La Presse Anarchiste

Notes bibliographiques

Chine populaire : deux nouveaux dictionnaires biographiques

Sous le titre Per­son­na­li­tés chi­noises d’au­jourd’­hui, Jacques de Gold­fiem signe un dic­tion­naire bio­gra­phique de la Chine contem­po­raine. En langue fran­çaise, nous pos­sé­dions jus­qu’i­ci le livre, déjà ancien, de Hsueh Chun-tu, Les Diri­geants de la Chine révo­lu­tion­naire, 1850 – 1972 (Cal­mann-Lévy, Paris, 1973), tra­duc­tion d’une œuvre parue deux ans plus tôt aux États-Unis, mais ce n’é­tait pas à pro­pre­ment par­ler un dic­tion­naire, plu­tôt la jux­ta­po­si­tion d’une quin­zaine de courtes bio­gra­phies. Nous dis­po­sions éga­le­ment, depuis une date plus récente, du volume consa­cré à la Chine — et publié sous la direc­tion de Lucien Bian­co et d’Yves Che­vrier — du  Dic­tion­naire bio­gra­phique du mou­ve­ment ouvrier inter­na­tio­nal (édi­tions ouvrières, Presses de la Fon­da­tion Natio­nale des Sciences Poli­tiques, Paris, 1985). Rela­ti­ve­ment à ce der­nier ouvrage, auquel il s’ap­pa­rente direc­te­ment, celui que nous donne Jacques de Gold­fiem offre tou­te­fois un inté­rêt nou­veau : au contraire de ses devan­ciers, dont la pers­pec­tive était réso­lu­ment his­to­rique et poli­tique, Jacques de Gold­fiem a pris le par­ti de ne trai­ter que de per­son­na­li­tés vivantes, et l’on décou­vri­ra, à côté des notices por­tant sur des res­pon­sables poli­tiques, les bio­gra­phies de per­son­na­li­tés appar­te­nant aux milieux les plus divers. En outre, il s’a­git de per­son­na­li­tés chi­noises et non pas seule­ment de per­son­na­li­tés rési­dant actuel­le­ment en Chine popu­laire : une place est ain­si réser­vée à des dis­si­dents réfu­giés à l’é­tran­ger. Mal­heu­reu­se­ment, le livre de Jacques de Gold­fiem se sin­gu­la­rise aus­si par d’autres aspects.

Pas­sons sur le pro­blème du choix des per­son­na­li­tés. Quel tra­vail de ce genre pré­ten­drait à l’ex­haus­ti­vi­té ? Cri­ti­quer Per­son­na­li­tés chi­noises d’au­jourd’­hui sur ce point serait d’au­tant plus mal venu qu’on trouve, pour la pre­mière fois dans un ouvrage de langue fran­çaise, des ren­sei­gne­ments sur des per­son­na­li­tés dont cer­taines sont igno­rées du grand public. On s’é­ton­ne­ra néan­moins de cer­taines omis­sions : pour­quoi, par exemple, n’a­voir pas rete­nu Qian Zhong­shu, qui passe pour­tant pour l’un des plus fins let­trés chi­nois et pour l’une des per­son­na­li­tés les plus émi­nentes de la Répu­blique populaire ?

On ne sau­rait ne pas cor­ri­ger l’au­teur sur l’une de ses affir­ma­tions intro­duc­tives. L’ou­vrage — qui est com­plé­té par un index alpha­bé­tique et un lexique thé­ma­tique auto­ri­sant une lec­ture non ono­mas­tique du dic­tion­naire — pré­sente trois cents per­son­na­li­tés, mais l’au­teur cer­ti­fie, un peu témé­rai­re­ment, qu’il per­met « d’ac­cé­der à des infor­ma­tions sur envi­ron six cents per­son­na­li­tés sup­plé­men­taires ». Or cer­tains noms de l’in­dex ne ren­voient sou­vent à rien d’autre qu’à eux-mêmes. Tel est, nous citons au hasard, le cas des entrées « Lu Lin », « Ren Wan­ding » (et non « Ren Wang­ding ») ou « Yang Guang » (cf. la notice « Wei Jingsheng »).

Mais ce qu’on repro­che­ra sur­tout à Jacques de Gold­fiem c’est un usage non cri­tique de ses sources, les­quelles sont des sources de deuxième main. Il ne suf­fit pas d’ac­tua­li­ser les bio­gra­phies pui­sées à des ouvrages de réfé­rence, quand bien même ceux-ci sont inac­ces­sibles au lec­teur auquel on s’a­dresse, encore faut-il s’as­su­rer de la fia­bi­li­té de sa docu­men­ta­tion. Certes — et ce fai­sant nous mon­tre­rons l’in­dul­gence deman­dée par l’au­teur dans sa pré­face —, la confec­tion d’un dic­tion­naire de ce genre, sur­tout lors­qu’elle est aban­don­née aux forces d’un seul homme, relève de la gageure. Mais quelle confiance accor­der géné­ra­le­ment aux ren­sei­gne­ments livrés quand on constate, en assez grand nombre, erreurs, omis­sions ou approxi­ma­tions à pro­pos de noms qui nous sont connus ?

Il est, par défi­ni­tion, dif­fi­cile de rendre compte par le menu d’un dic­tion­naire, car cela sup­po­se­rait une lec­ture com­plète de l’en­semble des articles. À for­tio­ri dans un cadre aus­si limi­té que le nôtre. Nous nous conten­te­rons d’exa­mi­ner — sans cacher ce que notre démarche ren­ferme d’ar­bi­traire — deux notices, les notices consa­crées à deux indi­vi­dus dont les noms sont fami­liers aux lec­teurs d’Iztok : Ba Jin et Wei Jingsheng.

On sait que Boris Sou­va­rine avait naguère jugé du sérieux d’un ouvrage consa­cré au Congrès de Tours par ce qu’on qua­li­fie­ra de « preuve par Fros­sard » (cf. Autour du Congrès de Tours, Champ libre, Paris, 1981). « Com­ment est pré­nom­mé Fros­sard ? Réponse : Ludo­vic ». Le cri­tère est infaillible, disait Sou­va­rine. (rap­pe­lons que Fros­sard se pré­nom­mait Louis). Nous pour­rions, à pro­pos des dic­tion­naires bio­gra­phiques qui concernent la Chine invo­quer la « preuve par Ba Jin ». Une légende qui a la vie dure, et Jacques de Gold­fiem s’en fait le porte-voix (à sa décharge concé­dons que l’ou­vrage édi­té par Bian­co et Che­vrier s’ex­pose à la même cri­tique), vou­drait en effet que ce nom de Ba Jin ait été for­mé à par­tir des noms de Bakou­nine (en chi­nois BA-ku-ning) et de Kro­pot­kine (Ke-lu-paote-JIN). Or Ba Jin a démen­ti à de nom­breuses reprises cette légende (le carac­tère « Ba » lui ayant été ins­pi­ré par l’un de ses cama­rades, Ba Enbo).

Mais sur­vo­lons la notice. L’É­thique  de Kro­pot­kine y devient « Déve­lop­pe­ment et source de la logique » ! On apprend qu’une édi­tion, en 25 volumes, des œuvres com­plètes de Ba Jin a été publiée en 1986 par les édi­tions de la lit­té­ra­ture du peuple de Shan­ghai : nous ne connais­sons, quant à nous, qu’une seule édi­tion des œuvres com­plètes et elle a été entre­prise, et seule­ment entre­prise, en 1986, non par les édi­tions de la lit­té­ra­ture du peuple de Shan­ghai mais par celles de Pékin. Ajou­tons que l’en­tre­prise est loin d’a­voir été menée à son terme et qu’en 1990, alors que le livre de Gold­fiem était sous presse, nous n’en étions qu’au volume 13. Le recueil de cor­res­pon­dance évo­qué porte la date de 1987 et non celle de 1988. Ce n’est pas en février 1987, mais déjà en avril 1986 (et peut-être même en février), que Ba Jin s’est pro­non­cé pour la créa­tion d’un « Musée de la Révo­lu­tion cultu­relle ». Quant à la biblio­gra­phie des tra­duc­tions fran­çaises, l’au­teur aurait eu inté­rêt à mettre à jour ses fiches qui, à l’é­vi­dence, ne vont pas au-delà de l’an­née 1981 (la réfé­rence à l’é­di­tion d’Automne sem­blant n’a­voir été rajou­tée qu’in extre­mis): aux neuf titres réper­to­riés, on en ajou­te­rait sans dif­fi­cul­té une bonne quinzaine.

Repor­tons-nous main­te­nant à la notice « Wei Jing­sheng ». Pas­sons sur les détails : Wei Jing­sheng, comme du reste son pré­nom le sug­gère (« né dans la capi­tale »), n’a pas vu le jour dans l’An­hui, dont sa famille est ori­gi­naire, mais à Pékin ; il n’est pas le fon­da­teur, mais l’un des fon­da­teurs, du célèbre Comi­té d’ac­tion unie [lian­dong]. C’est sur­tout sur des ques­tions d’ordre biblio­gra­phique que nous sou­hai­te­rions insis­ter ici. Pour­quoi ren­voyer à Un bol de nids d’hi­ron­delles ne fait pas le prin­temps de Pékin (Chris­tian Bour­gois, Paris, 1980) à pro­pos du texte inti­tu­lé « Pro­pos som­maires sur la délin­quance juvé­nile en Chine » et ne pas rap­pe­ler qu’on y lira aus­si l’ar­ticle le plus fameux de Wei sur la « Cin­quième moder­ni­sa­tion », lequel est signa­lé lui aus­si sans autre pré­ci­sion ? Jacques de Gold­fiem se serait au demeu­rant sim­pli­fié la tâche en indi­quant que ladite antho­lo­gie conte­nait les prin­ci­pales œuvres de Wei. Pour­quoi, alors que dans un ouvrage aus­si géné­ral la place est néces­sai­re­ment comp­tée pour les biblio­gra­phies par­ti­cu­lières, four­nir deux réfé­rences dif­fé­rentes pour un même texte, les « minutes du pro­cès » de Wei ? Pour­quoi, enfin, alors qu’on s’at­tache à retra­cer la vie d’un indi­vi­du, ne pas nom­mer l’exis­tence d’une auto­bio­gra­phie, sur­tout quand elle figure dans un livre qu’on men­tionne par ailleurs (Pro­cès poli­tiques à Pékin, petite col­lec­tion Mas­pe­ro, Paris, 1981)?

Wolf­gang Bartke, qui est déjà l’au­teur de Who’s Who in the People. Repu­blic of Chi­na (troi­sième édi­tion, K. G. Saur, Munich, 1990) et qui avait naguère publié avec Peter Schier Chi­na’s New Par­ty Lea­der­ship (Mac­mil­lan Press, 1985) nous offre un Bio­gra­phi­cal Dic­tio­na­ry and Ana­ly­sis of Chi­na’s Par­ty Lea­der­ship : 1922 – 1988. La pre­mière par­tie de l’ou­vrage, la plus impor­tante en nombre de pages puis­qu’elle repré­sente à elle seule près des trois quarts du volume, contient les fiches bio­gra­phiques des 1.094 cadres qui ont sié­gé, en qua­li­té de membre ou de membre sup­pléant, au Comi­té cen­tral du Par­ti com­mu­niste chi­nois entre 1922 et 1988, qu’ils soient décé­dés ou tou­jours en vie. Chaque fiche suit le même modèle : état civil (éven­tuel­le­ment : sta­tut social des parents et indi­ca­tion de la mino­ri­té eth­nique d’o­ri­gine), études, fonc­tions, évo­lu­tion de car­rière. En sorte que l’im­por­tance his­to­rique de la per­son­na­li­té n’in­ter­vient pas de façon déter­mi­nante dans la lon­gueur de la notice : celle qui est consa­crée à Mao, par exemple, tient sur une colonne. Les bio­gra­phies sont, éven­tuel­le­ment, com­plé­tées par de très brèves remarques et elles sont accom­pa­gnées, dans un peu plus de la moi­tié des cas, d’une ou de plu­sieurs pho­to­gra­phies prises à des dates dif­fé­rentes (776 pho­to­gra­phies pour 539 des 1.094 per­son­na­li­tés présentées).

Mais ce n’est pas sim­ple­ment un dic­tion­naire bio­gra­phique, que Wolf­gang Bartke nous pro­pose. Dans le deuxième volet de son tra­vail, l’au­teur four­nit à son lec­teur les élé­ments d’une lec­ture trans­ver­sale du dic­tion­naire qui sont autant d’élé­ments per­met­tant une socio­lo­gie de la direc­tion du Par­ti com­mu­niste chi­nois. Cette par­tie consiste, en effet, en une ana­lyse som­maire des don­nées qui viennent d’être livrées à l’é­tat brut, à pro­pos, d’une part, des bureaux poli­tiques, à pro­pos, d’autre part, des comi­tés centraux.

Clair et pré­cis, émaillé de nom­breux tableaux de syn­thèse obte­nus par croi­se­ment des don­nées, pré­sen­té de façon irré­pro­chable — on ne sau­rait trop van­ter la qua­li­té de l’é­di­tion —, le livre de Bartke se révèle un ouvrage de réfé­rence indispensable.

Du Daxin

Gold­feim Jacques de. Per­son­na­li­tés chi­noises d’au­jourd’­hui. L’Har­mat­tan, col­lec­tion « sino­lo­gie », Paris, 1989, 378 p. Index., biblio. 210 F.

Bartke Wolf­gang. Bio­gra­phi­cal Dic­tio­na­ry and Ana­ly­sis of Chi­na’s Par­ty Lea­der­ship : 1922 – 1988. K.G. Saur, Mün­chen-Lon­don-New York-Paris, XII + 484 pp., pho­to­gr. Relié, DM 248. [KG. Saur : Post­fach 70 1620, D‑8000 Mün­chen 70, Allemagne.]

Mao intime

L’au­teur, Quan Yan­chi, enfile ici un cer­tains nombre d’a­nec­dotes sur la vie de Mao qui lui ont été confiées par Li Yin­qiao, lequel fut, de 1947 à 1962, gorille puis chef des gardes du corps du pré­sident chi­nois. (En fait, ain­si que le remarque le tra­duc­teur dans sa pré­face, il s’a­git de la syn­thèse roman­cée de plu­sieurs récits.) Il n’est pas sûr que l’ad­mi­ra­tion que Li Yin­qiao por­tait à son patron ne déforme un peu son sou­ve­nir. Tou­te­fois, les témoi­gnages directs sur la vie de Mao avant la « Révo­lu­tion cultu­relle » étant on ne peut plus rares, la rela­tion de Li Yin­qiao n’en offre que plus d’in­té­rêt. Mal­gré cer­taines lon­gueurs (ces pas­sages, notam­ment, où l’on insiste un peu lour­de­ment sur les effets pro­vo­qués sur l’or­ga­nisme par l’in­ges­tion des hari­cots secs), elle nous livre quelques détails qui réjoui­ront les ama­teurs : par exemple, une rela­tion impré­vue du conflit qui oppo­sa Mao à Peng Dehui au ple­num de Lushan et une ver­sion inédite de l’o­ri­gine du mot célèbre : ««La Com­mune popu­laire c’est bien ! » [ren­min gongshe hao !]

La tra­duc­tion, agréable à lire et sobre­ment anno­tée, a été com­plé­tée par un utile who’s who des per­son­nages qui appa­raissent dans le texte.

Du Daxin

Quan Yan­chi. Mao intime : le chef de ses gardes du corps raconte… Tra­duit du chi­nois, pré­fa­cé et anno­té par Roger Dar­ro­bers. Édi­tions du Rocher, Jean-Paul Ber­trand, Mona­co, 1991, 238 pp, 130 F.

Deux ouvrages sur la Chine contemporaine

La Chine au XXe siècle consti­tue le deuxième volet d’un tra­vail consa­cré à la Chine moderne et à la Chine contem­po­raine (le pre­mier volume allait de 1895 à 1949). Mais il ne s’a­git pas seule­ment d’un livre sur la Chine popu­laire et sur les Han : les édi­teurs ont eu la bonne idée d’in­té­grer à leur champ une étude sur les eth­nies mino­ri­taires, une étude sur Hong Kong et une autre sur Tai­wan. La période consi­dé­rée est celle qui s’é­tend de la « Libé­ra­tion » (1949) à 1989. Divers sino­logues fran­çais ou alle­mands ont par­ti­ci­pé à l’ou­vrage : outre ceux des édi­teurs, Marie-Claire Ber­gère, Lucien Bian­co et Jür­gen Domes, on relève les noms de Jacques Andrieu, Claude Aubert, Fran­çoise Aubin, Michel Bon­nin, Yves Che­vrier, Fran­çois Gode­ment, Jacques Guiller­maz, Her­man Hal­bei­sen, Wer­ner Meiss­ner et Ebe­rhard Sand­sch­nei­der. Les contri­bu­tions concer­nant la Chine popu­laire se dis­tri­buent en deux par­ties : l’une est consa­crée à l’é­vo­lu­tion poli­tique, l’autre s’at­tache aux chan­ge­ments sur­ve­nus dans les domaines de l’é­co­no­mie, de la socié­té et de la culture. Une troi­sième par­tie envi­sage enfin les rela­tions de la Chine avec le reste du monde. On consul­te­ra avec inté­rêt les deux articles de Jür­gen Domes, et notam­ment celui où il retrace, dans un expo­sé remar­qua­ble­ment lim­pide, l’ac­ces­sion au pou­voir de Deng Xiao­ping et ses dix années de règne. Une men­tion spé­ciale aus­si pour les textes de Claude Aubert, sur l’a­gri­cul­ture, et de Jacques Andrieu, sur le mou­ve­ment des idées.

Des géné­ra­tions d’ap­pren­tis sino­logues ont abor­dé l’his­toire de la Chine popu­laire par la somme, désor­mais clas­sique, de Jacque Guiller­maz, Le Par­ti com­mu­niste chi­nois au pou­voir (Payot, Paris, 1972. Plu­sieurs réédi­tions com­plé­tées). L’œuvre de Guiller­maz, en tous points remar­quable, déroute tou­te­fois les non spé­cia­listes, ou les demi-spé­cia­listes, par la pro­fu­sion de détails et par un style par­fois aride. Depuis deux ans déjà, nous dis­po­sions, avec l’ou­vrage de Marie-Claire Ber­gère, d’un manuel qui allie clar­té dans l’ex­po­sé et fia­bi­li­té. Épui­sé, il vient d’être repris — heu­reuse ini­tia­tive — par l’é­di­teur, dans une ver­sion refon­due et actua­li­sée puis­qu’elle s’é­tend aux évé­ne­ments de la place Tian’an­men du prin­temps 1989. C’est en fait la fin du manuel qui a été rema­niée : le der­nier cha­pitre a été scin­dé en deux, le tout ayant été net­te­ment étof­fé. On se prend à regret­ter, tou­te­fois, que les dix cha­pitres pré­cé­dents n’aient pas été cor­ri­gés pour l’oc­ca­sion et que quelques coquilles conti­nuent d’en­ta­cher cer­tains pas­sages (par exemple, à la page 92, au der­nier para­graphe, c’est bien sûr de « juillet 1959 » dont il est ques­tion et non de « juillet 1956 »).

Qu’on ne se méprenne pas : l’ou­vrage de Marie-Claire Ber­gère est certes un manuel et il se plie stric­te­ment aux lois du genre, mais il ne s’a­git nul­le­ment pour autant d’une rela­tion plate et asep­ti­sée des évé­ne­ments sur­ve­nus en Chine depuis la fon­da­tion de la Répu­blique popu­laire. Le texte est com­plé­té par des annexes bio­gra­phiques concer­nant les prin­ci­paux acteurs de l’his­toire chi­noise et si, confor­mé­ment aux canons de la col­lec­tion dans laquelle il paraît, il ne com­porte pas de notes biblio­gra­phiques infra­pa­gi­nales, des réfé­rences détaillées sont indi­quées, cha­pitre par cha­pitre, en fin de volume. Il est doté aus­si d’une solide biblio­gra­phie géné­rale et d’une chronologie.

Du Daxin

Ber­gère Marie-Claire, Bian­co Lucien et Domes Jür­gen (éds). La Chine au XXe siècle, de 1949 à aujourd’­hui. Fayard, 1990, 448 p., tableaux, cartes, chro­no­lo­gie, biblio. et index, 150 F.

Ber­gère Marie-Claire. La Répu­blique popu­laire de Chine de 1949 à nos jours. Col­lec­tion « U. His­toire », Armand Colin, 1989, 334 p., 130 F.

L’économie de la Chine

Chi­nese State Enter­prises : A Regio­nal Pro­per­ty Rights Ana­lyse, un livre de David Gra­nik, se fonde essen­tiel­le­ment sur des maté­riaux éla­bo­rés par l’A­ca­dé­mie des sciences sociales de Chine et la Banque mon­diale qui couvrent la période 1975 – 1984, vingt études de cas por­tant sur (les entre­prises indus­trielles d’É­tat de moyenne ou grande impor­tance. Sur cette base, l’au­teur, pro­fes­seur d’é­co­no mie à l’U­ni­ver­si­té de Wis­con­sin (Madi­son) et spé­cia­liste des pro­blèmes indus­triels de l’URSS et des pays de l’Est, s’at­tache ici à prou­ver que le modèle indus­triel chi­nois pré­sente une grande ori­gi­na­li­té rela­ti­ve­ment au modèle indus­triel clas­sique de type soviétique.

Cette ori­gi­na­li­té tient en cinq points : des plans de pro­duc­tion peu direc­tifs et dont l’ac­com­plis­se­ment ne pré­sente aucune dif­fi­cul­té par­ti­cu­lière ; la pos­si­bi­li­té de dis­po­ser d’ar­ticles alloués en dehors du sys­tème d’al­lo­ca­tion ; l’exis­tence, dans une même région, de prix mul­tiples pour un même pro­duit ; des entre­prises super­vi­sées à dif­fé­rents éche­lons ; la nature du contrôle que la nomenk­la­tu­ra exerce quant à la nomi­na­tion des direc­teurs et des secré­taires du Par­ti dans les entre­prises. (Il ajoute une sixième carac­té­ris­tique, qui concerne cette fois l’al­lo­ca­tion du tra­vail et la déter­mi­na­tion des salaires, et qui est impu­table au carac­tère sous-déve­lop­pé de la Chine.) Pour Gra­nik, la clef du mys­tère doit être recher­chée par le biais d’une ana­lyse des droits de pro­prié­té régio­naux. La rai­son de cette ori­gi­na­li­té tient en effet aux rap­ports de pro­prié­té qui lient les corps gou­ver­ne­men­taux régio­naux entre eux, et aux rap­ports de pro­prié­té qui lient les corps régio­naux au gou­ver­ne­ment cen­tral. On découvre alors que les niveaux régio­naux gou­ver­ne­men­taux sont plus que de simples rouages hiérarchiques.

Le tra­vail de Gra­nik, autant le pré­ci­ser d’emblée, n’est pas, pour le pro­fane, d’une lec­ture facile. L’ap­proche étant, pour par­tie, éco­no­mé­trique, les démons­tra­tions sont mathé­ma­ti­que­ment formalisées.

L’ou­vrage édi­té par Ste­phan Feucht­wang, Athar Hus­sain et Thier­ry Pai­rault, Trans­for­ming Chi­na Eco­no­my in the Eigh­ties, concerne les réformes éco­no­miques entre­prises en Chine depuis le retour aux affaires de Deng Xiao­ping. Il a été frac­tion­né en deux volumes : l’un consa­cré à l’é­co­no­mie rurale et aux pro­blèmes de l’emploi et du loge­ment en zone urbaine, l’autre à l’é­co­no­mie urbaine et à la réforme de l’en­tre­prise. Le pre­mier tome, le seul dont nous ayons eu connais­sance, ras­semble neuf études réa­li­sées par des sino­logues fran­çais ou anglo-saxons : « NEP and Beyond : The Tran­si­tion to “Moder­ni­za­tion” in Chi­na (1978 – 85)» (Y Che­vrier); « The Peo­ple’s Live­li­hood and the Inci­dence of Pover­ty » (A. Hussain‑S. Feucht­wang); « The New Pea­sant Eco­no­my in Chi­na » (E. Croll); « Chi­na’s Food Take-Off ? » (C. Aubert); « The Impli­ca­tions of Contract Agri­cul­ture for the Employ­ment and Sta­tus of Chi­nese Pea­sant Women » (D. Davin); « Imple­men­ta­tion and Resis­tance : The Single-Child Fami­ly Poli­cy » (L. Bian­co-Hua Chang-ming); « Chi­na’s New Inhe­ri­tance Law : Some Pre­li­mi­na­ry Obser­va­tions » (M. Pal­mer); « Urban Employ­ment in Post-Maoist Chi­na » (M. Bonnin‑M. Car­tier); « Urban Hou­sing Poli­cy after Mao » (R. Kirby).

Du Daxin

Gra­nik David. Chi­nese State Enter­prises : A Regio­nal Pro­per­ty Rights Ana­ly­sis. The Uni­ver­si­ty of Chi­ca­go Press, Chi­ca­go & Lon­don, 1990, 348 p., biblio. et index, relié, $ 39,95. (The Uni­ver­si­ty of Chi­ca­go Press : Billing Office, 11030 South Lan­gley Ave­nue, Chi­ca­go, Illi­nois 60628, USA.)

Feucht­wang Ste­phan, Hus­sain Athar, Pai­rault Thier­ry (éd.). Trans­forr­ning Chi­na’s Eco­no­my in the Eigh­ties. Vol. 1 : « The Rural Sec­tor, Wel­fare and Employ­ment ». Zed Books, Lon­don, 1988, 258 p., biblio et index, 5, 29,95 (relié), 5, 10.95 (bro­ché) (Zed Books : 57 Cale­do­nian Road, Lon­don NI 9BU, Angleterre).

L’anarchisme en Chine

Si l’on excepte les articles de l’u­ni­ver­si­taire amé­ri­cain, Arlif Dir­lik — dont plu­sieurs ont paru dans la revue cali­for­nienne Modern Chi­na et qui devraient être pro­chai­ne­ment repris en volume —, et l’é­tude déjà ancienne de Robert A. Sca­la­pi­no et George T. Yu — The Chi­nese Anar­chist Move­ment, Uni­ver­si­ty of Cali­for­nia, Ber­ke­ley, 1961, 81 p. 1Une adap­ta­tion de cet ouvrage, com­plé­tée par d’autres maté­riaux, a été don­née par Jean-Jacques Gan­di­ni sous le titre : Aux sources de la révo­lu­tion chi­noise : les anar­chistes (contri­bu­tion his­to­rique 1902 – 1927), Ate­lier de créa­tion liber­taire, Lyon, 1986, 180 p. —, l’a­nar­chisme chi­nois reste un sujet de recherche peu abor­dé. Le tra­vail de Peter Zar­row, Anar­chism and Chi­nese Poli­ti­cal Culture, com­ble­ra cette lacune. On peut d’ores et déjà consi­dé­rer ce livre comme un ouvrage de réfé­rence. Ver­sion révi­sée d’une thèse de doc­to­rat, il est l’a­bou­tis­se­ment d’une dizaine d’an­nées de recherches.

Pour Arrow, c’est en tout cas ce qu’il cherche à démon­trer, l’a­nar­chisme chi­nois n’a nul­le­ment été un mou­ve­ment mar­gi­nal et on ne sau­rait négli­ger son influence — à l’ins­tar du mar­xisme — dans la dis­so­lu­tion idéo­lo­gique du confu­cia­nisme. L’au­teur se fonde sur des docu­ments ori­gi­naux de pre­mière main dont il a tra­duit de larges extraits. À côté de cha­pitres qui sont plu­tôt d’ordre évé­ne­men­tiel par exemple le cha­pitre 2 qui retrace l’his­toire des foyers de l’a­nar­chisme de chi­nois à Tokyo et à Paris au début du siècle), on trou­ve­ra des cha­pitres plus ana­ly­tiques : ain­si, les cha­pitres 4 à 7, qui abordent les thèmes de la révo­lu­tion sociale, de la libé­ra­tion de la femme, de la culture et de la nation. On consul­te­ra avec inté­rêt la par­tie du cha­pitre 10 qui éva­lue les rap­ports entre anar­chisme et maoïsme.

Du Daxin

Zar­row Peter. Anar­chism and Chi­nese Poli­ti­cal Culture. New York, Oxford : Colum­bia Uni­ver­si­ty Press, 1990, xiv + 344 p., glos­saire, biblio., index, relié $ 45,00. [Colum­bia Uni­ver­si­ty Press, 562 West 113 th Street, New York, NY 10025, USA.]

La Grande Secousse. Europe de l’Est 1989 – 1990

Bilan pro­vi­soire de quinze mois d’his­toire, La Grande Secousse, dresse l’in­ven­taire des bou­le­ver­se­ments qui viennent de se pro­duire dans les pays d’Eu­rope de l’Est.

La pre­mière par­tie de l’ou­vrage se pré­sente comme une suite de mono­gra­phies. On y passe en revue les pays les uns après les autres : Pologne, Hon­grie, RDA, Tché­co­slo­va­quie, Bul­ga­rie, Rou­ma­nie et You­go­sla­vie. L’autre par­tie, abor­dant les choses de façon trans­ver­sale, exa­mine « les embûches » de la tran­si­tion : les incer­ti­tudes poli­tiques, les pro­blèmes éco­no­miques ou la ques­tion des natio­na­li­tés. Les auteurs, pour la plu­part cher­cheurs ou uni­ver­si­taires, sont aus­si, géné­ra­le­ment, ori­gi­naires de pays dont ils traitent. À côté des textes de Pierre Kende et d’A­lek­san­der Smo­lar, on trouve des contri­bu­tions de Mih­nea Berin­dei, Ariad­na Combes, Ire­na Gros­feld, Pierre Hass­ner, Vla­di­mir Kos­tov, Joseph Kru­lic, Anne-Marie Le Gloan­nec, Georges Mink, Jacques Rup­nik et Ilios Yannakakis.

She­vy­rev

Kende Pierre et Smo­lar Alek­san­der (éds). la Grande Secousse. Europe de l’Est 1989 – 1990. Presses du CNRS, coll. « Socié­tés en mou­ve­ment », 1990, 240 p., 149 F.

L’affaire Kravtchenko

Les édi­tions Actes Sud viennent de reprendre, en volume, les articles que la roman­cière Nina Ber­be­ro­va écri­vit pour La Pen­sée russe, il y a quelque qua­rante ans, à pro­pos de l’af­faire Kravt­chen­ko. La roman­cière sui­vit en effet alors, pour l’heb­do­ma­daire russe qui parais­sait à Paris (et dont elle tenait habi­tuel­le­ment la rubrique lit­té­raire), le pro­cès pour dif­fa­ma­tion inten­té par l’au­teur de J’ai choi­si la liber­té contre l’heb­do­ma­daire sta­li­nien Les Lettres fran­çaises (celui-ci avait don­né dans ses colonnes un compte ren­du — pré­ten­du­ment rédi­gé par un citoyen amé­ri­cain — de l’ou­vrage où l’on insi­nuait qu’il s’a­gis­sait d’un faux fabri­qué aux États-Unis, d’un tis­su de men­songes que Kravt­chen­ko s’é­tait conten­té de signer). Kravt­chen­ko gagna son pro­cès — qua­li­fié à l’é­poque par la presse de  »pro­cès du siècle » — au cours duquel des témoins, dont Mar­ga­rete Buber-Neu­mann, vinrent racon­ter leur expé­rience du sys­tème soviétique.

Hubert Nys­sen, l’é­di­teur, rap­porte dans un avant-pro­pos les lignes que Nina Ber­be­ro­va consacre à l’é­vé­ne­ment dans son auto­bio­gra­phie. C’est, à coup sûr, la meilleure intro­duc­tion au texte : « Voi­ci résu­mée en quelques mots cette affaire aujourd’­hui oubliée. L’un des membres de la Com­mis­sion sovié­tique d’a­chats à cré­dit, envoyé aux USA en 1943, déci­da de ne pas retour­ner en URSS. En avril 1944, il rom­pit avec Mos­cou, puis écri­vit et publia un livre dans lequel il expo­sait les rai­sons de cette rup­ture. Il y par­lait de la vie en URSS, de la poli­tique pay­sanne de Sta­line, des tech­no­crates et des vieux bol­che­viks. Le livre de Kravt­chen­ko eut une for­tune extra­or­di­naire. Il fut tra­duit en vingt-deux langues et on le lisait par­tout. Les Lettres fran­çaises déclen­chèrent une cam­pagne dif­fa­mante contre lui, l’in­sul­tant et insi­nuant que l’au­teur du livre était un fas­ciste hit­lé­rien. Cepen­dant, pour beau­coup, dont moi-même, le nœud de l’af­faire était l’exis­tence des camps de concen­tra­tion en URSS qui avait enfin reçu une large divul­ga­tion. Kravt­chen­ko en par­lait dans son livre, ain­si que les témoins cités à la barre, d’an­ciens inter­nés des camps de la Koly­ma et de Karaganda. »

On esti­me­rait à tort que l’in­té­rêt du livre de Nina Ber­be­ro­va ne tient, tant d’an­nées après, qu’à la per­son­na­li­té de la roman­cière. La Gazette lit­té­raire de Mos­cou, dans le numé­ros du 3 octobre 1990 et du 30 jan­vier 1991, a publié deux articles sur Kravt­chen­ko, celui-ci étant désor­mais offi­ciel­le­ment pré­sen­té dans son pays d’o­ri­gine comme une vic­time de l’é­poque stalinienne.

She­vy­rev

Ber­be­ro­va Nina. L’Af­faire Kravt­chen­ko. Tra­duit du russe par Irène et André Mar­ko­wicz. Actes Sud, Arles, 1990, 125 F.

Kropotkinia

La fièvre du bicen­te­naire de la Révo­lu­tion fran­çaise qui s’est empa­rée, il y a deux ans, de l’Hexa­gone n’a pas, comme on le sait, épar­gné le reste du monde. À Mos­cou aus­si, on a célé­bré l’an­ni­ver­saire, et l’é­vé­ne­ment a été inter­pré­té. L’ou­vrage col­lec­tif publié sous le titre La Révo­lu­tion fran­çaise et la Rus­sie se com­pose de vingt-six contri­bu­tions, dues pour la plu­part à des auteurs sovié­tiques, dis­tri­buées en trois rubriques : « la Révo­lu­tion fran­çaise : les dis­cus­sions et les approches scien­ti­fiques aujourd’­hui» ; « his­to­rio­gra­phie» ; « la Révo­lu­tion et la Rus­sie : recherches et docu­ments ». La lit­té­ra­ture fran­çaise moderne sur la ques­tion a été éplu­chée et les noms de Furet, Le Roy Ladu­rie, Gué­rin, Agul­hon, Chau­nu ou Richet, par exemple, sont cités. De même que ceux, mais on s’en éton­ne­ra moins, de Voyelle, de Soboul ou de Mazau­ric. Du reste, Mazau­ric signe un des articles du recueil, et un écrit de Soboul a été repris pour l’oc­ca­sion. Men­tion­nons, enfin, la pré­sence d’un texte de Godechot.

Mais si nous signa­lons l’exis­tence d’un tel tra­vail, c’est uni­que­ment parce qu’il contient la contri­bu­tion de deux cher­cheurs, Alexandre Gor­don et Evgué­ni Sta­ros­tine, sur la lec­ture faite par Kro­pot­kine du livre de Jau­rès, L’His­toire socia­liste (1789 – 1900). Sous le titre : « Quand Kro­pot­kine lisait Jau­rès. Notes de P. Kro­pot­kine dans les marges de l’His­toire socia­liste de la Révo­lu­tion fran­çaise de Jean Jau­rès », on découvre une étude longue de quelque trente pages, en double colonne (pp. 158 – 187), assor­tie d’illus­tra­tions. Une étude qui coïn­cide avec la publi­ca­tion récente en URSS de La Grande Révo­lu­tion de Kro­pot­kine (déjà paru en 1919) et du livre de Jaurès.

Gor­don et Sta­ros­tine se fondent sur l’exem­plaire de l’œuvre de Jau­rès anno­té par Kro­pot­kine qui est conser­vé au dépar­te­ment des livres rares de la Biblio­thèque Lénine depuis 1959 (en 1925, avec le reste de la biblio­thèque du célèbre anar­chiste, ce livre avait rejoint le Musée Kro­pot­kine. Ensuite, lors de la fer­me­ture dudit musée, en 1939, et avant que de rejoindre son actuel lieu de conser­va­tion, il avait séjour­né au Musée de la Révo­lu­tion). Les gloses mar­gi­nales de Kro­pot­kine per­mettent de consta­ter que sa lec­ture de Jau­rès a été plus sérieuse que ne le laisse devi­ner le seul exa­men de La Grande Révo­lu­tion. Les auteurs en usent lar­ge­ment, mais de manière non linéaire et sans qu’on sache si tout a été repris.

L’ar­ticle est bien docu­men­té. On s’ir­ri­te­ra tou­te­fois de la manie dont les auteurs ne sont pas par­ve­nus à se défaire qui consiste à se réfu­gier, de loin en loin, sous l’au­to­ri­té intel­lec­tuelle de Lénine (cf. pp.161, 165,187).

Pour les férus de kro­pot­ki­nia pré­ci­sons que les réfé­rences de dif­fé­rents tra­vaux russes récents consa­crés à Kro­pot­kine sont indi­quées dans les notes infra­pa­gi­nales, et que dif­fé­rents maté­riaux conser­vés aux Archives cen­trales de la révo­lu­tion d’Oc­tobre de l’URSS — par­mi les­quels des lettres et des notes inédites de Kro­pot­kine sur la social-démo­cra­tie et le mar­xisme — ont été répertoriés.

Comme nous en sommes à ce cha­pitre — encore que la période consi­dé­rée n’in­té­resse qu’in­di­rec­te­ment les lec­teurs d’une revue comme Iztok —, indi­quons la paru­tion récente d’un ouvrage consa­cré au prince anar­chiste, celui de Caro­line Cahm : Peter Kro­pot­kin and the Rise of Revo­lu­tio­na­ry Anar­chism. Il s’a­git d’un ouvrage tiré d’une thèse de doc­to­rat. Le livre se com­pose de trois par­ties. L’au­teur com­mence par situer, dans le contexte et le déve­lop­pe­ment du mou­ve­ment anar­chiste euro­péen, celui qui, après la mort de Bakou­nine, devien­dra le repré­sen­tant le plus émi­nent de la doc­trine liber­taire. Après avoir retra­cé les ori­gines de ses idées et leur matu­ra­tion, l’au­teur évoque sa pra­tique révo­lu­tion­naire entre 1872 et 1886, avant d’é­va­luer la for­tune pos­té­rieure de l’œuvre. Au terme d’une ana­lyse du rôle joué par Kro­pot­kine dans la trans­for­ma­tion et le pro­lon­ge­ment du « socia­lisme anti-auto­ri­taire » de Bakou­nine, Caro­line Cahm tente de mon­trer que deux types prin­ci­paux d’ac­tion révo­lu­tion­naire ont été oppo­sés par les anar­chistes aux stra­té­gies par­le­men­taires social-démo­crates : l’un est fon­dé sur l’ac­ti­vi­té indi­vi­duelle ou grou­pus­cu­laire, l’autre reste lié à une action col­lec­tive de grande enver­gure. La conclu­sion géné­rale à laquelle Caro­line Cahm abou­tit est qu’on ne sau­rait rece­voir l’i­dée selon laquelle Kro­pot­kine n’au­rait pas cru aux poten­tia­li­tés révo­lu­tion­naires du mou­ve­ment du tra­vail : le concept d’ac­tion révo­lu­tion­naire, éla­bo­ré par lui, va bien au-delà de la « pro­pa­gande par le fait ».

She­vy­rev

Varii auc­tores. La Révo­lu­tion fran­çaise et la Rus­sie. Édi­tions librai­rie du Globe et édi­tions du Pro­grès, Paris-Mos­cou, 1990, 544 p. Illus. en coul., biblio. et index. Relié, 130 F.

Cahm Caro­line. Kro­pot­kin and the Rise of Revo­lu­tio­na­ry Anar­chism. 1872 – 1886. Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, Cam­bridge, 1989, xii + 372 p., biblio. et index. Relié, £ 35,00 ($ 49,50). [Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, The Edin­burg Buil­ding, Shaf­tes­bu­ry Rd, Cam­bridge CB2 2RU, Royaume-Uni.]

La poésie chinoise

Les hasards de l’é­di­tion ont fait paraître presque simul­ta­né­ment deux recueils consa­crés à la poé­sie chi­noise : Le voleur de poèmes, de Claude Roy et Entre source et nuage : la poé­sie chi­noise réin­ven­tée, de Fran­çois Cheng. Deux ouvrages qui, loin de se récla­mer de l’aus­tère dis­ci­pline du tra­duc­teur, se pré­sentent d’emblée comme des aven­tures per­son­nelles. Pour l’un comme pour l’autre, la poé­sie est un voyage au fond de soi-même, et l’an­tho­lo­gie, par le choix qu’elle sup­pose, la quin­tes­sence de nos rêves et de nos émo­tions. Choi­sir un poème, puis le trans­po­ser dans sa langue — ou, pour Fran­çois Cheng, dans sa langue d’a­dop­tion —, c’est d’une cer­taine manière se l’in­cor­po­rer, d’où l’i­mage du voleur de poèmes ou de la poé­sie « réin­ven­tée », à quoi l’on pour­rait joindre la « poé­sie non tra­duite » d’Ar­mand Robin (cf. Poé­sie chi­noise non tra­duite, La Tour Cham­plain, Paris, 1986).

Éter­nel voya­geur, Claude Roy, comme l’in­dique sa pré­face, jette sur la poé­sie chi­noise un regard de pro­me­neur curieux, qui cherche à relier ses impres­sions à ses lec­tures. Il se garde tou­te­fois du pit­to­resque et de l’exo­tisme, car il attend de la fré­quen­ta­tion des poètes chi­nois, non pas un dépay­se­ment, mais la décou­verte de ce qui, au-delà des cultures, relie les hommes. Cette prise de posi­tion huma­niste est pour lui l’oc­ca­sion de rap­pe­ler de quelle mécon­nais­sance ou de quel mépris de l’autre peut être char­gée la notion d’al­té­ri­té radicale.

L’an­tho­lo­gie com­porte deux par­ties : un choix d’œuvres des plus grands noms de la poé­sie chi­noise (Wang Wei, Li Po, Tou Fou…) et un ensemble de poèmes moins connus, illus­trant des thèmes uni­ver­sels tels que le vin, la fuite du temps, l’a­mour, la sépa­ra­tion. En pro­po­sant, dans sa pré­face, le mot à mot d’un poème et en confron­tant plu­sieurs tra­duc­tions, en fran­çais et en anglais, d’une même pièce, Claude Roy essaie de faire sen­tir à son lec­teur la « folie » que repré­sente la ten­ta­tive de trans­po­ser, dans une langue occi­den­tale, un ori­gi­nal écrit dans une langue tonale, où la qua­si-absence de liens syn­taxiques visibles, l’i­nexis­tence des marques de temps et de plu­riel et l’ef­fa­ce­ment des pro­noms sujets laissent place à de mul­tiples inter­pré­ta­tions. Aus­si bien ne don­ne­ra-t-il que des « poèmes-équi­va­lences ». Cer­tains de ses illustres devan­ciers, tels que le mar­quis d’Her­vey Saint-Denys, Ezra Pound ou Jean Pré­vost, ont prou­vé que le talent de l’é­cri­vain savait quel­que­fois mieux rendre jus­tice à l’œuvre ori­gi­nale que la rigueur du phi­lo­logue. Par­ti­san réso­lu de l’in­fi­dé­li­té, il cri­tique cepen­dant les « molles para­phrases » de Judith Gau­tier et la curieuse touche « fin de siècle » que l’é­quipe d’An­dré d’Hor­mont a don­née à ses tra­duc­tions (cf. Paul Demié­ville [éd.], Antho­lo­gie de la poé­sie chi­noise clas­sique, Gal­li­mard, Paris, 1962). Sa propre inter­pré­ta­tion des poèmes refuse quant à elle toute affec­ta­tion et toute rai­deur. Renon­çant à l’u­sage du déca­syl­labe et de l’a­lexan­drin, dont Paul Jacob a su par ailleurs user avec brio dans ses tra­duc­tions (cf. par exemple, Vacances du pou­voir : poèmes des Tang, Gal­li­mard, Paris, 1983), il opte pour une prose poé­tique aus­si libre et natu­relle que pos­sible, rele­vée par quelques trou­vailles d’é­cri­vain (« au pre­mier clin d’au­rore », « la lune pleut son clair »). L’ab­sence de tout appa­rat de notes contri­bue d’autre part à pla­cer le lec­teur de plain-pied avec cet uni­vers poé­tique. C’est sans doute afin d’é­prou­ver dif­fé­rents pro­cé­dés de tra­duc­tions que cer­tains poèmes sont don­nés, à quelques pages de dis­tance, dans deux ver­sions dif­fé­rentes (p.121 et p.129 ; p.153 et p.157 ; p.203 et p.206 ; p.261 et p.267). Signa­lons pour finir une cor­rec­tion à appor­ter à la p.38 : on y lira « du Li Sao » au lieu de « de Li Sao », le terme dési­gnant l’œuvre la plus célèbre du pre­mier grand poète chi­nois, K’iu Yuan (Qu Yuan).

Pour Fran­çois Cheng — dont les tra­vaux demeurent une base indis­pen­sable pour com­prendre le fonc­tion­ne­ment de la poé­sie chi­noise — la poé­sie est aus­si recherche de com­mu­nion, mais avec une tona­li­té plus dra­ma­tique. Claude Roy ras­sem­blait « l’her­bier de [ses] plai­sirs », Fran­çois Cheng recueille les lumières qui l’ont gui­dé dans la nuit de sa des­ti­née, ces poèmes qui, en le sou­te­nant, sont deve­nus part de lui-même.

L’ou­vrage, plus éru­dit, com­porte des notes ain­si qu’un avant-pro­pos où l’au­teur retrace l’é­vo­lu­tion de la poé­sie chi­noise, « expres­sion la plus haute de la spi­ri­tua­li­té chi­noise » nour­rie par trois cou­rants : le taoïsme, le confu­cia­nisme et le boud­dhisme. Le choix de poèmes, dont cer­tains sont cal­li­gra­phiés à la fin du volume, recoupe en par­tie celui de Claude Roy, se concen­trant tou­te­fois sur trois époques par­ti­cu­liè­re­ment brillantes : la dynas­tie des Tang, celle des Song, et l’é­poque moderne et contem­po­raine, assez lon­gue­ment présentée.

Fran­çois Cheng use plus volon­tiers que Claude Roy des phrases nomi­nales pour rendre l’im­per­son­na­li­té des tour­nures chi­noises. Ce pro­cé­dé, qui per­met de gar­der aux images poé­tiques leur ins­tan­ta­néi­té et de main­te­nir la jux­ta­po­si­tion pure des impres­sions sans cher­cher à les relier par un fil logique, fait mer­veille dans la mys­té­rieuse poé­sie d’un Li Shan­gyin. Ici, le ton est dans l’en­semble moins fami­lier que dans Le voleur de poèmes, et le style d’une beau­té hié­ra­tique qui n’est pas sans évo­quer la poé­sie de Vic­tor Sega­len. D’autres rémi­nis­cences — de Mal­lar­mé, de Saint John-Perse — sont per­cep­tibles çà et là, ache­vant la fusion des deux idiomes que Fran­çois Cheng maî­trise éga­le­ment l’un et l’autre.

Isa­belle Rabut

Roy Claude. Le Mer­cure de France, Paris, 1991, 450 p., 160 F.

Cheng Fran­çois. Entre source et nuage : la poé­sie chi­noise réin­ven­tée. Albin Michel, Paris, 1990, 264 p., 95 F.

Littérature chinoise

Bai Hua, actuel­le­ment vice-pré­sident de l’As­so­cia­tion des écri­vains de Shan­ghai, écri­vit naguère un scé­na­rio — Amour amer — qui se trou­va, on s’en sou­vient peut-être, au centre d’une vio­lente cam­pagne d’at­taques lors de sa sor­tie (cf. la cam­pagne contre le « libé­ra­lisme » qui débor­da le simple cas de Bai Hua). Aupa­ra­vant, le roman­cier avait été déjà la vic­time du mou­ve­ment anti-droi­tier (1957) et de la « Révo­lu­tion cultu­relle » (1966 – 1976). Le texte que les infa­ti­gables Li Tche-houa et Jac­que­line Alé­zaïs pré­sentent aujourd’­hui au public fran­çais, Ah ! Maman, date de 1980 et il a fait lui aus­si, en son temps, l’ob­jet de sévères cri­tiques. En sub­stance, on contes­ta alors la rela­tion don­née par Bai Hua de la Révo­lu­tion chi­noise et on lui repro­cha l’i­mage qu’il accré­di­tait des diri­geants com­mu­nistes. Le roman de Bai Hua se com­pose de huit cha­pitres, cha­cun d’eux étant consa­cré à une des femmes qui ont aidé le héros — un haut cadre du Par­ti, par­ta­gé entre sa conscience et sa lâche­té — au cours de son exis­tence. Ces femmes, mili­tantes révo­lu­tion­naires, patriotes ou sym­pa­thi­santes du Par­ti com­mu­niste, sont vic­times tour à tour de leur idéa­lisme et de leur sin­cé­ri­té, à la dif­fé­rence de l’é­pouse du héros qui a aidé son mari à grim­per dans la hié­rar­chie du Par­ti, à force de machia­vé­lisme. Le roman passe en revue les dif­fé­rents épi­sodes de l’his­toire de la Chine et en dévoile l’ab­sur­di­té ou la cruau­té. Les mères, ici, sont mani­fes­te­ment des sym­boles : non pas le sym­bole du Par­ti, lequel Par­ti est sou­vent assi­mi­lé à une mère par la pro­pa­gande, mais celui au contraire de la can­deur du peuple trom­pé par ses dirigeants.

Ma Jian est un de ces « jeunes ins­truits » qui furent exi­lés à la cam­pagne — au Tibet, en l’oc­cur­rence — durant la « Révo­lu­tion cultu­relle ». De son expé­rience tibé­taine, Ma Jian avait tiré plu­sieurs récits publiés sous le titre : La Men­diante de Shi­gatze (dis­po­nibles en fran­çais grâce aux soins de la même tra­duc­trice et du même édi­teur). Dans le court texte, à l’é­vi­dence auto­bio­gra­phique, qui s’in­ti­tule Chienne de vie !, on voit un jeune peintre — le nar­ra­teur — retour­ner dans sa ville natale à la recherche de son ancien pro­fes­seur de des­sin, éti­que­té « droi­tier » jadis et mal­me­né par ses propres élèves pen­dant la « Révo­lu­tion cultu­relle ». Ma Jian adopte ici une écri­ture plus sophis­ti­quée — et remar­qua­ble­ment ren­due par Isa­belle Bijon — que dans ses écrits tibé­tains, proche des tech­niques du Nou­veau Roman occi­den­tal, où le brouillage de la chro­no­lo­gie est en accord avec le thème fon­da­men­tal du livre : l’ob­ses­sion du pas­sé et des dérives que le temps a entraî­nées. L’au­teur mani­feste, moins net­te­ment tou­te­fois que dans ses œuvres pré­cé­dentes, son goût pour un réa­lisme par­fois sor­dide. Une voix très carac­té­ris­tique : tran­chante, éner­gique, sans humour mais non sans vibrations.

Isa­belle Rabut

Bai Hua. Ah ! Maman… Roman tra­duit du chi­nois par Li Tche-houa et Jac­que­line Alé­zaïs. Coll. « Voix chi­noises », Pierre Bel­fond, Paris, 1991, 342 p., 130 F.

Ma Jian. Chienne de vie ! Récit tra­duit du chi­nois par Isa­belle Bijon. Coll. « Lettres chi­noises », Actes Sud, Arles, 1991, 64 p., 48 F.

Deux ouvrages sur la Chine ancienne

L’o­pus­cule inti­tu­lé Boud­dhisme, chris­tia­nisme et socié­té chi­noise contient le texte de deux confé­rences pré­sen­tées au Col­lège de France par Erik Zür­cher, un des meilleurs spé­cia­listes de l’his­toire du boud­dhisme chi­nois. La pre­mière tente d’ex­pli­quer les rai­sons du suc­cès de l’im­plan­ta­tion boud­dhiste en Chine, com­pa­ré au rela­tif échec du chris­tia­nisme. Réfu­tant cer­taines inter­pré­ta­tions, notam­ment l’i­dée selon laquelle la doc­trine boud­dhiste aurait été plus acces­sible à la men­ta­li­té tra­di­tion­nelle chi­noise, Erik Zür­cher cherche la clé du phé­no­mène dans le mode de dif­fu­sion des deux reli­gions : l’ex­pan­sion du boud­dhisme s’est effec­tuée de proche en proche, à tra­vers la for­ma­tion de com­mu­nau­tés locales, sans coor­di­na­tion et sans auto­ri­té clé­ri­cale. Et c’est, para­doxa­le­ment, le carac­tère for­te­ment orga­ni­sé et diri­gé du chris­tia­nisme en Chine qui a été un obs­tacle à son assimilation.

La deuxième confé­rence, en s’ap­puyant sur un recueil de bio­gra­phies de reli­gieuses émi­nentes com­pi­lé au VIe siècle, jette quelques lumières sur le sta­tut et la per­son­na­li­té des nonnes boud­dhistes, dont cer­taines se dis­tin­guèrent par leur science, leur ascé­tisme, leurs dons sur­na­tu­rels ou leurs talents d’organisatrices.

Dans La Chine de la Royau­té à l’Em­pire, recueil de « lec­tures en Sor­bonne », Flo­ra Blan­chon résume en cinq cha­pitres d’une écri­ture claire et alerte l’é­tat actuel du savoir sur la Chine antique, des ori­gines mythiques jus­qu’à l’u­ni­fi­ca­tion impé­riale. L’ou­vrage, qui intègre les don­nées de l’ar­chéo­lo­gie, est agré­men­té de nom­breux sché­mas et illus­tra­tions et com­porte plu­sieurs annexes très utiles : une chro­no­lo­gie som­maire, une carte des divi­sions admi­nis­tra­tives de la Chine actuelle, une courte biblio­gra­phie et un index de mots et de noms propres en trans­crip­tion pinyin et en idéo­grammes. Ce petit livre, qui doit être sui­vi d’un second volume trai­tant de la période des Han aux Song, est d’un inté­rêt péda­go­gique cer­tain. On peut seule­ment déplo­rer son prix éle­vé que jus­ti­fie sans doute l’in­ser­tion d’illus­tra­tions en couleurs.

Isa­belle Rabut.

Zür­cher Erik. Boud­dhisme, Chris­tia­nisme et socié­té chi­noise. Jul­liard, « Confé­rences, essais et leçons du Col­lège de France », Paris, 1990, 96 p., 60 F.

Blan­chon Flo­ra. La Chine de la Royau­té à l’Em­pire. Presses de l’U­ni­ver­si­té de Paris-Sor­bonne, « Lec­tures en Sor­bonne », Paris, 1990, 208 p. Index., biblio., illus­tr., 95 F.

Littérature chinoise (II)

Les cahiers Ulysse, fin de siècle, ont consa­cré leur der­nière livrai­son au cou­rant de la poé­sie « obs­cure » chi­noise. Dans une édi­tion très soi­gnée, l’é­di­teur nous pro­pose un choix d’œuvres de Bei­dao, Gu Cheng, Mangke et Yang Lian, tra­duites par Chan­tal Chen-Andro et Annie Curien, et dont le texte chi­nois a été inté­gra­le­ment repro­duit. On regret­te­ra, tou­te­fois, le par­ti pris qui a consis­té à gom­mer toute dimen­sion poli­tique à ce tra­vail : les notices bio­gra­phiques signalent que les auteurs ont per­du leur emploi à la fin des années 70 mais sans en signa­ler les rai­sons. Or il se trouve que les auteurs, Bei­dao et Mangke notam­ment, ont été des pro­ta­go­nistes actifs du pre­mier « Prin­temps de Pékin » Ceci, bien évi­dem­ment, expli­quant cela.

Du Daxin

Quatre poètes chi­nois : Bei­dao, Gu Cheng, Mangke et Yang Lian. Tra­duc­tion Chan­tal Chen-Andro et Annie Curien. Cal­li­gra­phies : Cahier Ulysse, fin de siècle, n°27 – 28, Plom­bières-lès-Dijon, 1991, biblio., 128 p.

Actualité de Castoriadis

Chris­tian Bour­gois vient de reprendre, en un seul volume, les deux tomes de La Socié­té bureau­cra­tique de Cor­neille Cas­to­ria­dis qu’il publia naguère dans la col­lec­tion de poche « 1018 ». L’au­teur n’a appor­té à son texte (une col­lec­tion d’ar­ticles, rap­pe­lons-le, parus pour la plu­part dans la revue Socia­lisme ou Bar­ba­rie entre 1946 et 1964) aucune modi­fi­ca­tion. Il s’est conten­té d’ad­joindre à l’en­semble un essai de 1987 sur « L’In­ter­lude Gor­bat­chev », com­mu­ni­ca­tion pré­sen­tée à un col­loque qui s’est tenu à New York, et dont de larges extraits avaient parus en fran­çais dans le quo­ti­dien Libé­ra­tion (novembre 1987). Sans illu­sion, semble-t-il, sur son époque et sur l’ac­cueil véri­table qu’on réser­ve­ra à cette nou­velle édi­tion, Cas­to­ria­dis constate dans la pré­face à cette nou­velle édi­tion « que l’in­té­rêt public pour […] toute ana­lyse cri­tique de la socié­té où nous vivons liée à un pro­jet de trans­for­ma­tion sociale [s’est] pra­ti­que­ment évanoui ».

Au même moment, les édi­tions du Seuil ont sor­ti, sous le titre Le Monde mor­ce­lé, le volume III des Car­re­fours du laby­rinthe. Comme les deux volumes qui l’ont pré­cé­dé (même édi­teur, 1978 et 1986), Le Monde mor­ce­lé ras­semble dif­fé­rentes études récentes, dont cer­taines encore inédites, qui donnent un aper­çu de la diver­si­té des domaines inves­tis par Cas­to­ria­dis, et qui annoncent deux ouvrages en chan­tier, La Créa­tion humaine et L’Élé­ment ima­gi­naire . Encore que le fil direc­teur appa­raisse clai­re­ment. Comme on peut le lire, en qua­trième de cou­ver­ture, «… il n’est point de poli­tique pou­vant être direc­te­ment déduite de la phi­lo­so­phie. Mais l’ac­ti­vi­té phi­lo­so­phique, la réflexion cri­tique, l’in­ter­ro­ga­tion qui ne per­met à rien de l’ar­rê­ter a, comme telle, une por­tée émi­nem­ment politique ».

L’ou­vrage édi­té par Gio­va­ni Busi­no, « en témoi­gnage d’a­mi­tié et de gra­ti­tude », tra­duit aus­si cette varié­té, et le savoir ency­clo­pé­dique de cet « Aris­tote en cha­leur » (Edgar Morin dixit). Les contri­bu­tions de trente auteurs, rédi­gées en fran­çais, en anglais, en alle­mand ou en ita­lien, pré­sentent, voire cri­tiquent, les vues de Cas­to­ria­dis en matière d’é­thique, de poli­tique, de phi­lo­so­phie ou bien encore de psy­cha­na­lyse. Le livre se clôt sur un texte écrit pour l’oc­ca­sion par celui qu’on célèbre, sur le tra­vail accom­pli et le che­min qui reste à par­cou­rir, en forme de réponse géné­rale à ceux qui lui rendent hom­mage, ce qui se tra­duit par­fois par des mises au point sévères (ain­si en va-t-il pour Agnès Heller).

Mais nous revien­drons cer­tai­ne­ment sur ces livres dans une pro­chaine livrai­son d’Iztok.

She­vy­rev

Cas­to­ria­dis Cor­ne­lius. La Socié­té bureau­cra­tique. Chris­tian Bour­gois édi­teur, 1990, 496 p., 170 F.

Cas­to­ria­dis Cor­ne­lius. Le Monde mor­ce­lé (les car­re­fours du laby­rinthe III). Seuil, coll. « la cou­leur des idées », 284 p., 130 F.

Busi­no Gio­va­ni (éd.), Auto­no­mie et auto­trans­for­ma­tion de la socié­té : la phi­lo­so­phie mili­tante de Cor­ne­lius Cas­to­ria­dis. Librai­rie Droz, Genève, 524 p., biblio., 440 F.

Marx et la question juive

Voi­là un livre — Marx anti­sé­mite ? — qui devrait faire plai­sir aux adver­saires achar­nés de Marx et tout par­ti­cu­liè­re­ment à ceux d’entre eux qui sont anar­chistes (les­quels oublient sou­vent de rap­pe­ler ce mot de Prou­dhon : « Par le fer, ou par la fusion, ou par l’ex­pul­sion, il faut que le juif dis­pa­raisse […]. La haine du juif comme de l’An­glais doit être notre foi politique.).

La thèse de Kaplan est la sui­vante : Marx est l’exemple type du Juif anti­sé­mite, et, en cer­taines occa­sions (lors­qu’il était en proie à des dif­fi­cul­tés finan­cières, par exemple), il a même som­bré dans un anti­sé­mi­tisme déli­rant. Cet anti­sé­mi­tisme trouve plu­sieurs expli­ca­tions, ain­si le mépris affi­ché par Marx pour le com­merce. Mais il est éga­le­ment des rai­sons plus pro­fondes, qui sont, elles, d’ordre cultu­rel : l’ap­par­te­nance au peuple juif fait hor­reur à Marx parce que pour lui le peuple juif est un peuple sans culture. À l’ap­pui de sa thèse, Kaplan pré­sente un impres­sion­nant arse­nal de cita­tions, emprun­tées notam­ment à la cor­res­pon­dance de Marx.

Pour un juge­ment contraire, on pour­ra tou­jours se repor­ter aux gloses por­tées par Maxi­mi­lien Rubel en marge de son édi­tion de La Ques­tion juive (Karl Marx, Œuvres, Phi­lo­so­phie, t. III, « Biblio­thèque de la Pléiade », Paris, 1982), Maxi­mi­lien Rubel dont Kaplan écrit qu’il « nous offre sans doute l’é­ven­tail com­plet des argu­ments qu’on peut trou­ver pour nier l’an­ti­sé­mi­tisme » de Marx.

Sur le sujet, on pour­ra aus­si se réfé­rer à l’ou­vrage d’En­zo Tra­ver­so, récem­ment paru, Les Mar­xistes et la ques­tion juive. L’au­teur se pro­pose de recons­ti­tuer ce qu’a été, un siècle durant, le débat sur judaïsme et socia­lisme par­mi les théo­ri­ciens se récla­mant de Marx (qu’ils fussent juifs ou non). Et, à cette fin, il passe en revue l’es­sen­tiel de ce qui s’est dit ou écrit sur le sujet entre 1843 et 1943, c’est-à-dire depuis La Ques­tion juive de Marx (1843) jus­qu’à La Concep­tion maté­ria­liste de la ques­tion juive d’A­bra­ham Léon (1942 – 43), en pas­sant par des textes de Vic­tor Adler, Otto Bauer, Kauts­ky, Lénine, Rosa Luxem­bourg ou Staline.

She­vy­rev

Kaplan Fran­cis. Marx anti­sé­mite ? Ima­go-Bels Inte­ma­tio­nal, Paris, 1990, 190p., 110 F.

Tra­ver­so Enzo. Les Mar­xistes et La ques­tion juive : his­toire d’un débat (1843- 1943). Pré­face de Pierre Vidal-Naquet, la Brèche-PEC, Paris, 1990, 324p., 140 F.

Sur Marx

En par­tant d’une thèse qui lui tient visi­ble­ment à cœur, cette ano­ma­lie qui ferait que Marx ne traite de la concur­rence qu’à par­tir du Livre III du Capi­tal, et de la thèse — sienne éga­le­ment — de l’im­pos­si­bi­li­té pour Marx d’ex­po­ser sa « théo­rie du mode de pro­duc­tion capi­ta­liste » (soit l’im­pos­si­bi­li­té d’un expo­sé dia­lec­tique du Capi­tal), Jacques Bidet se pro­pose, dans un essai sur « Marx et le mar­ché », d’in­sé­rer le mar­xisme dans le para­digme plus large de la moder­ni­té. Du reste, le texte est édi­té conjoin­te­ment avec un autre essai, « Théo­rie de la moder­ni­té », qui se veut, lui, une réin­ter­pré­ta­tion de Rawls et d’Ha­ber­mas, et qui donne son titre à l’en­semble. Mal­gré un inté­res­sant pas­sage sur l’«école de la régu­la­tion » (p.213 sq.), école à laquelle Bidet pré­tend four­nir un fon­de­ment, on aura tou­te­fois bien du mal à suivre l’au­teur jus­qu’au bout de sa démons­tra­tion : Bidet sacri­fie trop volon­tiers à un jacas­sin dont on croyait qu’il ne se pra­ti­quait plus, et son lec­teur en arri­ve­rait presque à regret­ter le style des dis­ser­ta­tions qu’on lui ser­vait naguère du côté de la rue d’Ulm.

She­vy­rev

Bidet Jacques. Théo­rie de la moder­ni­té — Marx et le mar­ché. Coll. « Ques­tions », PUF, Paris, 1990, 316 p., 172 F.

Bakounine, une biographie

La bio­gra­phie que Made­leine Gra­witz a consa­crée à Bakou­nine n’est pas — certes non — une bio­gra­phie intel­lec­tuelle. L’au­teur s’est avant tout atta­ché à suivre, pas à pas, l’in­di­vi­du. Mais cette vie de Bakou­nine n’en est pas pour autant, comme on pour­rait le craindre, un simple recueil d’a­nec­dotes : Made­leine Gra­witz replace minu­tieu­se­ment cha­cune des situa­tions dans son contexte historico-social.

Il est dom­mage que la biblio­gra­phie don­née en fin de volume soit un peu trop ellip­tique, dès lors qu’elle n’est plus géné­rale : ain­si, s’a­gis­sant de l’af­faire Net­chaïev et de la pater­ni­té du « Caté­chisme révo­lu­tion­naire », aux­quelles Made­leine Gra­witz consacre un assez long pas­sage, seuls les noms des auteurs sont signa­lés. Ce qui ne faci­li­te­ra pas les recherches de qui vou­dra s’y repor­ter. Mais peut-être ne faut-il voir là que l’ef­fet des contraintes édi­to­riales : en l’é­tat, l’ou­vrage est déjà gros de plus de 600 pages…

She­vy­rev

Gra­witz Made­leine. Bakou­nine. Plon, Paris, 1990, 622 p. Illus., biblio., notices bio-gra­phiques, chro­no­lo­gie. 200 F.

Le syndicalisme en Europe

L’é­tude com­pa­rée des sys­tèmes natio­naux, à quelque domaine qu’on s’at­taque, pose d’é­ter­nels pro­blèmes métho­do­lo­giques : doit-on tra­quer les dif­fé­rences ou au contraire déga­ger les points com­muns ? En d’autres termes, faut-il pri­vi­lé­gier la logique socié­tale ou mettre en évi­dence la logique de l’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion des sys­tèmes sociaux ? Michel Lau­nay mêle les deux approches : ce sont aus­si bien les ten­dances géné­rales de l’his­toire qui sont retra­cées ici que la sen­si­bi­li­té aux cas natio­naux. Si l’ou­vrage se pré­sente comme une his­toire du syn­di­ca­lisme en Europe — trois périodes sont dis­tin­guées, les deux conflits mon­diaux mar­quant les rup­tures : 1900 – 1914, 1914 – 1945, 1945 à aujourd’­hui —, il dépasse le cadre d’une simple approche chro­no­lo­gique et l’au­teur se livre aus­si à une ana­lyse des grands modèles syn­di­caux, le fait syn­di­cal étant per­çu en tant que phé­no­mène total. Il est aus­si ques­tion — et c’est la rai­son pour laquelle l’ou­vrage est men­tion­né ici — des pays de l’Est et de leurs orga­ni­sa­tions syn­di­cales, offi­cielles et moins officielles.

She­vy­rev

Lau­ney MicheL Le Syn­di­ca­lisme en Europe. Conclu­sion de René Mou­riaux. Coll. « Notre siècle », Impri­me­rie natio­nale, Paris, 1990, biblio., index, 506 pp. 190 F.

Shanghai, au temps des concessions

Décor­ti­queurs de riz et mar­chands d’o­ranges d’hi­ver, devins et autres her­bo­ristes, tein­tu­riers ou fabri­cants de fils de soie à coudre, cerfs-volants et jouets, mobi­liers et outils… Tels sont quelques-uns des thèmes qui ont ins­pi­ré les cent vingt-quatre cro­quis en cou­leurs qui forment cet album post­hume de Jean Mal­val, images des rues de Shan­ghai sai­sies durant les années trente, au temps où l’au­teur y vivait. Chaque des­sin est accom­pa­gné d’une légende, et l’en­semble est attachant.

Du Daxin

Mal­val Jean. Rues de Shan­ghai au temps des conces­sions. Cas­ter­man, coll. « Images », Paris, 1989, 94 pages (prix non indiqué).

Tranche de vie

Ama­teur de trains, comme on le savait déjà par ses pré­cé­dentes œuvres, Paul The­roux a sillon­né de long en large, et « à petite vapeur », l’es­pace chi­nois. Cela a don­né un jour­nal de voyage — ou plus exac­te­ment un jour­nal tout court, car The­roux confie que ses péré­gri­na­tions ayant duré si long­temps, elles ont ces­sé d’être un voyage pour deve­nir une phase de sa vie — où l’au­teur consigne lon­gue­ment les pro­pos échan­gés avec les Chi­nois ordi­naires qu’il a croi­sés en route. On ne sau­rait que recom­man­der la lec­ture de ce livre, qui dis­pense d’ou­vrir la plu­part des ouvrages savants que nous assènent régu­liè­re­ment les spé­cia­listes de la Chine et qui à l’a­van­tage sur eux de révé­ler, pour le pays et ceux qui le peuplent, un véri­table amour.

Du Daxin

The­roux Paul. La Chine à petite vapeur. Trad. de l’an­glais par Anne Damour, Gras­set, Paris, 1989, 528 p., 139 F.

  • 1
    Une adap­ta­tion de cet ouvrage, com­plé­tée par d’autres maté­riaux, a été don­née par Jean-Jacques Gan­di­ni sous le titre : Aux sources de la révo­lu­tion chi­noise : les anar­chistes (contri­bu­tion his­to­rique 1902 – 1927), Ate­lier de créa­tion liber­taire, Lyon, 1986, 180 p.

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