La Presse Anarchiste

La commémoration du cinquantenaire de la mort de Bakounine

Confor­mé­ment aux déci­sions du Plé­num de l’A.I.T., le cin­quan­te­naire de la mort de Michel Bakou­nine a été célé­bré à Paris, le 30 juin 1926, à la salle des Socié­tés Savantes.

Orga­ni­sé par l’A.I.T. avec le, concours de l’U.F.S.A., de la Fédé­ra­tion du Bâti­ment et de l’U­nion Anar­chiste, le mee­ting inter­na­tio­nal a plei­ne­ment réussi.

Une assis­tance nom­breuse se pres­sait pour saluer la mémoire du grand dis­pa­ru et com­mu­nier dans une même pen­sée de libé­ra­tion humaine.

Nos cama­rades ita­liens et espa­gnols étaient par­ti­cu­liè­re­ment nom­breux. en dépit des per­sé­cu­tions dont ils étaient l’ob­jet de la part de la police fran­çaise en rai­son de la venue à Paris du sinistre Alphonse XIII.

Mal­heu­reu­se­ment, leurs ora­teurs ne purent. prendre la parole et don­ner ain­si à ce mee­ting toute sa signi­fi­ca­tion. Seuls par­lèrent donc : Huart et Bes­nard au nom de l’U.F.S.A. et des orga­ni­sa­teurs ; Bou­doux, du S.U.B., au nom de la Fédé­ra­tion du Bâti­ment, et Sébas­tien Faure, au nom de l’U­nion Anar­chiste, Georges Yve­tot, qui s’é­tait enga­gé à par­ti­ci­per à ce mee­ting, ne vint pas, bien que non excusé.

Tour à tour, les ora­teurs firent res­sor­tir le carac­tère de la mani­fes­ta­tion inter­na­tio­nale déci­dée par l’A.I.T. Ils retra­cèrent la vie toute d’ac­ti­vi­té de Bakou­nine ; ils décrirent ses luttes inces­santes contre la bour­geoi­sie capi­ta­liste de tous les pays. Le pen­seur, l’homme d’ac­tion furent évo­qués et, aus­si, toute l’his­toire de la Pre­mière Inter­na­tio­nale à la vie de laquelle Bakou­nine prit une part si prépondérante.

En enten­dant rap­pe­ler les luttes sou­te­nues par Michel Bakou­nine contre Marx, la salle com­pre­nait mieux le carac­tère des batailles actuelles. Elle sai­sis­sait qu’il ne s’a­gis­sait pas — comme de trop nom­breux cama­rades le croient — de vagues luttes d’hommes, ayant des pré­oc­cu­pa­tions subal­ternes ou inté­res­sées. Le choc de deux doc­trines, de deux forces appa­rut clai­re­ment aux yeux de tous. Les cama­rades com­prirent que Marx et Bakou­nine, comme leurs dis­ciples d’au­jourd’­hui, s’op­po­saient de toutes leurs forces pour le triomphe de deux grandes idées dont l’une exprime le Cen­tra­lisme, le des­po­tisme, la force poli­tique oppri­mant le tra­vail, domi­nant et asser­vis­sant les hommes, et l’autre, le Fédé­ra­lisme, repo­sant sur la liber­té, l’or­ga­ni­sa­tion du tra­vail par les forces pro­lé­ta­riennes asso­ciées, l’u­ti­li­sa­tion de toutes les forces sociales pour l’a­mé­na­ge­ment de la vie collective.

Jamais peut-être plus qu’au­jourd’­hui ces deux grandes idées ne se sont oppo­sées avec plus de force et dans tous les pays.

Cela se com­prend d’au­tant mieux que le règne de la force, sous divers aspects aus­si redou­tables et aus­si dan­ge­reux les uns que les autres, semble devoir s’im­po­ser au monde entier.

Ici, c’est la dic­ta­ture de l’argent, dont le fas­cisme est l’ou­til mal­fai­sant ; là, c’est la dic­ta­ture dite du pro­lé­ta­riat dont le com­mu­nisme d’É­tat est l’agent d’op­pres­sion. Par­tout la force s’é­tale, cynique et régressive.

Que ce soit au pays des Soviets — qui n’existent plus que de nom — ou au pays de Mus­so­li­ni, de Pri­mo de Rive­ra ou d’Hor­ty, la pen­sée est serve, la liber­té fou­lée aux pieds, les vrais révo­lu­tion­naires empri­son­nés, les tra­vailleurs ran­çon­nés et bri­més. Ici, là, par­tout, le peuple gémit sous la poigne des tyrans rouges ou blancs. Nulle part, les tra­vailleurs ne sont libres d’or­ga­ni­ser leur vie, d’y pour­voir selon leurs dési­rs et sui­vant leurs besoins.

Jamais plus qu’au­jourd’­hui la néces­si­té ne fut plus grande pour les hommes de se dres­ser de toutes leurs forces, de toute leur intel­li­gence pour évi­ter l’as­ser­vis­se­ment maté­riel et moral ; jamais il ne fut plus urgent de gal­va­ni­ser et de grou­per les forces anti-auto­ri­taires et organisatrices.

Des évé­ne­ments qui s’an­noncent pro­chains et qui seront redou­tables par leurs consé­quences, vont mettre, sous peu, en valeur toutes les idées de Bakou­nine. C’est gui­dés par son exemple, sou­te­nus par sa foi, entraî­nés par son cou­rage que nous pour­rons seule­ment résis­ter aux forces conju­guées du mal et mar­cher réso­lu­ment vers les des­ti­nées qu’il a si lumi­neu­se­ment assi­gnées aux travailleurs.

Il importe donc que le dra­peau qu’il tint si fiè­re­ment de ses mains puis­santes ne tombe pas des nôtres ; que nous l’a­gi­tions plus fiè­re­ment que jamais et qu’il ral­lie autour de lui, pour la grande cause des oppri­més, toutes les volon­tés, tous les cou­rages, tous les savoirs, pour le triomphe de son idéal gran­diose qui est aus­si le nôtre.

Bakou­nine demeure plus vivace chez beau­coup, qu’ils ne le pensent eux-mêmes. Toute la tra­di­tion de notre mou­ve­ment est faite de ses ensei­gne­ments, de sa doc­trine tou­jours basée sur les faits, de sa méthode pra­tique d’or­ga­ni­sa­tion. Tôt ou tard, lorsque les hommes revien­dront à l’es­prit cri­tique ; lors­qu’ils appré­cie­ront à leur valeur exacte les expé­riences répé­tées et néga­tives des par­tis poli­tiques ; lors­qu’ils se ren­dront compte de la vani­té et de la sot­tise de leurs solu­tions ; lors­qu’ils com­pren­dront les méfaits de la force, lors­qu’ils acquer­ront l’i­dée qu’il n’est point de sau­veur et que le salut est en eux, rien qu’en eux, — à ce moment-là ils revien­dront d’une façon défi­ni­tive aux solu­tions de Bakou­nine dont Pel­lou­tier, en France, fut le brillant conti­nua­teur dont nous nous effor­çons, à notre tour, de par­faire l’œuvre et de réa­li­ser les magni­fiques prévisions.

* * * *

Dans les autres pays, la com­mé­mo­ra­tion ne fut pas moins impres­sion­nante. En Alle­magne, la F.A.U.D. (Cen­trale anar­cho-syn­di­ca­liste) avait publié un numé­ro spé­cial de son organe Der Syn­di­ka­list entiè­re­ment dédié à Bakou­nine ; des mee­tings publics eurent lieu à Ber­lin, à Dresde, à Düs­sel­dorf, à Cas­sel et dans un grand nombre d’autres grande villes de l’Al­le­magne, et toute la presse, sur­tout en pro­vince, s’é­tait vue obli­gée de par­ler du rôle joué par Bakou­nine dans le mou­ve­ment révo­lu­tion­naire mon­dial. En Hol­lande, la Cen­trale syn­di­ca­liste (N.S.V.), en col­la­bo­ra­tion avec les dif­fé­rentes orga­ni­sa­tions anar­chistes du pays, orga­ni­sa un grand mee­ting-concert à Amsterdam.

En Suisse, le « Réveil » de Genève, en Ita­lie « Pen­sie­ro e Volon­tà » publièrent des numé­ros spé­ciaux dédiés à Bakou­nine et une mani­fes­ta­tion eut lieu sur la tombe de Bakou­nine, à Berne.

De même en Suède et en Nor­vège, la presse syn­di­ca­liste et anar­chiste publia des édi­tions spé­ciales com­mé­mo­rant le grand apôtre de la Révo­lu­tion Sociale.

Ce fut une belle occa­sion de pro­pa­gande inter­na­tio­nale pour nos idées. Elle ne man­que­ra pas de por­ter ses fruits.


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