Oui, Camarade Henriette Marc, il est encore, temps de parler de la guerre. On aura toujours le droit d’en parler tant qu’il y aura des arsenaux et des armées, des ouvriers dans les arsenaux, des soldats aux armées et des hommes et des femmes pour supporter ces ouvriers et ces soldats.
Puisque la belle lumière pure qu’il faudrait pour guérir les haines est plus rare que le radium de Mme Curie, puisque le mal est immense, nous devons à cette lumière, de l’alimenter sans répit de nos paroles et de nos actes.
Pour moi, il y eut un temps, je l’avoue, où il me sembla trop tard et ridicule de parler de guerre. Ce fut après « leur grande », quand, aux premiers jours de paix, on entendit cette phrase, qui n’est au fond qu’une phrase de lâche s’excusant par un crime commis, d’une noble idée trop tard venue « Moi qui en reviens », je leur répondais « tu oses le dire ». Mais ils gueulaient si fort, avec la belle allure qu’ils avaient prise pour devenir assassins ! Oui, en ce moment-là, je souffrais d’entendre parler, fût-ce de paix, j’aurais voulu le silence montrant qu’ils étaient atterrés, et qu’ils comprenaient enfin.
Mais, puisque tout a été, puisqu’ils l’ont faite, tous, hommes et femmes, peut-être la douleur les a‑t-elle rendus sages, peut-être est-il temps de parler ; ainsi permettront-ils à leurs enfants d’entendre le geste qu’ils n’ont pas fait. Car les petits enfants sont là, tout près, et si difficiles à atteindre pourtant. La République a mis quarante-quatre ans pour semer dans les hommes l’idée de la revanche !
Rappelons-nous cette petite tache noire, qu’on regardait distraitement en écoutant parler le maître et qui, un beau jour, sembla fixée, indélébile au cœur des hommes de vingt ans. Rappelons-nous sincèrement ces racines profondes d’amour patriotique qu’il fallut extirper brutalement de l’âme d’abord, puis de toute la chair, pour vivre enfin, dans l’air libre de notre pensée. N’oublions pas qu’aux heures les plus belles du jour, on greffe dans l’esprit des enfants, les mêmes plantes empoisonnées. Et sachons bien que la propagande anarchiste est la seule efficace contre le mal, parce qu’elle seule, dirait le poète, « a mis le cœur au centre ». Oui, la science et l’activité dans l’être même : l’idée anarchiste a deux forces que ne possède aucune doctrine. Sa lumière est individuelle, sa discipline est intérieure. On n’a pas assez dit comment les anarchistes n’ont pas fait la guerre, et comment, sans autre critérium que celui de leur propre conservation et de leur propre beauté, sans autre discipline que celle qui consiste à lier étroitement leurs actes à leur pensée, sans s’être concertés, sans s’être seulement rencontrés au jour de la décision, ils se sont retrouvés, à tous les coins du monde, partout où n’était pas la guerre, cette guerre à laquelle ils ne pouvaient participer, pas plus en embusqués qu’en soldats. Si l’on songe alors combien ils étaient peu nombreux et pouvaient être faibles devant ce déchaînement bestial, on conviendra de la force humaine de la pensée anarchiste.
Imaginons maintenant cette force agrandie, multipliée par la propagande anarchiste elle même, la seule de qui sort vraiment le pur rayonnement d’une pensée pure, puisque n’ayant jamais à se restreindre par raison utilitaire, politique, dictatoriale, elle a pour principale vital son intégrité.
Que deviennent, en face d’elle, toutes ces propagandes qui disent : « Ne publiez donc pas toute votre pensée, vous ferez peur ! » Allons donc ! On n’éclaire pas l’océan pour les poissons, mais pour les marins qui vont très loin dans la tempête et dans l’inconnu. Que dirait-on du gardien du phare qui mettrait des rideaux à sa lanterne ? Ne serait-il pas criminel ? Mais il laisse aller le plus loin possible les masses directes de lumière qui éclaireront le dernier marin perdu, et qu’importe si les poissons se trouvent mal à l’aise en bas du phare !
Et les temps seront beaux, lorsque les femmes, elles aussi, comme leurs compagnons oseront montrer toute cette lumière intérieur qui est en elles, aussi bien que tout comme en eux, mais qu’elles ont pris l’habitude ancestrale de cacher, par peur ou par malice. Quand elles oseront enfin, être des militantes et feront alors mentir Socrate quand il disait : « Les Hommes ont trois âmes, les femmes n’en ont que deux : l’âme supérieure leur manque ». Et cela, par la simple équation suivante, à savoir que
Une anarchiste = un anarchiste.
Hauteclaire