La Presse Anarchiste

L’action directe

Les anar­chistes se sont, depuis tou­jours, faits les cham­pions de l’ac­tion directe. Pour nous, il n’existe pas de méthode qui réponde mieux à nos dési­rs, à notre militantisme.

Or les non-vio­lents se disent éga­le­ment par­ti­sans de l’ac­tion directe. Elle est à notre avis la seule qui nous per­mette d’a­gir de manière non vio­lente. Il est alors per­mis de se deman­der si nous par­lons de la même action directe, car celle qu’employèrent les anar­chistes fut très sou­vent vio­lente. Doit-on chan­ger de ter­mi­no­lo­gie ou bien les deux aspects sont-ils compatibles ?

Un indi­vi­du peut agir par l’ac­tion directe sur un tiers, sur un groupe de per­sonnes, ou bien sur lui-même (connais­sance de soi). Nous ne nous pré­oc­cu­pe­rons pas ici de ce der­nier aspect de la ques­tion, pour nous consa­crer plus par­ti­cu­liè­re­ment au pre­mier. Écou­tons ce que dit sur ce point Pierre Bes­nard dans l’Ency­clo­pé­die anar­chiste :

« L’ac­tion directe est une action indi­vi­duelle ou col­lec­tive exer­cée contre l’ad­ver­saire social par les seuls moyens de l’in­di­vi­du ou du groupement. »

Dans un tout récent ouvrage édi­té chez Jul­liard, Cle­men­ceau, bri­seur de grèves (p. 20 – 21), nous trou­vons la défi­ni­tion suivante :

« L’ac­tion directe signi­fie que, quelle que soit l’ins­ti­tu­tion en cause, patro­nat, gou­ver­ne­ment ou par­le­ment, aucun sys­tème repré­sen­ta­tif, aucune délé­ga­tion de pou­voir ne pour­ra jamais dis­pen­ser les tra­vailleurs de s’oc­cu­per de leurs propres affaires, et de peser de leur poids propre ; outre son effi­ca­ci­té, l’ac­tion directe a une valeur de for­ma­tion morale, de prise de conscience par l’ex­ploi­té de sa res­pon­sa­bi­li­té et de sa force : en ce sens, un syn­di­ca­lisme qui renie­rait l’ac­tion directe se renie­rait lui-même. »

Ces deux défi­ni­tions, bien que trop brèves, per­mettent de situer l’ac­tion directe qui est avant tout une action d’homme à homme, où les tiers non direc­te­ment concer­nés sont éliminés.

Cer­tains pré­fé­rèrent les pro­cé­dés vio­lents, et cela pour de mul­tiples rai­sons, aux pro­cé­dés non vio­lents. Exa­mi­nons la forme prise par l’ac­tion directe sui­vant la méthode employée.

Les non-vio­lents vont recher­cher le dia­logue. Il ne faut sur­tout pas qu’à la fin il y ait gagnants et per­dants, mais au contraire des hommes qui se sont mis plei­ne­ment d’ac­cord sur cer­tains points. Par exemple, Vino­ba ne prend pas la terre aux pro­prié­taires, mais la leur fait don­ner libre­ment. À aucun moment le non-violent ne fait preuve d’au­to­ri­té, ne se place au-des­sus de son adver­saire (le terme d’ad­ver­saire ne devant pas être pris dans un sens péjo­ra­tif quel­conque, mais signi­fiant seule­ment qu’une diver­gence d’o­pi­nions existe).

Le non-violent se consi­dé­re­ra même res­pon­sable de l’at­ti­tude de son adver­saire. L’exemple de Louis Lecoin qui jeû­na à mort parce que le gou­ver­ne­ment n’a­vait pas tenu ses enga­ge­ments est carac­té­ris­tique. (Si Louis Lecoin ne se réclame pas de la non-vio­lence, son acte peut être néan­moins consi­dé­ré comme non violent.)

Par contre, cer­tains se refusent à employer la non-vio­lence, sans pour cela être vio­lents. Écou­tons à ce sujet Sébas­tien Faure (Ency­clo­pé­die anar­chiste, article : Vio­lence anar­chiste).

« Je ne me bor­ne­rais pas à dire que la vio­lence n’est pas anar­chiste, j’af­fir­me­rais que la vio­lence est anti-anarchiste. »

Mais pour des rai­sons tac­tiques, comme il l’a­joute plus loin, « les anar­chistes ont la convic­tion que pour bri­ser les forces d’ex­ploi­ta­tion et d’op­pres­sion il sera néces­saire d’employer la violence ».

L’ac­tion directe perd alors, incon­tes­ta­ble­ment, une par­tie de son carac­tère spé­ci­fique. En effet, la vio­lence pour s’exer­cer néces­site nue force maté­rielle (armes, nombre, etc.) qui joue le rôle d’in­ter­mé­diaire entre les anta­go­nistes. Les rap­ports n’ont pas lieu entre les inté­res­sés eux-mêmes, mais entre des armes, des troupes. Certes les inté­res­sés sont concer­nés et n’ont pas délé­gué leurs pou­voirs à des mer­ce­naires, mais ils ne le sont qu’in­di­rec­te­ment. L’ac­tion directe pure est sacri­fiée à l’ef­fi­ca­ci­té.

Il n’y a pas incom­pa­ti­bi­li­té entre les deux formes prises par l’ac­tion directe, mais progression.

Je ne vou­drais pas que ceux qui aujourd’­hui conti­nuent à employer la vio­lence se sentent condam­nés. Je demeure convain­cu que le jour où la non-vio­lence aura fait ses preuves en tant que force révo­lu­tion­naire, la plu­part la pra­ti­que­ront. Mes réflexions n’ont pour but que de mieux, logi­que­ment, coor­don­ner nos actions et notre pensée.

Si la non-vio­lence tra­duit mieux dans le domaine de l’ac­tion la pen­sée anar­chiste, nous nous devons de la pra­ti­quer, car si nous vou­lons deman­der au monde plus de logique, il nous faut nous-mêmes être à l’avant-garde.

Sans vou­loir ser­vir de guide, il nous faut don­ner l’exemple, sinon qui nous écou­te­ra ? Toute révo­lu­tion bien ordon­née com­mence par soi-même.

Jean Cou­lar­deau


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