La Presse Anarchiste

Le progrès moral

Peut-on vala­ble­ment par­ler de pro­grès moral comme on peut par­ler vala­ble­ment de pro­grès tech­nique et de pro­grès dans l’art ? Autre­ment dit, y a‑t-il, dans le com­por­te­ment des êtres humains pris autant que pos­sible iso­lé­ment, aus­si bien que dans leur com­por­te­ment à l’intérieur des groupes sociaux dont ils font par­tie, un état actuel suc­cé­dant à un état anté­rieur jugé moins bon ? Cet état anté­rieur lui-même suc­cède-t-il à un autre encore moins bon ? Et ain­si de suite ? Peut-on pen­ser que l’état actuel sera sui­vi d’autres qui seront jugés meilleurs ?

Tel semble être, posé aus­si suc­cinc­te­ment que pos­sible, le pro­blème du pro­grès moral.

Le pro­blème du pro­grès social peut se poser sen­si­ble­ment dans les mêmes termes : tel groupe humain, tel peuple, telle nation, ont-ils actuel­le­ment un com­por­te­ment que l’on puisse consi­dé­rer comme meilleur que dans le pas­sé ? Dans un ave­nir plus ou moins loin­tain, le même groupe humain aura-t-il un com­por­te­ment meilleur que son com­por­te­ment actuel ?

On peut même, à l’échelle mon­diale, se deman­der si l’ensemble des êtres humains vivant actuel­le­ment sur le globe ter­restre ont entre eux des rap­ports meilleurs que dans le pas­sé et si, plus tard, ce mieux obser­vable aujourd’hui ne sera pas à son tour dépassé.

Pareils pro­blèmes sou­lèvent d’énormes dif­fi­cul­tés, et il ne sau­rait être ques­tion de pré­tendre ici les résoudre une fois pour toutes en quelques pages, quand des pen­seurs émi­nents ont par­fois renon­cé à se pro­non­cer eux-mêmes dans un sens ou dans l’autre [[Voir en par­ti­cu­lier les conclu­sions du petit volume de M. André Cres­son : Le pro­blème moral et les phi­lo­sophes. (A. Colin, Paris, 1939, 2. édit.)]]. Mais il faut noter qu’à défaut de pro­grès, beau­coup de phi­lo­sophes et d’historiens ont enre­gis­tré au moins qu’il y avait eu évo­lu­tion dans le domaine moral et dans le domaine social [[Her­bert Spen­cer : Les bases de la morale évo­lu­tion­niste ; Létour­neau : Évo­lu­tion de la morale ; F. Nietzsche : La généa­lo­gie de la morale.]]. Et c’est bien un pro­blème très voi­sin de celui que nous avons posé en com­men­çant que M. Léon Brun­sch­wicg exa­mine dans les deux volumes de sa vaste et péné­trante étude sur « les pro­grès de la conscience dans la phi­lo­so­phie occidentale ».

Quant au pro­blème social dans toute son ampleur, il se confond avec le pro­blème de la civi­li­sa­tion, et c’est assez dire qu’il n’est pas simple : un excellent guide sur cette ques­tion est le petit ouvrage de M. F. Sar­tiaux paru en 1938 [[Félix Sar­tiaux : La civi­li­sa­tion. (A. Colin.).]]

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La pre­mière dif­fi­cul­té est celle des cri­tères per­met­tant de juger qu’il y a eu ou non amé­lio­ra­tion dans le com­por­te­ment des êtres humains en des groupes sociaux. À quoi se réfé­rer ? Quels termes de com­pa­rai­son uti­li­ser ? Quels points de repère fixer afin de mesu­rer, ou au moins d’apprécier, s’il y a eu ou non progrès ?

Il faut ici avant tout, comme en ce qui concerne le pro­grès dans l’art, faire une remarque préa­lable de la plus grande importance.

Une œuvre d’art ne va par elle-même ni en avant ni en arrière. Elle est « une impasse », un fait dont l’existence ne sau­rait être niée, pas plus que celle du sol sur lequel nous mar­chons ou que celle de l’air que nous res­pi­rons. De même, l’acte moral, le geste indi­vi­duel qui est jugé remar­quable pour toutes les rai­sons que l’on vou­dra, à quelque moment et dans quelque milieu que ce soit, ne va non plus ni en avant ni en arrière.

Il est un abou­tis­se­ment, une conclu­sion, un fait qui se trouve à son tour posé devant la conscience humaine. L’artisan qui a ter­mi­né un mobi­lier, même s’il est par­ti­cu­liè­re­ment satis­fait du résul­tat de son tra­vail, ne peut empê­cher que celui-ci est désor­mais déta­ché de lui. Il n’est pas plus, en pré­sence de ce mobi­lier, que l’un quel­conque des mil­liers de visi­teurs qui l’examineront dans une expo­si­tion. Le com­po­si­teur qui vient d’achever une sonate, le sculp­teur qui a mis la der­nière main à une sta­tue sont exac­te­ment dans le même cas. Leur œuvre existe désor­mais en dehors d’eux et va vivre d’une vie propre, pour d’autres qu’eux.

De même le geste de Socrate.

De même, tous les traits qui illus­trent, dans telle ou telle morale par­ti­cu­lière, chez les sau­vages hot­ten­tots comme chez les Lapons, chez les Japo­nais comme chez les Ita­liens, les dif­fé­rentes règles qui se sont plus ou moins impo­sées à l’être humain par l’intermédiaire de son groupe social.

Dès lors, à ce point de vue, il y a pro­grès moral toutes les fois qu’un geste de cette nature, por­té à la connais­sance d’un nombre de plus en plus grand d’individus, sus­cite un geste iden­tique dans les inten­tions et dans les consé­quences. De même que lorsqu’un air à la mode se répand dans un public de plus en plus large, il y a le pro­grès horizontal.

Que, dans un milieu don­né, à Athènes, à Sparte, des actes exem­plaires dif­fé­rents se pro­duisent en nombre crois­sant, et il y aura pro­grès ver­ti­cal, comme lorsque des œuvres musi­cales nou­velles naissent et se répandent suc­ces­si­ve­ment. Que, chez un nombre crois­sant d’individus, par la tra­di­tion, par l’éducation, ou par la vie, s’accumulent les exemples de nature à influer sur leur com­por­te­ment, et que cha­cun devienne capable de s’inspirer tour à tour dans sa vie pri­vée ou publique du cou­rage, de la sobrié­té, de l’ardeur au tra­vail, de la loyau­té, dont il porte en quelque sorte les germes en lui-même, et il y aura par là pro­grès voluménal.

On est ain­si ame­né à cette conclu­sion para­doxale en appa­rence, c’est que la notion de cri­tère, de terme de com­pa­rai­son, n’intervient pas dans le pro­grès moral L’idée d’amélioration est indé­pen­dante de l’idée de pro­grès. « Le pro­grès… peut être obser­vé et défi­ni sans recours à des juge­ments de valeur. » [[F. Sar­tiaux : op. cit, p. 49.]]

« Les socio­logues ont d’abord mis autant d’ardeur à décou­vrir (le pro­grès) par­tout qu’à en nier ensuite l’existence, et à le douer de ver­tus ou de vices, de valeurs morales, qui ne sont que l’expression de ten­dances sub­jec­tives. » Avec ces per­ti­nentes remarques de F. Sar­tiaux, il suf­fit de rap­pe­ler encore que le pro­grès n’est pas une enti­té, mais un fait basé sur la loi des grands nombres et il en est dans le domaine moral, comme dans les domaines tech­nique et artistique.

C’est le groupe humain qui ajoute, pour des rai­sons et pour des fins qui lui sont propres, ses juge­ments de valeur sur les actes indi­vi­duels et qui les qua­li­fie de moraux et d’exemplaires. Mais le sacri­fice de sa vie par esprit d’obéissance aux lois de la cité, comme Socrate, n’est pas, en soi, plus « moral » que le sacri­fice de sa vie, volon­taire et réflé­chi, pour sau­ver des gens en péril. Faire preuve de tem­pé­rance, de sobrié­té, n’est pas, en soi plus « moral », que faire preuve de bra­voure ou de jus­tice. Ce n’est même peut-être pas, à y regar­der de près et, mal­gré les appa­rences, sen­si­ble­ment plus facile.

On com­prend donc pour­quoi tous les trai­tés de morale « pué­rile et hon­nête » — celle qui vaut pour l’immense majo­ri­té des indi­vi­dus — abondent en exemples de gestes dont le renou­vel­le­ment paraît sou­hai­table, quelle que soit la rai­son pro­fonde de ce sou­hait et quels que soient les des­seins et la per­son­na­li­té de qui le for­mule. Depuis le De viris illus­tri­bus jusqu’aux petits, manuels des éco­liers de France, la méthode est la même. On montre les cir­cons­tances, d’une part, l’« acte moral » qui s’y insère, d’autre part, et l’on conclut : si vous vous trou­vez dans des cir­cons­tances iden­tiques, agis­sez de même. Cette invi­ta­tion, si l’on y réflé­chit, est magni­fique par ce qu’elle sup­pose de foi en l’instinct d’imitation, de confiance en la doci­li­té, en l’orgueil de ceux à qui l’on s’adresse [[Notons en pas­sant, c’est d’une extrême impor­tance, ce qu’a de méca­nique cet aspect de la morale. Celle-ci se trouve, en fait, fon­dée sur la répé­ti­tion, la mul­ti­pli­ca­tion « en série » des gestes pro­po­sés en exemple.]].

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Une seconde dif­fi­cul­té est dans la rela­ti­vi­té de la morale. « Véri­té en deçà des Pyré­nées, erreur au-delà. » Véri­té en un temps, erreur en un autre. Or, la morale est faite d’impératifs, donc d’absolus. Et ce n’est pas sans rai­son, car agir ne souffre pas de moyen terme. Socrate, s’il vou­lait agir, ne pou­vait que boire la ciguë. Le sau­ve­teur, s’il veut agir, ne peut faire autre­ment que ris­quer sa vie. L’acte accom­pli, il n’est plus pos­sible de reve­nir en arrière, de faire comme s’il n’avait pas été accom­pli — et à cet égard, on le sait, ne pas agir est encore agir. Mais ce geste qui a quelque chose d’unique, de caté­go­rique, même s’il est le cent-mil­lième d’une série ins­pi­rée par un exemple don­né, est ins­crit dans un cadre, et il y a autant de cadres dif­fé­rents qu’il y a de groupes humains dif­fé­rents dans l’espace ou dans le temps.

Or, c’est un fait que les pré­ceptes moraux que la famille, la tri­bu, la nation enseignent n’ont pas d’autre but, conscient ou non, que de faire par­ti­ci­per ceux à qui ils sont ensei­gnés à la per­pé­tua­tion de la famille, de la tri­bu, de la nation. Les hommes ne peuvent vivre qu’en groupes, et les groupes ne peuvent vivre que si leurs élé­ments res­pectent cer­taines règles com­munes. La vie du groupe est ou paraît com­pro­mise dès qu’un de ses élé­ments se révolte contre les règles que tous les autres res­pectent. Car, là aus­si, l’exemple est conta­gieux, et la désa­gré­ga­tion fami­liale, tri­bale, natio­nale, peut ne pas tar­der où souffle l’esprit d’indépendance. C’est la rai­son pour laquelle les lois morales, comme les lois civiles, s’appuient sur des gen­darmes et sur l’esprit de coer­ci­tion. Mais ce sont des gen­darmes inté­rieurs, qu’on les nomme scru­pules ou remords.

Il est appa­ru de bonne heure, dans cha­cun des grou­pe­ments humains les plus variés, des hommes qui, dans la néces­si­té d’enseigner ces lois morales, en ont fait des sys­tèmes, des « sommes » rela­ti­ve­ment à leur groupe et au moment où ils vivaient. Et ceux qui, ensuite, ont pu confron­ter ces sys­tèmes, ont consta­té des ana­lo­gies et des dif­fé­rences. Aujourd’hui, où le tra­vail n’est pas certes ter­mi­né (mais le sera-t-il jamais ?), que voit-on ?

En pre­mier lieu, le nombre des diver­gences pro­fondes que recèlent les pré­ceptes moraux sui­vis par les groupes humains a ten­dance à dimi­nuer. Au contraire, le nombre des pré­ceptes com­muns a ten­dance à croître. Cer­tains — en dépit des vio­la­tions qu’ils subissent jour­nel­le­ment — ont une valeur uni­ver­selle, comme le « Tu ne tue­ras point », ou comme le « Tu aime­ras ton pro­chain comme toi-même ». Dans cette double décan­ta­tion, on peut voir un aspect du pro­grès sur le plan moral. En effet, un nombre crois­sant d’êtres humains, dans le temps et dans l’espace, obéit, par crainte, par inté­rêt ou par rai­son, à un cer­tain nombre d’impératifs caté­go­riques, d’où résulte pour l’ensemble de l’espèce humaine une tran­quilli­té plus grande, une sécu­ri­té d’existence plus impor­tante que dans le pas­sé, coïn­ci­dant d’ailleurs avec l’aire d’extension plus grande cou­verte chaque jour par des groupes de moins en moins nombreux.

En second lieu, on observe, comme en ce qui concerne le pro­grès tech­nique et le pro­grès dans l’art, l’emploi de moyens nou­veaux pour par­ve­nir au même but. Beau­coup de règles qui, en des temps plus ou mains recu­lés, rele­vaient de la seule conscience indi­vi­duelle, de la mora­li­té de cha­cun, sont deve­nues des règles col­lec­tives rele­vant de l’action du groupe sur l’individu. C’est ce que les juristes appellent le pas­sage du droit moral au droit pénal. Quand un sei­gneur du moyen âge avait envie de tuer un de ses vas­saux, il ne pou­vait en être empê­ché pra­ti­que­ment que par sa conscience, s’il était le plus fort. Aujourd’hui, si fort que soit celui qui sou­haite la mort d’un autre homme, il se trouve tou­jours plus faible que le groupe social dont il fait par­tie et auquel il doit rend des comptes, même s’il échappe pen­dant plus ou moins long­temps à cette der­nière nécessité.

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Enfin, il fau­drait ici pou­voir poser dans toute leur ampleur les pro­blèmes de la guerre et de la révo­lu­tion. L’une et l’autre sont des conflits col­lec­tifs, met­tant aux prises, dans un cas de groupes sociaux indi­vi­dua­li­sés, peuples ou nations dans l’autre cas, des classes sociales dif­fuses à l’intérieur d’un même peuple. L’une et l’autre déchaînent des pas­sions de toute nature : les meilleures comme les pires, bien que les consé­quences de ces der­nières sur­tout éclatent aux yeux. Où aper­çoit-on à tra­vers l’une et l’autre le pro­grès moral, si pro­grès moral il y a, et le pro­grès social, si pro­grès il y a ? Ain­si posée — et c’est à peu près tou­jours ain­si qu’on la voit posée — la ques­tion n’a pas de sens. Ce n’est pas dans la guerre ou dans la révo­lu­tion en elles-mêmes, ni parce qu’elles sont ou qu’elles ne sont pas, que le pro­grès moral ou social se peut obser­ver. Comme le pro­grès de la chi­rur­gie, ou de la chi­mie, ou de l’électricité, il s’effectue mal­gré ou à cause des guerres, mal­gré ou à cause des révo­lu­tions. Il n’en est pas et ne peut pas en être abso­lu­ment indé­pen­dant, mais il n’en dépend pas non plus d’une manière si étroite qu’on puisse dire : il y aura tou­jours des guerres et des révo­lu­tions, donc il n’y a pas de pro­grès moral (à cause du déchaî­ne­ment des pas­sions indi­vi­duelles), ni social (à cause des ruines accu­mu­lées). Ce fata­lisme est une forme du pes­si­misme et un aveu d’impuissance, en même temps qu’il révèle une vue super­fi­cielle des choses. Il revient à nier le pro­grès de la culture du blé parce que le nombre d’épis fau­chés aug­mente avec le ren­de­ment à l’hectare, ou parce que la quan­ti­té de grain livrée à la consom­ma­tion aug­mente avec la pro­duc­tion, et dimi­nué d’autant le nombre de grains qui accom­pli­ront leur des­ti­née en reve­nant à la terre sous forme de semence. Qu’on nous com­prenne bien : il ne s’agit pas, par cette image, d’assimiler la des­ti­née de l’homme à celle d’un épi, celle d’un peuple à celle d’un champ où la mort peut mois­son­ner sans nous émou­voir. L’épi, pour autant que nous le sachions, n’a pas conscience de son des­tin. L’homme, comme Faust, mais avec ou sans le concours du diable, est géné­ra­le­ment maître de son des­tin. Nous vou­lons dire par là que s’il est vrai qu’il est très lar­ge­ment déter­mi­né dans cha­cune de ses actions, du fait qu’il en a conscience, il réus­sit peu à peu à se libé­rer de ce déter­mi­nisme. Il s’est libé­ré déjà en grande par­tie de ses ter­reurs ances­trales, comme il s’est libé­ré de l’obscurité noc­turne ; il s’est libé­ré des obs­tacles que le temps et l’espace accu­mu­laient devant lui et n’a d’ailleurs pas dit son der­nier mot à cet égard ; il s’est libé­ré des mala­dies et, jusqu’à un cer­tain point, de la famine, qui déci­maient les peuples autre­fois ; de même, il se libé­re­ra de la guerre, comme peuvent le faire espé­rer les ten­ta­tives avor­tées, d’où qu’elles aient éma­né, et les ten­ta­tives en appa­rence les plus folles comme celle dont Gar­ry Davis porte en ce moment le drapeau.

Mais la Révo­lu­tion ? L’homme s’en libé­re­ra-t-il ? Qui pose ain­si la ques­tion craint la Révo­lu­tion parce qu’il en ignore l’essence. C’est parce qu’il se contente du milieu où il vit et de ce que ce milieu lui apporte. C’est parce qu’il ne voit aucune erreur à rele­ver autour de lui, aucune situa­tion à amé­lio­rer, aucun hori­zon nou­veau à explo­rer. Celui-là craint le mou­ve­ment et la vie dans ses aspects changeants.

Au total, le révo­lu­tion­naire Jésus-Christ, et beau­coup d’autres de son espèce — mais qui ne se sont pas tous fait un « nom » — ont appor­té peu à peu aux géné­ra­tions qui peuplent en ce moment le globe ter­restre, un cer­tain nombre de choses à quoi il est bon de pen­ser avant de jeter l’anathème sur le pro­grès : res­pect crois­sant de l’être humain, dans sa per­son­na­li­té, dans sa vie, dans ses pen­sées (en dépit de ce que peuvent nous pré­sen­ter à ces divers points de vue les régimes tota­li­taires), vie géné­ra­le­ment plus réel­le­ment libre pour chaque être humain en des com­mu­nau­tés de plus en plus éten­dues : les États-Unis d’Europe ver­ront peut-être le jour à la faveur de la riva­li­té des deux « blocs », et le moment vien­dra sans doute où la « natio­na­li­té com­mune » vou­lue par Chur­chill en 1940 entre Fran­çais et Anglais, sera réa­li­sée entre Russes et Amé­ri­cains. C’est en tous cas, et quelles que soient les imper­fec­tions pos­sibles des socié­tés futures, à quoi doivent tendre les efforts des hommes d’aujourd’hui. Même si l’homme ne change pas dans sa nature intime, et n’est en lui-même ni meilleur ni pire qu’à aucun moment pas­sé de l’humanité, il est main­te­nant pos­sible d’envisager, sans pas­ser pour uto­piste, le temps où l’organisation sociale, englo­bant un nombre de plus en plus impor­tant d’êtres humains, fera dis­pa­raître le sou­ve­nir de la longue période où l’homme était un loup pour l’homme.

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