La Presse Anarchiste

L’amour et l’espèce contre l’Individu

1Voir le N°1 de la Revue Anar­chiste : « Le XXe siècle contre l’individu »

Que pen­se­riez-vous d’un homme qui, dési­reux de pra­ti­quer la nage, se jet­te­rait sim­ple­ment à l’eau, sans étude et sans tech­nique, pré­ten­dant décou­vrir comme par ins­pi­ra­tion ou par don natu­rel, ces rythmes simples et logiques qui per­mettent à un corps de flot­ter et de se dépla­cer sur l’eau ? …

Pour­tant, la plu­part de ceux qui pré­tendent réa­li­ser dans leur vie inté­rieure et dans leur vie appa­rente la digni­té d’être un indi­vi­du, semblent trop sou­vent croire qu’il ne s’a­git là que d’un simple acte de foi, de volon­té, et négligent le rude et décou­ra­geant entraî­ne­ment men­tal qui per­met à un appren­ti indi­vi­dua­liste de s’af­fran­chir des contin­gences évitables.

Une illu­sion com­mune aux esprits les plus libres, les plus loyaux envers eux-mêmes, c’est de s’i­ma­gi­ner qu’ils affirment beau­coup mieux et plus net­te­ment leur indi­vi­dua­li­té, ses libres choix, ses libres déter­mi­na­tions, quand ils pro­jettent leur désir, leur amour, leur semence, que lors­qu’ils pèsent, jugent et s’ef­forcent d’as­si­mi­ler des froides et déses­pé­rantes notions que je leur pro­pose comme filtres et tamis de leurs actes. Ils admettent, confu­sé­ment ou après étude, que d’in­flexibles lois restreignent, dans le milieu phy­sique, dans le milieu men­tal, dans le milieu social, l’af­fir­ma­tion et l’ex­pan­sion de l’in­di­vi­du. Et cette pénible véri­té, pour ceux qui ont su l’in­cor­po­rer, devient fina­le­ment une force. Une force, puisque, si elle appau­vrit leur champ d’ac­tion, elle le dépouille, elle le dénude de ces illu­sions et pres­tiges, de ces men­songes dans les­quels les appren­tis-indi­vi­dus s’a­vancent trop com­plai­sam­ment, tels les héros légen­daires du Tasse à tra­vers les enchan­te­ments d’Alcine.

Un indi­vi­dua­liste, je ne sau­rais trop le répé­ter dans ces notes didac­tiques — un indi­vi­dua­liste n’est pas un être qui s’i­ma­gine « être indi­vi­duel », indi­vi­du, parce qu’il le sou­haite et qu’il le croit, parce qu’il a pro­non­cé les voeux d’in­di­vi­du comme on pro­nonce ceux de moine. Celui-là est un faible et un vel­léi­taire, qui a sim­ple­ment chan­gé de troupeau.

Un indi­vi­dua­liste est, d’a­bord, un patient, labo­rieux, objec­tif et impi­toyable esprit, qui, après avoir ana­ly­sé, comme un chi­miste dans son labo­ra­toire, tout ce qui peut limi­ter, res­treindre et nier les ten­dances d’un être vers l’in­di­vi­dua­tion, arrive à tirer de ces consta­ta­tions (déso­lantes pour un esprit pas­sif, logiques et natu­relles pour un esprit qui veut réa­li­ser l’homme) un ensemble de règles qui lui per­mettent de se faire sa loi, son uni­té men­tale et pragmatique.

Ceux qui dirigent les socié­tés humaines l’ont si bien com­pris dans leur maligne et retorse pré­voyance, qu’ils laissent volon­tiers les phi­lo­sophes ou les savants à leur solde pré­sen­ter aux appren­tis-indi­vi­dus tout un jeu de niai­se­ries phi­lo­so­phiques, socio­lo­giques, médi­cales, hygié­niques, éco­no­miques, qui satis­font la plu­part de ces der­niers et les empêchent (au fond, bien contents !) de s’a­van­cer sur la route gla­ciale qui mène l’être social vers l’in­di­vi­du affranchi…

— O —

Une illu­sion com­mune aux esprits les plus nets, c’est d’ou­blier trop sou­vent que nous sommes, par des­ti­na­tion, des ani­maux reproducteurs

Dans le milieu phy­sique, certes, ils admettent bien les réa­li­tés, les lois, de la masse, de l’es­pace, de la pesan­teur. Dans le milieu men­tal ils admettent bien que la forme de l’in­tel­lect condi­tionne son conte­nu, comme celle d’un vase rond ou cubique condi­tionne la forme du liquide que vous y ver­sez. Dans le milieu social ils savent que la révolte même peut bien insul­ter des forces enne­mies de l’in­di­vi­du, mais non les nier. Avec les stoï­ciens antiques, ils com­prennent que c’est en s’i­den­ti­fiant à tant d’exi­gences que l’être arrive à conqué­rir la liber­té com­pa­tible avec sa nature contin­gente (« Bian homo­lo­gou­me­nôs tê phy­sei » disaient les dis­ciples de Zénon et d’Epictête).

Mais les plus sages croient volon­tiers que l’a­mour et son cor­tège de joies com­plexes leur per­mettent d’af­fir­mer der Einige, alors que les états phy­siques et affec­tifs de l’a­mour com­mencent au contraire par res­ser­rer autour de l’être les mailles inflexibles des instincts.

Dans le recueille­ment de notre vie inté­rieure, face à nous-même, nous sommes trop sou­vent des men­teurs incons­cients. L’homme que Pla­ton mon­trait enchaî­né dans une caverne, devant un mur sur lequel pas­saient des ombres, ombres d’êtres qui défi­laient, au dehors, devant un grand feu, invi­sible pour l’homme enchaî­né ; ce cap­tif sym­bo­lique est notre image, à tous. Dans l’im­pos­si­bi­li­té où nous sommes de rompre les déter­mi­nismes d’ai­rain qui nous tiennent liés, nous nous ima­gi­nons volon­tiers que cer­tains états excep­tion­nels viennent limer ces chaînes et per­mettent à l’in­di­vi­du de sur­gir, libre et titu­bant, devant la caverne des images…

L’a­mour, ain­si com­pris, serait le haschich ou le peyotl de la chair et des fonc­tions cérébrales.

Soyez sin­cères et véri­diques : en est-il un seul, par­mi vous, qui n’ait pas eu cette illusion ?

L’a­mour, par la psy­chose qu’il entre­tient, par l’eu­pho­rie acci­den­telle qu’il crée, semble devoir libé­rer nos états inté­rieurs de ce crible inévi­table par lequel nous pré­ten­dons les faire pas­ser tous.

Ain­si com­pris et pra­ti­qué, il n’est que la plus grave et la plus cap­tieuse des illu­sions, le plus grand dis­sol­vant de cette opé­ra­tion de gal­va­no­plas­tie men­tale qui doit recou­vrir le moule, l’i­dée que nous nous fai­sons de notre indi­vi­dua­li­té possible.

Comme l’a dit Scho­pen­hauer, en effet, c’est jus­te­ment à ces moments là que le génie de l’es­pèce nous empoigne par la nuque, et nous courbe, pan­te­lants, pour accom­plir une volon­té d’être exté­rieure à nous, dont nous ne sommes que l’ac­ci­dent, que la loca­li­sa­tion fugitive.

Si nous admet­tons, comme défi­ni­tion, que l’in­di­vi­dua­liste est un être rai­son­nant qui tente d’ac­qué­rir les fran­chises et la digni­té d’in­di­vi­du ; que l’in­di­vi­du est l’être qui par­vient à réduire au mini­mum — en ce qui le concerne — le poids et l’adhé­rence des contin­gences phy­siques, men­tales et sociales ; il nous faut, sans hypo­cri­sie et sans illu­sion, ana­ly­ser les concepts d’a­mour et d’es­pèce, par rap­port à l’in­di­vi­du, tel que nous le cher­chons en nous et autour de nous.

— O —

L’a­mour est vrai­sem­bla­ble­ment le phé­no­mène humain autour duquel ont le plus dis­ser­té et bati­fo­lé, depuis des mil­lé­naires, les cher­cheurs et les phi­lo­sophes. Cela ne prouve pas qu’un indi­vi­du, pris à l’im­pro­viste, puisse vous en don­ner une défi­ni­tion suf­fi­sante, ana­ly­tique. Nous sommes bien bai­gnés dans l’air atmo­sphé­rique, de nos pre­miers à nos der­niers jours. Et com­bien peu d’hu­mains, pour­tant connaissent avec exac­ti­tude non seule­ment les com­po­sants chi­miques de ce milieu vital que nous finis­sons par oublier, mais encore les dures lois phy­siques qui règlent sa sta­bi­li­té et ses mouvements ?

Le sage et sub­til Pla­ton, dans son Ban­quet et dans son Phèdre nous a don­né, du pro­ces­sus même de l’a­mour par rap­port à l’in­di­vi­du humain, une ana­lyse ‚à la fois poé­tique et pro­fonde, et qui, sur bien des points, garde encore toute sa valeur aujourd’hui.

L’a­mour, dit-il dans le Ban­quet, est le désir du Beau. C’est un désir de pos­ses­sion, en vue du bonheur.

L’ob­jet de l’a­mour, pour­suit-il, est d’a­bord la géné­ra­tion, la repro­duc­tion de l’in­di­vi­du dans la beau­té. C’est la nature mor­telle de l’homme qui cherche à se per­pé­tuer, à se rendre immor­telle autant qu’il lui est possible.

« Mais, ajoute la mys­té­rieuse Dio­time, l’é­tran­gère de « Man­ti­née », ceux qui sont féconds selon le corps aiment les femmes et se tournent de pré­fé­rence vers elles, croyant s’as­su­rer, par la pro­créa­tion, le bon­heur de voir se pour­suivre leur indi­vi­dua­li­té dans la suite des temps,

« Mais ceux qui sont féconds selon l’es­prit cherchent non plus un corps, mais un esprit qu’ils puissent féconder ».

Une fois péné­tré de cette pen­sée socra­tique, notre homme « doit se mon­trer l’a­mant de tous les beaux corps et dépouiller comme une peti­tesse mépri­sable toute pas­sion qui se concen­tre­rait sur un seul. »

En d’autres termes Pla­ton affirme que, si l’homme qui dis­tri­bue la véri­té et le savoir le fait pour toutes les consciences qui lui en semblent dignes, sans se croire contraint de ne créer qu’un couple didas­ca­lique, il ne peut, dans les actes mêmes de l’a­mour, avoir d’autre règle d’action.

Car, ajoute-t-il, si quelque chose donne du prix à la vie humaine, ce n’est pas la contem­pla­tion des belles femmes ou des beaux jeunes gens, mais la contem­pla­tion de la beau­té abso­lue, dont la pos­ses­sion char­nelle d’un corps aimé, n’est que l’oc­ca­sion, le pré­texte, le degré phy­sique d’initiation.

Ain­si, à son plus haut période, l’a­mour, pour Pla­ton, ne serait plus que ce que nous appe­lons l’es­prit de pro­pa­gande, qui aurait su se libé­rer, pour fécon­der une ou des consciences, de l’es­cla­vage de l’es­pèce, des lois brû­lantes de la sexualité.

En d’autres termes encore, pour lui, le sage (que nous appe­lons, nous, l’in­di­vi­du) jouit de la contem­pla­tion et du com­merce de la beau­té intel­lec­tuelle dans un état d’af­fran­chis­se­ment que ne lui don­ne­ra jamais la contem­pla­tion et le com­merce de la beau­té char­nelle. Il ne nie pas, certes, les dou­ceurs du com­merce amou­reux. Mais il ne les consi­dère que comme une gym­nas­tique préa­lable d’un corps qui cherche à libé­rer ce pro­duit flo­ral des corps humains qui est l’individualité.

« Les âmes sont mues, sug­gère d’autre part Socrate dans le Phèdre, d’a­bord par le désir de la volup­té. Ce désir s’ap­pelle amour lors­qu’il s’at­tache au plai­sir que pro­cure la beauté.

« Mais, ajoute le vieux sage, les amants aiment leur bien-aimé comme le loup aime l’agneau ».

Et cette phrase, en forme de fable, est comme le théo­rème des droits de l’a­mour oppo­sés aux droits de l’individu.

Elle pose, en son riche et sym­bo­lique rac­cour­ci, que l’a­mour limite la liber­té de l’homme, res­treint sa per­son­na­li­té, son effort d’in­di­vi­dua­tion, tant que cet amour ne s’at­tache pas à ce qui affran­chit l’homme, c’est-à-dire à la recherche de la beau­té pure.

Or, la beau­té est la tra­duc­tion, par des sens humains, d’une har­mo­nie sen­sible à l’in­di­vi­du. L’art est essen­tiel­le­ment (c’est un lieu com­mun des trai­tés d’es­thé­tique) essen­tiel­le­ment indi­vi­dua­liste. Leur qua­li­té, leur spé­ci­fi­ci­té indi­vi­dua­listes est même ce qui dis­tingue, à l’a­na­lyse, une sen­sa­tion ou une émo­tion d’art d’une sen­sa­tion ou d’une émo­tion ordi­naires. C’est par l’art, par l’é­tat d’art que l’homme s’af­firme le plus net­te­ment indi­vi­du, qu’il affirme, au tra­vers du tor­rent des contin­gences indis­so­lu­ble­ment liées, sa volon­té de rompre leur enve­lop­pe­ment fatal.

Mais pour arri­ver à cet état interne d’es­thé­ti­cisme qui per­met à l’homme de se for­mu­ler comme indi­vi­du, il faut une fran­chise vis-à-vis de soi-même dont les humains sont com­mu­né­ment dépour­vus. Il faut d’a­bord savoir s’af­fran­chir de l’é­tat eupho­rique — com­mun à l’es­pèce — que notre corps exige, tout d’a­bord, dans les impul­sions de l’a­mour et du désir ; c’est pour­quoi, de tous les états phy­siques qui tendent natu­rel­le­ment à dis­soudre l’in­di­vi­du en ges­ta­tion, les actes de l’a­mour sont les plus dan­ge­reux, parce que ce sont ceux pour les­quels il nous est le plus agréable de trou­ver des excuses.

Certes, sans nier le rôle excellent de ces gestes pour assu­rer l’é­qui­libre et l’é­vo­lu­tion nor­male de nos organes de sécré­tion, l’homme peut s’é­le­ver assez haut dans l’af­fran­chis­se­ment de son moi indi­vi­dua­liste pour en venir à consi­dé­rer les actes phy­siques de l’a­mour avec la même séré­ni­té orga­nique qu’il consi­dère les autres actes résul­tant des fonc­tions mêmes de la vie…

La femme, si intel­li­gente puisse-t-elle être, est — d’a­près les lois mêmes de sa construc­tion orga­nique — plus étroi­te­ment assu­jet­tie que l’homme à ses organes générateurs.

Trop sou­vent, des femmes qui se disent « indi­vi­dua­listes » ne voient, si elles sont belles, dans l’a­dop­tion de leur doc­trine que le moyen d’a­pai­ser leurs organes, en don­nant à des exi­gences phy­siques le pres­tige et la parure d’une opi­nion, d’un sys­tème ; si elles sont laides, elles se servent de leur doc­trine, consciem­ment ou non, pour don­ner un corps dog­ma­tique à leur res­sen­ti­ment et à leur jalou­sie latente contre la vie et contre le destin.

— O —

Fau­dra-t-il donc que, décou­ra­gé, l’homme qui s’ef­for­çait d’é­chap­per à l’op­pres­sion auto­ri­taire du milieu social trouve en lui, dans sa chair et dans son esprit, une oppres­sion et une ser­vi­tude aus­si tenaces ? Et com­ment conser­ver un équi­libre entre les exi­gences et les illu­sions des sens, d’une part, et les exi­gences et réso­lu­tions de l’in­tel­li­gence qui veut, d’autre part, per­mettre à l’être de réa­li­ser un idéal d’exis­tence individualiste ?

La règle est simple, tout au moins en son prin­cipe ne pas se men­tir à soi-même.

C’est élé­men­taire, disiez-vous ?

Non.

Si vous osez, loya­le­ment, fouiller dans votre conscience, vous ver­rez que, le plus sou­vent, l’homme se ment à lui-même, et prend les impul­sions confuses de ses organes pour les réso­lu­tions et déci­sions claires de son esprit.

Ceux qui ont la manie rai­son­nante trans­forment leur incli­na­tion en système.

Ce qui est une méthode beau­coup plus facile, beau­coup plus com­mune qu’on ne le croit. Et com­bien de révol­tés oublient qu’il faut, d’a­bord être un révol­té contre soi-même. Com­bien oublient qu’il y a une véri­table hypo­cri­sie à dénon­cer et à flé­trir tout ce qu’il y a d’in­har­mo­nieux dans la Socié­té, si l’on ne s’est pas effor­cé, dans la mesure com­pa­tible avec nos forces et notre cou­rage, de réa­li­ser d’a­bord en nous-mêmes cette har­mo­nie qui doit être l’é­tat nor­mal de tout individualiste.

La sagesse, c’est-à-dire l’en­semble des méthodes qui mettent à l’en­traî­ne­ment l’in­di­vi­du, la sagesse est dans l’art de ne don­ner à la nature que ce qui est néces­saire à la paix de nos sens et à l’é­qui­libre de notre esprit. Pour celui qui a su choi­sir sa route, l’es­pèce ne sau­rait être plus exi­geante et plus impor­tune que la Socié­té et le des­po­tisme des ins­tincts plus pesant que la contrainte sociale.

Ain­si un être à la recherche de son indi­vi­dua­li­té, dési­reux, comme écri­vit Mon­taigne, de « jouir loya­le­ment de son être », doit oublier, quand il consti­tue un couple par accord avec un autre être, à la fois d’être mâle, c’est-à-dire maître, et d’être femelle, c’est-à-dire récep­tacle, ser­vi­tude charmée.

Vous avez vu, à l’a­na­lyse, que l’in­di­vi­dua­lisme n’é­tait pas seule­ment un bru­tal et sim­pliste acte de foi, une enseigne que le pre­mier imbé­cile venu pour­rait mettre sur sa porte, mais le fruit d’un lent, clair­voyant et impi­toyable entraînement.

L’in­di­vi­dua­liste est celui qui est arri­vé à n’a­voir jamais peur de sa pen­sée, et je vous assure que s’il n’est pas un hypo­crite inté­rieur, comme 95 % des hommes, il pas­se­ra de bien déso­lants moments, face à face avec lui-même, seule­ment armé de cette ana­lyse men­tale, aiguë et dan­ge­reuse comme un bistouri… !

Hors de toutes les hypo­cri­sies orga­niques qui recouvrent nos actes comme le carac­tère recouvre nos états affec­tifs, comme la peau recouvre notre paquet de muscles, de nerfs et de veines, l’a­mour peut être l’an­ti­dote de l’in­di­vi­dua­li­té, cet amour qui fai­sait pré­fé­rer à un homme de la qua­li­té men­tale de Goethe sa gigan­tesque âne­rie catho­li­co-médié­vale du second Faust, sur « l’é­ter­nel fémi­nin » das erige weibliche…

Mais l’a­na­lyse de ces élé­ments com­plexes nous entraî­ne­rait trop loin, et nous n’en­ten­dons, dans ces études som­maires, que rédi­ger la pré­face, l’in­tro­duc­tion à un trai­té d’en­traî­ne­ment individualiste.

Notons, en tous cas, que l’in­di­vi­dua­liste est mis hors de sa voie par l’a­mour uni­que­ment dans la mesure où il oublie, où il néglige d’ai­der l’être aimé à se façon­ner et à s’af­fir­mer comme individu.

Le mot « pos­ses­sion » défi­nit les amours des temps archistes et gré­gaires. Le mot « ému­la­tion » défi­ni­rait cet accord, cet unis­son indi­vi­dua­liste entre deux êtres éga­le­ment dési­reux de volup­tés loyales, mais éga­le­ment jaloux de leur liber­té men­tale et phy­sique, « par delà le Bien et le Mal », comme dirait le Zara­thous­tra Nietzschéen.

Si nous enten­dons par indi­vi­du ce qui s’ef­force vers l’u­ni­té, vers l’Ei­nig­keit, vers l’in­di­vi­si­bi­li­té (oppo­sée au divi­dere éty­mo­lo­gique) nous lui évi­te­rons sciem­ment tout ce qui pour­rait dis­so­cier cette imi­té tou­jours instable.

Puisque l’in­di­vi­dua­liste, en der­nière ana­lyse, est celui qui cherche à créer en lui l’in­di­vi­du au milieu du tor­rent des contin­gences, il ne sau­rait consi­dé­rer les lois de l’es­pèce que comme assu­jet­ties à sa propre loi, et les pactes de l’a­mour que comme un moyen de créer un autre indi­vi­du, qui lui soit libre­ment apparenté.

Ain­si le pauvre, pré­caire et vagis­sant amour humain, avec son immuable gym­nas­tique de gestes ani­maux devient, comme l’a­mi­tié socra­tique, un moyen pour l’être de s’af­fir­mer dans la recherche de ce que les Anciens appe­laient la Beau­té, de ce que le XIXe siècle appe­lait la Véri­té, de ce que nous appel­le­rons l’homme, c’est-à-dire quelque chose qui n’existe encore, au fond des meilleurs, que comme une ten­dance — et non comme un fait.

Ganz-Allein

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