Ohé, la jeunesse ! — jeunes syndicalistes, jeunes pacifistes, jeunes libertaires ― où es-tu ? que fais-tu ? « Place aux jeunes ! » dit-on un peu partout dans les formations politiques et syndicales. En vérité, les vieux de la politique ne tiennent pas du tout à voir arriver des jeunes pleins de dynamisme qui pourraient bien leur chiper leur place, sait-on jamais ? Chez nous, la question ne se pose pas de la même façon, car les places à prendre ne sont pas d’un bon rapport : on n’y reçoit que des coups et de nombreuses années de « repos forcé » dans les prisons de la démocratie. Mon ami Lecoin, qui est un peu comme le champion de l’emprisonnement, en sait quelque chose. Et pourtant, il se lance, de nouveau, dans la bagarre en créant cette revue d’éducation et d’action, Défense de l’Homme.
Quel plus beau titre pouvait-il choisir ?
Dans cette société infecte que nous subissons, où l’individu est écrasé par le Pouvoir, volé par les uns, tondu par les autres, encadré par les formations politiques, on ne lui demande que d’obéir aux ordres des chefs — toujours obéir !
Dans cette période trouble que nous traversons, où l’on entend déjà les bruits de bottes militaires, les anars ont leur mot à dire. Ils doivent même parler haut et clair.
Jeunes compagnons, vous qui en seriez les premières victimes, écoutez bien : la guerre atomique peut éclater sans crier gare. Allez-vous rester inactifs dans le péril commun ?
N’y a‑t-il vraiment rien à faire ? L’esprit combatif ne serait-il plus votre apanage ?
Rappelons-nous le courage déployé dans tous les domaines par certains des nôtres depuis seulement un demi-siècle. Et quand nous aurons comparé ce que nous risquons à ce qu’ils ont risqué, nous verrons que nous n’avons pas le droit de rester neutres devant la lâcheté de la foule et la fourberie des dirigeants.
Jeunes camarades ! Certains d’entre vous pensent peut-être que la Troisième Force suffira à les protéger de tous les malheurs ? Ils seront vite déçus. Cette formation gouvernementale de R. Schuman à L. Blum n’est qu’un attrape-nigauds de plus pour les prochaines campagnes électorales. Dans cet amalgame de politiciens, se trouvent fraternellement unis les « durs » et les « mous » de la S.F.I.O. avec les doux chrétiens du M.R.P. Je connais des copains de « chez nous » qui voulaient y adhérer pour… l’animer, disaient-ils, et lui donner de la vigueur ! Non, mais, sans blague ! Peut-on animer un mort ?
Jeunes amis, écoutez bien ! Pour être un véritable libertaire, il faut admettre la négation de toutes les patries et combattre l’autorité de tous les États.
Il faut défendre l’Homme d’abord ! Nous ne nions pas la valeur de certaines « collectivités », mais nous nous en méfions, Nous les avons vues à l’œuvre ! Poussées par les aventuriers de la politique, elles sont capables de commettre les plus grands crimes comme elles sont quelquefois susceptibles d’aider à la réalisation d’une noble idée.
Dans les inoubliables manifestations du Pré-Saint-Gervais, les foules hurlaient leur haine de la guerre et leur volonté de se refuser à la faire. Quelques jours après, guidées par les pontifes, elles braillaient la Marseillaise et criaient « À Berlin ! »
Malgré tout, faisons ce que nous devons faire et assumons la besogne que les événements commandent, que notre propre sécurité exige.
Que les anars, les vrais syndicalistes, les pacifistes sincères soutiennent ce journal qui, en prenant la défense de l’Homme, défendra sûrement la paix. Il y aura du travail pour tout le monde !
Nous mettrons au pied du mur les dirigeants de la IVe République. Nous exigerons d’eux tout ce que nous pourrons : l’amnistie, par exemple, pour les insoumis, objecteurs de conscience et « déserteurs par conviction », pour tous les emprisonnés, même.
À l’œuvre, jeunes compagnons, pour la conquête d’un avenir meilleur !
Pierre Le Meillour