La Presse Anarchiste

Parade, spectacle

« En bref, je sug­gère que les mou­ve­ments paci­fistes élar­gissent la défi­ni­tion de la mani­fes­ta­tion pour qu’elle com­prenne des démons­tra­tions avec marion­nettes géantes, des hap­pe­nings, des spec­tacles, des parades paci­fistes », écrit Michael Kus­tow. En Grande-Bre­tagne, la marche de Pâques 1966 se ter­mi­na par un ras­sem­ble­ment à Tra­fal­gar Square et plus par­ti­cu­liè­re­ment par un spec­tacle de marion­nettes géantes dont Michael Kus­tow fut l’un des orga­ni­sa­teurs. Dans cet article (« Peace News », 29 avril 1966), il décrit les peines et les joies qui accom­pa­gnèrent la pré­pa­ra­tion de ce spec­tacle (où le crâne de Harold Wil­son s’ouvrait pour lais­ser paraître les acteurs de son cau­che­mar : une fusée nucléaire pour la tête de John­son, une botte pour celle de Ian Smith) – il décrit ce spec­tacle dans toutes ses dif­fi­cul­tés avec les­quelles il s’est débat­tu –, tout cela dans un style per­son­na­li­sé qui nous per­met de péné­trer le labeur qui a don­né forme à ce spec­tacle. Il conclut : « Il y a une néces­si­té urgente à faire tom­ber les écailles des yeux des gens ; les res­sources de l’action, de la parole, de la cou­leur, du son et de la musique arran­gées d’une manière auda­cieuse et pro­vo­cante peuvent tou­cher les nerfs et le cœur d’une manière qu’aucun argu­ment, qu’aucune exhor­ta­tion, employé seul, ne peut faire. »

— O —

Cette démons­tra­tion de marion­nettes géantes à Tra­fal­gar Square, le lun­di de Pâques, c’est moi qui l’ai diri­gée et en par­tie écrite ; main­te­nant je vou­drais en par­ler. Elle a lais­sé une grande tache rouge sur les pavés de la North Ter­race, là où nous avons jeté de la tein­ture à l’aniline rouge pour faire sourdre du sang sur le visage de H. Wil­son, ramas­sant en même temps cette tein­ture dans nos che­veux, nos yeux et sous nos ongles. Deux semaines plus tard, pas­sant en auto­bus, je peux encore voir des traces de cette tache. Deux semaines plus tard, toute cette entre­prise ambi­tieuse et folle laisse encore une trace dans mon esprit, un espoir dans mon cœur.

Nous avons réus­si le coup : puisque des jour­na­listes ont pré­fé­ré se pré­ci­pi­ter pour prendre des pho­tos de har­cè­le­ment des agents ou de bagarres (com­mu­né­ment appe­lées « échauf­fou­rées »). Je désire que vous sachiez ce qui s’est pas­sé en réa­li­té. Parce que, outre les empoi­gnades autour du micro et les ques­tions à brûle-pour­point, outre les beu­gle­ments, les pleurs, la colère et les insultes du ras­sem­ble­ment de cette année, il me semble que quelque chose d’autre est arri­vé ; et cela, si nous savons le faire croître, contient de grandes pos­si­bi­li­tés pour nous tous qui vivons pour la paix, la liber­té, l’amour, la non-vio­lence, la trans­for­ma­tion, un monde nou­veau, pour mon­trer notre propre éti­quette ché­rie, pres­crire notre propre foi véridique.

Le CND deman­da à Adrian Mit­chell, poète, à Sal­ly Jacobs, des­si­na­trice, et à moi-même d’inventer une mani­fes­ta­tion spec­ta­cu­laire pour conclure la marche de 1966. Très bien, mais que devait-ce être ? « Beau­coup d’entre nous ont dû, par­fois, res­sen­tir un désir puis­sant de contrer quelque acte de vio­lence par­ti­cu­liè­re­ment exces­sif par des repré­sailles encore plus grandes et plus exces­sives », dit John Arden. Tous les trois, nous par­ta­gions cette impul­sion ; nous dési­rions répli­quer selon notre manière propre, créer quelque chose qui réunît 15 000 per­sonnes dans un seul mou­ve­ment de défi et d’inquiétude, quelque chose qui hur­lât, qui chan­tât, qui brû­lât les étapes vers le but avec une flamme pure – non celle du napalm.

Nous explo­râmes les pré­cé­dents. Les dizaines de mil­liers de Chi­nois mani­fes­tant à Pékin, mar­chant et rou­lant dans une impec­cable symé­trie, répé­tée avec pré­ci­sion. Refu­sée : la gym­nique de masse n’est pas bri­tan­nique et, fran­che­ment, je ne voyais pas les mul­ti­tudes épui­sées s’alignant vive­ment d’elles-mêmes dans un signe CND mathé­ma­ti­que­ment par­fait, après trois dures jour­nées de marche dif­fi­cile. Mais il y avait dans l’exemple chi­nois quelque chose qui vous cou­pait le souffle, quelque chose de beau que nous ne vou­lions pas reje­ter : cela s’exprima dans notre repré­sen­ta­tion par l’ondoiement des dra­peaux cou­leur tur­quoise et cerise, qui eut lieu au début. Les autres pré­cé­dents, les hap­pe­nings amé­ri­cains, nous vou­lions leur pou­voir de choc, leur attrait qui se situait au-des­sous du seuil du rai­son­ne­ment. Les ras­sem­ble­ments de Nurem­berg : un aver­tis­se­ment contre les tra­que­nards du rituel et du céré­mo­nial. Le gui­gnol, la pan­to­mime, le music-hall : on brûle, c’est presque cela.

Pour moi, ce qui déclen­cha la vision de la forme ultime de notre repré­sen­ta­tion, ce fut le sui­cide de Vicky. Quels que soient les motifs obs­curs qui l’y condui­sirent en défi­ni­tive, son déses­poir devant la poli­tique étran­gère de Wil­son lui ron­geait presque cer­tai­ne­ment le cœur. Je vou­lais que, de quelque manière, notre affaire fût un hom­mage à Vicky. Et, sou­dain, cela vint : ce que nous devions faire, c’était emprun­ter et agran­dir les images que chaque des­si­na­teur – et Vicky mieux que la plu­part – avait employées. Ces images sont auda­cieuses : elles com­portent un sur­réa­lisme intrin­sèque (sou­ve­nez-vous de Super-Mac ou de de Gaulle en poteaux télé­gra­phiques); elles sont tout de suite élo­quentes. Un des der­niers des­sins de Vicky mon­trait H. Wil­son sui­vant L.B. John­son sur un esca­lier rou­lant ; il y avait sur les murs de la publi­ci­té pour l’escalade mili­taire au Viet­nam ; et l’escalier por­tait une cita­tion d’un dis­cours de H. Wil­son disant que le par­ti tra­vailliste n’était rien d’autre qu’une croi­sade morale. Mais le des­sin ne néces­si­tait pas d’explications : la puis­sance, la fureur des sen­ti­ments de Vicky appa­raissent indé­nia­ble­ment dans l’image même de l’escalier rou­lant. Ce qu’il nous fal­lait pour com­mu­ni­quer avec 15 000 per­sonnes dans le Square, c’était cette même qua­li­té d’évidente et d’indéniable véra­ci­té. Quelque chose que vous ne puis­siez manquer.

Sal­ly Jacobs dut aban­don­ner parce qu’elle avait trop de tra­vail. Jony Car­ru­thers, un déco­ra­teur à la barbe rousse, se pré­sen­ta, pro­je­ta et des­si­na les esquisses des per­son­nages de six mètres, fit se mou­voir les yeux, s’ouvrir les bouches et son­gea à des détails tels que les évents pour évi­ter un désastre en cas de tem­pête. Gerald Scarfe se pré­sen­ta, enthou­siaste à l’idée d’amplifier sa fan­tai­sie et sa bile aux dimen­sions de Tra­fal­gar Square. Elaine Prans­ky, pro­fes­seur d’art dra­ma­tique, devint notre régis­seur et com­men­ça à cher­cher des cylindres d’hélium, d’explorer les méthodes pour faire des seaux de sang ou pour faire des nuages de fumée sans feu. (Réponses : de l’eau bouillante sur de la glace sèche. Autres ques­tions : où trou­ver de la glace un lun­di de Pâques ? Com­ment se pro­cu­rer des quan­ti­tés d’eau bouillante sur North Ter­race au milieu d’une foule turbulente?)

Je deman­dai à Peg­gy Duff de m’assurer une équipe de trente per­sonnes qua­li­fiées, ou semi-qua­li­fiées, pour faire la pein­ture de fond et répé­ter l’opération des per­son­nages monstres. À notre pre­mière ren­contre, il en vint six, dont deux seule­ment par le CND. J’envisageai la catas­trophe, insis­tai sur un effort déses­pé­ré pour trou­ver des aides. Il est déjà assez dif­fi­cile de ras­sem­bler des gens volon­taires pour un tra­vail qu’ils com­prennent, la dif­fi­cul­té est dou­blée lorsque le tra­vail ne leur est pas familier.

Nous étions rela­ti­ve­ment pri­vi­lé­giés, le CND nous garan­tis­sait 200 livres ster­ling pour payer les maté­riaux et l’aide exté­rieure. (Ne pâlis­sez pas : vous n’avez pas besoin de 200 livres ster­ling pour créer votre repré­sen­ta­tion, mais si vous devez réa­li­ser quelque chose d’assez grand et d’assez vivant pour frap­per une audience sur une place publique, il vous faut des maté­riaux, de grandes sur­faces, du volume, de la gran­deur – prier, emprun­ter ou per­sua­der, cepen­dant, peut aller loin.) Nous enga­geâmes un char­pen­tier de théâtre. Nous étions en route.

Adrian et moi ter­mi­nâmes le manus­crit une semaine avant Pâques.

Il com­pre­nait :

– Une intro­duc­tion – fan­fare, dra­peaux et quelqu’un qui harangue la foule ;
– Un rap­pel sur­réa­liste des résul­tats des élec­tions à la TV ;
– Wil­son chan­tant la paro­die de « Jéru­sa­lem » d’Adrian (« Je n’abandonnerai pas mon cafouillage, je ne lais­se­rai pas mon poste glis­ser des mains, tant que nous n’aurons pas construit le Penta­gone sur la terre riche et pour­ris­sante d’Angleterre »);
– Une conver­sa­tion télé­pho­nique de Wil­son avec une femme, qui se trouve être la reine ;
– Les Trois Sages (Smith, Banque d’Angleterre, L.B.J.) por­tant cadeaux et félicitations ;
– Inci­ta­tion de Wil­son à la foule (« M’aimez-vous ? ») expri­mée sur les refrains de Tin­ker Bell et Billy Cotton ;
– Cau­che­mar de Wilson ;
– En final, un chant tran­quille d’Isla Cameron.

Je tiens à pré­ci­ser que ce manus­crit était entiè­re­ment l’expression de ce que Adrian et moi dési­rions dire sur la situa­tion actuelle. Il n’était en rien gui­dé ou influen­cé par le CND. Celui-ci nous a fait confiance. Nous avons réa­li­sé quelque chose de per­son­nel qui, je l’espère, a réus­si à par­ler à sa manière à la plu­part des mar­cheurs. (Inci­dem­ment, il serait très inté­res­sant pour nous de connaître les réac­tions des gens devant ce spec­tacle.) De North Ter­race, nous pou­vions voir que les gens fai­saient atten­tion, mais il était impos­sible de savoir ce que tout cela signi­fiait pour eux. Pour­quoi ne pas écrire à « Peace News » sur la pré­sen­ta­tion de per­son­nages et aus­si sur les pour et les contre du repor­tage ?1Dick Wil­cocks, des « Jeunes du CND », écrit dans « Peace New » (6 mai 1966): « Je trou­vais les ras­sem­ble­ments des années pré­cé­dentes péni­ble­ment bar­bants : ora­teurs après ora­teurs nous rabâ­chaient leurs fra­ter­nels saluts, exhor­taient et balan­çaient des opi­nions qui pètent sec à une foule déjà conver­tie. Ce genre de trai­te­ment est sus­cep­tible de décou­ra­ger les gens qui se trouvent sur la route depuis trois jours. Nous avons eu un par­le­men­taire et divers autres ora­teurs cette année, mais quelque chose de jeune et de nou­veau s’est éga­le­ment pro­duit : j’ai sui­vi des yeux les marion­nettes à par­tir du Square et j’ai remar­qué que tout le monde près de moi les obser­vait avec atten­tion. Pen­dant les dis­cours tra­di­tion­nels les gens res­tent par défé­rence, l’expression bru­meuse, l’esprit occu­pé par les tasses de thé et les bains à la mou­tarde – posent des ques­tions et poussent des sif­fle­ments quand ils pensent que c’est appro­prié, parlent ou vendent des jour­naux. Le spec­tacle de marion­nettes tint la foule tran­quille. […] Le tra­vail d’équipe et l’effort spon­ta­né qui entrèrent de manière effec­tive en ligne de compte ont dû être remar­qués. […] La plu­part du spec­tacle fut satis­fai­sant, ani­mé et très vivant. »

Après avoir cou­pé et réduit notre manus­crit, nous pen­sions avoir écrit ce que nous vou­lions : quelque chose qui par­tait de l’iconoclasme (genre de la bande des­si­née « Pri­vate Eye »), conti­nuait par une gra­da­tion, plus sombre, plus hor­ri­fiante, se ter­mi­nait de manière plus calme, plus ferme par un chant. C’est cette der­nière par­tie qui nous don­na le plus de dif­fi­cul­tés : où trou­ver un chant qui expri­mât l’acceptation pleine et entière, à la foi du déses­poir et de l’espoir de notre situa­tion actuelle ? Après avoir cher­ché en vain pen­dant des semaines, Isla Came­ron réso­lut le pro­blème avec « Turn, turn, turn », inter­pré­ta­tion par Pete See­ger d’un cha­pitre de l’Ecclésiaste : « Pour toutes choses, tour­nez, tour­nez, tour­nez, il y a une sai­son et un temps pour chaque des­sein en ce monde. »

Dans le sein humide et sombre de Round House (une réplique du Centre, 42, du Albert Hall), nous com­men­çâmes de peindre et de répé­ter dix jours avant Pâques. Ce qui s’est pas­sé pen­dant ces dix jours est, je pense, l’aspect le plus valable et le plus récon­for­tant de toute l’affaire. Pen­dant ces dix jours, qua­rante per­sonnes apprirent à col­la­bo­rer les unes avec les autres, à accep­ter une dis­ci­pline de groupe, à se fier les unes aux autres, liées par une entre­prise com­mune et par­ta­gée, en laquelle elles durent d’abord croire et qu’elles finirent par sou­te­nir et créer elles-mêmes.

— O —

Silence dans le Square quand nous com­men­çâmes. Pas de ques­tion vous ne ques­tion­nez pas un per­son­nage de six mètres. De la ter­rasse de North Ter­race, je vois un par­terre de visages atten­tifs, fixés sur nos géants noir et blanc. Au-des­sus de la balus­trade, on lit notre ban­de­role : « THE WHORE GAME »2Jeu de mots intra­dui­sible en fran­çais, signi­fie : « jeu de putains » et se pro­nonce comme « the war game » – « jeu de la guerre ».. Il y a des sou­rires sur tous les visages et les acteurs proches de moi, les machi­nistes prêts à faire rou­ler leurs pan­tins, tous nous réa­li­sons que nous tenons l’attention du public, que nous com­men­çons à per­cer, à prendre l’opinion. Davan­tage de rires : le gag de Ver­woerd, l’histoire de Siniavs­ky et Daniel touchent juste. Nous regret­tons de n’avoir pas pu pla­cer mieux les haut-par­leurs : nous ne pen­sons pas que tout le monde puisse entendre. Mais per­sonne ne peut s’arrêter de regarder.

Rires et applau­dis­se­ments appa­raissent dis­tants. Les acteurs ont bien sai­si le chro­no­mé­trage néces­saire de leurs par­ties, nous sui­vons les points sur le scé­na­rio ; la chose est bien lan­cée et ne coule pas. Main­te­nant, nous en venons au cau­che­mar. Nous ouvrons la tête de Harold comme un œuf et un bébé rose appa­raît à l’intérieur, criant tout ce qu’il peut. Harold se lance dans une lita­nie déses­pé­rée, énu­mé­rant tout ce qu’aura ce bébé et pour­quoi il pleure. C’est ici qu’il y a la glus longue suite de phrases de la pièce : est-ce que ça pour­ra aller ? Au milieu du caté­chisme du pauvre et du riche, un ques­tion­neur s’écrie : « Qu’est-ce que cela a à faire avec le CND ? » Tout, je pense ; si nous ne pou­vons pas relier notre pro­tes­ta­tion paci­fiste avec une cri­tique sociale, que fai­sons-nous ici de toute manière ?

Je vois un pro­fes­seur applau­dir avec joie lorsque Harold en vient au pas­sage qui parle d’un « demi-bureau dans une classe de qua­rante enfants, gar­çons et filles, dans une pièce où c’est tou­jours novembre ». Quand le sang com­mence à sourdre à tra­vers les joues de Wil­son et que le bébé s’enflamme, un des plus chauds ques­tion­neurs s’écrie : « Dégoû­tant. » Oui, ce l’est cer­tai­ne­ment ! mais pour faire agir les gens afin de chan­ger des choses vilaines et dégoû­tantes vous devez vous-même vous sai­sir d’eux, vous les appro­prier pour vos desseins.

Juste au moment où John Wells atteint le point culmi­nant du cau­che­mar fré­né­tique de Harold, un maniaque se sai­sit du micro près de moi et hurle : « Que Dieu bénisse la Rho­dé­sie ! » Je me vois me sai­sis­sant de son poi­gnet, essayant de lui faire lâcher le micro. Je ne me sens pas du tout violent : qu’a cet idiot maniaque à bri­ser l’effort patient, soi­gneux, col­lec­tif de cin­quante per­sonnes qui s’efforcent de faire sor­tir quelque ordre du chaos ? De toutes les stu­pi­di­tés pos­sibles, com­ment ce fou ose-t-il crier : « Que Dieu bénisse la Rho­dé­sie » ? En fait, la prise de notre action était main­te­nant si forte que la plu­part des spec­ta­teurs semblent avoir pris cela pour un autre élé­ment du cau­che­mar de Wil­son : com­pli­ment équi­voque de la poli­tique étran­gère de Wil­son ! Le voi­ci par­ti main­te­nant et je pousse Isla vers le micro pour chan­ter, plus tôt que pré­vu. Résul­tat : sa voix calme, sans accom­pa­gne­ment, sort avec les sirènes et les explo­sions de notre bande sonore. Mais elle perce, claire et déten­due, et, sou­dain, c’est tout fini, calme, silence, sou­la­ge­ment pro­di­gieux, la fumée se dis­sipe, nos bal­lons flottent sur la place traî­nant les papiers argen­tés en forme de bombes. C’est tout fini : nous com­men­çons à nous dis­per­ser. Jusqu’à Pâques prochain ?

Voi­là com­ment c’était vu par nous. Et, sou­dain, je sou­hai­tai conser­ver cette atmo­sphère de la fin, ce moment de com­pré­hen­sion, cet ins­tant d’assimilation et de réflexion ; je sou­hai­tai gar­der ce sen­ti­ment, le faire reve­nir encore et encore.

C’est pour­quoi je vou­drais recom­man­der que de telles mani­fes­ta­tions se repro­duisent en plus grand nombre dans les mou­ve­ments paci­fistes. Non pas seule­ment chaque année sur le Square, mais chaque mois, chaque semaine dans chaque ville du pays. Créer le sens de l’occasion, c’est ce qu’avaient fait les pre­mières marches et qu’il faut retrou­ver. La foule aime les spec­tacles publics gran­dioses : relève de la Garde, le Tour­noi Royal, l’ouverture du Par­le­ment, les funé­railles de Chur­chill. Mais pour­quoi tous les airs les meilleurs seraient-ils réser­vés au Diable ?

Bref, je sug­gère que le mou­ve­ment paci­fiste élar­gisse la défi­ni­tion de la mani­fes­ta­tion pour qu’elle com­prenne l’exhibition de pan­tins, des hap­pe­nings, du spec­tacle, des parades pacifistes.

Il y a urgence à ôter les écailles des yeux des gens ; et les res­sources de l’action, de la langue, de la cou­leur, du son et de la musique, arran­gées de manière auda­cieuse, pro­vo­cante, peuvent tou­cher les nerfs et le cœur, d’une manière qu’aucun argu­ment, aucune exhor­ta­tion, employé seul ne peut faire. Notre prin­cipe pour tout ce tra­vail devrait être : Audace, Mer­veilleux et Humour. Je pense qu’il y a de nom­breux artistes, écri­vains, acteurs, édi­teurs pro­fes­sion­nels qui sai­si­raient cette occa­sion de tra­vailler avec les groupes locaux volon­taires pour réa­li­ser un nou­veau genre de spec­tacle public sai­sis­sant et enga­gé. Je parie que de nom­breuses villes pour­raient four­nir leur poète, peintre, musi­cien, acteur, élec­tri­cien, char­pen­tier ; et c’est assez pour votre équipe. Il faut seule­ment deman­der aux professionnels.

Voyant le nombre crois­sant de réunions poé­tiques, de clubs folk­lo­riques, nous savons que la ren­contre d’un public vivant et d’acteurs vivants peut pro­vo­quer une com­mu­ni­ca­tion pro­fonde qui défie les men­songes et les demi-véri­tés de la presse et de la télé­vi­sion. Qu’attendons-nous ? Le spec­tacle de marion­nettes de Pâques, cette année, n’est qu’un début ; il y a plu­sieurs manières de dire la vérité.

À Tra­fal­gar Square, nous avons, à tout le moins, lais­sé une marque sur les pavés. Pou­vons-nous aller de l’avant, sur­mon­ter l’inefficacité équi­voque dans laquelle les masses nous ont plon­gés, inter­ve­nir effec­ti­ve­ment dans la vie quo­ti­dienne des gens, et lais­ser une marque, un point d’interrogation dans leurs cœurs et leurs esprits ? Le mou­ve­ment paci­fiste a tou­jours aimé les anni­ver­saires signi­fi­ca­tifs. Le jour d’Hiroshima se pré­sen­te­ra à nous dans quelques mois. Pour­quoi ne pas le prendre pour un début ?

Michael Kus­tow

  • 1
    Dick Wil­cocks, des « Jeunes du CND », écrit dans « Peace New » (6 mai 1966): « Je trou­vais les ras­sem­ble­ments des années pré­cé­dentes péni­ble­ment bar­bants : ora­teurs après ora­teurs nous rabâ­chaient leurs fra­ter­nels saluts, exhor­taient et balan­çaient des opi­nions qui pètent sec à une foule déjà conver­tie. Ce genre de trai­te­ment est sus­cep­tible de décou­ra­ger les gens qui se trouvent sur la route depuis trois jours. Nous avons eu un par­le­men­taire et divers autres ora­teurs cette année, mais quelque chose de jeune et de nou­veau s’est éga­le­ment pro­duit : j’ai sui­vi des yeux les marion­nettes à par­tir du Square et j’ai remar­qué que tout le monde près de moi les obser­vait avec atten­tion. Pen­dant les dis­cours tra­di­tion­nels les gens res­tent par défé­rence, l’expression bru­meuse, l’esprit occu­pé par les tasses de thé et les bains à la mou­tarde – posent des ques­tions et poussent des sif­fle­ments quand ils pensent que c’est appro­prié, parlent ou vendent des jour­naux. Le spec­tacle de marion­nettes tint la foule tran­quille. […] Le tra­vail d’équipe et l’effort spon­ta­né qui entrèrent de manière effec­tive en ligne de compte ont dû être remar­qués. […] La plu­part du spec­tacle fut satis­fai­sant, ani­mé et très vivant. »
  • 2
    Jeu de mots intra­dui­sible en fran­çais, signi­fie : « jeu de putains » et se pro­nonce comme « the war game » – « jeu de la guerre ».

Dans le même numéro :


Thèmes


Si vous avez des corrections à apporter, n’hésitez pas à les signaler (problème d’orthographe, de mise en page, de liens défectueux…

Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
Nom

La Presse Anarchiste