Nous pensons faire œuvre utile en posant le problème de l’éducation des enfants des libres penseurs. Loin de nous la prétention de le résoudre aisément. Modestement, nous présenterons les résultats de nos expériences. Fréquemment, le libre penseur est issu d’un milieu qui n’a pas négligé sa formation religieuse. Pour de nombreuses raisons : emprise d’un nouveau milieu, besoin de libération individuelle, hasard de la rencontre, il vient au rationalisme. Souvent les crises sont nombreuses et il reste une trace de l’éducation de serre d’étouffement qu’il a subie. La plupart des libres penseurs gardent, de l’éducation bourgeoise qu’ils ont reçue, ce qui leur paraît neutre et écartent l’étude objective des sujets tendancieux ayant tait à la religion, à la politique, à l’organisation de la société…
Nous les croyons dans l’erreur. Notre expérience est celle de deux pédagogues, amis des techniques d’Éducation Nouvelle et épris de psychologie juvénile.
Jusqu’à l’âge de trois, quatre ou cinq ans, suivant la précocité ou le retard du sujet, le petit animal se développe sans effleurer aucun des problèmes humains. Il prend contact avec la vie. Il est un farouche partisan de la liberté totale, sans aucune limite et sans aucune condition. Là doit intervenir l’intelligente marque des éducateurs-parents. Nous employons à dessein le mot « marque », car l’individu en gardera une trace toute sa vie dans son comportement vis-à-vis des autres représentants de son espèce.
N’oublions pas que ce petit d’homme vivra en société et qu’il est absurde de ne pas fixer des limites à sa liberté sous le fallacieux prétexte de l’épanouissement intégral de cette fleur humaine merveilleuse. Il nous souvient à ce propos que les soixante-quatorze pièces d’un fort joli service de table en porcelaine de Limoges avaient vécu une vie plutôt brève chez un des adeptes de la grande liberté laissée à un bambin brise-tout de quelques années. Il y a avantage à s’efforcer de dévier l’intérêt porté par l’enfant à une chose sur une autre chose. Aussi longtemps qu’il ne vous comprend pas, essayez des expériences simples de motivation quasi inconsciente ou en tout cas incompréhensible pour l’adulte. Prenons un exemple. Bébé veut fumer la pipe du monsieur. Il frappe du talon et hurle. L’ami de la liberté lui met la pipe au bec. À notre sens, il commet une erreur. Le partisan de l’autorité le bat, l’immobilise longuement dans un coin ou le couche. Erreur aussi, pensons-nous. Promenons bébé dans l’appartement ou au jardin. Son attention ne tardera pas à être attirée par une fleur à laquelle il a droit, par un de ses jouets délaissés, par un objet quelconque qu’il peut palper enfin sans risque pour lui-même et sans dommage pour la petite société familiale. Mais il faudra revenir à la pipe. Jusqu’à ce qu’elle soit devenue un objet familier ne provoquant plus un tapage inconsidéré.
Les parents s’apercevront assez vite, en agissant de la sorte, que l’enfant s’accoutume rapidement à discerner les « interdits » et les « permis » de la vie courante. Soyons logiques d’ailleurs. Laisserez-vous la menotte de bébé cueillir l’attirante fleur rouge de la flamme ? Alors pourquoi le laisseriez-vous briser le verre de cristal ou le vase de Chine ? Mais par contre vous ferez bien de ne pas lui interdire de toucher à trop de choses, car alors vous risqueriez les révoltes fréquentes ou l’abêtissement dû à la terreur qui engendre les futurs complexes d’infériorité.
De la mesure, donc, de la raison, et vous serez récompensés par les premiers sourires du petit animal à la veille devenir un petit homme.
Nous situerons la seconde enfance de 4 à 12 ans pour les sujets d’élite, de 5 à 13 ans pour les normaux et de 6 à 14 ans, voire 15 ans, pour les retardés.
C’est le moment où l’enfant commence à questionner et à réfléchir.
Nous pensons que toute la vérité lui est due. Aucun problème ne doit être jugé, a priori, hors de son entendement. Dès son plus jeune âge, nous le prendrons au sérieux. Nous ne nous moquerons jamais de lui et ne rirons pas de ses naïvetés. Si vous voulez connaître votre enfant et en être aimé, ne lui refusez aucune explication et ayez l’honnêteté de lui avouer que vous ne possédez pas l’étendue des connaissances humaines. Combien de parents n’osent pas dire à leur enfant : « Je ne sais pas. » Ils croient bien faire en lui répondant : « Tu es trop petit… Tu apprendras cela plus tard…» Ils ont tort, car il y a un intérêt certain à doter l’enfant d’un solide esprit critique dés qu’il est possible de le faire. Un courant de confiance s’établira.
Jusqu’à l’âge de 6 ou 7 ans, l’enfant n’observe guère les humains hors de sa famille. Ses Père et mère sont, pour lui, des dieux qu’il adore sans réfléchir, avec le seul instinct qui lui reste du stade animal qu’il va franchir. Arrivé à l’école, il commence à établir des comparaisons entre ses parents et ses maîtres. Les uns et les autres doivent se compléter. Parents, ne renvoyez pas sans cesse votre enfant à son maître, car il s’éloignera de vous et se fermera littéralement. Or, l’école ne peut pas tout faire et n’oubliez pas que votre bambin a atteint l’âge où il va commencer à vous juger.
Ne croyez pas vous imposer par l’emploi des châtiments corporels qui vous déshonorent autant qu’ils humilient l’enfant. Si vous avez su créer un climat de confiance dans lequel votre enfant et vous-même vivrez heureux, vous pourrez aborder sans difficulté les deux problèmes essentiels de l’éducation sexuelle et de l’étude de la question religieuse.
Avant tout, les parents doivent être éduqués eux-mêmes. Les ouvrages ne manquent pas, mais ils sont souvent trop longs et trop difficiles pour le peuple. (Signalons l’Éducation sexuelle, de J. Marestan.)
Au service de la vérité, un de nos amis, partisan de l’anonymat, a publié une remarquable. brochure, l’Initiation sexuelle, par les parents, pour leurs enfants (La Brochure mensuelle, n°162 de juin 1936.). C’est l’œuvre d’un pédagogue père de famille. Cette brochure devrait être distribuée gratuitement lors de la remise du livret de famille aux jeunes mariés, dans les mairies.
L’initiation sexuelle commence dès la naissance, par des habitudes d’hygiène des parties sexuelles qu’il faut faire considérer par l’enfant de la même manière que les antres parties de son individu. Pourquoi étudie-t-on, dans les classes, tous les organes à l’exception des organes sexuels ? Tout simplement parce que l’interdit sexuel, datant du moyen-âge religieux, s’est perpétué, même chez les laïques du XXe siècle. Pour nous, oreille et pénis sont deux organes à nettoyer et à connaître. Pas de sourires entendus ni de cachotteries jésuites plutôt pour l’un que pour l’autre. La toilette doit se faire complète et sans mystère. Le plus rapidement possible il faut habituer l’enfant à la vue des sexes différents par la toilette en commun des filles et des garçons. Toute question posée doit amener une réponse précise.
L’éducation sexuelle doit se faire au long des jours, occasionnellement ou en la provoquant, selon les sujets. Les moyens de comparaison avec les plantes et avec les animaux sont tellement pratiques que nous pensons que l’enfant ne doit plus rien ignorer, de ce que la religion s’efforce d’entourer de mystère, lorsqu’il a atteint l’âge de la puberté. Nous formons le vœu que les pouvoirs publics acceptent de faire figurer au programme des écoles primaires des notions simples mais combien utiles d’éducation sexuelle, de manière à éviter les accidents si fréquents qui guettent les adolescents généralement ignorants et honteux qui, faute d’avoir été informés, jouent et leur santé et leur moralité.
L’erreur grossière commise par neuf libres penseurs sur dix est de ne pas aborder le problème de la religion avec leurs enfants. Ou bien d’en rire. Ou bien d’attaquer la religion avant même de l’avoir présentée.
En fidèles élèves de Durkheim, nous pensons que la sociologie, cette science des faits, doit être abordée dès l’enfance avec le plus grand sérieux. L’enfant est imperméable à l’ironie et « le catéchisme à l’usage de Tit Jules » est une erreur à éviter.
Dénigrer est aisé, juger après examen est supérieur. Nous n’avons pas dit à notre fils qui ne fréquente pas l’église que l’hostie est un pain à cacheter et que le curé est un fainéant libidineux. Nous lui avons expliqué en détail ce qu’est la religion chrétienne. Nous lui avons montré les différences qui existent entre les rites catholique, protestant, juif, etc. Nous l’avons habitué à regarder sans rire le totem et la croix. Nous lui avons enseigné les religions des pays lointains. Tant et si bien qu’à neuf ans il est mieux informé que la plupart des libres penseurs adultes. Nous nous sommes efforcés et nous nous efforcerons de mener notre fils au carrefour de tous les chemins possibles de la vie et là il choisira. Nous ne tremblerons nullement, car nous savons déjà que, pour avoir employé la méthode du libre examen, méthode scientifique du pourquoi et du comment, il ne pourra pas s’engager dans un mauvais chemin.
Nous n’en avons pas terminé avec un problème qui ne recevra jamais de solutions définitives. L’adolescence mérite, elle aussi, notre dévouement à sa cause. Nous dirons simplement, en manière de conclusion : l’arbre ne devient vigoureux que si la jeune pousse a été soignée ; sachez cultiver amoureusement la bonne graine.
J. et S. Chatroussat