La Presse Anarchiste

« Les Aubes mauvaises »

« Je suis l’es­prit qui tou­jours nie » répon­dait Méphis­to­phé­lès au doc­teur Faust et, il semble qu’en Fer­nand Kol­ney se soit incar­né l’es­prit de néga­tion. Son rire sar­cas­tique et sa cruelle logique dépouillent de leur pres­tige toutes les enti­tés pour les­quelles et par les­quelles vivent les hommes. Avec véhé­mence il dis­sèque les beaux sen­ti­ments humains, nul idéal n’est épar­gné, après son impla­cable ana­lyse toute l’é­thique édi­fiée si péni­ble­ment au cours des siècles, se dis­so­cie et nous res­tons face à face avec la nature égoïste et indifférente.

Mais cela ne suf­fit pas à son nihi­lisme : il dis­so­cie, à pré­sent, l’es­thé­tique et démontre que la beau­té n’est, elle aus­si, qu’une idée et, qu’en dépit de Pla­ton, les idées n’ayant pas d’exis­tence objec­tive notre inter­pré­ta­tion esthé­tique de la nature n’est qu’as­so­cia­tions d’i­dées et préjugés.

Eh bien, cela n’est pas suf­fi­sant, lais­sant, Scho­pen­hauer et de Hart­mann dans le domaine phi­lo­so­phique, la pen­sée des­truc­tive de Kol­ney s’at­taque au fait bio­lo­gique lui-même : il faut détruire la vie ! Que la rai­son enfin s’in­surge contre l’ins­tinct… je songe à cette à cette exé­gèse du mythe de Luci­fer et de Dieu : la révolte de la rai­son contre la nature. Et cette dou­lou­reuse excla­ma­tion de Leconte de Lisle :

« Délivre nous du Temps, du Nombre et de l’Espace 
Et rends-nous le repos que la Vie a troublé. »

c’est toute la géné­reuse révolte de l’au­teur des « Aubes mauvaises ».

« Le salon de Madame Tru­plot », muti­lé par la Jus­tice et « l’hon­nête Poin­ca­ré », sai­si par la police, sont sur­tout connus du public en dépit de la conspi­ra­tion du silence. Pour­tant, les « Aubes mau­vaises », dont l’é­di­tion est épui­sée me semble l’œuvre dans laquelle s’ex­prime le mieux le nihi­lisme de l’au­teur, par laquelle il attaque le plus vive­ment « ceux qui adorent quoi que ce soit, la Matière ou l’Es­prit ». L’un des héros, M. Eli­phas, enseigne la néga­tion totale et démontre que sont haïs­sables la Socié­té, la Patrie, la Famille et l’A­mour, mais oui : L’A­mour, qu’on le consi­dère comme fatras « lit­té­raire », pré­ju­gé sen­ti­men­tal, ou piège volup­tueux de l’Ins­tinct. « Un Atti­la, un Tamer­lan, un Napo­léon, qui ont tué des mil­lions d’êtres, sont de pauvres cri­mi­nels à côté d’un homme lucide qui a, seule­ment une fois, créé. »

J’ai dit plus haut que cette révolte était géné­reuse, en effet, le secret du nihi­lisme de Fran­çois Kol­ney le voi­ci dans ce pas­sage des « Aubes mau­vaises » : « tant que dans l’U­ni­vers un être quel qu’il soit, fut-ce un mou­che­ron, souf­fri­ra injus­te­ment, l’U­ni­vers sera haïs­sable et la vie condamnée. »


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