La Presse Anarchiste

Une nouvelle force de frappe : l’action non-violente (Joseph Pyronnet)

Met­tre au point des idées cohérentes sur la non-vio­lence théorique, présen­ter et analyser des expéri­ences pra­tiques et vécues, don­ner le point de vue de l’Église par un des siens, voilà bien une gageure dif­fi­cile à soutenir dans une mod­este pla­que­tte de 170 pages. Il ne fal­lait pas moins de J. Pyron­net, leader incon­testé de l’Ac­tion civique non vio­lente et com­pagnon de l’Arche, pour y par­venir. Il est inutile de le présen­ter, il nous suf­fi­ra de dire que l’A.C.N.V. sans J. Pyron­net serait autre chose, et, pour nous, anar­chistes, autre chose de moins attachant, de moins convaincant.

Dans sa longue pré­face, l’ab­bé Louis Rétif passe briève­ment en revue l’ac­tion passée, et comme il le spé­ci­fie lui-même : « C’est à la fois le point de vue de l’homme et le juge­ment de l’Église que je voudrais apporter. »

Il s’en dégage d’ailleurs que celle-ci, mal­gré ses références per­ma­nentes et tenaces aux Évangiles, n’a pas des idées très claires, ou a des engage­ments trop com­plex­es et trop pro­fonds dans le monde cap­i­tal­iste qui étouf­fent trop sou­vent les pos­si­bil­ités d’ap­pli­ca­tion des thès­es évangéliques.

Abor­dant ensuite le prob­lème de la non-vio­lence et de l’or­dre établi, ain­si que celui du droit et du devoir de désobéis­sance, il adopte, sem­ble-t-il, et mal­gré toutes les réserves dues à sa fonc­tion, une atti­tude révo­lu­tion­naire, dont, mal­gré toutes nos préven­tions, nous devrons tenir compte dans l’avenir.

Con­clu­ant enfin sur les rap­ports entre la non-vio­lence et l’Église, il déclare : « Con­sid­érée sou­vent comme l’une de ces puis­sances qui gou­ver­nent le monde, l’Église devra, au nom de l’e­sprit évangélique, se dégager de tout ce qui, dans son mode d’être, est signe de richesse, d’in­tolérance, d’ap­puis poli­tiques et économiques, de moyens de pro­pa­gande et d’influence. »

Com­ment désavouer de telles affirmations ?

Dès les pre­miers mots, dès les pre­mières idées dévelop­pées, J. Pyron­net s’in­scrit, lui aus­si, comme révo­lu­tion­naire : la société est faite pour et par l’in­di­vidu, pour tous les indi­vidus, or un nom­bre de plus en plus con­sid­érable de ceux-ci sont mécon­tents, mal à l’aise, mal­heureux, la société est donc mau­vaise, ou incom­plète, ou anor­male. Elle doit donc dis­paraître. Nous sommes là aus­si d’ac­cord, bien sûr. Où nous le sommes moins, c’est lorsque Lan­za del Vas­to dans le chapitre Action psy­chologique et non-vio­lence active sem­ble ren­dre le matérialisme,
l’athéisme respon­s­ables de l’é­tat de fait actuel.

Il est vrai que la foi, la reli­gion esquiv­aient bien des prob­lèmes : on fai­sait le bien par peur, on obéis­sait par peur, et ain­si de suite ; bien trop sou­vent la foi ne venait qu’après pour beau­coup de croyants.

Aujour­d’hui, une par­tie de ceux qui se sont dégagés de cela en sont con­scients, la majorité des hommes a, hélas ! besoin, dans l’actuel et de par son inex­péri­ence, d’un « bâton de sou­tien » d’une con­so­la­tion, d’une jus­ti­fi­ca­tion, d’un guide, et com­bi­en de fois n’avons-nous pas enten­du, comme con­clu­sion d’une dis­cus­sion sur ces prob­lèmes : « Mais alors si l’on m’en­lève aus­si ça (la foi), que me restera-t-il ? Autant mourir. »

Matéri­al­istes, athées, nous n’avons pas mis d’autres idées, d’autres mys­tiques à la place de la reli­gion, mais pour ceux d’en­tre nous qui sont con­va­in­cus et sere­ins dans leurs con­cep­tions, celles-là ne sont pas néces­saires, elles sont même inutiles, seraient néfastes et remet­traient, encore une fois, tout en question.

Bien que matéri­al­istes et athées, nous sommes aus­si sen­si­bles à la jus­tice, à la beauté, à la vérité, à la bon­té ; nous avons rem­placé la char­ité au nom de Dieu par la sol­i­dar­ité au nom du plaisir de don­ner, de la joie de voir un être humain ou un ani­mal heureux.

Nous ne nous con­sid­érons pas comme des êtres impar­faits, incom­plets, à qui man­querait la foi, mais comme des êtres heureux sans elle.

Un être nor­mal a‑t-il besoin d’une canne ?…

Nous sommes heureux sans foi, sans reli­gion, sans autorité spir­ituelle, par le sim­ple fait qu’il nous est plus agréable d’être heureux et de voir les autres heureux que d’être mal­heureux, de faire du mal et d’en jouir.

Après l’in­tro­duc­tion de J. Pyron­net vien­nent des textes choi­sis sur des faits mal con­nus : de Lan­za del Vas­to sur la résis­tance des pro­fesseurs norvégiens au nazisme, de Mar­tin Luther King sur le com­bat des Noirs améri­cains con­tre la ségré­ga­tion, d’amis anglais, enfin, sur les prob­lèmes atom­iques et leur impor­tance cap­i­tale dans le com­bat non violent.

J. Pyron­net fait ensuite le point de deux années d’ac­tion non vio­lente en France, allant de la déf­i­ni­tion du non-vio­lent à une analyse suc­cincte du pou­voir, en pas­sant par l’ob­jec­tion de con­science, la défense civile nationale et la désobéis­sance civique, brossant un tableau instruc­tif et doc­u­men­té, à bien des égards, tant pour le pro­fane que pour l’initié.

Une con­clu­sion rapi­de, enfin, sur le con­flit sino-indi­en et la dégénéres­cence de la non-vio­lence en Inde depuis sa qua­si-offi­cial­i­sa­tion, clôt ce livre qui devrait rester encore longtemps un sujet de médi­ta­tion, de dis­cus­sion et d’en­richisse­ment pour tous ceux qui se récla­ment de la non-vio­lence ou y tendent.

Lucien Gre­laud