La Presse Anarchiste

Le Congrès des Maîtres Imprimeurs

[[Con­grès de l’U­nion des Maîtres-Imprimeurs, tenu à Mar­seille, du 3 au 9 juil­let 1909.]]

Dès l’ouverture
du Con­grès, un fait retient l’at­ten­tion. Le préfet des
Bouch­es-du-Rhône, c’est-à-dire le représen­tant du
pou­voir gou­verne­men­tal, le sym­bole de la puis­sance conservatrice,
ouvre le Con­grès de l’U­nion des Maîtres Imprimeurs de
France. N’est-ce pas là l’ac­cord avoué, affiché,
de la puis­sance poli­tique et de la puis­sance économique ?

. le Préfet
encense les Maîtres Imprimeurs et affirme que c’est par leurs
soins que se propage la pen­sée humaine, qu’elle se multiplie
et ray­onne sur le monde, et que c’est grâce à eux
qu’elle se fixe et se perpétue…

Après avoir
oublié aus­si bénév­ole­ment les travailleurs
anonymes dont l’ef­fort ne compte pas pour lui, M. le Préfet
donne la parole à M. Del­mas, prési­dent sor­tant de
l’Union.

Celui-ci, après
un préam­bule aimable et encour­ageant pour ses collègues,
entre dans l’ac­tu­al­ité brûlante :

L’as­sur­ance con­tre les
grèves attir­era votre atten­tion, et j’ose espér­er que
le meilleur résul­tat de votre adhé­sion en nom­bre à
ce pro­jet sera le rap­proche­ment ren­du oblig­a­toire des patrons et des
ouvri­ers, pour lesquels les intérêts doivent rester
communs.

On ne peut qu’admirer
cette for­mule man­i­feste­ment con­fuse. La men­ace et l’espérance
y fig­urent en un bizarre assemblage.

M. Del­mas, qu’on peut
class­er dans la caté­gorie des patrons « raisonnables »,
avoue ingénu­ment que le rap­proche­ment, tant souhaité
par lui, ne se réalis­era que lorsque les Maîtres
Imprimeurs, en grand nom­bre, auront adhéré à une
for­mi­da­ble organ­i­sa­tion oppres­sive dont le but avoué est
l’empêchement de toute grève. Le droit de grève
n’é­tant plus exer­cé, que restera-t-il aux ouvri­ers pour
faire aboutir leurs légitimes reven­di­ca­tions et ne pas subir
la loi du maître ?

M. Del­mas qui veux, lui
aus­si, décréter l’amour oblig­a­toire, va nous dire
com­ment les choses s’arrangeront :

Les dernières
man­i­fes­ta­tions ont fait con­stater aux ouvri­ers appar­tenant aux
groupe­ments mod­érés l’i­nanité des théories
révo­lu­tion­naires. La recherche de l’u­ni­fi­ca­tion des salaires
et des heures de tra­vail, et de l’amélio­ra­tion des tarifs,
doivent se faire par des réformes étudiées en
com­mun afin de ne pas jeter le désar­roi dans une profession,
arrêter les affaires, etc.

M. Del­mas, comme la
plu­part des patrons, ne voit le monde ouvri­er qu’à tra­vers les
com­men­taires de la grande presse qui, elle-même, n’en aperçoit
que la façade.

Les différences
de doc­trine, de con­cep­tion, de méth­ode, qui sem­blent séparer
en deux grandes frac­tions la classe ouvrière, ne sont guère
que des apparences. Seuls, les mil­i­tants, les enthousiastes,
ressen­tent forte­ment ces divi­sions. Mais les tra­vailleurs qui peinent
dans les ate­liers n’at­tachent qu’une impor­tance très relative
aux dis­cus­sions trop théoriques ou byzan­tines. Préoccupés
par la dif­fi­culté de join­dre les deux bouts, sou­vent le
moin­dre grain de mil fait bien mieux leur affaire.

Le rêve de M.
Del­mas : établir un tarif com­mun, se réaliserait
si ouvri­ers et patrons mar­chaient du même pas, avec la même
hâte d’aboutir. Mais M. Del­mas sait, beau­coup mieux que nous,
qu’une table bien gar­nie dans une mai­son con­fort­able n’incite pas les
gens à la précipitation.

Les ouvri­ers appartenant
aujour­d’hui aux groupe­ments mod­érés sont assez
sem­blables à ceux qui font par­tie des groupements
révo­lu­tion­naires. On les classe, arbi­traire­ment, selon la
con­cep­tion per­son­nelle de leurs per­ma­nents qui, le plus sou­vent sont
désignés par le hasard. Et les patrons peu­vent être
con­va­in­cus que l’ensem­ble des tra­vailleurs, avec une énergie
presque iden­tique, désirent, deman­dent, récla­ment et
imposeront l’amélio­ra­tion de leur situation.

Les réformes
étudiées en com­mun par des hommes dont les besoins
immé­di­ats sont iné­gale­ment sat­is­faits, apporteront une
paix bien pré­caire, à moins que, tout à coup, la
bour­geoisie ne s’élève jusqu’à la conception
idéale de l’évo­lu­tion économique.

M. Del­mas croit avoir
trou­vé le moyen de tout con­cili­er. Affir­mant que les exigences
des lino­typ­istes parisiens n’ont eu d’autre résul­tat que
d’or­gan­is­er la résis­tance patronale, il con­state qu’à
Mar­seille l’en­tente des patrons a per­mis de résis­ter à
ces exagéra­tions, et il affirme, sans hésiter,
« qu’aidés par les vrais tra­vailleurs, ceux qui
deman­dent l’évo­lu­tion et non la révo­lu­tion, les
réformistes et non les révo­lu­tion­naires, les
dif­fi­cultés actuelles n’au­raient pas été
soulevées aus­si brutalement… »

M. Del­mas ignore, sans
doute, que les lino­typ­istes parisiens ont répu­ta­tion de
révo­lu­tion­naires et ceux de Mar­seille celle de réformistes.

Nous craignons bien que,
pour M. Del­mas, les « vrais tra­vailleurs » ne
soient ceux qui se soumet­tent, sans mur­mur­er, à toutes les
exi­gences patronales.

Ceux-là sont
groupés dans des asso­ci­a­tions qui ont accepté
l’ép­ithète qu’on leur avait don­née par ironie :
les Jaunes. Ce n’est qu’à eux, et non à une quelconque
frac­tion syn­di­cal­iste que peu­vent avoir pen­sé les Maîtres
Imprimeurs réu­nis à Marseille.

La caisse noire contre les grèves

Dans le rap­port de M.
Ley­di­er, présen­té au nom de l’Of­fice cen­tral, on va
retrou­ver la préoc­cu­pa­tion dom­i­nante du dis­cours de M. Delmas.

La tâche d’un
groupe­ment syn­di­cal, dit M. Ley­di­er, ne saurait se borner à se
défendre con­tre les empiéte­ments de l’É­tat, mais
aus­si à « assur­er con­tre les grèves le
développe­ment nor­mal de nos ate­liers ». Après
avoir con­staté que la grève est dev­enue « un
des traits de notre état économique » et
affir­mé qu’elle « est moins un moyen d’améliorer
les con­di­tions du tra­vail qu’une arme entre les mains des
révo­lu­tion­naires », M. Ley­di­er dit que l’un des
moyens étudiés par l’U­nion des Maîtres Imprimeurs
« con­siste dans l’or­gan­i­sa­tion d’une caisse d’assurance
patronale con­tre les risques de grève ».

Cette idée ne
sem­ble pas facile­ment réal­is­able. Depuis plusieurs années,
la ques­tion est posée aux patrons. Et ceux-ci en sont encore à
se deman­der quelle forme doit revêtir cette organisation :

Doit-elle être
lim­itée aux mem­bres de notre cor­po­ra­tion ? Devons-nous,
au con­traire, nous rat­tach­er à d’autres groupements ?
Com­ment ren­dre à la fois son fonc­tion­nement très
effi­cace et peu onéreux pour les intéressés,
etc. ?

Le dan­ger n’est pas
encore immi­nent, mais on aurait tort de n’y point veiller. Cette
préoc­cu­pa­tion évi­dente de résis­ter aux demandes
ouvrières peut aboutir à une réal­i­sa­tion à
la faveur d’un évène­ment inat­ten­du. Les points
d’in­ter­ro­ga­tion de M. Ley­di­er prou­vent seule­ment qu’en France les
patrons sem­blent goûter encore moins que leurs ouvri­ers le
charme de l’as­so­ci­a­tion et la force qu’elle procure.

M. Ley­di­er rap­porte que
d’autres moyens ont été étudiés pour
assur­er la paci­fi­ca­tion des ate­liers, notam­ment un pro­jet ten­dant à
assur­er les ouvri­ers con­tre les risques de chô­mage, et la
créa­tion d’un bureau de place­ment patronal. Les typographes se
sou­vi­en­nent que ces pro­jets ont eu un com­mence­ment d’exécution,
mais les patrons ont con­staté, non sans stu­peur, le dédain
des ouvri­ers pour l’aumône qu’on leur voulait faire sous forme
d’in­dem­nité de chô­mage, afin qu’ils devinssent les
hum­bles servi­teurs de leurs employeurs. Le bureau de placement
patronal a partagé ce suc­cès éphémère.

Ces deux grandes pensées
de l’Of­fice Cen­tral n’amèneront pas, seules, la paix tant
désirée par les Maîtres Imprimeurs.

Chez les ouvri­ers, il
s’est fait un lent, mais sûr tra­vail, qui les a con­duits à
une plus forte con­science de leur fierté et de leur dignité.

À Paris, où
ces deux ten­ta­tives furent amor­cées, les indem­nités de
chô­mage n’al­léchèrent que les lous­tics ou des
« binaiseurs » et le bureau de placement
patronal n’a, jusqu’à ce jour, con­servé que quelques
mal­heureux, dont la déchéance est irrémédiable.

Ces leçons, d’un
passé récent, ne suff­isent sans doute pas à MM.
les Maîtres Imprimeurs, si l’on en juge par la suite de la
discussion.

Quand, au Congrès
des Maîtres Imprimeurs, on lut le rap­port de M. Vig­nal sur
l’or­gan­i­sa­tion d’une Caisse d’as­sur­ance nationale con­tre les risques
de grève, dont la con­clu­sion con­statait que « la
con­sti­tu­tion d’un groupe­ment d’im­primeurs suff­isant paraît, à
l’heure actuelle, impos­si­ble à réaliser »,
M. Lahure, patron « déraisonnable »,
présen­ta les obser­va­tions suivantes :

Nous ne vous proposons
pas de vœu. C’est une sim­ple com­mu­ni­ca­tion. Vous savez combien
l’or­gan­i­sa­tion ouvrière est puis­sante. Vous n’ig­norez pas que
la Fédéra­tion du Livre sub­ven­tionne toutes les grèves.
Con­tre une telle pré­ten­tion, il faut nous grouper et nous
défendre. Nous avons songé à une caisse
d’as­sur­ance patronale.

Croyez-vous que lorsque
les syn­di­cats sauront que nous sommes assurés et que, grâce
à l’as­sur­ance, nous pour­rons résis­ter des jours et des
mois, croyez-vous qu’ils ne réfléchi­ront pas, et qu’au
lieu de venir vous trou­ver avec man­dat impératif, ils ne
trou­veront pas plus sage de nous trans­met­tre leurs deman­des, sans
men­aces, afin que nous puis­sions les exam­in­er et les solu­tion­ner sans
blessures, ni d’un côté, ni de l’autre.

Après avoir
affir­mé qu’en 1878, en 1906 et cette année, à
Mar­seille et à Paris, c’est l’in­tran­sigeance des syn­di­cats et
le man­dat impératif qui ont été les caus­es de
ces grèves, M. Lahure arrive au pas­sage du rap­port concernant
l’as­sur­ance, par l’in­dus­triel, con­tre le chô­mage par manque de
tra­vail, et dit qu’ain­si « dis­paraitrait le plus
dan­gereux motif de grève », les ouvri­ers étant
tou­jours assurés du lende­main. Et il ajoute, lais­sant percer
la préoc­cu­pa­tion prin­ci­pale de tous ses collègues :
« Il faut don­ner aux ouvri­ers non syn­diqués un
encour­age­ment néces­saire, car il leur arrive quelque­fois de se
voir occupés pen­dant la grève et congédiés
ensuite. »

M. Lahure a présenté,
dans ses obser­va­tions, le point de vue des patrons com­bat­ifs, décidés
à ne pas céder devant les deman­des ouvrières. Le
résul­tat qu’il espère de sa résis­tance, et de
celle de ses col­lègues ani­més du même esprit,
sera peut-être tout autre que celui qu’il désire.

Ces men­aces auront pour
résul­tat de ren­dre plus étroite­ment sol­idaires les
hommes des divers­es ten­dances du monde ouvri­er. Devant une
déc­la­ra­tion de guerre aus­si caté­gorique, les modérés,
les réformistes, sur qui les patrons « raisonnables »
osaient fonder quelque espoir, mon­treront eux-mêmes les dents.
Nous n’en voulons pour preuve que les déc­la­ra­tions faites dans
l’or­gane de la Fédéra­tion du Livre, la Typogra­phie
française
, du 15 sep­tem­bre 1909, où notre confrère
Bur­gard, réformiste notoire, écrit : « Le
but des patrons, c’est d’en­tretenir, sous forme d’in­dem­nité au
chô­mage, une équipe de sar­rasins tou­jours prête à
inter­venir dans les grèves. À ces mœurs nouvelles,
nous répon­drons en emprun­tant au besoin la fameuse « machine
à bossel­er » de nos cama­rades terrassiers. »

On ne saurait mieux
dire. Nous qui ne parta­geons pas sou­vent la manière de voir de
nos con­frères du Comité cen­tral de la Fédération
du Livre, nous voyons, sans déplaisir, M. Lahure nous aider à
con­va­in­cre nos cama­rades que nous n’ob­tien­drons jamais que des
promess­es, si nous n’avons pas le courage de courir le risque des
batailles.

Pour mon­tr­er aux fédérés
du Livre et à tous ceux qu’in­téresse la lutte ouvrière
que l’é­tat d’e­sprit man­i­festé par M. Lahure ne lui est
pas par­ti­c­uli­er, nous devons not­er un inci­dent soulevé par M.
Lefeb­vre, maître imprimeur parisien.

Le tarif minimum

Au cours du Congrès,
la ques­tion de l’ap­pren­tis­sage et de l’or­gan­i­sa­tion rationnelle d’une
pro­fes­sion avait fait l’ob­jet d’un rap­port de M. Del­mas. Mais avant
de se pronon­cer sur l’adop­tion de ce rap­port, M. Lefeb­vre avait
déclaré :

Dans le tableau annexé
au con­scien­cieux tra­vail de M. Del­mas, j’ai con­staté pour les
ouvri­ers de 24 à 28 ans cette men­tion : « tarifs
ouvri­ers fix­ant le salaire et la durée de la journée de
tra­vail, adop­tés par les syn­di­cats patronaux et ouvriers » ;
l’adop­tion du vœu présen­té par la Commission
impli­quera-t-elle l’ad­hé­sion de l’U­nion à une mesure
que je pré­conise depuis plusieurs années, c’est-à-dire
l’en­tente entre patrons et ouvri­ers pour l’adop­tion d’un tarif
minimum ?

Sur la réponse
que la ques­tion n’é­tait pas à l’or­dre du jour, M.
Lefeb­vre atten­dit la fin des dis­cus­sions pour repar­ler de l’entente
entre ouvri­ers et patrons pour l’adop­tion d’un tarif minimum :

M. LEFEBVRE.
J’avais pris la parole [au cours du Con­grès] pour deman­der aux
mem­bres de cette réu­nion si en votant la dif­fu­sion dans les
ate­liers du tra­vail de M. Del­mas, ils admet­taient toutes les idées
qui y étaient for­mulées, notam­ment l’établissement
de tar­ifs de main-d’oeu­vre faits d’un com­mun accord entre patrons et
ouvriers…

Après avoir
con­staté com­bi­en était pré­caire la sit­u­a­tion de
l’im­primerie et que les caus­es du mal étaient, selon les uns,
dans la con­cur­rence ou dans la mul­ti­plic­ité des grèves,
et, selon les autres, dans l’ig­no­rance des chefs d’industrie,
inca­pables de compter leurs frais généraux et leurs
prix de revient, M. Lefeb­vre affirme que, pour lui, le mal provient
unique­ment de l’an­tin­o­mie du cap­i­tal et du tra­vail et que le remède
réside tout sim­ple­ment dans l’adop­tion d’un tarif minimum
com­mun à tous les imprimeurs français.

M. Lefeb­vre, pour être
fixé sur les inten­tions de ses col­lègues, for­mule un
voeu deman­dant au Con­grès des Maîtres Imprimeurs de
don­ner man­dat au Comité cen­tral de l’U­nion d’é­tudi­er un
pro­jet de tarif min­i­mum qui sera soumis l’an prochain, pour être
approu­vé ou rejeté par l’Assem­blée générale
de 1910.

Le président
demande le ren­voi au Comité cen­tral. M. Lefeb­vre déclare
que ce serait un enter­re­ment de pre­mière classe. M. Lahure
pré­conise le ren­voi à la Com­mis­sion per­ma­nente du
Comité Cen­tral de l’U­nion qui décidera s’il est utile
ou non de s’en­ten­dre avec les syn­di­cats ouvri­ers. M. Lefebvre
con­state que ce sera alors l’en­ter­re­ment dont il par­lait, mais où
il ne sera envoyé ni fleurs ni couronnes.

M. Lahure, reprenant la
parole, fait l’in­téres­sante déc­la­ra­tion que huit à
neuf cents imprimeurs appar­ti­en­nent à l’U­nion, alors qu’en
France, il y a deux mille qua­tre cents indus­triels imprimeurs, et,
dit-il, même en accep­tant le point de vue de M. Lefebvre,
faudrait-il que nous fus­sions suiv­is par la majorité.

M. Lefeb­vre répond
que l’ob­ser­va­tion est sans valeur, le tarif min­i­mum alle­mand, en
1876, n’avait que 400 adhérents sur 4.000 imprimeurs ;
aujour­d’hui, il y a 4.000 adhérents et 300 réfractaires.
Et il ajoute : « Si la majorité de nos
con­frères ne nous suit pas le pre­mier jour, tôt ou tard,
elle sera dans la néces­sité de venir à nous. »

M. LAHURE.
Il faut être clair et net. La propo­si­tion de M. Lefeb­vre est
tout sim­ple­ment que nous fas­sions notre soumis­sion aux syndicats
ouvri­ers. Ce n’é­tait pas la peine de résis­ter dans
presque toute la France en 1906, à Mar­seille et à Paris
cette année, pour céder aujour­d’hui aux exi­gences des
syn­di­cats qui veu­lent nous impos­er la journée de neuf heures,
en atten­dant qu’ils exi­gent, comme ils nous le déclaraient, la
journée de huit heures. Nous sommes pour la liberté,
mais pas pour la tyrannie.

M. LEFEBVRE.
S’il y avait une entente solide établie de bonne foi entre les
patrons et les ouvri­ers, entente où résideraient la
jus­tice, le droit et aus­si la bon­té, il ne pour­rait plus y
avoir de grèves.

Après quelques
obser­va­tions, le ren­voi au Comité Cen­tral de l’U­nion est voté
à l’unanimité.

Nous avons donné
à ce dernier inci­dent un assez long développe­ment parce
qu’il paraît con­tenir toute la philoso­phie du Congrès
des Maîtres Imprimeurs.

M. Lefeb­vre qui, dans
ses ate­liers, affirme net­te­ment sa qual­ité de patron par des
déci­sions autori­taires et sans « bonté »,
n’a pas fait, par pure phil­an­thropie, sa propo­si­tion au Congrès
des Maîtres Imprimeurs. La grève de 1906 fut pour lui
assez douloureuse et sa résis­tance opiniâtre étonna
même les fédérés du Livre qui savaient,
que M. Lefeb­vre, après une étude appro­fondie des usages
typographiques d’Alle­magne, était par­ti­san de la journée
de neuf heures.

C’est donc unique­ment la
pénible con­stata­tion des trou­bles pro­fonds qu’ap­porte une
grève dans l’ex­ploita­tion indus­trielle qui incite M. Lefebvre
à apporter une ardeur con­sciente pour l’élaboration,
entre patrons et ouvri­ers, d’un tarif commun.

Mais M. Lefeb­vre, qui
peut être classé, sans injus­tice, dans la moyenne
indus­trie, ren­con­tre des adver­saires red­outa­bles par­mi ses collègues
placés à la tête de plus grandes exploitations.

La ques­tion ne se pose
pas de même façon pour les uns et les autres.

Les grandes entreprises,
comme celle de M. Lahure, dis­posent, pour la résis­tance, de
forces presque incal­cu­la­bles. Elles peu­vent sup­port­er, sans risquer
la ruine irré­para­ble, des dom­mages con­sid­érables. Et
les hommes qui diri­gent ces grandes exploita­tions jouis­sent, grâce
à la notoriété de leurs maisons, d’une grande
influ­ence morale sur leurs col­lègues moins fortunés.

De là, sans aucun
doute, l’échec d’une propo­si­tion comme celle de M. Lefebvre.
Celui-ci affirme tout haut ce que beau­coup d’im­primeurs désirent
silen­cieuse­ment, mais ces derniers craig­nent de paraître subir
la dom­i­na­tion ouvrière, et ont d’elle, d’ailleurs, une crainte
obscure.

D’autre part, les
ouvri­ers ne voient pas avec ent­hou­si­asme l’élab­o­ra­tion d’un
tarif qui resterait let­tre morte pour les directeurs des grandes
exploita­tions. Con­tre ces derniers, après comme avant le tarif
com­mun, une seule arme sera à la dis­po­si­tion des ouvriers :
la grève. Alors, beau­coup d’en­tre eux pensent qu’il est
inutile de se lier les mains.

Les événements
de ces dernières années ont mon­tré la valeur
illu­soire des con­trats de tra­vail. Trop de patrons n’en ont exécuté
les claus­es que con­traints et for­cés ; d’autres, pour s’y
sous­traire, ont prof­ité, sans scrupules, de la faiblesse
pas­sagère de l’ac­tion ouvrière.

Quelle valeur représente
un con­trat dont il faut garan­tir l’exé­cu­tion par une force
tou­jours en éveil ?

Une propo­si­tion comme
celle de M. Lefeb­vre n’est inspirée que par des mobiles
d’in­térêt. Son adop­tion par les patrons sup­poserait chez
eux une volon­té de « bon­té » et
un désir de justice.

Est-il des industriels
qui aient, de leur ini­tia­tive, sans y être contraints,
man­i­festé de la sol­lic­i­tude pour leurs ouvri­ers et augmenté
leur puis­sance de con­som­ma­tion ou amélioré leurs
con­di­tions d’hy­giène à l’atelier ?

Qu’ont fait les patrons
pour faire com­pren­dre à leurs ouvri­ers qu’ils ne considéraient
pas leur syn­di­cat comme un enne­mi redoutable ?

Rien. Au contraire,
depuis la grève de 1906, les patrons ont exagéré
la manière forte. Croient-ils, ain­si, intéress­er les
ouvri­ers à la prospérité d’une indus­trie qui ne
leur apporte que vex­a­tions, chô­mage et misère ?

Les paroles de « bonté »
et d’e­spérance pronon­cées au Con­grès des Maîtres
Imprimeurs par M. Lefeb­vre, seul de son avis, n’ef­faceront pas les
déc­la­ra­tions belliqueuses de M. Lahure, approu­vé par la
majorité de ses collègues.

§§§

3

Aujour­d’hui, la classe
ouvrière ne veut plus se sat­is­faire de paroles vaines.
Doit-elle atten­dre les preuves matérielles de cette bonne
volon­té patronale qui se man­i­feste verbalement ?

Que fera la Fédération
des Tra­vailleurs du Livre devant les ten­dances qui se sont
man­i­festées au Con­grès des Maîtres Imprimeurs ?
Quel moyen compte-t-elle employ­er pour par­er à l’éventualité
d’une caisse de grève patronale ? Comment
procédera-t-elle pour ten­ter d’établir un tarif
nation­al qui ne lais­serait plus les fédérés se
concurrencer ? 

Ce sera la tâche
qui incombera au Con­grès que la Fédéra­tion doit
tenir à Bor­deaux en juil­let 1910.

Tout ce que nous nous
per­me­t­trons de sig­naler, pour le moment, c’est l’ur­gence de
l’élab­o­ra­tion d’un tarif nation­al, car le Bul­letin officiel
de l’U­nion des Maîtres Imprimeurs
souhaite que l’étude
des ques­tions soulevées au Con­grès aboutisse à
un tarif min­i­mum PATRONAL. 

Dans ces ques­tions de
tarif, les ouvri­ers ne doivent jamais se laiss­er dis­tancer s’ils
veu­lent avoir des bases sérieuses de résis­tance contre
l’of­fen­sive patronale pos­si­ble. La vic­toire sera tou­jours à
ceux qui seront prêts les premiers.

Hen­ri Normand


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