La Presse Anarchiste

Provos

À Amster­dam, avril 1965, « le mou­ve­ment pro­vo démar­ra avec quelques étu­diants et ouvriers anar­chistes… nous vou­lions créer un mou­ve­ment diri­gé vers ce que nous appe­lâmes plus tard le pro­vo­ta­riat, qui com­prend tous les étu­diants, artistes, beat­niks, mods, rockers, … qui sont déjà en révolte à leur façon mais qui n’ont pas encore de conscience poli­tique, don­ner cette conscience poli­tique était notre tâche. A par­tir d’avril 1965, Pro­vo est mon­té en flèche de façon stu­pé­fiante. Nos prin­cipes d’organisation sont entiè­re­ment anar­chistes : aucune hié­rar­chie, seule­ment la spon­ta­néi­té ; tous ceux qui rejoi­gnirent le mou­ve­ment l’influencèrent un peu avec leur per­son­na­li­té et leurs nou­velles idées. Je pense que c’est cet aspect qui a ren­du Pro­vo aus­si attrayant aux jeunes de toutes sortes. » (Mar­tin Lindt).

Dans l’éclosion assez pro­li­fique de groupes pro­vos, à la suite de celui d’Amsterdam, on peut dis­cer­ner les constantes sui­vantes : le pro­vo-isme, la pro­vo­ca­tion, le provotariat :

– « Pro­vo consi­dère l’anarchisme comme la source d’inspiration de sa résis­tance. Pro­vo désire réno­ver l’anarchisme et le répandre par­mi les jeunes. […] Le com­por­te­ment de Pro­vo consti­tue selon nous la seule issue accep­table dans cette socié­té. Grim­per à l’échelle sociale et avoir une situa­tion signi­fie contri­buer à la pro­chaine des­truc­tion ato­mique, col­la­bo­rer au capi­ta­lisme et au mili­ta­risme, cela signi­fie col­la­bo­rer avec les auto­ri­tés et leur habile attrape-nigaud qu’est la télé. […] L’asocial Pro­vo est le seul rayon d’espoir. Son acti­vi­té consiste à mettre des bâtons dans les roues du train “pro­grès” qui file à une telle allure que l’on n’aperçoit pas la bombe qui se trouve sous ses rails […]. Nous pro­pa­geons le pro­vo-isme comme une résis­tance à cette socié­té. Nous espé­rons qu’il devien­dra clair au PROVO que son job le dégrade en le ren­dant simple rouage de cette bombe à retar­de­ment qu’est la socié­té. Nous pré­co­ni­sons la pro­vo­ca­tion à plein temps. Nous vou­lons pro­mou­voir une évo­lu­tion de la for­mule « Pro­vo égale beat­nik pro­vo­ca­teur » à la for­mule « Pro­vo égale anar­chiste, dan­ge­reux pour l’Etat ». […] Notre seule norme est : que cha­cun lutte jusqu’au bout contre le monde exté­rieur au nom de sa propre exis­tence » (Roel van Duyn).

– « La pro­vo­ca­tion, avec ses petits coups d’épingle, est deve­nue notre seule arme, impo­sée par la force des choses. C’est notre der­nière chance de frap­per les auto­ri­tés aux endroits sen­sibles et vitaux. Par nos pro­vo­ca­tions, nous devons for­cer les auto­ri­tés à se démas­quer. […] Les auto­ri­tés devront ain­si se mani­fes­ter en tant qu’autorités réelles et véri­tables. […] C’est notre der­nière chance, la crise des auto­ri­tés pro­vo­quées » (Appel au pro­vo­ta­riat international).

– « Ceux qui ne dési­rent pas faire car­rière, ceux qui ne mènent pas une vie régu­lière, ceux qui se sentent inadap­tés à cette socié­té – Le Pro­vo­ta­riat est une foule d’éléments sub­ver­sifs » (Appel au pro­vo­ta­riat inter­na­tio­nal). Ce que recouvre le mot « pro­vo­ta­riat » (qui rap­pelle à cer­tains égards les « en-dehors » du début du siècle) se retrou­ve­ra dans le « drop­ping out » des Américains.

Il est aisé de déce­ler tout ce qu’il peut y avoir de sym­pa­thique là-dedans. Cepen­dant à Amster­dam, le « mou­ve­ment » pro­vo por­tait en lui sa décom­po­si­tion à venir.

Le cri­tère le plus impor­tant est son option pour le frag­men­taire. Cédant au dua­lisme trau­ma­ti­sant : néga­tif-posi­tif, « Nous essayons d’être aus­si posi­tifs que pos­sible, en trou­vant des solu­tions – les pro­jets blancs – pour les choses contre les­quelles nous sommes (les bicy­clettes blanches pour l’usage de cha­cun, la police en uni­forme blanc qui n’utiliserait pas la force mais aurait seule­ment un carac­tère social, les che­mi­nées blanches, les “femmes blanches” qui don­ne­raient des conseils au sujet de la sexua­li­té, …) » (Irene van der Wee­te­ring). Leur réfor­misme leur vaut la sym­pa­thie d’un cer­tain public dont ils flattent l’esprit de démis­sion (l’élection de Bern­hard de Vries au conseil muni­ci­pal d’Amsterdam n’est qu’une mys­ti­fi­ca­tion de plus de la repré­sen­ta­ti­vi­té), dont ils flattent les sen­ti­ments ran­cu­niers (mani­fes­ta­tions au sujet du mariage de la prin­cesse Béa­trix avec l’ex-membre des jeu­nesses hit­lé­riennes Claus von Amsberg), etc.

Au frag­men­taire s’ajoute l’idéologie du pro­vo­ta­riat, « der­nier fac­teur de révolte dans nos pays déve­lop­pés » face au pro­lé­ta­riat. Cette renon­cia­tion est l’expression d’un « indi­vi­dua­lisme » de refou­le­ment. L’asservissement du pro­lé­ta­riat est-il une rai­son suf­fi­sante pour déses­pé­rer de trans­for­mer la tota­li­té (déses­poir à l’origine du pro­vo­ta­riat) et pour déses­pé­rer de ses forces (déses­poir à l’origine de la Provocation) ?

Cepen­dant Pro­vo a fait tache d’huile en Europe comme en Amé­rique. Avec les hip­pies, nous retrou­vons bien des élé­ments com­muns aux pro­vos. Cette éclo­sion exprime, en Europe comme en Amé­rique, de la part d’une géné­ra­tion, une ten­ta­tive de dépas­se­ment de sa révolte spon­ta­née contre la défaite de la géné­ra­tion pré­cé­dente – cette der­nière étant cloi­son­née dans l’univers men­son­ger de la chute du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire. Le pro­blème est de savoir si cette ten­ta­tive de dépas­se­ment se cloi­sonne dans un uni­vers sem­blable ou si elle recherche la cohérence.


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