La Presse Anarchiste

Notes bibliographiques

Chine populaire : deux nouveaux dictionnaires biographiques

Sous le titre Per­son­nal­ités chi­nois­es d’au­jour­d’hui, Jacques de Gold­fiem signe un dic­tio­n­naire biographique de la Chine con­tem­po­raine. En langue française, nous pos­sé­dions jusqu’i­ci le livre, déjà ancien, de Hsueh Chun-tu, Les Dirigeants de la Chine révo­lu­tion­naire, 1850–1972 (Cal­mann-Lévy, Paris, 1973), tra­duc­tion d’une œuvre parue deux ans plus tôt aux États-Unis, mais ce n’é­tait pas à pro­pre­ment par­ler un dic­tio­n­naire, plutôt la jux­ta­po­si­tion d’une quin­zaine de cour­tes biogra­phies. Nous dis­po­sions égale­ment, depuis une date plus récente, du vol­ume con­sacré à la Chine — et pub­lié sous la direc­tion de Lucien Bian­co et d’Yves Chevri­er — du  Dic­tio­n­naire biographique du mou­ve­ment ouvri­er inter­na­tion­al (édi­tions ouvrières, Press­es de la Fon­da­tion Nationale des Sci­ences Poli­tiques, Paris, 1985). Rel­a­tive­ment à ce dernier ouvrage, auquel il s’ap­par­ente directe­ment, celui que nous donne Jacques de Gold­fiem offre toute­fois un intérêt nou­veau : au con­traire de ses devanciers, dont la per­spec­tive était résol­u­ment his­torique et poli­tique, Jacques de Gold­fiem a pris le par­ti de ne traiter que de per­son­nal­ités vivantes, et l’on décou­vri­ra, à côté des notices por­tant sur des respon­s­ables poli­tiques, les biogra­phies de per­son­nal­ités appar­tenant aux milieux les plus divers. En out­re, il s’ag­it de per­son­nal­ités chi­nois­es et non pas seule­ment de per­son­nal­ités rési­dant actuelle­ment en Chine pop­u­laire : une place est ain­si réservée à des dis­si­dents réfugiés à l’é­tranger. Mal­heureuse­ment, le livre de Jacques de Gold­fiem se sin­gu­larise aus­si par d’autres aspects.

Pas­sons sur le prob­lème du choix des per­son­nal­ités. Quel tra­vail de ce genre pré­tendrait à l’ex­haus­tiv­ité ? Cri­ti­quer Per­son­nal­ités chi­nois­es d’au­jour­d’hui sur ce point serait d’au­tant plus mal venu qu’on trou­ve, pour la pre­mière fois dans un ouvrage de langue française, des ren­seigne­ments sur des per­son­nal­ités dont cer­taines sont ignorées du grand pub­lic. On s’é­ton­nera néan­moins de cer­taines omis­sions : pourquoi, par exem­ple, n’avoir pas retenu Qian Zhong­shu, qui passe pour­tant pour l’un des plus fins let­trés chi­nois et pour l’une des per­son­nal­ités les plus émi­nentes de la République populaire ?

On ne saurait ne pas cor­riger l’au­teur sur l’une de ses affir­ma­tions intro­duc­tives. L’ou­vrage — qui est com­plété par un index alphabé­tique et un lex­ique thé­ma­tique autorisant une lec­ture non ono­mas­tique du dic­tio­n­naire — présente trois cents per­son­nal­ités, mais l’au­teur cer­ti­fie, un peu téméraire­ment, qu’il per­met « d’ac­céder à des infor­ma­tions sur env­i­ron six cents per­son­nal­ités sup­plé­men­taires ». Or cer­tains noms de l’in­dex ne ren­voient sou­vent à rien d’autre qu’à eux-mêmes. Tel est, nous citons au hasard, le cas des entrées « Lu Lin », « Ren Wand­ing » (et non « Ren Wangding ») ou « Yang Guang » (cf. la notice « Wei Jingsheng »).

Mais ce qu’on reprochera surtout à Jacques de Gold­fiem c’est un usage non cri­tique de ses sources, lesquelles sont des sources de deux­ième main. Il ne suf­fit pas d’ac­tu­alis­er les biogra­phies puisées à des ouvrages de référence, quand bien même ceux-ci sont inac­ces­si­bles au lecteur auquel on s’adresse, encore faut-il s’as­sur­er de la fia­bil­ité de sa doc­u­men­ta­tion. Certes — et ce faisant nous mon­trerons l’in­dul­gence demandée par l’au­teur dans sa pré­face —, la con­fec­tion d’un dic­tio­n­naire de ce genre, surtout lorsqu’elle est aban­don­née aux forces d’un seul homme, relève de la gageure. Mais quelle con­fi­ance accorder générale­ment aux ren­seigne­ments livrés quand on con­state, en assez grand nom­bre, erreurs, omis­sions ou approx­i­ma­tions à pro­pos de noms qui nous sont connus ?

Il est, par déf­i­ni­tion, dif­fi­cile de ren­dre compte par le menu d’un dic­tio­n­naire, car cela sup­poserait une lec­ture com­plète de l’ensem­ble des arti­cles. À for­tiori dans un cadre aus­si lim­ité que le nôtre. Nous nous con­tenterons d’ex­am­in­er — sans cacher ce que notre démarche ren­ferme d’ar­bi­traire — deux notices, les notices con­sacrées à deux indi­vidus dont les noms sont fam­i­liers aux lecteurs d’Iztok : Ba Jin et Wei Jingsheng.

On sait que Boris Sou­varine avait naguère jugé du sérieux d’un ouvrage con­sacré au Con­grès de Tours par ce qu’on qual­i­fiera de «  preuve par Frossard » (cf. Autour du Con­grès de Tours, Champ libre, Paris, 1981). « Com­ment est prénom­mé Frossard ? Réponse : Ludovic ». Le critère est infail­li­ble, dis­ait Sou­varine. (rap­pelons que Frossard se prénom­mait Louis). Nous pour­rions, à pro­pos des dic­tio­n­naires biographiques qui con­cer­nent la Chine invo­quer la « preuve par Ba Jin ». Une légende qui a la vie dure, et Jacques de Gold­fiem s’en fait le porte-voix (à sa décharge con­cé­dons que l’ou­vrage édité par Bian­co et Chevri­er s’ex­pose à la même cri­tique), voudrait en effet que ce nom de Ba Jin ait été for­mé à par­tir des noms de Bak­ou­nine (en chi­nois BA-ku-ning) et de Kropotkine (Ke-lu-paote-JIN). Or Ba Jin a démen­ti à de nom­breuses repris­es cette légende (le car­ac­tère « Ba » lui ayant été inspiré par l’un de ses cama­rades, Ba Enbo).

Mais sur­volons la notice. L’Éthique  de Kropotkine y devient « Développe­ment et source de la logique » ! On apprend qu’une édi­tion, en 25 vol­umes, des œuvres com­plètes de Ba Jin a été pub­liée en 1986 par les édi­tions de la lit­téra­ture du peu­ple de Shang­hai : nous ne con­nais­sons, quant à nous, qu’une seule édi­tion des œuvres com­plètes et elle a été entre­prise, et seule­ment entre­prise, en 1986, non par les édi­tions de la lit­téra­ture du peu­ple de Shang­hai mais par celles de Pékin. Ajou­tons que l’en­tre­prise est loin d’avoir été menée à son terme et qu’en 1990, alors que le livre de Gold­fiem était sous presse, nous n’en étions qu’au vol­ume 13. Le recueil de cor­re­spon­dance évo­qué porte la date de 1987 et non celle de 1988. Ce n’est pas en févri­er 1987, mais déjà en avril 1986 (et peut-être même en févri­er), que Ba Jin s’est pronon­cé pour la créa­tion d’un « Musée de la Révo­lu­tion cul­turelle ». Quant à la bib­li­ogra­phie des tra­duc­tions français­es, l’au­teur aurait eu intérêt à met­tre à jour ses fich­es qui, à l’év­i­dence, ne vont pas au-delà de l’an­née 1981 (la référence à l’édi­tion d’Automne sem­blant n’avoir été rajoutée qu’in extrem­is) : aux neuf titres réper­toriés, on en ajouterait sans dif­fi­culté une bonne quinzaine.

Repor­tons-nous main­tenant à la notice « Wei Jing­sheng ». Pas­sons sur les détails : Wei Jing­sheng, comme du reste son prénom le sug­gère (« né dans la cap­i­tale »), n’a pas vu le jour dans l’An­hui, dont sa famille est orig­i­naire, mais à Pékin ; il n’est pas le fon­da­teur, mais l’un des fon­da­teurs, du célèbre Comité d’ac­tion unie [lian­dong]. C’est surtout sur des ques­tions d’or­dre bib­li­ographique que nous souhai­te­ri­ons insis­ter ici. Pourquoi ren­voy­er à Un bol de nids d’hi­ron­delles ne fait pas le print­emps de Pékin (Chris­t­ian Bour­go­is, Paris, 1980) à pro­pos du texte inti­t­ulé « Pro­pos som­maires sur la délin­quance juvénile en Chine » et ne pas rap­pel­er qu’on y lira aus­si l’ar­ti­cle le plus fameux de Wei sur la « Cinquième mod­erni­sa­tion », lequel est sig­nalé lui aus­si sans autre pré­ci­sion ? Jacques de Gold­fiem se serait au demeu­rant sim­pli­fié la tâche en indi­quant que ladite antholo­gie con­te­nait les prin­ci­pales œuvres de Wei. Pourquoi, alors que dans un ouvrage aus­si général la place est néces­saire­ment comp­tée pour les bib­li­ogra­phies par­ti­c­ulières, fournir deux références dif­férentes pour un même texte, les « min­utes du procès » de Wei ? Pourquoi, enfin, alors qu’on s’at­tache à retrac­er la vie d’un indi­vidu, ne pas nom­mer l’ex­is­tence d’une auto­bi­ogra­phie, surtout quand elle fig­ure dans un livre qu’on men­tionne par ailleurs (Procès poli­tiques à Pékin, petite col­lec­tion Maspero, Paris, 1981) ?

Wolf­gang Bartke, qui est déjà l’au­teur de Who’s Who in the Peo­ple. Repub­lic of Chi­na (troisième édi­tion, K. G. Saur, Munich, 1990) et qui avait naguère pub­lié avec Peter Schi­er Chi­na’s New Par­ty Lead­er­ship (Macmil­lan Press, 1985) nous offre un Bio­graph­i­cal Dic­tio­nary and Analy­sis of Chi­na’s Par­ty Lead­er­ship : 1922–1988. La pre­mière par­tie de l’ou­vrage, la plus impor­tante en nom­bre de pages puisqu’elle représente à elle seule près des trois quarts du vol­ume, con­tient les fich­es biographiques des 1.094 cadres qui ont siégé, en qual­ité de mem­bre ou de mem­bre sup­pléant, au Comité cen­tral du Par­ti com­mu­niste chi­nois entre 1922 et 1988, qu’ils soient décédés ou tou­jours en vie. Chaque fiche suit le même mod­èle : état civ­il (éventuelle­ment : statut social des par­ents et indi­ca­tion de la minorité eth­nique d’o­rig­ine), études, fonc­tions, évo­lu­tion de car­rière. En sorte que l’im­por­tance his­torique de la per­son­nal­ité n’in­ter­vient pas de façon déter­mi­nante dans la longueur de la notice : celle qui est con­sacrée à Mao, par exem­ple, tient sur une colonne. Les biogra­phies sont, éventuelle­ment, com­plétées par de très brèves remar­ques et elles sont accom­pa­g­nées, dans un peu plus de la moitié des cas, d’une ou de plusieurs pho­togra­phies pris­es à des dates dif­férentes (776 pho­togra­phies pour 539 des 1.094 per­son­nal­ités présentées).

Mais ce n’est pas sim­ple­ment un dic­tio­n­naire biographique, que Wolf­gang Bartke nous pro­pose. Dans le deux­ième volet de son tra­vail, l’au­teur four­nit à son lecteur les élé­ments d’une lec­ture trans­ver­sale du dic­tio­n­naire qui sont autant d’élé­ments per­me­t­tant une soci­olo­gie de la direc­tion du Par­ti com­mu­niste chi­nois. Cette par­tie con­siste, en effet, en une analyse som­maire des don­nées qui vien­nent d’être livrées à l’é­tat brut, à pro­pos, d’une part, des bureaux poli­tiques, à pro­pos, d’autre part, des comités centraux.

Clair et pré­cis, émail­lé de nom­breux tableaux de syn­thèse obtenus par croise­ment des don­nées, présen­té de façon irréprochable — on ne saurait trop van­ter la qual­ité de l’édi­tion —, le livre de Bartke se révèle un ouvrage de référence indispensable.

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Gold­feim Jacques de. Per­son­nal­ités chi­nois­es d’au­jour­d’hui. L’Har­mat­tan, col­lec­tion « sinolo­gie », Paris, 1989, 378 p. Index., bib­lio. 210 F.

Bartke Wolf­gang. Bio­graph­i­cal Dic­tio­nary and Analy­sis of Chi­na’s Par­ty Lead­er­ship : 1922–1988. K.G. Saur, München-Lon­don-New York-Paris, XII + 484 pp., pho­togr. Relié, DM 248. [KG. Saur : Post­fach 70 1620, D‑8000 München 70, Allemagne.]

Mao intime

L’au­teur, Quan Yanchi, enfile ici un cer­tains nom­bre d’anec­dotes sur la vie de Mao qui lui ont été con­fiées par Li Yin­qiao, lequel fut, de 1947 à 1962, gorille puis chef des gardes du corps du prési­dent chi­nois. (En fait, ain­si que le remar­que le tra­duc­teur dans sa pré­face, il s’ag­it de la syn­thèse romancée de plusieurs réc­its.) Il n’est pas sûr que l’ad­mi­ra­tion que Li Yin­qiao por­tait à son patron ne déforme un peu son sou­venir. Toute­fois, les témoignages directs sur la vie de Mao avant la « Révo­lu­tion cul­turelle » étant on ne peut plus rares, la rela­tion de Li Yin­qiao n’en offre que plus d’in­térêt. Mal­gré cer­taines longueurs (ces pas­sages, notam­ment, où l’on insiste un peu lour­de­ment sur les effets provo­qués sur l’or­gan­isme par l’inges­tion des hari­cots secs), elle nous livre quelques détails qui réjouiront les ama­teurs : par exem­ple, une rela­tion imprévue du con­flit qui opposa Mao à Peng Dehui au plenum de Lushan et une ver­sion inédite de l’o­rig­ine du mot célèbre : « « La Com­mune pop­u­laire c’est bien ! » [ren­min gong­she hao !]

La tra­duc­tion, agréable à lire et sobre­ment annotée, a été com­plétée par un utile who’s who des per­son­nages qui appa­rais­sent dans le texte.

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Quan Yanchi. Mao intime : le chef de ses gardes du corps racon­te… Traduit du chi­nois, pré­facé et annoté par Roger Dar­robers. Édi­tions du Rocher, Jean-Paul Bertrand, Mona­co, 1991, 238 pp, 130 F.

Deux ouvrages sur la Chine contemporaine

La Chine au XXe siè­cle con­stitue le deux­ième volet d’un tra­vail con­sacré à la Chine mod­erne et à la Chine con­tem­po­raine (le pre­mier vol­ume allait de 1895 à 1949). Mais il ne s’ag­it pas seule­ment d’un livre sur la Chine pop­u­laire et sur les Han : les édi­teurs ont eu la bonne idée d’in­té­gr­er à leur champ une étude sur les eth­nies minori­taires, une étude sur Hong Kong et une autre sur Tai­wan. La péri­ode con­sid­érée est celle qui s’é­tend de la « Libéra­tion » (1949) à 1989. Divers sino­logues français ou alle­mands ont par­ticipé à l’ou­vrage : out­re ceux des édi­teurs, Marie-Claire Bergère, Lucien Bian­co et Jür­gen Domes, on relève les noms de Jacques Andrieu, Claude Aubert, Françoise Aubin, Michel Bon­nin, Yves Chevri­er, François Gode­ment, Jacques Guiller­maz, Her­man Hal­beisen, Wern­er Meiss­ner et Eber­hard Sand­schnei­der. Les con­tri­bu­tions con­cer­nant la Chine pop­u­laire se dis­tribuent en deux par­ties : l’une est con­sacrée à l’évo­lu­tion poli­tique, l’autre s’at­tache aux change­ments sur­venus dans les domaines de l’é­conomie, de la société et de la cul­ture. Une troisième par­tie envis­age enfin les rela­tions de la Chine avec le reste du monde. On con­sul­tera avec intérêt les deux arti­cles de Jür­gen Domes, et notam­ment celui où il retrace, dans un exposé remar­quable­ment limpi­de, l’ac­ces­sion au pou­voir de Deng Xiaop­ing et ses dix années de règne. Une men­tion spé­ciale aus­si pour les textes de Claude Aubert, sur l’a­gri­cul­ture, et de Jacques Andrieu, sur le mou­ve­ment des idées.

Des généra­tions d’ap­pren­tis sino­logues ont abor­dé l’his­toire de la Chine pop­u­laire par la somme, désor­mais clas­sique, de Jacque Guiller­maz, Le Par­ti com­mu­niste chi­nois au pou­voir (Pay­ot, Paris, 1972. Plusieurs réédi­tions com­plétées). L’œu­vre de Guiller­maz, en tous points remar­quable, déroute toute­fois les non spé­cial­istes, ou les demi-spé­cial­istes, par la pro­fu­sion de détails et par un style par­fois aride. Depuis deux ans déjà, nous dis­po­sions, avec l’ou­vrage de Marie-Claire Bergère, d’un manuel qui allie clarté dans l’ex­posé et fia­bil­ité. Épuisé, il vient d’être repris — heureuse ini­tia­tive — par l’édi­teur, dans une ver­sion refon­due et actu­al­isée puisqu’elle s’é­tend aux événe­ments de la place Tian’an­men du print­emps 1989. C’est en fait la fin du manuel qui a été remaniée : le dernier chapitre a été scindé en deux, le tout ayant été net­te­ment étof­fé. On se prend à regret­ter, toute­fois, que les dix chapitres précé­dents n’aient pas été cor­rigés pour l’oc­ca­sion et que quelques coquilles con­tin­u­ent d’en­tach­er cer­tains pas­sages (par exem­ple, à la page 92, au dernier para­graphe, c’est bien sûr de « juil­let 1959 » dont il est ques­tion et non de « juil­let 1956 »).

Qu’on ne se méprenne pas : l’ou­vrage de Marie-Claire Bergère est certes un manuel et il se plie stricte­ment aux lois du genre, mais il ne s’ag­it nulle­ment pour autant d’une rela­tion plate et asep­tisée des événe­ments sur­venus en Chine depuis la fon­da­tion de la République pop­u­laire. Le texte est com­plété par des annex­es biographiques con­cer­nant les prin­ci­paux acteurs de l’his­toire chi­noise et si, con­for­mé­ment aux canons de la col­lec­tion dans laque­lle il paraît, il ne com­porte pas de notes bib­li­ographiques infra­pag­i­nales, des références détail­lées sont indiquées, chapitre par chapitre, en fin de vol­ume. Il est doté aus­si d’une solide bib­li­ogra­phie générale et d’une chronologie.

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Bergère Marie-Claire, Bian­co Lucien et Domes Jür­gen (éds). La Chine au XXe siè­cle, de 1949 à aujour­d’hui. Fayard, 1990, 448 p., tableaux, cartes, chronolo­gie, bib­lio. et index, 150 F.

Bergère Marie-Claire. La République pop­u­laire de Chine de 1949 à nos jours. Col­lec­tion « U. His­toire », Armand Col­in, 1989, 334 p., 130 F.

L’économie de la Chine

Chi­nese State Enter­pris­es : A Region­al Prop­er­ty Rights Analyse, un livre de David Granik, se fonde essen­tielle­ment sur des matéri­aux élaborés par l’A­cadémie des sci­ences sociales de Chine et la Banque mon­di­ale qui cou­vrent la péri­ode 1975–1984, vingt études de cas por­tant sur (les entre­pris­es indus­trielles d’É­tat de moyenne ou grande impor­tance. Sur cette base, l’au­teur, pro­fesseur d’é­cono mie à l’U­ni­ver­sité de Wis­con­sin (Madi­son) et spé­cial­iste des prob­lèmes indus­triels de l’URSS et des pays de l’Est, s’at­tache ici à prou­ver que le mod­èle indus­triel chi­nois présente une grande orig­i­nal­ité rel­a­tive­ment au mod­èle indus­triel clas­sique de type soviétique.

Cette orig­i­nal­ité tient en cinq points : des plans de pro­duc­tion peu direc­tifs et dont l’ac­com­plisse­ment ne présente aucune dif­fi­culté par­ti­c­ulière ; la pos­si­bil­ité de dis­pos­er d’ar­ti­cles alloués en dehors du sys­tème d’al­lo­ca­tion ; l’ex­is­tence, dans une même région, de prix mul­ti­ples pour un même pro­duit ; des entre­pris­es super­visées à dif­férents éch­e­lons ; la nature du con­trôle que la nomen­klatu­ra exerce quant à la nom­i­na­tion des directeurs et des secré­taires du Par­ti dans les entre­pris­es. (Il ajoute une six­ième car­ac­téris­tique, qui con­cerne cette fois l’al­lo­ca­tion du tra­vail et la déter­mi­na­tion des salaires, et qui est imputable au car­ac­tère sous-dévelop­pé de la Chine.) Pour Granik, la clef du mys­tère doit être recher­chée par le biais d’une analyse des droits de pro­priété régionaux. La rai­son de cette orig­i­nal­ité tient en effet aux rap­ports de pro­priété qui lient les corps gou­verne­men­taux régionaux entre eux, et aux rap­ports de pro­priété qui lient les corps régionaux au gou­verne­ment cen­tral. On décou­vre alors que les niveaux régionaux gou­verne­men­taux sont plus que de sim­ples rouages hiérarchiques.

Le tra­vail de Granik, autant le pré­cis­er d’emblée, n’est pas, pour le pro­fane, d’une lec­ture facile. L’ap­proche étant, pour par­tie, économétrique, les démon­stra­tions sont math­é­ma­tique­ment formalisées.

L’ou­vrage édité par Stephan Feucht­wang, Athar Hus­sain et Thier­ry Pairault, Trans­form­ing Chi­na Econ­o­my in the Eight­ies, con­cerne les réformes économiques entre­pris­es en Chine depuis le retour aux affaires de Deng Xiaop­ing. Il a été frac­tion­né en deux vol­umes : l’un con­sacré à l’é­conomie rurale et aux prob­lèmes de l’emploi et du loge­ment en zone urbaine, l’autre à l’é­conomie urbaine et à la réforme de l’en­tre­prise. Le pre­mier tome, le seul dont nous ayons eu con­nais­sance, rassem­ble neuf études réal­isées par des sino­logues français ou anglo-sax­ons : « NEP and Beyond : The Tran­si­tion to “Mod­ern­iza­tion” in Chi­na (1978–85) » (Y Chevri­er) ; « The Peo­ple’s Liveli­hood and the Inci­dence of Pover­ty » (A. Hussain‑S. Feucht­wang) ; « The New Peas­ant Econ­o­my in Chi­na » (E. Croll) ; « Chi­na’s Food Take-Off ? » (C. Aubert) ; « The Impli­ca­tions of Con­tract Agri­cul­ture for the Employ­ment and Sta­tus of Chi­nese Peas­ant Women » (D. Davin) ; « Imple­men­ta­tion and Resis­tance : The Sin­gle-Child Fam­i­ly Pol­i­cy » (L. Bian­co-Hua Chang-ming) ; « Chi­na’s New Inher­i­tance Law : Some Pre­lim­i­nary Obser­va­tions » (M. Palmer) ; « Urban Employ­ment in Post-Maoist Chi­na » (M. Bonnin‑M. Carti­er) ; « Urban Hous­ing Pol­i­cy after Mao » (R. Kirby).

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granik David. Chi­nese State Enter­pris­es : A Region­al Prop­er­ty Rights Analy­sis. The Uni­ver­si­ty of Chica­go Press, Chica­go & Lon­don, 1990, 348 p., bib­lio. et index, relié, $ 39,95. (The Uni­ver­si­ty of Chica­go Press : Billing Office, 11030 South Lan­g­ley Avenue, Chica­go, Illi­nois 60628, USA.)

Feucht­wang Stephan, Hus­sain Athar, Pairault Thier­ry (éd.). Trans­for­rn­ing Chi­na’s Econ­o­my in the Eight­ies. Vol. 1 : « The Rur­al Sec­tor, Wel­fare and Employ­ment ». Zed Books, Lon­don, 1988, 258 p., bib­lio et index, 5, 29,95 (relié), 5, 10.95 (broché) (Zed Books : 57 Cale­don­ian Road, Lon­don NI 9BU, Angleterre).

L’anarchisme en Chine

Si l’on excepte les arti­cles de l’u­ni­ver­si­taire améri­cain, Arlif Dir­lik — dont plusieurs ont paru dans la revue cal­i­forni­enne Mod­ern Chi­na et qui devraient être prochaine­ment repris en vol­ume —, et l’é­tude déjà anci­enne de Robert A. Scalapino et George T. Yu — The Chi­nese Anar­chist Move­ment, Uni­ver­si­ty of Cal­i­for­nia, Berke­ley, 1961, 81 p. [[Une adap­ta­tion de cet ouvrage, com­plétée par d’autres matéri­aux, a été don­née par Jean-Jacques Gan­di­ni sous le titre : Aux sources de la révo­lu­tion chi­noise : les anar­chistes (con­tri­bu­tion his­torique 1902–1927), Ate­lier de créa­tion lib­er­taire, Lyon, 1986, 180 p.]] —, l’a­n­ar­chisme chi­nois reste un sujet de recherche peu abor­dé. Le tra­vail de Peter Zarrow, Anar­chism and Chi­nese Polit­i­cal Cul­ture, comblera cette lacune. On peut d’ores et déjà con­sid­ér­er ce livre comme un ouvrage de référence. Ver­sion révisée d’une thèse de doc­tor­at, il est l’aboutisse­ment d’une dizaine d’an­nées de recherches.

Pour Arrow, c’est en tout cas ce qu’il cherche à démon­tr­er, l’a­n­ar­chisme chi­nois n’a nulle­ment été un mou­ve­ment mar­gin­al et on ne saurait nég­liger son influ­ence — à l’in­star du marx­isme — dans la dis­so­lu­tion idéologique du con­fu­cian­isme. L’au­teur se fonde sur des doc­u­ments orig­in­aux de pre­mière main dont il a traduit de larges extraits. À côté de chapitres qui sont plutôt d’or­dre événe­men­tiel par exem­ple le chapitre 2 qui retrace l’his­toire des foy­ers de l’a­n­ar­chisme de chi­nois à Tokyo et à Paris au début du siè­cle), on trou­vera des chapitres plus ana­ly­tiques : ain­si, les chapitres 4 à 7, qui abor­dent les thèmes de la révo­lu­tion sociale, de la libéra­tion de la femme, de la cul­ture et de la nation. On con­sul­tera avec intérêt la par­tie du chapitre 10 qui éval­ue les rap­ports entre anar­chisme et maoïsme.

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Zarrow Peter. Anar­chism and Chi­nese Polit­i­cal Cul­ture. New York, Oxford : Colum­bia Uni­ver­si­ty Press, 1990, xiv + 344 p., glos­saire, bib­lio., index, relié $ 45,00. [Colum­bia Uni­ver­si­ty Press, 562 West 113 th Street, New York, NY 10025, USA.]

La Grande Secousse. Europe de l’Est 1989–1990

Bilan pro­vi­soire de quinze mois d’his­toire, La Grande Sec­ousse, dresse l’in­ven­taire des boule­verse­ments qui vien­nent de se pro­duire dans les pays d’Eu­rope de l’Est.

La pre­mière par­tie de l’ou­vrage se présente comme une suite de mono­gra­phies. On y passe en revue les pays les uns après les autres : Pologne, Hon­grie, RDA, Tché­coslo­vaquie, Bul­gar­ie, Roumanie et Yougoslavie. L’autre par­tie, abor­dant les choses de façon trans­ver­sale, exam­ine « les embûch­es » de la tran­si­tion : les incer­ti­tudes poli­tiques, les prob­lèmes économiques ou la ques­tion des nation­al­ités. Les auteurs, pour la plu­part chercheurs ou uni­ver­si­taires, sont aus­si, générale­ment, orig­i­naires de pays dont ils trait­ent. À côté des textes de Pierre Kende et d’Alek­sander Smo­lar, on trou­ve des con­tri­bu­tions de Mih­nea Berindei, Ari­ad­na Combes, Ire­na Gros­feld, Pierre Has­s­ner, Vladimir Kos­tov, Joseph Krulic, Anne-Marie Le Gloan­nec, Georges Mink, Jacques Rup­nik et Ilios Yannakakis.

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Kende Pierre et Smo­lar Alek­sander (éds). la Grande Sec­ousse. Europe de l’Est 1989–1990. Press­es du CNRS, coll. « Sociétés en mou­ve­ment », 1990, 240 p., 149 F.

L’affaire Kravtchenko

Les édi­tions Actes Sud vien­nent de repren­dre, en vol­ume, les arti­cles que la roman­cière Nina Berbero­va écriv­it pour La Pen­sée russe, il y a quelque quar­ante ans, à pro­pos de l’af­faire Kravtchenko. La roman­cière suiv­it en effet alors, pour l’heb­do­madaire russe qui parais­sait à Paris (et dont elle tenait habituelle­ment la rubrique lit­téraire), le procès pour diffama­tion inten­té par l’au­teur de J’ai choisi la lib­erté con­tre l’heb­do­madaire stal­in­ien Les Let­tres français­es (celui-ci avait don­né dans ses colonnes un compte ren­du — pré­ten­du­ment rédigé par un citoyen améri­cain — de l’ou­vrage où l’on insin­u­ait qu’il s’agis­sait d’un faux fab­riqué aux États-Unis, d’un tis­su de men­songes que Kravtchenko s’é­tait con­tenté de sign­er). Kravtchenko gagna son procès — qual­i­fié à l’époque par la presse de   »procès du siè­cle » — au cours duquel des témoins, dont Mar­garete Buber-Neu­mann, vin­rent racon­ter leur expéri­ence du sys­tème soviétique.

Hubert Nyssen, l’édi­teur, rap­porte dans un avant-pro­pos les lignes que Nina Berbero­va con­sacre à l’événe­ment dans son auto­bi­ogra­phie. C’est, à coup sûr, la meilleure intro­duc­tion au texte : « Voici résumée en quelques mots cette affaire aujour­d’hui oubliée. L’un des mem­bres de la Com­mis­sion sovié­tique d’achats à crédit, envoyé aux USA en 1943, déci­da de ne pas retourn­er en URSS. En avril 1944, il rompit avec Moscou, puis écriv­it et pub­lia un livre dans lequel il expo­sait les raisons de cette rup­ture. Il y par­lait de la vie en URSS, de la poli­tique paysanne de Staline, des tech­nocrates et des vieux bolcheviks. Le livre de Kravtchenko eut une for­tune extra­or­di­naire. Il fut traduit en vingt-deux langues et on le lisait partout. Les Let­tres français­es déclenchèrent une cam­pagne diffamante con­tre lui, l’in­sul­tant et insin­u­ant que l’au­teur du livre était un fas­ciste hitlérien. Cepen­dant, pour beau­coup, dont moi-même, le nœud de l’af­faire était l’ex­is­tence des camps de con­cen­tra­tion en URSS qui avait enfin reçu une large divul­ga­tion. Kravtchenko en par­lait dans son livre, ain­si que les témoins cités à la barre, d’an­ciens internés des camps de la Koly­ma et de Karaganda. »

On estimerait à tort que l’in­térêt du livre de Nina Berbero­va ne tient, tant d’an­nées après, qu’à la per­son­nal­ité de la roman­cière. La Gazette lit­téraire de Moscou, dans le numéros du 3 octo­bre 1990 et du 30 jan­vi­er 1991, a pub­lié deux arti­cles sur Kravtchenko, celui-ci étant désor­mais offi­cielle­ment présen­té dans son pays d’o­rig­ine comme une vic­time de l’époque stalinienne.

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Berbero­va Nina. L’Af­faire Kravtchenko. Traduit du russe par Irène et André Markow­icz. Actes Sud, Arles, 1990, 125 F.

Kropotkinia

La fièvre du bicen­te­naire de la Révo­lu­tion française qui s’est emparée, il y a deux ans, de l’Hexa­gone n’a pas, comme on le sait, épargné le reste du monde. À Moscou aus­si, on a célébré l’an­niver­saire, et l’événe­ment a été inter­prété. L’ou­vrage col­lec­tif pub­lié sous le titre La Révo­lu­tion française et la Russie se com­pose de vingt-six con­tri­bu­tions, dues pour la plu­part à des auteurs sovié­tiques, dis­tribuées en trois rubriques : « la Révo­lu­tion française : les dis­cus­sions et les approches sci­en­tifiques aujour­d’hui » ; « his­to­ri­ogra­phie » ; « la Révo­lu­tion et la Russie : recherch­es et doc­u­ments ». La lit­téra­ture française mod­erne sur la ques­tion a été épluchée et les noms de Furet, Le Roy Ladurie, Guérin, Agul­hon, Chaunu ou Richet, par exem­ple, sont cités. De même que ceux, mais on s’en éton­nera moins, de Voyelle, de Soboul ou de Maza­u­ric. Du reste, Maza­u­ric signe un des arti­cles du recueil, et un écrit de Soboul a été repris pour l’oc­ca­sion. Men­tion­nons, enfin, la présence d’un texte de Godechot.

Mais si nous sig­nalons l’ex­is­tence d’un tel tra­vail, c’est unique­ment parce qu’il con­tient la con­tri­bu­tion de deux chercheurs, Alexan­dre Gor­don et Evguéni Staros­tine, sur la lec­ture faite par Kropotkine du livre de Jau­rès, L’His­toire social­iste (1789–1900). Sous le titre : « Quand Kropotkine lisait Jau­rès. Notes de P. Kropotkine dans les marges de l’His­toire social­iste de la Révo­lu­tion française de Jean Jau­rès », on décou­vre une étude longue de quelque trente pages, en dou­ble colonne (pp. 158–187), assor­tie d’il­lus­tra­tions. Une étude qui coïn­cide avec la pub­li­ca­tion récente en URSS de La Grande Révo­lu­tion de Kropotkine (déjà paru en 1919) et du livre de Jaurès.

Gor­don et Staros­tine se fondent sur l’ex­em­plaire de l’œu­vre de Jau­rès annoté par Kropotkine qui est con­servé au départe­ment des livres rares de la Bib­lio­thèque Lénine depuis 1959 (en 1925, avec le reste de la bib­lio­thèque du célèbre anar­chiste, ce livre avait rejoint le Musée Kropotkine. Ensuite, lors de la fer­me­ture dudit musée, en 1939, et avant que de rejoin­dre son actuel lieu de con­ser­va­tion, il avait séjourné au Musée de la Révo­lu­tion). Les glos­es mar­ginales de Kropotkine per­me­t­tent de con­stater que sa lec­ture de Jau­rès a été plus sérieuse que ne le laisse devin­er le seul exa­m­en de La Grande Révo­lu­tion. Les auteurs en usent large­ment, mais de manière non linéaire et sans qu’on sache si tout a été repris.

L’ar­ti­cle est bien doc­u­men­té. On s’ir­rit­era toute­fois de la manie dont les auteurs ne sont pas par­venus à se défaire qui con­siste à se réfugi­er, de loin en loin, sous l’au­torité intel­lectuelle de Lénine (cf. pp.161, 165,187).

Pour les férus de kropotkinia pré­cisons que les références de dif­férents travaux russ­es récents con­sacrés à Kropotkine sont indiquées dans les notes infra­pag­i­nales, et que dif­férents matéri­aux con­servés aux Archives cen­trales de la révo­lu­tion d’Oc­to­bre de l’URSS — par­mi lesquels des let­tres et des notes inédites de Kropotkine sur la social-démoc­ra­tie et le marx­isme — ont été répertoriés.

Comme nous en sommes à ce chapitre — encore que la péri­ode con­sid­érée n’in­téresse qu’indi­recte­ment les lecteurs d’une revue comme Iztok —, indiquons la paru­tion récente d’un ouvrage con­sacré au prince anar­chiste, celui de Car­o­line Cahm : Peter Kropotkin and the Rise of Rev­o­lu­tion­ary Anar­chism. Il s’ag­it d’un ouvrage tiré d’une thèse de doc­tor­at. Le livre se com­pose de trois par­ties. L’au­teur com­mence par situer, dans le con­texte et le développe­ment du mou­ve­ment anar­chiste européen, celui qui, après la mort de Bak­ou­nine, devien­dra le représen­tant le plus émi­nent de la doc­trine lib­er­taire. Après avoir retracé les orig­ines de ses idées et leur mat­u­ra­tion, l’au­teur évoque sa pra­tique révo­lu­tion­naire entre 1872 et 1886, avant d’é­val­uer la for­tune postérieure de l’œu­vre. Au terme d’une analyse du rôle joué par Kropotkine dans la trans­for­ma­tion et le pro­longe­ment du « social­isme anti-autori­taire » de Bak­ou­nine, Car­o­line Cahm tente de mon­tr­er que deux types prin­ci­paux d’ac­tion révo­lu­tion­naire ont été opposés par les anar­chistes aux straté­gies par­lemen­taires social-démoc­rates : l’un est fondé sur l’ac­tiv­ité indi­vidu­elle ou grou­pus­cu­laire, l’autre reste lié à une action col­lec­tive de grande enver­gure. La con­clu­sion générale à laque­lle Car­o­line Cahm aboutit est qu’on ne saurait recevoir l’idée selon laque­lle Kropotkine n’au­rait pas cru aux poten­tial­ités révo­lu­tion­naires du mou­ve­ment du tra­vail : le con­cept d’ac­tion révo­lu­tion­naire, élaboré par lui, va bien au-delà de la « pro­pa­gande par le fait ».

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Varii auc­tores. La Révo­lu­tion française et la Russie. Édi­tions librairie du Globe et édi­tions du Pro­grès, Paris-Moscou, 1990, 544 p. Illus. en coul., bib­lio. et index. Relié, 130 F. 

Cahm Car­o­line. Kropotkin and the Rise of Rev­o­lu­tion­ary Anar­chism. 1872–1886. Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, Cam­bridge, 1989, xii + 372 p., bib­lio. et index. Relié, £ 35,00 ($ 49,50). [Cam­bridge Uni­ver­si­ty Press, The Edin­burg Build­ing, Shaftes­bury Rd, Cam­bridge CB2 2RU, Royaume-Uni.]

La poésie chinoise

Les hasards de l’édi­tion ont fait paraître presque simul­tané­ment deux recueils con­sacrés à la poésie chi­noise : Le voleur de poèmes, de Claude Roy et Entre source et nuage : la poésie chi­noise réin­ven­tée, de François Cheng. Deux ouvrages qui, loin de se réclamer de l’austère dis­ci­pline du tra­duc­teur, se présen­tent d’emblée comme des aven­tures per­son­nelles. Pour l’un comme pour l’autre, la poésie est un voy­age au fond de soi-même, et l’an­tholo­gie, par le choix qu’elle sup­pose, la quin­tes­sence de nos rêves et de nos émo­tions. Choisir un poème, puis le trans­pos­er dans sa langue — ou, pour François Cheng, dans sa langue d’adop­tion —, c’est d’une cer­taine manière se l’in­cor­por­er, d’où l’im­age du voleur de poèmes ou de la poésie « réin­ven­tée », à quoi l’on pour­rait join­dre la « poésie non traduite » d’Ar­mand Robin (cf. Poésie chi­noise non traduite, La Tour Cham­plain, Paris, 1986).

Éter­nel voyageur, Claude Roy, comme l’indique sa pré­face, jette sur la poésie chi­noise un regard de promeneur curieux, qui cherche à reli­er ses impres­sions à ses lec­tures. Il se garde toute­fois du pit­toresque et de l’ex­o­tisme, car il attend de la fréquen­ta­tion des poètes chi­nois, non pas un dépayse­ment, mais la décou­verte de ce qui, au-delà des cul­tures, relie les hommes. Cette prise de posi­tion human­iste est pour lui l’oc­ca­sion de rap­pel­er de quelle mécon­nais­sance ou de quel mépris de l’autre peut être chargée la notion d’altérité radicale.

L’an­tholo­gie com­porte deux par­ties : un choix d’œu­vres des plus grands noms de la poésie chi­noise (Wang Wei, Li Po, Tou Fou…) et un ensem­ble de poèmes moins con­nus, illus­trant des thèmes uni­versels tels que le vin, la fuite du temps, l’amour, la sépa­ra­tion. En pro­posant, dans sa pré­face, le mot à mot d’un poème et en con­frontant plusieurs tra­duc­tions, en français et en anglais, d’une même pièce, Claude Roy essaie de faire sen­tir à son lecteur la « folie » que représente la ten­ta­tive de trans­pos­er, dans une langue occi­den­tale, un orig­i­nal écrit dans une langue tonale, où la qua­si-absence de liens syn­tax­iques vis­i­bles, l’inex­is­tence des mar­ques de temps et de pluriel et l’ef­face­ment des pronoms sujets lais­sent place à de mul­ti­ples inter­pré­ta­tions. Aus­si bien ne don­nera-t-il que des « poèmes-équiv­a­lences ». Cer­tains de ses illus­tres devanciers, tels que le mar­quis d’Her­vey Saint-Denys, Ezra Pound ou Jean Prévost, ont prou­vé que le tal­ent de l’écrivain savait quelque­fois mieux ren­dre jus­tice à l’œu­vre orig­i­nale que la rigueur du philo­logue. Par­ti­san résolu de l’in­fidél­ité, il cri­tique cepen­dant les « molles para­phras­es » de Judith Gau­ti­er et la curieuse touche « fin de siè­cle » que l’équipe d’An­dré d’Hor­mont a don­née à ses tra­duc­tions (cf. Paul Demiéville [éd.], Antholo­gie de la poésie chi­noise clas­sique, Gal­li­mard, Paris, 1962). Sa pro­pre inter­pré­ta­tion des poèmes refuse quant à elle toute affec­ta­tion et toute raideur. Renonçant à l’usage du déca­syl­labe et de l’alexan­drin, dont Paul Jacob a su par ailleurs user avec brio dans ses tra­duc­tions (cf. par exem­ple, Vacances du pou­voir : poèmes des Tang, Gal­li­mard, Paris, 1983), il opte pour une prose poé­tique aus­si libre et naturelle que pos­si­ble, relevée par quelques trou­vailles d’écrivain (« au pre­mier clin d’au­rore », « la lune pleut son clair »). L’ab­sence de tout appa­rat de notes con­tribue d’autre part à plac­er le lecteur de plain-pied avec cet univers poé­tique. C’est sans doute afin d’éprou­ver dif­férents procédés de tra­duc­tions que cer­tains poèmes sont don­nés, à quelques pages de dis­tance, dans deux ver­sions dif­férentes (p.121 et p.129 ; p.153 et p.157 ; p.203 et p.206 ; p.261 et p.267). Sig­nalons pour finir une cor­rec­tion à apporter à la p.38 : on y lira « du Li Sao » au lieu de « de Li Sao », le terme désig­nant l’œu­vre la plus célèbre du pre­mier grand poète chi­nois, K’iu Yuan (Qu Yuan).

Pour François Cheng — dont les travaux demeurent une base indis­pens­able pour com­pren­dre le fonc­tion­nement de la poésie chi­noise — la poésie est aus­si recherche de com­mu­nion, mais avec une tonal­ité plus dra­ma­tique. Claude Roy rassem­blait « l’her­bier de [ses] plaisirs », François Cheng recueille les lumières qui l’ont guidé dans la nuit de sa des­tinée, ces poèmes qui, en le sou­tenant, sont devenus part de lui-même.

L’ou­vrage, plus éru­dit, com­porte des notes ain­si qu’un avant-pro­pos où l’au­teur retrace l’évo­lu­tion de la poésie chi­noise, « expres­sion la plus haute de la spir­i­tu­al­ité chi­noise » nour­rie par trois courants : le taoïsme, le con­fu­cian­isme et le boud­dhisme. Le choix de poèmes, dont cer­tains sont cal­ligraphiés à la fin du vol­ume, recoupe en par­tie celui de Claude Roy, se con­cen­trant toute­fois sur trois épo­ques par­ti­c­ulière­ment bril­lantes : la dynas­tie des Tang, celle des Song, et l’époque mod­erne et con­tem­po­raine, assez longue­ment présentée.

François Cheng use plus volon­tiers que Claude Roy des phras­es nom­i­nales pour ren­dre l’im­per­son­nal­ité des tour­nures chi­nois­es. Ce procédé, qui per­met de garder aux images poé­tiques leur instan­ta­néité et de main­tenir la jux­ta­po­si­tion pure des impres­sions sans chercher à les reli­er par un fil logique, fait mer­veille dans la mys­térieuse poésie d’un Li Shangyin. Ici, le ton est dans l’ensem­ble moins fam­i­li­er que dans Le voleur de poèmes, et le style d’une beauté hiéra­tique qui n’est pas sans évo­quer la poésie de Vic­tor Segalen. D’autres réminis­cences — de Mal­lar­mé, de Saint John-Perse — sont per­cep­ti­bles çà et là, achevant la fusion des deux idiomes que François Cheng maîtrise égale­ment l’un et l’autre.

[/Isabelle Rabut/]

Roy Claude. . Le Mer­cure de France, Paris, 1991, 450 p., 160 F.

Cheng François. Entre source et nuage : la poésie chi­noise réin­ven­tée. Albin Michel, Paris, 1990, 264 p., 95 F.

Littérature chinoise

Bai Hua, actuelle­ment vice-prési­dent de l’As­so­ci­a­tion des écrivains de Shang­hai, écriv­it naguère un scé­nario — Amour amer — qui se trou­va, on s’en sou­vient peut-être, au cen­tre d’une vio­lente cam­pagne d’at­taques lors de sa sor­tie (cf. la cam­pagne con­tre le « libéral­isme » qui débor­da le sim­ple cas de Bai Hua). Aupar­a­vant, le romanci­er avait été déjà la vic­time du mou­ve­ment anti-droiti­er (1957) et de la « Révo­lu­tion cul­turelle » (1966–1976). Le texte que les infati­ga­bles Li Tche-houa et Jacque­line Aléza­ïs présen­tent aujour­d’hui au pub­lic français, Ah ! Maman, date de 1980 et il a fait lui aus­si, en son temps, l’ob­jet de sévères cri­tiques. En sub­stance, on con­tes­ta alors la rela­tion don­née par Bai Hua de la Révo­lu­tion chi­noise et on lui reprocha l’im­age qu’il accrédi­tait des dirigeants com­mu­nistes. Le roman de Bai Hua se com­pose de huit chapitres, cha­cun d’eux étant con­sacré à une des femmes qui ont aidé le héros — un haut cadre du Par­ti, partagé entre sa con­science et sa lâcheté — au cours de son exis­tence. Ces femmes, mil­i­tantes révo­lu­tion­naires, patri­otes ou sym­pa­thisantes du Par­ti com­mu­niste, sont vic­times tour à tour de leur idéal­isme et de leur sincérité, à la dif­férence de l’épouse du héros qui a aidé son mari à grimper dans la hiérar­chie du Par­ti, à force de machi­avélisme. Le roman passe en revue les dif­férents épisodes de l’his­toire de la Chine et en dévoile l’ab­sur­dité ou la cru­auté. Les mères, ici, sont man­i­feste­ment des sym­bol­es : non pas le sym­bole du Par­ti, lequel Par­ti est sou­vent assim­ilé à une mère par la pro­pa­gande, mais celui au con­traire de la can­deur du peu­ple trompé par ses dirigeants.

Ma Jian est un de ces « jeunes instru­its » qui furent exilés à la cam­pagne — au Tibet, en l’oc­cur­rence — durant la « Révo­lu­tion cul­turelle ». De son expéri­ence tibé­taine, Ma Jian avait tiré plusieurs réc­its pub­liés sous le titre : La Men­di­ante de Shi­gatze (disponibles en français grâce aux soins de la même tra­duc­trice et du même édi­teur). Dans le court texte, à l’év­i­dence auto­bi­ographique, qui s’in­ti­t­ule Chi­enne de vie !, on voit un jeune pein­tre — le nar­ra­teur — retourn­er dans sa ville natale à la recherche de son ancien pro­fesseur de dessin, éti­queté « droiti­er » jadis et mal­mené par ses pro­pres élèves pen­dant la « Révo­lu­tion cul­turelle ». Ma Jian adopte ici une écri­t­ure plus sophis­tiquée — et remar­quable­ment ren­due par Isabelle Bijon — que dans ses écrits tibé­tains, proche des tech­niques du Nou­veau Roman occi­den­tal, où le brouil­lage de la chronolo­gie est en accord avec le thème fon­da­men­tal du livre : l’ob­ses­sion du passé et des dérives que le temps a entraînées. L’au­teur man­i­feste, moins net­te­ment toute­fois que dans ses œuvres précé­dentes, son goût pour un réal­isme par­fois sor­dide. Une voix très car­ac­téris­tique : tran­chante, énergique, sans humour mais non sans vibrations.

[/Isabelle Rabut/]

Bai Hua. Ah ! Maman… Roman traduit du chi­nois par Li Tche-houa et Jacque­line Aléza­ïs. Coll. « Voix chi­nois­es », Pierre Bel­fond, Paris, 1991, 342 p., 130 F.

Ma Jian. Chi­enne de vie ! Réc­it traduit du chi­nois par Isabelle Bijon. Coll. « Let­tres chi­nois­es », Actes Sud, Arles, 1991, 64 p., 48 F.

Deux ouvrages sur la Chine ancienne

L’o­pus­cule inti­t­ulé Boud­dhisme, chris­tian­isme et société chi­noise con­tient le texte de deux con­férences présen­tées au Col­lège de France par Erik Zürcher, un des meilleurs spé­cial­istes de l’his­toire du boud­dhisme chi­nois. La pre­mière tente d’ex­pli­quer les raisons du suc­cès de l’im­plan­ta­tion boud­dhiste en Chine, com­paré au relatif échec du chris­tian­isme. Réfu­tant cer­taines inter­pré­ta­tions, notam­ment l’idée selon laque­lle la doc­trine boud­dhiste aurait été plus acces­si­ble à la men­tal­ité tra­di­tion­nelle chi­noise, Erik Zürcher cherche la clé du phénomène dans le mode de dif­fu­sion des deux reli­gions : l’ex­pan­sion du boud­dhisme s’est effec­tuée de proche en proche, à tra­vers la for­ma­tion de com­mu­nautés locales, sans coor­di­na­tion et sans autorité cléri­cale. Et c’est, para­doxale­ment, le car­ac­tère forte­ment organ­isé et dirigé du chris­tian­isme en Chine qui a été un obsta­cle à son assimilation.

La deux­ième con­férence, en s’ap­puyant sur un recueil de biogra­phies de religieuses émi­nentes com­pilé au VIe siè­cle, jette quelques lumières sur le statut et la per­son­nal­ité des nonnes boud­dhistes, dont cer­taines se dis­tin­guèrent par leur sci­ence, leur ascétisme, leurs dons sur­na­turels ou leurs tal­ents d’organisatrices.

Dans La Chine de la Roy­auté à l’Em­pire, recueil de « lec­tures en Sor­bonne », Flo­ra Blan­chon résume en cinq chapitres d’une écri­t­ure claire et alerte l’é­tat actuel du savoir sur la Chine antique, des orig­ines mythiques jusqu’à l’u­ni­fi­ca­tion impéri­ale. L’ou­vrage, qui intè­gre les don­nées de l’archéolo­gie, est agré­men­té de nom­breux sché­mas et illus­tra­tions et com­porte plusieurs annex­es très utiles : une chronolo­gie som­maire, une carte des divi­sions admin­is­tra­tives de la Chine actuelle, une courte bib­li­ogra­phie et un index de mots et de noms pro­pres en tran­scrip­tion pinyin et en idéo­grammes. Ce petit livre, qui doit être suivi d’un sec­ond vol­ume trai­tant de la péri­ode des Han aux Song, est d’un intérêt péd­a­gogique cer­tain. On peut seule­ment déplor­er son prix élevé que jus­ti­fie sans doute l’in­ser­tion d’il­lus­tra­tions en couleurs.

[/Isabelle Rabut./]

Zürcher Erik. Boud­dhisme, Chris­tian­isme et société chi­noise. Jul­liard, « Con­férences, essais et leçons du Col­lège de France », Paris, 1990, 96 p., 60 F. 

Blan­chon Flo­ra. La Chine de la Roy­auté à l’Em­pire. Press­es de l’U­ni­ver­sité de Paris-Sor­bonne, « Lec­tures en Sor­bonne », Paris, 1990, 208 p. Index., bib­lio., illus­tr., 95 F.

Littérature chinoise (II)

Les cahiers Ulysse, fin de siè­cle, ont con­sacré leur dernière livrai­son au courant de la poésie « obscure » chi­noise. Dans une édi­tion très soignée, l’édi­teur nous pro­pose un choix d’œu­vres de Bei­dao, Gu Cheng, Mangke et Yang Lian, traduites par Chan­tal Chen-Andro et Annie Curien, et dont le texte chi­nois a été inté­grale­ment repro­duit. On regret­tera, toute­fois, le par­ti pris qui a con­sisté à gom­mer toute dimen­sion poli­tique à ce tra­vail : les notices biographiques sig­na­lent que les auteurs ont per­du leur emploi à la fin des années 70 mais sans en sig­naler les raisons. Or il se trou­ve que les auteurs, Bei­dao et Mangke notam­ment, ont été des pro­tag­o­nistes act­ifs du pre­mier « Print­emps de Pékin » Ceci, bien évidem­ment, expli­quant cela.

[/Du Daxin/]

Qua­tre poètes chi­nois : Bei­dao, Gu Cheng, Mangke et Yang Lian. Tra­duc­tion Chan­tal Chen-Andro et Annie Curien. Cal­ligra­phies : Cahi­er Ulysse, fin de siè­cle, n°27–28, Plom­bières-lès-Dijon, 1991, bib­lio., 128 p.

Actualité de Castoriadis

Chris­t­ian Bour­go­is vient de repren­dre, en un seul vol­ume, les deux tomes de La Société bureau­cra­tique de Corneille Cas­to­ri­adis qu’il pub­lia naguère dans la col­lec­tion de poche « 10/18 ». L’au­teur n’a apporté à son texte (une col­lec­tion d’ar­ti­cles, rap­pelons-le, parus pour la plu­part dans la revue Social­isme ou Bar­barie entre 1946 et 1964) aucune mod­i­fi­ca­tion. Il s’est con­tenté d’ad­join­dre à l’ensem­ble un essai de 1987 sur « L’In­ter­lude Gor­batchev », com­mu­ni­ca­tion présen­tée à un col­loque qui s’est tenu à New York, et dont de larges extraits avaient parus en français dans le quo­ti­di­en Libéra­tion (novem­bre 1987). Sans illu­sion, sem­ble-t-il, sur son époque et sur l’ac­cueil véri­ta­ble qu’on réservera à cette nou­velle édi­tion, Cas­to­ri­adis con­state dans la pré­face à cette nou­velle édi­tion « que l’in­térêt pub­lic pour […] toute analyse cri­tique de la société où nous vivons liée à un pro­jet de trans­for­ma­tion sociale [s’est] pra­tique­ment évanoui ».

Au même moment, les édi­tions du Seuil ont sor­ti, sous le titre Le Monde morcelé, le vol­ume III des Car­refours du labyrinthe. Comme les deux vol­umes qui l’ont précédé (même édi­teur, 1978 et 1986), Le Monde morcelé rassem­ble dif­férentes études récentes, dont cer­taines encore inédites, qui don­nent un aperçu de la diver­sité des domaines investis par Cas­to­ri­adis, et qui annon­cent deux ouvrages en chantier, La Créa­tion humaine et L’Élé­ment imag­i­naire . Encore que le fil directeur appa­raisse claire­ment. Comme on peut le lire, en qua­trième de cou­ver­ture, « … il n’est point de poli­tique pou­vant être directe­ment déduite de la philoso­phie. Mais l’ac­tiv­ité philosophique, la réflex­ion cri­tique, l’in­ter­ro­ga­tion qui ne per­met à rien de l’ar­rêter a, comme telle, une portée éminem­ment politique ».

L’ou­vrage édité par Gio­vani Busi­no, « en témoignage d’ami­tié et de grat­i­tude », traduit aus­si cette var­iété, et le savoir ency­clopédique de cet « Aris­tote en chaleur » (Edgar Morin dix­it). Les con­tri­bu­tions de trente auteurs, rédigées en français, en anglais, en alle­mand ou en ital­ien, présen­tent, voire cri­tiquent, les vues de Cas­to­ri­adis en matière d’éthique, de poli­tique, de philoso­phie ou bien encore de psy­ch­analyse. Le livre se clôt sur un texte écrit pour l’oc­ca­sion par celui qu’on célèbre, sur le tra­vail accom­pli et le chemin qui reste à par­courir, en forme de réponse générale à ceux qui lui ren­dent hom­mage, ce qui se traduit par­fois par des mis­es au point sévères (ain­si en va-t-il pour Agnès Heller).

Mais nous revien­drons cer­taine­ment sur ces livres dans une prochaine livrai­son d’Iztok.

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Cas­to­ri­adis Cor­nelius. La Société bureau­cra­tique. Chris­t­ian Bour­go­is édi­teur, 1990, 496 p., 170 F.

Cas­to­ri­adis Cor­nelius. Le Monde morcelé (les car­refours du labyrinthe III). Seuil, coll. « la couleur des idées », 284 p., 130 F.

Busi­no Gio­vani (éd.), Autonomie et auto­trans­for­ma­tion de la société : la philoso­phie mil­i­tante de Cor­nelius Cas­to­ri­adis. Librairie Droz, Genève, 524 p., bib­lio., 440 F.

Marx et la question juive

Voilà un livre — Marx anti­sémite ? — qui devrait faire plaisir aux adver­saires acharnés de Marx et tout par­ti­c­ulière­ment à ceux d’en­tre eux qui sont anar­chistes (lesquels oublient sou­vent de rap­pel­er ce mot de Proud­hon : « Par le fer, ou par la fusion, ou par l’ex­pul­sion, il faut que le juif dis­paraisse […]. La haine du juif comme de l’Anglais doit être notre foi politique.).

La thèse de Kaplan est la suiv­ante : Marx est l’ex­em­ple type du Juif anti­sémite, et, en cer­taines occa­sions (lorsqu’il était en proie à des dif­fi­cultés finan­cières, par exem­ple), il a même som­bré dans un anti­sémitisme déli­rant. Cet anti­sémitisme trou­ve plusieurs expli­ca­tions, ain­si le mépris affiché par Marx pour le com­merce. Mais il est égale­ment des raisons plus pro­fondes, qui sont, elles, d’or­dre cul­turel : l’ap­par­te­nance au peu­ple juif fait hor­reur à Marx parce que pour lui le peu­ple juif est un peu­ple sans cul­ture. À l’ap­pui de sa thèse, Kaplan présente un impres­sion­nant arse­nal de cita­tions, emprun­tées notam­ment à la cor­re­spon­dance de Marx.

Pour un juge­ment con­traire, on pour­ra tou­jours se reporter aux glos­es portées par Max­im­i­lien Rubel en marge de son édi­tion de La Ques­tion juive (Karl Marx, Œuvres, Philoso­phie, t. III, « Bib­lio­thèque de la Pléi­ade », Paris, 1982), Max­im­i­lien Rubel dont Kaplan écrit qu’il « nous offre sans doute l’éven­tail com­plet des argu­ments qu’on peut trou­ver pour nier l’an­tisémitisme » de Marx.

Sur le sujet, on pour­ra aus­si se référ­er à l’ou­vrage d’En­zo Tra­ver­so, récem­ment paru, Les Marx­istes et la ques­tion juive. L’au­teur se pro­pose de recon­stituer ce qu’a été, un siè­cle durant, le débat sur judaïsme et social­isme par­mi les théoriciens se récla­mant de Marx (qu’ils fussent juifs ou non). Et, à cette fin, il passe en revue l’essen­tiel de ce qui s’est dit ou écrit sur le sujet entre 1843 et 1943, c’est-à-dire depuis La Ques­tion juive de Marx (1843) jusqu’à La Con­cep­tion matéri­al­iste de la ques­tion juive d’Abra­ham Léon (1942–43), en pas­sant par des textes de Vic­tor Adler, Otto Bauer, Kaut­sky, Lénine, Rosa Lux­em­bourg ou Staline.

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Kaplan Fran­cis. Marx anti­sémite ? Ima­go-Bels Intem­ation­al, Paris, 1990, 190p., 110 F. 

Tra­ver­so Enzo. Les Marx­istes et La ques­tion juive : his­toire d’un débat (1843- 1943). Pré­face de Pierre Vidal-Naquet, la Brèche-PEC, Paris, 1990, 324p., 140 F.

Sur Marx

En par­tant d’une thèse qui lui tient vis­i­ble­ment à cœur, cette anom­alie qui ferait que Marx ne traite de la con­cur­rence qu’à par­tir du Livre III du Cap­i­tal, et de la thèse — sienne égale­ment — de l’im­pos­si­bil­ité pour Marx d’ex­pos­er sa « théorie du mode de pro­duc­tion cap­i­tal­iste » (soit l’im­pos­si­bil­ité d’un exposé dialec­tique du Cap­i­tal), Jacques Bidet se pro­pose, dans un essai sur « Marx et le marché », d’in­sér­er le marx­isme dans le par­a­digme plus large de la moder­nité. Du reste, le texte est édité con­join­te­ment avec un autre essai, « Théorie de la moder­nité », qui se veut, lui, une réin­ter­pré­ta­tion de Rawls et d’Haber­mas, et qui donne son titre à l’ensem­ble. Mal­gré un intéres­sant pas­sage sur l’« école de la régu­la­tion » (p.213 sq.), école à laque­lle Bidet pré­tend fournir un fonde­ment, on aura toute­fois bien du mal à suiv­re l’au­teur jusqu’au bout de sa démon­stra­tion : Bidet sac­ri­fie trop volon­tiers à un jacassin dont on croy­ait qu’il ne se pra­ti­quait plus, et son lecteur en arriverait presque à regret­ter le style des dis­ser­ta­tions qu’on lui ser­vait naguère du côté de la rue d’Ulm.

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Bidet Jacques. Théorie de la moder­nité — Marx et le marché. Coll. « Ques­tions », PUF, Paris, 1990, 316 p., 172 F.

Bakounine, une biographie

La biogra­phie que Madeleine Grawitz a con­sacrée à Bak­ou­nine n’est pas — certes non — une biogra­phie intel­lectuelle. L’au­teur s’est avant tout attaché à suiv­re, pas à pas, l’in­di­vidu. Mais cette vie de Bak­ou­nine n’en est pas pour autant, comme on pour­rait le crain­dre, un sim­ple recueil d’anec­dotes : Madeleine Grawitz replace minu­tieuse­ment cha­cune des sit­u­a­tions dans son con­texte historico-social.

Il est dom­mage que la bib­li­ogra­phie don­née en fin de vol­ume soit un peu trop ellip­tique, dès lors qu’elle n’est plus générale : ain­si, s’agis­sant de l’af­faire Netchaïev et de la pater­nité du « Catéchisme révo­lu­tion­naire », aux­quelles Madeleine Grawitz con­sacre un assez long pas­sage, seuls les noms des auteurs sont sig­nalés. Ce qui ne facilit­era pas les recherch­es de qui voudra s’y reporter. Mais peut-être ne faut-il voir là que l’ef­fet des con­traintes édi­to­ri­ales : en l’é­tat, l’ou­vrage est déjà gros de plus de 600 pages…

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Grawitz Madeleine. Bak­ou­nine. Plon, Paris, 1990, 622 p. Illus., bib­lio., notices bio-graphiques, chronolo­gie. 200 F.

Le syndicalisme en Europe

L’é­tude com­parée des sys­tèmes nationaux, à quelque domaine qu’on s’at­taque, pose d’éter­nels prob­lèmes méthodologiques : doit-on tra­quer les dif­férences ou au con­traire dégager les points com­muns ? En d’autres ter­mes, faut-il priv­ilégi­er la logique socié­tale ou met­tre en évi­dence la logique de l’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion des sys­tèmes soci­aux ? Michel Lau­nay mêle les deux approches : ce sont aus­si bien les ten­dances générales de l’his­toire qui sont retracées ici que la sen­si­bil­ité aux cas nationaux. Si l’ou­vrage se présente comme une his­toire du syn­di­cal­isme en Europe — trois péri­odes sont dis­tin­guées, les deux con­flits mon­di­aux mar­quant les rup­tures : 1900–1914, 1914–1945, 1945 à aujour­d’hui —, il dépasse le cadre d’une sim­ple approche chronologique et l’au­teur se livre aus­si à une analyse des grands mod­èles syn­di­caux, le fait syn­di­cal étant perçu en tant que phénomène total. Il est aus­si ques­tion — et c’est la rai­son pour laque­lle l’ou­vrage est men­tion­né ici — des pays de l’Est et de leurs organ­i­sa­tions syn­di­cales, offi­cielles et moins officielles.

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Launey MicheL Le Syn­di­cal­isme en Europe. Con­clu­sion de René Mouri­aux. Coll. « Notre siè­cle », Imprimerie nationale, Paris, 1990, bib­lio., index, 506 pp. 190 F.

Shanghai, au temps des concessions

Décor­tiqueurs de riz et marchands d’o­r­anges d’hiv­er, devins et autres her­boristes, tein­turi­ers ou fab­ri­cants de fils de soie à coudre, cerfs-volants et jou­ets, mobiliers et out­ils… Tels sont quelques-uns des thèmes qui ont inspiré les cent vingt-qua­tre cro­quis en couleurs qui for­ment cet album posthume de Jean Mal­val, images des rues de Shang­hai saisies durant les années trente, au temps où l’au­teur y vivait. Chaque dessin est accom­pa­g­né d’une légende, et l’ensem­ble est attachant.

[/Du Daxin/]

Mal­val Jean. Rues de Shang­hai au temps des con­ces­sions. Cast­er­man, coll. « Images », Paris, 1989, 94 pages (prix non indiqué).

Tranche de vie

Ama­teur de trains, comme on le savait déjà par ses précé­dentes œuvres, Paul Ther­oux a sil­lon­né de long en large, et « à petite vapeur », l’e­space chi­nois. Cela a don­né un jour­nal de voy­age — ou plus exacte­ment un jour­nal tout court, car Ther­oux con­fie que ses péré­gri­na­tions ayant duré si longtemps, elles ont cessé d’être un voy­age pour devenir une phase de sa vie — où l’au­teur con­signe longue­ment les pro­pos échangés avec les Chi­nois ordi­naires qu’il a croisés en route. On ne saurait que recom­man­der la lec­ture de ce livre, qui dis­pense d’ou­vrir la plu­part des ouvrages savants que nous assè­nent régulière­ment les spé­cial­istes de la Chine et qui à l’a­van­tage sur eux de révéler, pour le pays et ceux qui le peu­plent, un véri­ta­ble amour.

[/Du Daxin/]

Ther­oux Paul. La Chine à petite vapeur. Trad. de l’anglais par Anne Damour, Gras­set, Paris, 1989, 528 p., 139 F.


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