La Presse Anarchiste

Le happening

Dans la présen­ta­tion de cet essai, nous trou­vons une déf­i­ni­tion qui situe bien le ton de l’ouvrage1Ce livre com­porte de nom­breuses pho­togra­phies, quelques thèmes de hap­pen­ings ayant eu lieu ces dernières années et une bib­li­ogra­phie (15 F, Denoël). : « Le hap­pen­ing est par excel­lence un art de par­tic­i­pa­tion et de révolte où l’expérience créa­trice prime le résul­tat, vend­able ou non. » J.- J. Lebel situe surtout son sujet sur le plan de la créa­tion artis­tique, mais sans cesse, au fil des pages, nous voyons qu’il fait appel à des valeurs qui nous sont chères et nous com­prenons que ce mode d’expression ait pu être util­isé comme tech­nique non violente.

Lebel con­sid­ère que « l’art, dans son chem­ine­ment, doit affron­ter une réac­tion pareille à celle qui neu­tralise la réforme des struc­tures sociales » ; il désire donc sup­primer les bar­rières tra­di­tion­nelles qui sépar­ent l’acteur du spec­ta­teur pour n’avoir que des par­tic­i­pants qui enga­gent le com­bat sur « le dépasse­ment rela­tion de sujet à objet (regardeur/regardé – exploiteur/exploité – spectateur/acteur – colonialiste/colonisé –  aliénis­te/-aliéné – légaliste/illégaliste, etc.). Essayant de dégager les idées-forces en matière de créa­tion artis­tique col­lec­tive, l’auteur pré­cise qu’il n’y a pas de théorie du hap­pen­ing, chaque par­tic­i­pant ayant la sienne.

Si les artistes asso­ciés au « Work shop de la libre expres­sion » ont abor­dé directe­ment des thèmes poli­tiques ou sex­uels, d’autres ne voient dans le hap­pen­ing qu’une pos­si­bil­ité de spec­ta­cle total et n’apprécient pas l’utilisation révo­lu­tion­naire qui peut en être faite.

Nous trou­vons une illus­tra­tion de cette dif­férence de con­cep­tion dans le numéro 2 de la revue « Plexus » (éd. Planète) à pro­pos d’un reportage sur un hap­pen­ing ani­mé par Sodor­ows­ki où Lebel est pris à partie.

Il est évi­dent que les pseu­do-non-con­formistes ne peu­vent l’apprécier lorsqu’il dit : « La lib­erté d’esprit n’aura aucune chance de devenir lib­erté d’action tant que ne sera pas liq­uidé l’appareil spé­cial de coerci­tion con­sti­tué sur le plan cul­turel comme sur le plan social par l’État, ses avatars, ses imi­ta­tions », ou qu’il con­state : « Le réseau d’aliénations est si dense qui enchaîne le cul­turel au social, qu’il est devenu impos­si­ble de créer quoi que ce soit sans automa­tique­ment remet­tre en ques­tion l’ensemble socio­cul­turel dans lequel nous vivons. »

Pour mieux com­pren­dre l’utilisation qu’ont pu faire les provos, révos et autres anar­chistes du hap­pen­ing, il nous faut encore citer :

« Le hap­pen­ing est avant tout un moyen de com­mu­ni­ca­tion intérieure, ensuite incidem­ment un spec­ta­cle » et aus­si « la ques­tion la plus urgente de l’art con­tem­po­rain est dev­enue la réno­va­tion et l’intensification de la perception. »

Pour nous qui recher­chons des tech­niques non vio­lentes d’action directe et de man­i­fes­ta­tion, nous décou­vrons sans cesse des par­al­lèles exis­tant entre nos travaux et cet ouvrage :

– Souci de com­mu­ni­ca­tion dans le désir de sus­citer des participations ;
– Lib­erté totale d’expression sans tabous ni complexes ;
– Prise de con­science du com­plexe oppresseur comme un tout qu’on ne peut dissocier.

Nous pou­vons, sem­ble-t-il, souscrire sans réserves à cette déf­i­ni­tion du hap­pen­ing que J.-J. Lebel con­fi­ait à un reporter cet été à Saint-Tropez : « C’est la recherche d’un moyen de lutte pour trans­former la société, agir sur les gens, les oblig­er à sor­tir de leur routine. »

Mar­cel Viaud