La Presse Anarchiste

Croisade contre le suicide

Pour mettre fin à une épi­dé­mie de sui­cides qui a été consta­tée récem­ment dans plu­sieurs grandes villes d’Italie, et notam­ment à Naples, un jour­nal romain ouvre une croi­sade contre le sui­cide et lance un appel à toutes les forces Intel­lec­tuelles et Spi­ri­tuelles pour la dif­fu­sion, sur­tout par­mi les jeunes, des prin­cipes spi­ri­tuels qui sou­lignent com­bien le sui­cide est déplo­rable et absurde.

Remar­quons d’abord que sou­li­gner l’absurdité du sui­cide est à peu près aus­si effi­cace que faire une leçon de pro­pre­té à des enfants qui habitent un taudis.

Employons donc une méthode de plus rigou­reuse, celle du pra­ti­cien qui, en pré­sence d’une mala­die, en étu­die l’évolution, s’efforce d’en déce­ler les causes, pour pres­crire en conclu­sion un trai­te­ment approprié.

Pour ne pas être sur­pris par les faits signa­lés, il faut avoir vu ces grandes villes d’Italie où voi­sinent le luxe le plus inutile et la misère la plus poi­gnante. Il faut avoir par­cou­ru cette Cam­pa­nie luxu­riante où les grands pro­prié­taires et l’Eglise courbent toute une popu­la­tion sous un joug féroce. Il faut avoir vu Naples : les somp­tueuses vil­las du Pau­si­lippe et les ruelles sor­dides du port, le grouille­ment de ses « Scius­cias » délu­rés et famé­liques, accro­chés en grappes à l’arrière des tram­ways ou endor­mis sur le seuil des mai­sons ; Naples où, sans le soleil, « les choses ne seraient que ce qu’elles sont » : un éta­lage médié­val de détresses, une preuve de la sot­tise et de la rapa­ci­té des hommes, qui, sous un cli­mat idéal et par­mi une végé­ta­tion de Para­dis ter­restre, n’ont réus­si qu’à orga­ni­ser l’inégalité sociale et la misère.

En Ita­lie, comme ailleurs, le peuple paie des années de fas­cisme et de guerre, les des­truc­tions, l’occupation mili­taire, la sur­po­pu­la­tion et l’obscurantisme entre­te­nu par un cler­gé tout-puissant.

Les sys­tèmes ner­veux sont for­te­ment ébran­lés. La guerre pas­sée, la guerre future, le chau­vi­nisme, l’agitation, un tra­vail de robots, l’alcoolisme, les tau­dis, l’alimentation nocive ou insuf­fi­sante, la vio­lence dans les actes et dans les paroles, les men­songes de la presse et de la radio, la rési­gna­tion ensei­gnée par l’Eglise : autant de fac­teurs géné­ra­teurs de névroses et de dis­so­lu­tion de la force vitale des individus.

Au bout de la course, dans le fra­cas de tout un sys­tème qui s’écroule, Dieu ne répond plus. Les prières, les cierges, les ex-votos, les pèle­ri­nages ne relèvent pas les ruines, ne gué­rissent pas les tuber­cu­leux, ne for­ti­fient pas les enfants éle­vés sans hygiène, ne sup­priment pas le chô­mage. La cha­ri­té des pri­vi­lé­giés ne sou­lage plus les pauvres.

Alors, on ne sait plus… La seule solu­tion de déses­poir est le suicide.

Contre cette démis­sion, la seule pro­pa­gande utile sera celle des « paci­fiques » que nous sommes, de ceux pour qui l’objection de conscience com­mence dans le tra­vail, de ceux qu’anime une foi inébran­lable dans les pos­si­bi­li­tés humaines.

Les jeunes veulent vivre et vivre heu­reux. Les aînés portent la res­pon­sa­bi­li­té de leurs fai­blesses, de leurs défauts ou de leurs vices, parce qu’ils leur ont légué le lourd héri­tage d’une socié­té régie par l’égoïsme et la loi de la jungle.

Orga­ni­sons un monde viable où le chiffre de la popu­la­tion sera pro­por­tion­né aux res­sources de la pla­nète. Appre­nons aux jeunes le renon­ce­ment aux faux besoins, don­nons-leur le sens des vraies richesses et le goût du tra­vail utile.

Appre­nons-leur à ne comp­ter que sur eux-mêmes et non sur une Providence.

Certes, le vais­seau de l’humanité est aban­don­né sur une mer démon­tée. Il fait eau de toutes parts. Mais le phare de la « Rai­son » éclaire à l’horizon et sou­tient dans la tour­mente ceux qui n’ont pas encore per­du l’instinct de conser­va­tion et ne veulent pas som­brer, sachant que la terre habi­table reste pro­mise à ceux qui trou­ve­ront en eux-mêmes et en eux seuls la volon­té de l’atteindre.

[/​Denise Roman-Michaud/​]

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