La Presse Anarchiste

Les communautés palestiniennes sont-elles en péril ?

La ques­tion pales­tini­enne qui a fait et fera couler des flots d’en­cre reste cepen­dant extrême­ment con­fuse pour l’énorme majorité des gens qui n’ar­rivent pas à s’y recon­naître dans le fatras des nou­velles, plus con­tra­dic­toires les unes que les autres. Nous allons nous efforcer, dans cette étude, de don­ner une vue d’ensem­ble du prob­lème aus­si claire que pos­si­ble. Nous n’avons pas l’in­ten­tion de faire ici une his­toire du peu­ple juif, ce qui nous oblig­erait à trop de développements.Il nous est néces­saire, cepen­dant, de rap­pel­er briève­ment, au point de vue his­torique, que les Sémites de Chaldée, après divers­es migra­tions, se fixèrent en Pales­tine 1500 ans avant Jésus-Christ. Saül (1100 avant J.-C.) fut le pre­mier roi des Hébreux. À la mort de Salomon, fils de David (vers 930 avant J.-C.) des dis­sen­sions éclatèrent entre les tribus, et l’Em­pire fut divisé en deux : le roy­aume d’Is­raël et celui de Juda. Une suc­ces­sion de guer­res avec les Macé­doniens, les Séleu­cides, les Chaldéens, etc., se pla­cent pen­dant sept ou huit cents ans qui per­me­t­tent à Rome (au début de notre ère) d’asservir la Pales­tine. Cet asservisse­ment devint défini­tif sous Adrien, en 135, après plusieurs révoltes dont la plus célèbre, celle de Jérusalem, fut écrasée par Titus. À par­tir de cette date, les Juifs n’eurent plus d’ex­is­tence nationale. De là com­mence leur dis­per­sion dans le monde.

L’É­tat romain ayant soumis les Juifs (ce nom date de l’époque gré­co-romaine, aupar­a­vant on ne dis­ait que Israélites ou Hébreux) à une lég­is­la­tion spé­ciale, c’est de ce moment que l’ex­is­tence, les moyens de vivre, com­men­cent pour les Juifs de revêtir une forme par­ti­c­ulière, si bien que le nom de juif va être syn­onyme d’usuri­er, nom que, nous devons à la vérité de le dire, ils mériteront ample­ment en mille cir­con­stances. Nous devons à la vérité de dire aus­si que les lois sociales faites spé­ciale­ment pour eux ne leur lais­saient guère que la forme com­mer­ciale ou l’usure pour sub­sis­ter, forme qui, pen­dant de longs siè­cles, était déshon­o­rante pour qui l’exerçait.

Par ce moyen, per­fec­tion­né par eux de généra­tion en généra­tion, ils acquirent des for­tunes colos­sales dont ils furent péri­odique­ment dépouil­lés. Il en fut ain­si dans tous les pays du monde.

L’Assem­blée Con­sti­tu­ante, en France, lors de notre grande révo­lu­tion, leur recon­nut les droits civils et civiques. Cepen­dant, dans de nom­breux États, et cela jusqu’à nos jours, on leur appli­qua des lois qui ne cessèrent de les con­sid­ér­er comme un peu­ple à part. Cha­cun a encore en mémoire les ghet­tos dans lesquels ils étaient con­finés et les exac­tions qui pleu­vaient sur eux.

L’an­tisémitisme les con­sid­ère comme réfrac­taires à toute assim­i­la­tion, comme des étrangers, for­mant au milieu de pays divers un bloc sol­idaire dom­mage­able à la Nation.

Les per­sé­cu­tions féro­ces d’une part, l’amour de l’ar­gent d’autre part, avaient fait du Juif en général, dans le passé, un indi­vidu qui nous appa­rais­sait mépris­able, vu sa lâcheté devant la répres­sion et les moyens déloy­aux pour arriv­er à la richesse.

Avec la Pales­tine, nous allons nous occu­per d’un indi­vidu tout à fait nou­veau qui, au con­traire, entraîn­era nos sym­pa­thies. Il est évi­dent que la race juive four­mille d’in­tel­lectuels et de savants. Il est non moins évi­dent que les couch­es divers­es de cette race dans quelque pays où elles se trou­vent, ne sont pas inférieures aux couch­es des nationaux de ces pays. Dans ces con­di­tions, il était cer­tain que l’on ne résoudrait pas le prob­lème comme on l’a résolu pour les Incas, les Aztèques et autres peaux-rouges, ou pour les peu­plades négroïdes « tur­bu­lentes » par l’ex­ter­mi­na­tion pure et simple.

Plus tard, au con­traire, l’indig­na­tion mon­di­ale devant les hor­reurs des camps nazis, où six mil­lions de Juifs périrent, a déter­miné une sym­pa­thie et un sou­tien qui n’ex­is­taient pas auparavant.

En 1918, cinquante-deux nations approu­vèrent la déc­la­ra­tion de Lord Bal­four promet­tant l’étab­lisse­ment d’un foy­er juif en Pales­tine. Le mou­ve­ment sion­iste (qui veut dire groupe­ment pour une patrie) prit une grande exten­sion. Un ent­hou­si­asme immense ani­ma les Juifs du monde entier. Des sommes con­sid­érables furent col­lec­tées. L’im­mi­gra­tion s’ac­céléra. Une mys­tique de fon­da­tion d’un État juif totale­ment indépen­dant se développa.

Cette dernière façon de voir ne devait pas tarder à provo­quer des fric­tions avec l’An­gleterre. Celle-ci, en effet, a des intérêts con­sid­érables dans le Moyen-Chient. Men­tion­nons seule­ment le canal de Suez, donc la route des Indes, le pipe-line qui apporte le pét­role à Haï­fa, et les côtes pales­tini­ennes rel­a­tive­ment longues, placées en un point méditer­ranéen qui peut devenir un cen­tre névral­gique pour les Anglais, tant pour leurs pos­ses­sions africaines que pour leurs com­bi­naisons en Ara­bie et dans leurs domin­ions et colonies de l’Océan Pacifique.

Il sem­ble que lors de la déc­la­ra­tion Bal­four, l’An­gleterre pen­sa que la Pales­tine, con­trôlée par elle d’une manière générale, deviendrait sinon une colonie où domin­ion, du moins quelque chose d’ap­prochant, en tout cas quelque chose de mal­léable selon les fluc­tu­a­tions de sa poli­tique comme le sont les États arabes. L’opin­ion des mil­liar­daires juifs à la Roth­schild, entière­ment à la dévo­tion de sa poli­tique, dut l’af­fer­mir dans cette façon de voir.

Ces mil­liar­daires achetèrent d’im­menses quan­tités de ter­rains pour un prix dérisoire et, « phil­an­thropes » comme tou­jours, se déclarèrent prêts à recevoir le flot des colons qui voudraient bien venir courber l’é­chine sous l’œil pater­nel des chiens de leurs bien­fai­teurs. Ce fut une lourde erreur.

Guidés par des hommes remar­quables, ani­més d’une foi nou­velle ardente pour la créa­tion de leur foy­er nation­al, aidés par des dons ou col­lectes qui pro­duisirent des sommes con­sid­érables, le peu­ple d’Is­raël aspi­rait à autre chose que de venir grossir les comptes ban­caires de Rothschild.

Voy­ant le dan­ger pour l’avenir si cet état d’e­sprit d’indépen­dance n’é­tait jugulé et devant l’im­pos­si­bil­ité de trou­ver les Juifs à sa dévo­tion, les Anglais, sans être man­datés ou approu­vés par la S.D.N., prirent une option sur l’avenir en fon­dant le roy­aume de Tran­sjor­danie avec pour roi Hab­dala, entière­ment soumis à eux. La Tran­sjor­danie est donc un ter­ri­toire détaché de la Pales­tine conçue en 1918. Il est cer­tain qu’il sera revendiqué plus tard, à plus ou moins longue échéance, si l’É­tat juif sort vic­to­rieux de ses épreuves présentes et futures. Mais n’épi­loguons pas.

Pen­dant ce dernier quart de siè­cle, l’émi­gra­tion juive s’est pour­suiv­ie à un rythme accéléré. La Pales­tine compte aujour­d’hui env­i­ron un mil­lion de Juifs (offi­cielle­ment 650 000 déclarés par les Anglais). Si l’on y eut mis moins d’en­trav­es, il est cer­tain que ce chiffre serait beau­coup plus con­sid­érable. On cal­cule que le pays peut absorber un mil­lion de per­son­nes en dix ans. Les Juifs dis­ent trois ou qua­tre mil­lions. Il reste encore 13 mil­lions de Juifs, dont 5 mil­lions aux U.S.A., 2 mil­lions en Angleterre et dans ses colonies et domin­ions, 5 mil­lions en Russie. Notons que ces derniers ne sont soumis à aucun régime d’ex­cep­tion, mais qu’on leur a attribué une république dans le cadre du régime où ils sont très défa­vorisés sous le rap­port des ressources naturelles.

Pales­tine et Tran­sjor­danie peu­vent absorber, selon les patri­otes fana­tiques, 25 mil­lions d’in­di­vidus, 20 mil­lions selon le gou­verne­ment offi­ciel juif. L’En­cy­clopédie anar­chiste, qui date de vingt ans, dit 3 mil­lions. Sans doute, ce chiffre très bas fut-il avancé en con­sid­érant que l’im­mense par­tie déser­tique du pays était con­damnée à rester à l’é­tat de désert, impro­pre à l’étab­lisse­ment de l’homme et alors que l’on ne pou­vait prévoir les réal­i­sa­tions extra­or­di­naires qui furent faites depuis et dont nous allons vous entretenir. Com­bi­en serait dans l’er­reur celui qui se représen­terait le Juif pales­tinien comme nous en avons tant con­nus autre­fois : âpres au gain, sor­dides d’aspect, vivant dans des taud­is et dans la crasse, mar­mot­tant leurs éter­nelles prières, déloy­aux dans leurs com­porte­ments, bref, le Juif à papil­lotes et à la barbe inculte avec le pan­talon en tire-bou­chons ! Ce Juif là, à de très rares excep­tions près, n’a pas sa place là-bas, La société de class­es, dans le sens européen, ne s’y est pas refor­mée non plus.

Les émi­grants, qui débar­quèrent en Pales­tine au cours de ces vingt ans, étaient surtout des jeunes gens fuyant les per­sé­cu­tions. Ils arrivaient, en général, ne pos­sé­dant que leurs bras et leur foi. Non la foi religieuse. Mais la foi de trou­ver une terre enfin accueil­lante, et pour cette terre ils étaient prêts à tous les sacrifices.

Des dirigeants, ou plutôt des guides intel­li­gents, for­més à l’é­cole social­iste (par social­iste j’en­tends les dif­férentes écoles, y com­pris celle des lib­er­taires, représen­tée par le jour­nal anar­chiste juif « Arbeit­er Stimme » qui paraît quo­ti­di­en­nement depuis une cinquan­taine d’an­nées) surent les ori­en­ter magnifiquement.

La C.G.T. pales­tini­enne a un esprit syn­di­cal­iste et coopératif que nous aime­ri­ons voir à nos pro­pres C.G.T. Cela ne se traduit pas par des dis­cours ou des affich­es, mais par des réal­i­sa­tions con­crètes. La C.G.T. a acheté d’im­menses ter­rains (peu chers autre­fois, très chers aujour­d’hui). Les émi­grants à qui l’on donne les instru­ments de tra­vail mod­ernes, les semences et les matéri­aux indis­pens­ables, pren­nent pos­ses­sion de ces ter­rains, les défrichent tout en se défen­dant con­tre les incur­sions arabes, con­stru­isent leurs maisons et, de déserts font des oasis splen­dides au prix d’ef­forts surhu­mains. Par­fois, il faut enlever plusieurs mètres de sable avant de trou­ver la terre arable, les pier­res représen­tent un ton­nage impres­sion­nant. Il faut ensuite établir les irri­ga­tions, faire les routes. Vien­nent encore le boise­ment, la con­struc­tion des dépen­dances, etc., avant d’ar­riv­er à la cul­ture pro­pre­ment dite. Le début du con­fort ne vient qu’après un cer­tain nom­bre d’années.

Tout cela se fait en com­mu­nautés où l’on tient compte dans la plus large mesure des goûts, des apti­tudes, de la force de cha­cun pour la dis­tri­b­u­tion du travail.

Il y a deux formes de com­mu­nautés collectivistes.

Pre­mière forme : les béné­fices sont répar­tis entre tous.

Deux­ième forme : tout est à tous, rien à per­son­ne. Prise au tas.

La terre, achetée aux Arabes, appar­tient main­tenant à l’É­tat qui a suc­cédé au Fonds Nation­al et qui peut la ven­dre aux par­ti­c­uliers pour 99 ans. Aux col­lec­tiv­ités, elle est don­née, mais celles-ci doivent la tra­vailler ou l’É­tat la reprend.

Le béné­fice entier appar­tient aux col­lec­tiv­ités, nul impôt n’est perçu.

Il y a des col­lec­tiv­ités religieuses (à peine 20%), jamais de col­lec­tiv­ités mixtes. Le salari­at ne peut exis­ter dans les com­mu­nautés agri­coles. Ceci explique la déca­dence des colonies des « phil­an­thropes » à la Roth­schild dont les vieux trafi­co­teurs qui les habitent encore vivent mis­érable­ment. Cepen­dant, ces « phil­an­thropes » pos­sè­dent des mil­liers d’hectares de ter­res, en frich­es pour la plu­part, qu’ils refusent de ven­dre ou de louer aux com­mu­nautés voisines trop à l’étroit et désireuses de s’é­ten­dre, tant ils sont effrayés par l’idéolo­gie révo­lu­tion­naire de ces dizaines de mil­liers de com­mu­nau­taires. Les com­mu­nautés agri­coles for­ment des bourgs allant d’une cen­taine à 1500 habi­tants. Et on en compte trois cents environ.

La C.G.T., en out­re, pos­sède des usines, des mégis­series, des choco­la­ter­ies, des raf­finer­ies d’huile d’o­live et de sucre, des cimenter­ies, des fab­riques de tabac, de jus de fruits, des écoles, etc., etc… Ses béné­fices sont employés à la créa­tion de coopéra­tives presque dans tous les domaines de l’é­conomie, à l’as­sainisse­ment du pays, etc., etc…

Les coopéra­tives de con­struc­tion ont con­stru­it des mil­liers de maisons qui restent leur pro­priété. Non seule­ment le loy­er est fixé par l’or­gan­i­sa­tion, mais toute spécu­la­tion est ren­due impossible.

Notons que les dirigeants, tant dans les coopéra­tives que dans la C.G.T., les col­lec­tiv­ités ou com­mu­nautés, ne sont pas inamovi­bles, comme c’est le cas chez nous, mais au con­traire sont élus pour un temps très court (générale­ment un ou deux ans) après quoi ils repren­nent leur tra­vail. Ain­si un nom­bre con­sid­érable d’hommes passent aux postes de direc­tion, ce qui fait que nul n’est jamais indispensable.

Les com­mu­nautés, qui représen­tent 60 à 80% de l’é­conomie de la Nation, accor­dent à l’en­fant tous les avan­tages pos­si­bles. Celui-ci, dans les com­mu­nautés vieilles de quelques années, est élevé dans des mater­nités mod­èles où des per­son­nes spé­cial­isées s’oc­cu­pent con­tin­uelle­ment de lui ; dans les com­mu­nautés nou­velle­ment instal­lées, sans avoir le même con­fort, il est néan­moins l’ob­jet des préoc­cu­pa­tions con­stantes. Le père et la mère vien­nent le voir chaque jour, leur tra­vail ter­miné. Cepen­dant, tous les mem­bres de la com­mu­nauté se con­sid­èrent égale­ment comme pères et mères de tous les enfante et agis­sent comme tels.

L’en­fant, cepen­dant, n’est pas élevé dans une boîte à coton et bien qu’il soit le souci dom­i­nant des mem­bres de la com­mu­nauté, ceux-ci savent qu’il doit être avant tout un colon futur. En con­séquence, son instruc­tion est solide, mais sans être extrême­ment poussée. Plus tard, dis­ent les mem­bres des com­mu­nautés, il en sera autrement. Les tâch­es actuelles néces­si­tent des jeunes gens forts, sains, entraînés physique­ment. La pro­preté cor­porelle, les exer­ci­ces au grand air pren­nent donc, avec l’in­struc­tion des tâch­es futures, la majeure par­tie du temps de l’en­fant en dehors de son som­meil. Ne vivant pas dans une atmo­sphère de com­péti­tion sociale, ayant à volon­té les choses qui lui sont néces­saires, l’en­fant ignore les maux engen­drés par l’ex­ploita­tion et le profit.

Pour bien saisir le développe­ment d’une com­mu­nauté, on lira avec fruit le roman d’Arthur Kœstler : « La Tour d’Ezra ». Il s’ag­it, ici, d’une com­mu­nauté agri­cole qui vient défrich­er un coin du désert. On ver­ra ses dif­fi­cultés du début puis ses réal­i­sa­tions progressives.

L’amour est libre, le mariage égale­ment. Les rites de la reli­gion, s’ils sont encore très sou­vent observés quant au mariage religieux, le sont sans foi et par gen­til­lesse envers le rab­bin. Kœstler, à ce pro­pos, nous con­te plaisam­ment le mariage de trois cou­ples qui rient de cette céré­monie. L’une des mar­iées, enceinte de huit mois, s’est faite rem­plac­er par une amie qui a rem­pli ce rôle trois fois ces deux dernières années ! Le même anneau sert à tous les mem­bres tour à tour, la com­mu­nauté n’en pos­sé­dant qu’un.

Si la pro­priété privée est ban­nie des com­mu­nautés, il existe cepen­dant un cer­tain nom­bre de cap­i­tal­istes qui, ayant pu sauver leurs for­tunes, se sont instal­lés dans une exis­tence bour­geoise oisive et plus ou moins somptueuse. Ils ne for­ment, il va sans dire, qu’une infime minorité.

D’après l’ab­bé A. Glas­berg1Vers une nou­velle charte sociale, p. 54., l’é­conomie agri­cole juive a pro­duit, en 1947 par exem­ple : 80 mil­lions de litres de lait, 170 mil­lions d’œufs, 67 000 tonnes de légumes, 25 000 tonnes de fruits.

La part de par­tic­i­pa­tion revenant dans cette pro­duc­tion à la coopéra­tion ouvrière est de 61%.

Que devi­en­nent les Arabes dans tout cela ?

Ils vivent, la plu­part, comme au temps féo­dal, gar­dant la foi ridicule et les rites des ancêtres, n’at­ten­dant rien d’i­ci-bas. Ils végè­tent dans des maisons sor­dides et cul­tivent mai­gre­ment leurs champs, der­rière la char­rue à socle de bois, éton­nés de voir des cul­tures immenses et des vil­lages riants édi­fiés sur les déserts de sable et de cail­loux dont on n’a su rien faire durant des mil­liers d’années.

Que l’on nous com­prenne bien. Nous ne mépris­ons nulle­ment les Arabes. Nous con­nais­sons leurs qual­ités, notam­ment leur hos­pi­tal­ité et le respect de la parole don­née. Mais ici nous ne nous plaçons pas sur le plan sen­ti­men­tal mais dans le domaine des faits.

Toute­fois, la caté­gorie d’Arabes qui a vécu dans les villes et tra­vail­lé dans les entre­pris­es juives où son niveau de vie mon­ta de cinq à dix fois ce qu’il était aupar­a­vant com­mence à réfléchir, à admir­er, à com­pren­dre ces con­di­tions sociales neuves pour elle. Cela con­stitue une révo­lu­tion dans les esprits qui se traduira dans la pra­tique à une plus ou moins longue échéance. Les roitelets arabes ne fer­ont plus régn­er très longtemps leur despo­tisme au détri­ment de leurs pop­u­la­tions avachies par la stricte obser­vance de l’ortho­dox­ie religieuse.

Du reste, il faut que l’on sache que ce ne sont pas les pop­u­la­tions arabes qui se heur­tent au monde juif.

Ce sont les Anglais et leurs mer­ce­naires polon­ais d’An­ders, nazis rescapés de la dernière guerre, et les aven­turi­ers à la Fawzi-Kaoukji ou grand Mufti.

Nous n’avons pas fini d’être éton­nés et, au fur et à mesure que cet ordre social nou­veau fera, nous l’e­spérons, tache d’huile dans le Moyen Ori­ent d’abord, ailleurs ensuite, les plus grands espoirs seront per­mis pour l’avenir et l’af­fran­chisse­ment des class­es spoliées depuis toujours.

Par de très nom­breux côtés, l’ex­péri­ence des com­mu­nautés juives rap­pelle celle des com­mu­nautés d’Aragon et du Lev­ant en Espagne 36—37.

Il est curieux de con­stater qu’il a fal­lu le ter­ror­isme de l’Ir­goun et des groupes Stern qui, par leurs coups de mains auda­cieux con­tre les Anglais ont soulevé l’ad­mi­ra­tion des foules, pour attir­er l’at­ten­tion sur des ten­ta­tives d’or­gan­i­sa­tions nou­velles que nous ne pou­vons voir que d’un œil extrême­ment sympathique.

Au Cours de la guerre 1939—1945, les entre­pris­es privées, il y en a, ayant des cap­i­taux plus con­sid­érables que la C.G.T. qu’ex­igeait cette époque de grands investisse­ments indus­triels et d’équipement en matériel mod­erne, importé, con­nurent une cer­taine prospérité. L’é­tat de chose nor­mal étant revenu, elles ne purent lut­ter con­tre les com­mu­nautés ayant sup­primé le prof­it, et par con­séquent la hiérar­chie et la bureau­cratie qui grèvent les entre­pris­es mod­ernes capitalistes.

Les béné­fices de ces entre­pris­es privées ne répon­dant plus aux cap­i­taux investis, les cap­i­tal­istes s’en dés­in­téressèrent et la plu­part furent rachetées par le Fonds Nation­al, la C.GT. Ou les coopéra­tives. Cette ruche où tout le monde doit tra­vailler (même les rab­bins) nous paraît dif­fi­cile­ment bat­table sur le ter­rain économique.

Les fonds col­lec­tés dans le monde afflu­ent tou­jours en Pales­tine. Nous avons eu la curiosité, voici quelques semaines, d’as­sis­ter à l’of­fice de la syn­a­gogue de la rue Notre-Dame-de-Nazareth. En une demi-heure env­i­ron, par dons de deux, cinq et dix mille francs, plus d’un demi-mil­lion fut recueil­li. Le prêtre qui offi­ci­ait l’annonça.

Cepen­dant, toute médaille a son revers ; les ten­ants des principes mon­strueux qui ont régi le monde jusqu’i­ci n’ont sans doute pas dit leur dernier mot. L’An­gleterre, dont le rôle est odieux en cette affaire, soulève les pires difficultés.

La sit­u­a­tion veut que l’É­tat pales­tinien accepte n’im­porte quelle aide d’où qu’elle vienne.

L’Amérique lui en apporte une, mais sous quelles con­di­tions ? La Russie, empris­on­née dans ses mers fer­mées du sud et ne dés­espérant pas un jour, sinon de pos­séder le détroit des Dar­d­anelles, du moins d’im­pos­er un traité qui lui en assure le libre accès, pose des jalons d’ami­tié avec la Pales­tine en vue de son rôle éventuel de « future puis­sance méditer­ranéenne ». Ceci con­corde par­faite­ment, d’autre part, avec sa poli­tique d’op­po­si­tion à l’An­gleterre. Il s’en­suit que les armes de toutes sortes arrivent en quan­tités con­sid­érables depuis la procla­ma­tion de l’É­tat pales­tinien. Forter­ess­es volantes améri­caines, chas­seurs, artillerie sovié­tiques, tout cela afflue en Israël, à pleins bateaux. La Tché­coslo­vaquie four­nit le matériel l’équipement indus­triel et notam­ment celui néces­saire au for­age de puits pour la recherche du pét­role. À pleins bateaux égale­ment arrivent des mil­liers de jeunes hommes pour la plu­part déjà entraînés et prêts à com­bat­tre dès leur débar­que­ment, ani­més d’un ent­hou­si­asme indescriptible.

Israël a su faire traîn­er habile­ment les négo­ci­a­tions pour s’armer prodigieuse­ment. S’es­ti­mant imbat­table à présent, sauf grande inva­sion étrangère qui ne man­querait pas de sus­citer de graves com­pli­ca­tions inter­na­tionales, ses pré­ten­tions se durcissent.

La mort de Folke Bernadotte en est une illus­tra­tion. Lorsque, il y a quelques mois, les armées arabes ou dites telles, attaquèrent la Pales­tine juive, elles subirent un cuisant échec mil­i­taire et les Juifs s’emparèrent de la Galilée, ter­ri­toire attribué, dans le partage, aux Arabes et occupé par eux. Or, dans son pro­jet de médi­a­tion, Bernadotte avait pro­posé Jérusalem comme cap­i­tale de l’É­tat arabe et l’é­vac­u­a­tion par les Juifs de la Galilée, deux choses dont ceux-ci ne veu­lent à aucun prix. « Les Arabes nous ont attaqués, nous leur avons pris la Galilée, nous la gar­dons d’au­tant plus qu’elle est une de nos ter­res ances­trales. » Accusé de faire le jeu de l’An­gleterre, Folke Bernadotte était tué par un groupe de l’aile gauche du Stern, dit-on.

Lorsque l’on par­le des « ter­ror­istes », du Stern, on laisse enten­dre que ce sont là des espèces de ban­dits irréguliers, Or l’Ir­goun et le Stern béné­fi­cient de la sym­pa­thie d’une par­tie énorme de la pop­u­la­tion. On va jusqu’à dire que ces groupes sont plus pop­u­laires que le gou­verne­ment lui-même. On assure que si le Stern voulait recruter, il trou­verait immé­di­ate­ment des mil­liers d’adhérents.

Cela ne laisse pas de causer cer­taines inquié­tudes, car l’on dit aus­si que les stal­in­iens s’évertuent à pénétr­er dans ces groupes pour les noy­auter. Quand on sait les résul­tats obtenus dans les pays d’Oc­ci­dent par ce moyen, il y a des raisons d’être inqui­et pour l’avenir des com­mu­nautés agri­coles où se développe si heureuse­ment un esprit libertaire.

La créa­tion de l’É­tat, d’Is­raël est aus­si inquié­tante pour la lib­erté. Nous savons le rôle néfaste de l’É­tat ; faible aujour­d’hui en Pales­tine, il ne cessera de ten­ter d’af­fer­mir son autorité au détri­ment des lib­ertés acquis­es jusqu’ici.

Les com­mu­nautés seront-elles en mesure de le com­pren­dre et de faire front victorieusement ?

Seront-elles le pont, jeté entre les néfastes sociétés d’hi­er et celles de demain dont nous rêvons, ou, au con­traire, suc­comberont-elles sous les coups de l’autorité ?

Autant de ques­tions qui restent des inter­ro­ga­tions, surtout lorsque l’on voit l’ig­no­rance presque totale des milieux « dits ouvri­ers » quant aux choses de la Pales­tine que nous n’indiquons, ici, qu’à grands traits.

Ajou­tons qu’une organ­i­sa­tion, « Le Bund », se proclame anti étatiste et peut influ­encer le mou­ve­ment social dans le sens libertaire.

De grandes choses ne cesseront de se pro­duire en Pales­tine. Tachons de ne pas gob­er sans exa­m­en les, nou­velles ten­dan­cieuses dont la presse nous abreuvera pour, si cela est pos­si­ble, par­ticiper dans la mesure de nos moyens à la défense de la lib­erté, à la défense de l’Homme.

Fer­nand Planche


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