La Presse Anarchiste

Sérum ou vaccin ? — Réponse à une objection

Note : L’al­lu­sion aux méthodes vac­ci­nales n’est qu’une image et ne devra jamais être inter­pré­tée comme une cré­du­li­té sans réserves envers l’u­ti­li­sa­tion de cette thé­ra­peu­tique qui a don­né lieu à de nom­breux abus et controverses.


Pour s’op­po­ser aux méthodes non vio­lentes, non pas qu’ils doutent de leurs valeurs humaines, mais parce que l’ef­fi­ca­ci­té leur paraît dou­teuse, la plu­part des per­sonnes prennent des exemples où la non-vio­lence n’a pas à leurs yeux de chance de suc­cès. Si leur rai­son­ne­ment est juste, je suis fou d’être non violent. Or, il me semble bien (d’a­près mes expé­riences per­son­nelles) que je pos­sède une force dont je ne sais sûre­ment pas me ser­vir par­fai­te­ment, mais qui bien uti­li­sée per­met d’at­teindre des résul­tats appré­ciables. Expli­quons-nous sur ce point.Examinons un conflit quel qu’il soit, par exemple une grève dure menée par des gars déci­dés à aller jus­qu’au bout de leurs reven­di­ca­tions. Avant que la grève ne soit décla­rée, un cli­mat d’a­gi­ta­tion régnait par­mi les inté­res­sés. Avant de lan­cer un com­bat déci­sif, les res­pon­sables syn­di­caux ont cor­rec­te­ment pris leurs mesures et se sont assu­rés d’une par­ti­ci­pa­tion impor­tante de tra­vailleurs. La grève, lors­qu’elle sera décla­rée, appa­raî­tra donc comme étant l’éruption, l’ex­plo­sion d’une ten­sion interne. Elle sera la consé­quence d’un mécon­ten­te­ment, d’une volon­té de changement.

Dans ces condi­tions, le com­bat public qui oppo­se­ra les gré­vistes à leurs patrons sera la suite logique, mais de forme dif­fé­rente, du conflit latent qui pré­cé­da la grève. Si les res­pon­sables ont suf­fi­sam­ment tra­vaillé avec tous et étu­dié la situa­tion, ils en res­te­ront maîtres. Et, par là même, ils seront prêts à tenir tête à la riposte patronale.

C’est à ce moment-là que l’op­po­si­tion à la non-vio­lence appa­raît. Car, me dit-on, si les patrons répondent vio­lem­ment, que faire ? Peut-on employer la non-vio­lence et faire tuer des ouvriers ? À cette ques­tion, je ne vois qu’une seule réponse : il faut faire ce qui a été pré­vu au début du conflit. Est-ce dire que je renonce aux méthodes non vio­lentes pour la réso­lu­tion des conflits ? Non ! mais il faut bien réa­li­ser que la non-vio­lence ne s’emploie pas comme une mitraillette. L’er­reur com­mise est de pen­ser que la grève, ici prise comme exemple, a été décla­rée indé­pen­dam­ment des moyens de réso­lu­tion envi­sa­gés par les grévistes.

C’est en effet au niveau de la pré­pa­ra­tion qu’il fau­dra choi­sir. Si la méthode non vio­lente est adop­tée, la grève ne sera pas posée dans les mêmes termes et de la même façon que dans le cas d’op­tion pour la méthode vio­lente. Les gré­vistes seront prêts à répondre confor­mé­ment aux moyens qu’ils auront choi­si. Leur suc­cès dépen­dra de leur pré­pa­ra­tion. Il ne faut donc pas attendre que le conflit soit posé pour choi­sir sa méthode de réso­lu­tion, mais com­men­cer dès aujourd’­hui à se pré­pa­rer à agir de telle ou telle façon. Le méde­cin, attend-il la mala­die pour la soi­gner ? Loin de là, puis­qu’il a inven­té le vac­cin des­ti­né à pré­pa­rer le malade pro­bable à réagir vic­to­rieu­se­ment contre l’at­taque microbienne.

Ce même méde­cin a aus­si dans sa pano­plie le sérum, mais cha­cun sait que son suc­cès dépend du moment d’ap­pli­ca­tion et de sa force rela­tive par rap­port à la mala­die. Certes, il est pos­sible d’en­vi­sa­ger l’en­trée en scène de la non-vio­lence en cours d’ac­tion. Mais alors il fau­dra l’ap­pli­quer vite et très fort pour avoir quelques chances de suc­cès. Il n’est pas éton­nant que bien sou­vent le pro­cé­dé échoue. Ce n’est qu’un sérum, ne lui deman­dons pas de jouer le rôle de vaccin.

Ce qui est vrai pour la grève l’est aus­si pour tous les autres conflits. L’op­po­si­tion non vio­lente à Hit­ler était beau­coup plus incer­taine (mal­gré un rela­tif suc­cès en Nor­vège) après la décla­ra­tion de guerre qu’au moment de sa mon­tée au pou­voir. Peut-on par­ler d’at­taque sou­daine quand notre pays comme les autres a livré des armes ou de quoi en faire à l’homme qui devait s’en ser­vir quelques années plus tard contre ses four­nis­seurs ? Il ne suf­fit pas de recon­naître cette véri­té, encore faut-il se déci­der à mili­ter par­tout pour s’op­po­ser à ses sœurs. Celui qui aujourd’­hui fabrique la bombe ato­mique où que ce soit dans le monde, n’est pas inno­cent des crimes qu’elle per­met et per­met­tra de perpétrer.

Dans notre monde de vio­lence, il existe des situa­tions qui ne peuvent qu’a­me­ner la vio­lence. Mais si nous mili­tons et empê­chons qu’elles se pro­pagent, leur nombre ira en décrois­sant. Il ne faut plus que dans nos milieux qui sont for­més d’hommes épris de liber­té on puisse entendre : « Le monde nous impose la vio­lence, nous n’y sommes pour rien. » Le monde ne nous impose rien, deve­nons res­pon­sables et comme beau­coup militent avec suc­cès pour obte­nir des amé­lio­ra­tions des condi­tions de la classe labo­rieuse, mili­tons pour faire recu­ler la vio­lence dont le patro­nat se sert pour jeter de temps en temps les ouvriers les uns contre les autres.

La force des diri­geants réside dans la vio­lence à tous les niveaux (tra­vail, infor­ma­tion, loi­sirs…), sup­pri­mons la lui en refu­sant de jouer son jeu et nous serons vic­to­rieux d’un com­bat qui n’a que trop duré.

Jean Cou­lar­deau


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