La Presse Anarchiste

L’A.I.T. en France

La pub­li­ca­tion, en France, d’un organe de l’As­so­ci­a­tion Inter­na­tionale des Tra­vailleurs néces­site de la part de cette dernière quelques mots d’explication.

Le syn­di­cal­isme révo­lu­tion­naire en France, — celui que nous avons con­nu avant la guerre, — n’ex­iste plus. Déchiré par les divers­es ten­dances que la guerre elle-même et, plus tard, la révo­lu­tion. russe ont intro­duit au sein des ouvri­ers organ­isés dans la C.G.T., le syn­di­cal­isme révo­lu­tion­naire se tronçon­na en plusieurs morceaux et, tout en restant syn­di­cal­iste, perdit entière­ment son car­ac­tère véridique­ment révo­lu­tion­naire. La scis­sion con­tin­ua son œuvre de désagré­ga­tion et, à l’heure actuelle, il ne peut sub­sis­ter aucun doute sur le car­ac­tère et le rôle négat­ifs des deux. C.G.T.

Quant au mou­ve­ment syn­di­cal­iste révo­lu­tion­naire non cor­rompu ni par le col­lab­o­ra­tionnisme de class­es instau­ré par la C.G.T., ni par les mer­veilles de la « dic­tature du pro­lé­tari­at » dont la C.G.T.U. est dev­enue le porte-parole, il s’est presque effondré.

Dégoûtés de tous les meneurs et de tous les politi­ciens, les ouvri­ers qui sont restés fidèles aux idées du fédéral­isme et de l’an­ti-étatisme des fon­da­teurs du syn­di­cal­isme révo­lu­tion­naire en France, tel qu’on l’a con­nu lors de la pro­mul­ga­tion de la Charte d’Amiens, se cloitrèrent dans des syn­di­cats autonomes sans liai­son entre eux et, par­tant, sans le moin­dre appui mutuel. Dis­séminés par tout le pays, ils voy­aient leurs forces dimin­uer régulière­ment. Un espoir latent que la scis­sion, ne pou­vait con­tin­uer longtemps leur empêchait de s’or­gan­is­er. Mais, de plus en plus, l’u­nité syn­di­cale ne deve­nait qu’un mot d’or­dre dans la bouche des dém­a­gogues de toutes écoles qui l’ex­ploitaient pour leurs pro­pres fins.

Les syn­di­cats autonomes se devaient de réa­gir con­tre cette dém­a­gogie et d’u­nir leurs forces con­tre tous ceux qui voulaient et veu­lent tou­jours asservir les organ­i­sa­tions ouvrières an prof­it d’un par­ti politique.

L’As­so­ci­a­tion Inter­na­tionale des Tra­vailleurs, qui unit dans son sein les syn­di­cal­istes révo­lu­tion­naires de l’Eu­rope et de l’Amérique, ne pou­vait se dés­in­téress­er de la lutte que ses cama­rades d’idées et de tac­tique avaient à men­er en France con­tre les forces unies de la réac­tion, du réformisme de trahi­son. et du bolchévisme cynique­ment démasqué. Sachant les dif­fi­cultés dans lesquelles ils se débat­taient, sachant que, con­tre la presse enne­mie, on n’avait à oppos­er aucun organe de pro­pa­gande et de dis­sémi­na­tion de nos idées, l’A.I.T. avait décidé de com­mencer, à Paris, la pub­li­ca­tion d’un bul­letin men­su­el qui per­me­t­trait aux syn­di­cal­istes révo­lu­tion­naires de ce pays, par le libre usage de ses pages, de rassem­bler leurs forces ter­ri­ble­ment éparpil­lées aujour­d’hui, de les regrouper et de faire revivre un mou­ve­ment autonome et indépen­dant qui ne voudra se pli­er ni aux exi­gences d’une démoc­ra­tie pour­rie, ni aux ordres d’une dic­tature féroce qui, à sa base, détru­it le moin­dre ves­tige de bien-être et de liberté.

Un suc­cès ouvri­er dans un pays a sa réper­cus­sion immé­di­ate au sein. de la classe ouvrière mon­di­ale. Une défaite ouvrière a aus­sitôt son écho funeste dans tous les pays. La faib­lesse du syn­di­cal­isme français — c’est un coup porté au syn­di­cal­isme révo­lu­tion­naire mon­di­al. Aider à ce que le mou­ve­ment révo­lu­tion­naire de la classe ouvrière française devi­enne une force vivante et active, c’est ren­forcer les idées et les méth­odes du syn­di­cal­isme fédéral­iste et antié­tatiste dans tous les pays.

C’est en cela que con­siste l’œu­vre et le but de l’A.I.T.

Mais une autre con­sid­éra­tion non moins impor­tante a dic­té à l’A.I.T. le rôle qu’elle doit jouer. en France : c’est celle de l’émi­gra­tion. L’Es­pagne et l’I­tal­ie, étouf­fées sous le joug d’une dic­tature féroce, ont vu leurs organ­i­sa­tions ouvrières détru­ites par la poigne de fer de Pri­mo de Rivera et de Mus­soli­ni. Les mem­bres de ces organ­i­sa­tions durent fuir leurs pays respec­tifs et trou­ver ici un refuge pro­vi­soire. Les syn­di­cal­istes espag­nols et ital­iens, mem­bres de la Con­fédéra­tion Nationale du Tra­vail d’Es­pagne et de l’U­nion Syn­di­cale Ital­i­enne se trou­vent en exil, non seule­ment sans lien entre eux, mais aus­si sans lien avec les organ­i­sa­tions ouvrières du pays où ils se trou­vent. Ceci se rap­porte aus­si, bien qu’en un degré moin­dre, aux émi­grés polon­ais, russ­es et autres. Un tel état de choses ne fai­sait qu’ap­pro­fondir la démoral­i­sa­tion dans les rangs de notre mou­ve­ment. Il était, certes, du devoir de l’A.I.T., à laque­lle adhérent et la C.N.T. d’Es­pagne et l’U.S. Ital­i­enne, de faire son pos­si­ble pour ne pas laiss­er s’é­parpiller les forces émi­grées, pour ren­forcer, avec elles, le mou­ve­ment autonome de France et pour leur don­ner la pos­si­bil­ité de pou­voir, quand son­nera la libéra­tion de leur pays, rebâtir chez eux leur mou­ve­ment révo­lu­tion­naire d’émancipation.

Dans cette œuvre, l’A.I.T. espère ren­con­tr­er la sym­pa­thie et l’ap­pui pra­tique des syn­di­cal­istes révo­lu­tion­naires de France. De son côté, elle aidera, par tous les moyens dont elle pour­ra dis­pos­er, à l’œu­vre de regroupe­ment et de recon­struc­tion de notre mou­ve­ment en France sur une base solide et durable.