idéal de vie à la fois grand et simple, et sur­tout de lui mon­trer cette supé­rio­ri­té, réa­li­sée, autant qu’il se peut, dans une vie humaine. 

Une Révol­tée.


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