— À la suite des divers événements qui se sont produits depuis janvier, les mineurs sont entrés au premier plan de notre vie publiue ; ils jouissent d’une grande renommée, pas forcément dans le bon sens, mais, en tous cas, d’une renommée dont peu d’autres groupes sociaux peuvent se targuer. Il a, entre autres, été reproché aux mineurs de ne pas avoir participé à la Révolution, et en revanche d’être venus, à trois reprises, à Bucarest pour faire de l’ordre. Est-il exact qu’ils n’ont pas participé à la Révolution ?
— D’abord, je voudrais vous dire qu’il faut bien comprendre les mineurs. Les mineurs sont des gens simples, faciles à influencer. Risquant chaque jour leur vie, ils mériteraient d’être un peu mieux compris. Par ailleurs, il est faux de dire que les mineurs n’ont pas participé à la Révolution. J’ai été moi-même l’organisateur du groupe de la mine de Rodna-Bistrita, qui a participé activement à la Révolution : nous nous trouvions précisément sur la place des Aviateurs et à la Télévision…
— Quand ?
— Nous sommes arrivés à Bucarest le 23 décembre à 3 h 30 du matin.
— Donc aussitôt après le 22…
— Oui : nous sommes partis à 4 heures de l’après-midi, le 22.
— Y a‑t-il eu aussi des mineurs d’autres régions ?
— Dans la zone où je me trouvais, c’est-à-dire la Télévision, il y avait aussi quatre chauffeurs du bassin de Motru.
— Autrement dit, seuls les mineurs de Rodna ont lutté ?
— Je ne peux pas vous le garantir. Bucarest est une grande ville. Peut-être qu’il y en a eu d’autres, ailleurs… En tous cas, il est certain que les mineurs de Rodna ont été là. Eux, au moins.
— Qu’avez-vous fait là-bas ? De quelle mission de combat ou de garde avez-vous été chargés ?
— Ça, c’est un peu plus difficile à dire. Mais parlons concrètement. Nous tenions des barrages, on nous a indiqué ce que nous avions à faire. Il était question de voitures volées par des terroristes. On nous a donné diverses séries de numéros de carte d’identité ; je peux mentionner UX et BX, délivrés en 1980 – 1981, plus aisés à dépister dans la masse des gens porteurs de cartes d’identité. Nous avons participé, avec les officiers de l’armée, aux commandos de liquidation des « nids de guêpes ». [légionnaires].
— Vous a‑t-on donné des armes ?
— Dans les commandos, oui.
— Donc, vous avez vu des terroristes ; vous en avez arrêtés ; probablement, vous en avez aussi tué quelques-uns…
— C’est plus difficile à dire. J’en ai vu. J’en ai arrêté. Je ne peux pas en dire plus.
— Donc, les terroristes ont bien existé ?
— C’est évident.
— Alors, comment expliquez-vous le fait qu’aujourd’hui personne ne sait plus rien d’eux ? Le président Iliescu lui-même ne sait plus rien, d’après ce que j’ai lu dans une interview donnée à România literara, alors qu’en décembre, il nous mettait en garde, à la télévision, contre leur existence et leur habileté…
— Sur ces terroristes-là ? Ayant participé à divers commandos — sans vouloir me vanter — j’en sais quelque chose. Par exemple, que les vrais terroristes se rendaient difficilement. Certains avaient déjà commis beaucoup de crimes et ne voulaient pas être pris vivants. D’autres étaient exterminés, d’autres encore s’enfuyaient.
— Bien, mais en avez-vous attrapé au moins un ?
— J’en ai arrêté et remis quatre.
— Savez-vous ce qu’ils sont devenus ?
— Non, je les ai livrés dans le métro, au commandement.
— Pourquoi les avez-vous livrés à l’armée ?
— À l’armée et aux civils, parce que l’armée travaillait en collaboration avec les civils. Je crois que je peux vous donner quelques noms. Il y avait un certain Todica dans le métro de la place des Aviateurs, un homme d’une quarantaine d’années, avec moustaches. Il y avait aussi Roman Alexandru, le chef de la station de métro, qui assurait pratiquement le lien entre ceux de l’extérieur comme nous, qui prenions les terroristes, et ceux de l’armée, qui les prenaient en charge.
— Si nous nous adressions à ces personnes, peut-être apprendrions-nous quelque chose…
— Qu’est-ce que j’en sais ? Nous, nous leur en avons livré quatre, plus quelques malfaiteurs porteurs d’objets volés, et beaucoup de gens de l’ancienne nomenklatura. Nous en avons pris aussi, de ceux-là. Par exemple Verdet, je ne sais pas si je vous l’avais dit. Nous l’avons remis à l’armée, à la Télévision, dans une voiture blindée.
— Donc, Verdet, celui qui avait constitué un gouvernement qui a duré vingt minutes ?
— Plus exactement vingt-deux minutes.
— Vous avez donc arrêté Verdet, mais nous ne l’avons pas vu parmi les arrêtés, ni parmi ceux qui ont été jugés.
— Ça aussi, c’est une curiosité. Le 13 janvier, j’ai lu dans la presse — peut-être dans Adevarul ou dans Banatul — que le « jugé » était libre et qu’il pouvait reconstituer un parti communiste.
— Ça ne vous semble pas bizarre ? Il a pris part, avec tous les autres, aux séances du Comité exécutif, donc à la pire des décisions répressives et, maintenant, il est libre. À la différence des autres. Qu’est-ce que vous en dites ?
— Cette histoire avec Verdet est très importante pour nous, les mineurs. Nous avons un compte à régler avec lui. En 1977, il a été, d’une certaine manière, celui qui nous a menti le plus. C’est pourquoi il était terrorisé quand nous l’avons pris, il nous regardait avec des yeux… Il nous a menti grossièrement en 1977, quand il était Premier ministre et que nous l’avons enfermé dans la vallée de Jiu. Il nous a fait de grandes promesses, mais ensuite il nous a tourné le dos, pour ne pas dire pire.
— Donc, vous l’avez pris, vous l’avez remis, mais aujourd’hui, il a même voulu recréer le Parti communiste.
— Oui. Il faut que chaque mineur comprenne que c’est une question complexe. […] Mais Verdet nous a menti. Il doit être jugé et condamné. C’est un tyran, il nous a menti en 1977.
— Avez-vous demandé au gouvernement ou à M. Iliescu le jugement de Verdet ?
— Non. Dans la situation d’alors, personne ne savait où était Iliescu. Nous, nous l’avons remis à l’armée. Les mineurs ont voulu lui donner une leçon, le battre « à la manière des mineurs », mais j’ai calmé les choses et je l’ai livré. C’était le 24 décembre. La situation était dramatique, à ce moment-là à la Télévision. Aux alentours de la place des Aviateurs, il y avait une centaine de civils. Ils étaient pourchassés par une dizaine de terroristes, postés dans des lieux stratégiques, qui sommaient la Télévision de se rendre. Ça a été quelque chose de terrible. C’est alors que j’ai livré Verdet.
— Comment se fait-il que la télévision a été attaquée plusieurs fois sans que jamais les terroristes ne songent, par exemple, à détruire l’antenne ?
— Je ne sais pas. Je n’y ai pas pensé sur le coup. J’étais trop préoccupé, trop troublé. Plus tard, cette idée m’est venue, j’ai lu des choses. C’est vrai que c’est très bizarre. Ils avaient toutes sortes d’armes, il ne leur aurait pas été difficile de détruire l’antenne.
— Bon. Revenons à l’arrestation de Verdet. Vous ne saviez pas où était Iliescu. Mais, plus tard, vous n’avez pas pensé à demander un jugement ?
— Nous sommes une minorité de 3.000 mineurs. Il en existe plus de 200.000 dans le pays, dont 100.000 au moins dans la vallée de Jiu. Nous ne pouvons pas demander cela à nous seuls, ce serait une manière de nous glorifier nous-mêmes, et ça, c’est une chose que les mineurs n’aiment pas. Il faudrait que tous les mineurs s’intéressent à cette question, au cas Verdet.
— Avez-vous eu des pertes ?
— Non. Seulement un garçon blessé au pied, mais ce n’est pas ce qu’on appelle une perte.
— Cela aurait aussi bien pu arriver dans la mine ?
— Bien sûr. C’est ça, la mine : plus personne n’est impressionné par le fait que quelqu’un meure. Il n’y a pas de mineur de fond qui ne passe, ne serait-ce qu’une fois par an, tout près de la mort. C’est là quelque chose de banal.
— Donc, vous avez participé aux luttes de décembre et cela fut quelque peu passé sous silence. Mais, par la suite, vous êtes intervenus à plusieurs reprises à Bucarest, ce qui a donné lieu à des interprétations diverses. Les journaux du Front vous ont adressé des louanges, mais beaucoup d’autres, roumains et étrangers, ont condamné les interventions en disant que ce n’était pas aux mineurs de s’occuper de l’ordre public. Qu’en pensez-vous ?
— Les mineurs travaillent dur, mais pour autant, ils ne représentent pas le pays. On a profité de leur bonté et de leur naïveté, en se servant de slogans gratuits du genre « Merci aux mineurs » ou « Bravo les mineurs ». Les mineurs doivent comprendre une chose : aussi difficile que soit notre vie au fond de la mine, nous ne pouvons en aucun cas, ni d’aucune manière, nous mettre à diriger le pays. Ni nous séparer des intellectuels. C’est seulement l’unité, la vraie, à la roumaine — parce que nous sommes tous roumains — que nous soyons mineurs, ouvriers, étudiants ou intellectuels. Cette division, cette scission, entre ouvriers et intellectuels, ne peut conduire qu’au malheur.
— D’accord. D’ailleurs, les intellectuels, après vous avoir quelque peu injuriés, se sont rendu compte que ce n’étaient pas vous les coupables mais ceux qui ont semé la discorde. Aujourd’hui ils savent qu’il faut chercher à se rapprocher de vous. C’est peut-être même la raison pour laquelle nous avons cet entretien aujourd’hui. Mais je voudrais connaître quelques points de détail. Quand êtes-vous revenu pour la première fois à Bucarest après décembre ? Et comment ?
— Je suis revenu le 26 janvier, de nouveau avec mon groupe, en entendant des slogans comme : « Dans chaque maison, un mort sur la table ! » ou « Chef, nous allons te venger ! » Alors nous sommes venus. De nous-mêmes, sans être appelés par personne, comme en décembre.
— Mais le 29 janvier ?
— Nous, nous sommes repartis le 27 à Rodna. Ce qui s’est passé le 29 me dépasse. Il y a eu des mineurs d’autres régions. Nous, personne ne nous a appelés.
— Et le 18 février ?
— Le 19. Le 18, le siège du gouvernement avait été attaqué. Nous, nous sommes venus le 19 février.
— Qui vous a appelés, alors ? Je vous demande cela car on dit qu’il aurait existé un « trio » au Front, composé de Cazimir lonescu, Gelu Voican Voiculescu et Dan Iosif, qui se serait occupé des « mouvements de troupes minières ». Est-ce vrai ?
— Que vous dire ? Les mineurs ont un faible pour M. Voican. Étant ingénieur géologue, il a su établir un lien entre les mineurs et lui. Et puis, le fait qu’il a été emprisonné, qu’il a été une victime (ou une soi-disant victime, comme l’écrivent certains journaux) du communisme… Les mineurs étant des gens simples, tu les touches facilement si tu sais jouer de la corde sentimentale, et, c’est le cas, il les tient bien en main.
— Si je comprends bien, c’est M. Voican qui vous a appelés ?
— Oui.
— Comment ? Par téléphone ? Est-il venu personnellement ?
— Non. C’est bien plus compliqué. Par des hommes à lui, je crois.
— Il a des hommes dans tous les bassins miniers ?
— Comment le saurais-je ? J’en suis sûr seulement pour Rodna, pas pour tous les bassins !
— Alors, à Rodna, comment ça c’est passé ?
— Bon, bon, je ne veux pas avoir l’air de défendre M. Voican. J’ai discuté deux fois avec lui. C’est sûr que c’est lui qui donne le signal. Mais, pratiquement, le travail se fait par l’intermédiaire des entreprises, de leurs directeurs. Dans notre cas, chez nous, c’est M. Dicu, l’ancien ministre, qui a fait la liaison avec le directeur Bauer.
— Oui, mais c’est quand même curieux, non ? Les entreprises ont été dépolitisées, non ? Les FSN d’entreprise ont été dissous, et pourtant vous avez été appelés par les directions…
— Mais la direction fait partie de la mine !
— Elle en fait partie, oui, au moins en principe. Dans toutes les entreprises, il existe des syndicats ouvriers et des conseils d’administration ou de direction. Chez vous, il n’en est pas ainsi ?
— Nous, nous avons eu de très grandes difficultés à constituer des syndicats. Moi, et le groupe avec lequel je suis allé à Bucarest, nous avons beaucoup lutté pour avoir un syndicat. Mais les forces locales nous ont discrédités. Ils ont dit de moi que je suis moldave, que je veux devenir maire ou leader syndical. Ils ont dit que je suis ingénieur et que je veux devenir directeur, bien que je n’aie fait que le lycée. Finalement, nous avons réussi à destituer le directeur et le chef comptable, des délinquants de droit commun, en fait, qui, pendant des années, ont commis de très graves infractions. Mais les choses ne sont pas toujours en ordre dans l’entreprise, aujourd’hui. Donc, on a utilisé des moyens malhonnêtes pour empêcher la formation du syndicat. Chez nous, le syndicat a été créé tout juste en mai. C’est une honte. Moi, finalement, je me suis mis de côté, pour qu’on ne dise pas qu’un Moldave met de l’ordre chez eux. Des enfantillages.
— Donc, le 19 février ; vous êtes venus sur la demande de M. Volcan. Et la fois d’après, quand était-ce ?
— Ben, les gens disent que ce fut le 14, le 14 juin.
— Et comment ça c’est passé, alors ?
— Que voulez-vous que je vous dise ! Simplement, comme tout le monde le sait.
— Qui vous a appelés ?
— Les mêmes… M. Gelu Voican.
— On sait que le 13 juin M. lliescu a fait appel aux ouvriers de Bucarest, mais qu’ils ne sont pas venus.
— C’est un mensonge. Ils n’ont pas refusé. Ils étaient aux côtés des mineurs, ils nous donnaient à manger et nous encourageaient. Ça, ça a gonflé la tête des mineurs, ça leur a fait croire qu’ils accomplissaient une tâche grandiose, et on en est arrivé au passage à tabac des intellectuels, des étudiants, des personnalités politiques. Parce que… peut-être, dans les groupes de mineurs, s’étaient infiltrées d’autres personnes, avec la claire intention de les exciter. Mais l’approbation manifestée par les ouvriers bucarestois a poussé les mineurs à se montrer plus cruels.
— Quand avez-vous été appelés à Bucarest ?
— Nous sommes arrivés le 14.
— Mais quand avez-vous été appelés ?
— Dans la nuit du 13. Le facteur déterminant a été l’appel lancé par M. Iliescu. Puis les appels lancés par la télévision. Le fait que, par la suite, on ait travaillé par d’autres voies, ça, c’est autre chose.
— Donc, vous êtes arrivés le matin du 14, à 4 heures…
— Nous, à 6 heures. Les autres étaient arrivés à 4 heures.
— Et vous avez rencontré M. Iliescu ce matin-là ?
— Nous, non. Quand nous sommes arrivés à la gare, quelqu’un nous a conduits sur la place de la Victoire, dans un bâtiment où on nous a donné à manger. Nous avons mangé, puis on nous a dit que la consigne était « sans violence », et sans victimes. Le but, c’était de neutraliser ceux qui se rendaient coupables d’infractions.
— Coupables d’infractions ? Mais les membres du Parti paysan, les libéraux, les étudiants, les intellectuels, les journalistes des publications indépendantes, c’est quand même beaucoup pour un pays ?
— Chacun a compris la notion d’infraction comme il a pu. Vous voyez. Nous, nous avons soulevé le problème des étudiants dès le début. Les mineurs n’ont rien contre les étudiants. Beaucoup d’étudiants sont fils de mineurs, neveux ou frères de mineurs. Les coupables, ce sont ceux qui nous ont montés contre eux et qui nous ont mis dans cette situation déplorable.
— On vous a dit « sans violence », mais il y a eu au moins trois morts et des centaines de blessés. Comment cela a‑t-il pu arriver ?
— Ben, comment ça c’est passé ? Vous avez vu tout ce qui est arrivé le 13. La télévision a été un facteur très important d’incitation à la violence.
— Donc, la télévision a incité d la violence ?
— Sans aucun doute. Il y a incontestablement eu des violences le 13, à la télévision et au ministère de l’Intérieur, mais, nous, ils nous ont fait venir quand le calme était déjà revenu dans la capitale. Ça, nous l’avons appris par la suite. Je crois que le facteur qui a incité à la violence, ça a été la télévision, parce qu’elle a aussi eu un effet sur les gens de Bucarest. Les mineurs ont commencé à comprendre la vérité…
— Et dans les sièges des partis, vous avez trouvé quelque chose ?
— Nous, notre groupe, nous sommes allés à Ferentari et à Rahova. Mais les autres ont dit qu’ils ont trouvé beaucoup de choses dans les locaux des partis. Je ne sais pas si cela a été une mise en scène, mais ils ont trouvé des machines à fabriquer de la fausse monnaie, des devises, de la drogue, des appareils sophistiqués, des armes…
— Des armes… Pourtant, après avoir annoncé tout cela à la télévision — en allant jusqu’à dire qu’il s’y attendait —, le gouvernement l’a nié. Et il a également permis à l’opposition de le nier. N’est-ce pas ?
— Là, je crois qu’ils ont perdu les mineurs. On nous a embobinés, notamment au sujet de MM. Ratiu et Câmpeanu. À la fin des événements, lorsque les mineurs ont eu une rencontre avec M. Iliescu, ils lui ont simplement dit : « Monsieur Iliescu, tu nous as demandé des preuves et nous te les avons apportées. » Mais, qu’on n’entende plus parler de lui, pour que l’ordre règne enfin. Cela étant, je crois que M. Iliescu a commis une erreur. Car s’ils sont coupables d’infractions, alors il faut les mettre en prison ou les expulser. Sinon, pourquoi avons-nous été appelés ? Là-dessus, il nous a perdu, nous les mineurs, à qui on a constamment menti, soit quand on nous a appelés à venir soit quand on nous a renvoyé chez nous.
— Croyez-vous que les preuves étaient « arrangées » ou réelles ? Pourquoi y a‑t-on renoncé ?
— Vous demandez trop à un mineur. Nous ne voulons pas nous impliquer dans la politique, nous voulons beaucoup moins, nous voulons le calme. On s’est servi de nous, c’est clair, ils ont compté sur notre simplicité, mais là, ils ont commis une erreur : car on ne joue pas comme ça avec les mineurs. Le mineur est un esclave qui a une âme d’enfant. Il est dangereux de lui mentir.
Il ne peut y avoir de démocratie sans une opposition puissante, vivante. Mais ce que nous avons chez nous, c’est plutôt une mascarade. Chez nous, l’opposition a été dénigrée par tous les moyens médiatiques ; on l’a empêchée de devenir puissante. De plus, elle est trop divisée, il y a trop de partis. S’il n’y en avait que quelques-uns, mais puissants, ce serait mieux. Nous nous sommes rencontrés entre nous, nous avons discuté de cela, et nous en sommes arrivés à cette conviction : il ne peut pas y avoir de démocratie sans une opposition.
— Vos collègues aussi le croient ?
— Oui, pas mal d’entre eux. Quand à ceux qui ne le pensent pas, je les prie de se souvenir de ce que voulait dire le totalitarisme communiste. On n’a pas besoin d’une autre expérience, celle-là suffit. Qu’ils se rappellent ce qui s’est passé avec un seul parti qui a fait de nous ce qu’il a voulu.
— Si vous réfléchissez à ce que vous avez fait les 14 et 15 juin, pas vous personnellement mais vos pairs, ne croyez-vous pas qu’il s’agissait d’étrangler l’opposition ?
— Eh oui. C’est à peu près ça. Mais l’opposition devrait tirer profit de l’événement et se renforcer, s’unir. Pas par la violence, mais à travers la presse, ou par des rassemblements pacifiques. Comme les étudiants l’ont fait pour Marian Munteanu.
— Comment avez-vous procédé, le 14 juin ?
— Notre groupe s’est rendu à Ferentari et à Rahova. Chaque groupe avait son commandant…
— Mineur ?
— Oui. Dans d’autres groupes, ça a été parfois différent. Avec ceux de la vallée de Jiu, il y avait aussi des gens de l’ancienne Securitate, comme Camaresescu, pour donner un exemple, mais il y en avait d’autres. Ils étaient eux aussi habillés en mineurs.
— Le soir du 14, à la gare du Nord, j’ai vu un camion de mineurs qui était guidé par une voiture Dacia, avec quatre civils à l’intérieur. Qui étaient ces gens ?
— Des gens de la police, ce n’est pas la peine d’en reparler.
— Si la police était sur place, avec les mineurs, pourquoi a‑t-on eu besoin de ces derniers ?
— Qu’est-ce que j’en sais, moi ? Qui le sait ?
— Quel rôle jouaient les policiers ?
— Il fallait que nous arrêtions des délinquants de droit commun que la police n’avait pas pu arrêter, parce qu’elle n’avait pas pu pénétrer là. Et des Tziganes…
— Les avez-vous arrêtés ? Les avez-vous livrés à la police ?
— Oui, bien sûr !
— Vous les avez d’abord battus ?
— Eh, c’est arrivé… Ces Tziganes-là, quand on les arrêtait, étaient violents, ils nous attaquaient avec tout ce qui leur tombait sous la main. On m’a même jeté un enfant à la tête ! Ils opposaient une résistance farouche à leur arrestation, et alors, il fallait bien les « amollir » un peu, n’est-ce pas ?
— Mais, tout de même… Vous avez été violents avec eux parce qu’ils étaient Tziganes ou simplement en raison de leur comportement ?
— À cause de leur comportement. C’étaient des trafiquants, des voleurs, des ivrognes. Nous ne les avons pas battus parce qu’ils étaient Tziganes, car à la mine aussi il y a des Tziganes et des Hongrois.
— Qu’est-ce que vous savez sur ce qui s’est passé à l’Université, dans les sièges des partis, à la rédaction de « Romania libera » ?
— D’abord, l’Université. Dès le début, j’étais contre. Nous n’avons rien à faire avec les étudiants. Avec ce qui s’est passé à l’Université, on a creusé encore plus le gouffre entre les mineurs et les étudiants, entre les mineurs et les intellectuels. Il ne fallait pas faire cela mais, malheureusement, ça a été fait. Quant à Marian Munteanu — pour autant que je le connaisse, d’après ce que j’ai lu sur lui —, s’il a commis une infraction de droit commun, qu’il soit condamné pour cela, mais pas pour ses convictions politiques. Si le gouvernement s’est trompé, s’il n’a pas de preuve sur sa culpabilité, c’est une très grande faute de ne pas le libérer. Il se pourrait qu’il soit quelqu’un qui veuille vraiment le bien du pays. N’oublions pas qu’il a d’abord été un ouvrier, qu’il connaît les ouvriers, mais qu’à vingt-huit ans il est étudiant. Peut-être qu’il y en a qui ont peur de lui. Quelqu’un qui a été ouvrier dans le métro, c’est-à-dire à peu près comme un mineur, qui est devenu un bon étudiant et que ses camarades ont élu comme leur chef, n’est pas n’importe qui. Si ce sont les mineurs qui l’ont arrêté, alors qu’il soit jugé par les mineurs. Parce que ce sont des hommes justes… Ils sont durs peut-être, mais honnêtes.
— Mais ça, c’est un problème. Si les mineurs le jugeaient, ce serait encore un abus, de même que son arrestation par les mineurs. Ne serait-il pas plus simple que les mineurs réclament la libération de M. Munteanu ?
— Les mineurs ne peuvent pas faire cela. Ils ont arrêté des gens dont on leur a dit qu’ils étaient coupables. Personne ne leur a offert une preuve de cette culpabilité, mais c’est seulement maintenant que les mineurs commencent à comprendre. Il faut encore un peu de temps. Certains croient encore qu’ils ont bien fait d’agir comme ils ont agi, qu’ils ont fait pour le pays quelque chose de magnifique. Maintenant, ils commencent à comprendre que, en fait, ils n’ont pas été les sauveurs de la patrie, mais une sorte de victimes. Le procès de Marian Munteanu pourrait bien les réveiller tous. Ils auraient les preuves qu’il n’était pas coupable… Au moins, que l’on retransmette le procès à la télévision, mais honnêtement. Que ce soit un procès correct, un procès honnête, retransmis honnêtement. À qui la vérité fait-elle peur ?
— D’après l’écho international des événements des 13, 14 et 15 juin, les mineurs n’apparaissaient pas précisément comme des sauveurs de la patrie. Nous avons perdu le renouvellement de la clause de la nation la plus favorisée, nous avons perdu d’autres aides. Vous avez été une sorte de calamité pour la patrie…
— Non, non, non. Il ne faut pas prendre les choses dans ces termes. Nous avons été, nous aussi, des victimes. Les mineurs doivent être regardés et jugés justement, en fonction de la simplicité de leur cœur. Ils ne mentent pas et c’est pour cela qu’on peut les tromper facilement. Je vous le dit : ils ont un très bon fond, mais il est mal cultivé. Parce que, si, effectivement, la télévision est celle du gouvernement — et elle l’est, n’en parlons plus — et infeste l’opinion publique avec toutes sortes d’idées — qui sont, au fond, communistes —, alors, la presse, les journaux — et il y a tant de journaux indépendants — devraient faire quelque chose, arriver à toucher le cœur de ces gens, faire en sorte que s’opère un rapprochement entre les ouvriers et les intellectuels, parce que les ouvriers, cela ne veut pas dire seulement les mineurs.
— Je veux vous demander quelque chose : les mineurs ont-ils crié « Mort aux intellectuels » ?
— Absolument pas.
— Alors qui a crié cela ? Parce que cela a été bel et bien crié…
— Ce n’est pas à moi de vous apprendre à faire votre métier. C’est très simple. Il se pouvait très bien qu’il y ait eu une station d’amplification. Parce que, pour ma part, je n’ai pas vu ceux qui criaient mais, pour ce qui est des cris, ça oui, je les ai entendus…
— J’ai pensé à cela, mais je voulais que quelqu’un qui avait été au cœur des événements le confirme.
— Maintenant, je ne vous certifie rien, je ne veux pas vous voler votre métier… Qui travaillerait encore à la mine ?
— Mais cela vous est donc passé par la tête ?
— Oui, bien sûr, et beaucoup d’entre nous se sont posé la question. On ne voyait pas ceux qui criaient.
— O.K.! J’ai encore une question concernant les mineurs. Je ne comprend pas comment ces mineurs, qui se sont soulevés en 1977, ont pu faire aujourd’hui une chose pareille ?
— Je vais vous répondre par une plaisanterie : beaucoup de ceux de 1977 sont arrivés à la retraite.
— Donc, vous avez beaucoup de mineurs « type nouveau » ?
— Non. J’ai plaisanté. Cela étant, il est vrai que, parmi ceux qui s’étaient soulevés en 1977, beaucoup sont aujourd’hui à la retraite, mais ce n’est pas la question. On a mis dans la tête des mineurs qu’ils sauvaient le pays, que personne n’était comme eux.
— Vous ne croyez pas qu’il y a aussi autre chose ? Ne croyez-vous pas que les mineurs ont été corrompus par le doublement de leurs salaires ?
— Vous vous trompez. On n’a donné aux mineurs que très peu par rapport à leur travail. Qui raconte que leur salaire a doublé ?
— Je l’ai lu dans la presse…
— C’est une erreur, un mensonge. Je peux vous le prouver.
— Vous, par exemple. Quel était votre salaire avant le 22 décembre ?
— Bien, passons aux choses concrètes : j’avais 227 lei, multiplié par 20 jours, ça fait à peu près 6.000 lei par moi. Aujourd’hui, je reçois à peu près 7.000 lei. Donc, mon salaire de mineur « spécialiste » a été augmenté de 15%, c’est tout. On nous a encore accordé quelques augmentations qui nous avaient été retirées en 1983. Nous attendons la deuxième étape d’augmentation à partir du 1er juillet, comme nous l’a promis M. Petre Roman. Cela fera une augmentation de 33%. Il y a aussi la retraite, après vingt ans de travail au fond de la mine. Voilà les problèmes qui préoccupent actuellement les mineurs et qui doivent être résolus.
— Croyez-vous que de telles promesses ont été faites aux mineurs afin qu’ils répondent aussi « promptement » à certaine sollicitations dans des domaines qui ne les regardaient pas ?
— Non, je vous l’ai dit : s’ils ont réagi si promptement, c’est parce qu’on leur a fait croire qu’ils étaient les sauveurs de la patrie.
— Parce qu’on les a flattés ?
— Oui, c’est exactement cela.
— Revenons aux événements des 13, 14 et 15 juin, c’est-à-dire à ces journées de terreur à Bucarest. Une terreur provoquée d’abord par des forces encore inconnues, puis par vos collègues. En fin de compte, à ces opérations plus qu’étranges pour un État qui se prétend démocratique, M. Iliescu vous a remercié…
— C’était normal. Quand quelqu’un vient de si loin et risque sa vie, on doit le remercier.
— Pourtant vos collègues se sont livrés à des destructions, à des atrocités. Il est curieux que le chef de l’État vous en remercie ?
— Je n’ai pas à juger M. Iliescu, je ne suis pas en mesure de le faire. Mais je crois qu’il a aggravé encore la scission entre ouvriers et intellectuels par les propos qu’il nous a tenus alors, à nous, les mineurs. Et puis, il a commis une autre erreur : il nous a demandé des preuves sur MM. Ratiu et Câmpeanu. Que ces preuves soient vraies ou fausses, cela ne compte pas. Nous les avons mises à sa disposition, à la suite de quoi, il devait prendre des mesures. Il a promis de mettre les choses en ordre et il ne l’a pas fait. Au contraire, nous l’avons vu serrer la main à M. Câmpeanu pendant au moins une minute. Je suis resté à regarder cela et je me suis demandé : « Qui est le coupable ? »
— Oui, qui ?
— Eh bien ! tous les mineurs et tous les Roumains ont le devoir de se poser cette question et de voir quelle sera la réponse. Jusqu’à présent, c’est Marian Munteanu. Mais, quand deux personnes se battent, c’est la troisième qui gagne, si on peut parler de victoire quand il s’agit d’être en prison pour rien.
— Et si une autre crise politique se produisait et que quelqu’un faisait appel aux mineurs, est-ce que ceux-ci reviendraient faire régner l’ordre à Bucarest ?
— On peut toujours essayer : ils ne reviendront plus jamais. À partir du moment où on les a trompés sur Câmpeanu, Ratiu et les autres, ils ne reviendront plus. Aujourd’hui, même les mineurs se posent clairement le problème : où sont les terroristes ? C’est cela qu’il faut percer à jour, c’est là le point de jonction entre les ouvriers, les étudiants et les intellectuels. Les terroristes, les terroristes véritables, ont créé cette séparation entre ouvriers, étudiants et intellectuels. C’est eux qui ont tiré dans la foule. Sans faire de distinction. Que s’est-il produit ? Exactement ce qui se produit aujourd’hui. Je ne voudrais pas que les gens croient que les mineurs ont été des terroristes !
— Oui. Il y a beaucoup de questions à propos desquelles nous attendons tous une réponse. Si les élections s’étaient tenues après les événements de juin, croyez-vous qu’elles auraient eu les mêmes résultats ?
— Ça aurait été à peu près pareil. Pour les élections, on a joué de la même manière sur la naïveté des gens. Le Roumain n’a pas encore saisi ce que c’est que la démocratie. Le Roumain, le simple Roumain, c’est-à-dire la majorité. Si vous, les intellectuels, vous n’avez pas tous tiré cela au clair, alors comment voulez-vous l’exiger de l’homme simple, de l’ouvrier, du paysan… Il ne sait pratiquement rien de ce que veut dire la démocratie, tout le monde n’a pas la possibilité de se rendre à l’étranger et de voir ce que c’est, tout le monde n’est pas capable de se l’imaginer.
— A Iasi j’ai rencontré des ouvriers qui, au lieu de venir à 6 h 15, arrivaient à l’usine à 8 heures. Si leur chef leur en faisait la remarque, ils répondaient : « Désormais, c’est la démocratie, désormais c’est la liberté. » Est-ce normal ?
— Non, non. Et cela devrait être clairement établi. Chaque ouvrier devrait avoir conscience qu’il ne peut en être ainsi. Il faudrait forcer la privatisation, pour que l’ouvrier soit directement intéressé à travailler. À mon avis, il faudrait se diriger vers la transformation des entreprises en sociétés par actions, chacun étant actionnaire, c’est-à-dire partiellement propriétaire. Alors, plus personne ne se contenterait de ne rien faire. Je peux vous certifier que, chez nous, près de 20% des gens sont là pour rien, et l’argent qu’on leur donne est un cadeau. Et c’est vrai non seulement des mines mais aussi de toutes les entreprises. Si on fait des sociétés par actions, ça ne se passera pas pareil. Le terme ne m’est pas très clair, mais j’ai compris que l’on procédera à une évaluation, et que l’on répartira les actions entre les ouvriers, ou on les vendra. Alors, si tu n’accomplis pas ta tâche, on te prend par le bras et on te met à la porte.
— Chacun a intérêt à gagner, non ?
— Bien sûr. Sinon, chacun cherche à se faufiler. Je me réfère aussi à la question de la gestion. Il y a quelque chose que je ne comprend pas : je n’ai rien contre le fait que l’entreprise donne un salaire de base. Mais d’où ? Mais, si elle n’a pas de quoi, que fait-elle ? Tu leur donnes leur salaire de base, mais eux, ils ne viennent et ne travaillent qu’à 10%. Est-ce que le sac ne finit pas par se vider ? L’argent doit bien venir de quelque part, il doit bien venir de la production ?
— Croyez-vous qu’il existe un lien entre la démocratie économique — par le changement de statut de la propriété et l’introduction des mécanismes du marché — et la démocratie politique ?
— Elles marchent main dans la main. L’une n’est pas possible sans l’autre. Si la liberté et la démocratie n’existent pas, il ne peut y avoir ni production ni prospérité. Le gouvernement doit faire quelque chose. Il doit éliminer les entreprises en faillite. Il vaut mieux payer pendant plusieurs mois des aides aux chômeurs, jusqu’à ce que l’on réussisse à placer les gens dans d’autres endroits, que de produire à perte. L’industrie a beaucoup de branches, nous ne devons produire que ce qui correspond à un besoin, ici ou à l’étranger. C’est ce qu’il faudrait faire : ne plus produire bêtement et pour rien.
— Du temps de Ceausescu, nous avions pour ambition de produire de tout et nous produisions en général des choses de piètre qualité…
— Il n’y a pas de grande différence avec aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est pareil, même pire : nous produisons moins.
— Vous avez raison. Mais le programme de réforme n’a pas encore démarré. C’est possible, ça ?
— Je regarde tout le temps, surtout à la télévision, ce qui se fait dans ce domaine. Mais ce n’est pas avec une vague gargotte et deux cuites que l’on va faire la privatisation. Il faut démarrer sérieusement et travailler sérieusement. Que faire ? On nous montre à la télévision qu’un tel a créé un bistrot avec 3 lei et 25 bani ? Qu’il aille au diable ! On se moque de nous. Le gouvernement se perd et nous mène tous à notre perte. Nous nous enfonçons nous-mêmes.
— Mais, st le programme du gouvernement était appliqué, seriez-vous optimistes ?
— Je suis roumain et je me dois donc d’être optimiste car chaque Roumain doit lutter, chacun à sa manière, dans son domaine, et travailler. En décembre, personne ne nous a appelés, nous avons agi selon notre conscience. C’est comme ça qu’il faut faire aujourd’hui aussi. Nous n’avons pas pensé alors que nous risquions de mourir. Mais est-ce qu’on en meurt, de travailler ? Je crois qu’il faut essayer tout ce qui est humainement possible, je crois que c’est un moment décisif pour notre pays. Aujourd’hui, il n’y a pas d’autre voie : il faut absolument que nous soyons unis si nous voulons que les choses marchent. Il faut rendre conscients les mineurs —je parle des mineurs parce que je suis mineur depuis quinze ans — et tous les ouvriers, du fait que jusqu’à présent on s’est servi d’eux, on s’est servi de nous comme de simples instruments. Nous sommes, nous aussi, des hommes. Qu’on ne nous fasse pas prendre des vessies pour des lanternes. Que ce ne soit pas seulement de la poudre aux yeux. C’est clair, mais il faut le souligner. On dit que, à Constanta, il y a de la viande, et à Bucarest, aussi. Je suis allé à Bucarest et je m’en suis rendu compte. Mais le pays ce n’est pas seulement Bucarest. Il n’y a pas grande différence entre aujourd’hui et hier. Je vous dis, la main sur le cœur, chez nous, c’est même pire. Avant, pour nous empêcher d’exploser, on nous donnait un peu plus qu’ailleurs ; maintenant, on ne trouve plus grand-chose.
— Faudrait-il faire quelque chose avec l’approvisionnement ?
— Pas parce que nous sommes mineurs, mais parce que nous faisons un travail dur. Il nous faut à manger, sinon, nous mourons. C’est comme ça que l’on meurt dans des accidents, par maladie professionnelle. Quand on attrape la silicose, c’est foutu.
— Êtes-vous satisfait de notre discussion ?
— Je voudrais que cette discussion touche le cœur des ouvriers, le cœur des intellectuels. Qu’ils comprennent qu’il ne faut en aucun cas le chaos, que chacun doit lutter pour jeter un pont. Nous avons besoin de tranquillité. Que nous soyons d’abord tous roumains, et seulement après, ouvriers ou intellectuels, d’un parti ou d’un autre, de telle ou telle religion. Donnons tous un coup d’épaule pour ce pauvre pays, qui est le nôtre. Il faut que nous nous y mettions tous, pour le bien, pour la vérité, pour la liberté. Il faut aller dans les entreprises, il faut parler aux ouvriers. Et puis, les étudiants, surtout ceux des cours du soir, et qui travaillent en usine, ils auraient beaucoup à dire, eux aussi. Il faut faire quelque chose. Sinon, qu’est-ce qui va arriver ? On va aller chercher des épaves en RFA et on va dire que nous aussi, nous avons des voitures allemandes ! Et comme ça, eux, ils seront débarrassés de leurs vieilles carcasses !
Entretien réalisé par Liviu Antonesei
(Opinia studenteasca, n°33 – 34, août 1990)
[Traduit du roumain par Anne Planche].