La Presse Anarchiste

Le Mahatma

Il y a à peu près une année que Gand­hi a été assassiné.

Il était para­doxa­le­ment nor­mal que l’apôtre de la non-vio­lence périsse de mort vio­lente ; les liber­taires ne fré­quentent-ils pas plus sou­vent les pri­sons que les autres ?

À l’occasion de cet anni­ver­saire, je n’ai pas plus l’intention de retra­cer ici la vie de Gand­hi que le désir de sou­li­gner sté­ri­le­ment les diver­gences doc­tri­nales ou phi­lo­so­phiques qui pour­raient oppo­ser le Mahat­ma à pas mal de mes cama­rades. Il suf­fit que Gand­hi ait consa­cré sa vie à la défense de l’Homme, et qu’il l’ait fait avec une telle foi, une telle noblesse et une telle pure­té, pour que je l’aime, pour que nous l’aimions (c’est Han Ryner qui pré­ten­dait qu’il nous faut nous aimer dans nos différences).

Ce vieux Gand­hi, tout menu, tout nu, tout maigre, tout désar­mé, rien dans les mains, rien dans les poches, tout dans le cœur !

Gand­hi l’emmerdeur.

Qui déran­geait tout à coup de bon­té, de sacri­fices et de vérité.

Vous vous ren­dez compte que, quelques semaines, quelques jours même avant sa mort, une com­mis­sion d’arbitrage de l’O.N.U. allait s’emparer de la ques­tion des rela­tions entre l’Inde et le Pakis­tan, déli­bé­rer sur le sort de trois cents mil­lions d’hommes prêts à en venir aux mains.

Alors Gand­hi, pauvre et misé­rable, et si laid, a dit : « Si vous vous bat­tez, je me laisse mou­rir. » Et il a com­men­cé sa jene­sais­com­bie­nième grève de la faim. Jusqu’au bout.

En Occi­dent on a rigo­lé, vous pen­sez bien.

On s’est moqué du vieux fou.

« Il est naïf, le Mahat­ma !… » qu’on a dit. Per­sua­dés que le Pakis­tan et l’Hindoustan, les Hin­dous et les Musul­mans, et tout le saint truc s’en fou­taient et allaient le lais­ser claquer.

Une bonne fois pour toutes.

Qu’il ne fasse plus chier le monde, après avoir tant fait chier l’Angleterre.

Et de haus­ser les épaules avec com­mi­sé­ra­tion, de la pitié railleuse plein la prunelle.

Le temps d’apprendre que les trois cents mil­lions d’antagonistes ne se bat­taient pas, pour que le Mahat­ma vive.

Quel homme, si ce n’est Jésus, a su ins­pi­rer tant d’amour ?

Les rieurs n’étaient pas de son côté.

Mais, soyons justes, ils ont cette excuse, les Occi­den­taux, de n’avoir pas un homme de cette pro­bi­té, de cette force capable de ce sacri­fice total, à même d’apaiser leurs querelles.

Qui a assez de pres­tige en Europe pour mettre sa vie en balance ? Pour dire : « Si vous faites la guerre, je meurs », et que la guerre ne se fasse pas ?

Voyez-vous le pré­sident de l’O.N.U., Chur­chill, de Gaulle, Tito, le Régent de Bel­gique, ou le Pape, faire la grève de la faim jusqu’à ce que l’Europe se fasse ?

C’est à peu près ce que Gand­hi a fait, il y a un an, aux Indes.

Juste avant de mourir.

Tout seul.

Moi, j’avoue que le Mahat­ma m’a épaté.

Le Mahat­ma ! Ça veut dire : la Grande Âme.

Avouez que ça a une autre gueule que le Duce, le Füh­rer, le Cau­dillo, le Père des Peuples, le Géné­ral ou le Pre­mier Ministre.

Toute la dif­fé­rence qu’il y a entre un saint et un gen­darme, un poème et un règle­ment, un cœur et une mitraillette.

La Grande Âme !

On se sent tout petit…

[/​Léo Cam­pion/​]

Pensées de Gandhi

Je ne me sou­viens pas d’avoir dit un seul mensonge.

– O – 

Je ne lève­rais pas la main sur vous, même si j’en avais la puis­sance. Je veux vous vaincre uni­que­ment par ma souffrance.

– O – 

Nous devons éman­ci­per l’homme des réseaux qu’il a tis­sés autour de lui, de ces orga­ni­sa­tions de l’égoïsme natio­nal. Nous, les gueux dégue­nillés, nous conquer­rons la liber­té pour toute l’humanité.

– O – 

À la minute même où les tra­vailleurs com­prennent que le choix leur est offert de dire oui quand ils pensent oui, et non quand ils pensent non, le tra­vail devient le maître et le capi­tal l’esclave. Et il n’importe abso­lu­ment pas que le capi­tal ait à sa dis­po­si­tion des fusils, des mitrailleuses et des gaz empoi­son­nés, car il res­te­ra par­fai­te­ment impuis­sant si le tra­vailleur affirme sa digni­té d’homme en res­tant abso­lu­ment fidèle à son non.

– O – 

La mort d’un lut­teur, quelque émi­nent qu’il soit, ne doit pas ralen­tir, mais, au contraire, inten­si­fier la lutte.

– O – 

Le sacri­fice de soi est infi­ni­ment supé­rieur au sacri­fice des autres.

– O – 

Je ne suis pas un vision­naire, je pré­tends être un idéa­liste pratique.

– O – 

L’utile et l’inutile doivent, comme le bien et le mal, aller de concert et l’homme doit faire son choix.

Lorsqu’on a le choix uni­que­ment entre la lâche­té et la vio­lence, je crois que je conseille­rais la violence.

– O – 

La non-coopé­ra­tion n’est pas un état pas­sif, c’est un état inten­sé­ment actif, plus actif que la résis­tance phy­sique ou la violence.

– O – 

La non-vio­lence ne se réa­lise pas méca­ni­que­ment. Elle est la plus haute qua­li­té du cœur et elle s’acquiert par la pratique.

– O – 

Nul être humain n’est trop mau­vais pour être sau­vé. Nul être humain n’est assez par­fait pour avoir le droit de tuer celui qu’il consi­dère à tort comme entiè­re­ment mauvais.

– O – 

L’amour est la force la plus puis­sante que pos­sède le monde, et pour­tant elle est la plus humble qui se puisse imaginer. 

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