La Presse Anarchiste

(Article 4)

Cette intro­duc­tion du spec­ta­cle dans une man­i­fes­ta­tion où par­tic­i­paient env­i­ron 20 000 per­son­nes est, sur le plan de la spon­tanéité et sur le plan de la rela­tion par­tic­i­pant-spec­ta­teur, net­te­ment dif­férente de celle des « hap­pen­ings provos ». Néan­moins, sur le plan de la com­mu­ni­ca­tion, elle s’avère être un procédé qui a sus­cité, tout comme les méth­odes employées par les provos, autant de répro­ba­tion ou de doute que d’enthousiasme.

Le 28 mai 1966, à Lon­dres, 200 per­son­nes prirent part à une marche qui pour­rait s’intituler « Con­ver­sion de l’épée en soc de char­rue » et qui était organ­isée par le Peace Pledge Union (le mou­ve­ment paci­fiste bri­tan­nique). Cette parade, qui fut reprise dans d’autres villes, se voulait être « un théâtre en marche ». « Par les moyens du masque et du cos­tume, de l’image et de la pan­car­te, elle racon­te l’histoire de la folie des hommes qui gaspillent dans la guerre ce qui est en leur pou­voir quand ils pour­raient l’utiliser pour la paix. » Afin de met­tre en avant l’idée suiv­ant laque­lle « l’homme a la puis­sance, le génie et la capac­ité pour créer la paix et une société qui pour­rait résoudre les con­flits sans recourir à la guerre », des marcheurs faisant fig­ure de « sol­dats » étaient vêtus de capes rouges et por­taient des masques de mou­tons. Un marcheur por­tait un masque de loup. Quant au reste du défilé, il eût été clas­sique (des marcheurs arbo­rant des pan­neaux comme « la san­té ou la famine », « enfant vivant ou enfant mort » meet­ing final avec ora­teurs) s’il n’y avait eu un rég­i­ment de reines de beauté, les « Miss Vic­time », affublées de masques représen­tant des crânes (Miss Corée, Miss Cuba, Miss Con­go, etc.). Myrthe Solomon rap­porte : « L’accueil des pas­sant fut plus hos­tile qu’habituellement. »1« Peace News » 13 mai, 3 juin 1966 et 3 févri­er 1967.

À la suite du spec­ta­cle de mar­i­on­nettes de Trafal­gar Square, Dick Wilcocks écrivait : « Les groupes locaux devraient adopter de nou­velles méth­odes de cam­pagne. Que pensez-vous de faits de petite enver­gure avec un impact émo­tion­nel et visuel direct ? Ceci serait facile à faire et ne néces­sit­erait pas for­cé­ment un engage­ment à la désobéis­sance civile. Par exem­ple, qua­tre hommes habil­lés de manière iden­tique en com­bi­naisons noires crasseuses, por­tant un bran­card crasseux à tra­vers un marché dans une rue pop­uleuse ou dans le cen­tre com­merçant. Ils sont tout sim­ple­ment déguisés. Sur le bran­card il y a un per­son­nage sale revê­tu de la tête aux pieds (le vis­age aus­si) de ban­dages. Des chif­fons, avec écrit dessus “Viet­nam”, sont parsemés sur les ban­dages ou sus­pendus au bran­card. La per­son­ne serait de préférence petite et une femme, et se tordrait con­tin­uelle­ment de douleur, émet­tant des cris perçants et des hurlements hor­ri­bles par moments. Les gens sem­blent rarement lire les tracts. Les protes­ta­tions poli­tiques à pro­pos du Viet­nam sont rapi­de­ment oubliées. Ils n’oublieraient pas hâtive­ment un hap­pen­ing. »2« Peace News » 6 mai 1966.

Un « hap­pen­ing » devant avoir lieu au cours d’une man­i­fes­ta­tion du Comité des 100 à la base mil­i­taire améri­caine d’Alconbury (près de Cam­bridge), Dick Wilcocks esquis­sa des idées à ce sujet : « Nos mots d’amour devi­en­nent plus durs et plus froids de par leur con­stante répéti­tion. Brass­er des phras­es usées ne donne pas grand-chose de bon. Pro­duire une man­i­fes­ta­tion cliché serait un acte stérile. » L’alternative était au hap­pen­ing, « une éjac­u­la­tion d’amour fer­vent util­isant des fleurs ou des mantras ». Il indi­quait deux direc­tions dis­tinctes pour les nou­velles formes de man­i­fes­ta­tion : « Une reliée au Théâtre de Cru­auté, util­isant l’horreur comme thérapeu­tique de choc (filles pous­sant des cris perçants, dans des ban­dages sep­tiques souil­lés de sauce tomate), l’autre liée au Théâtre de Panique (usage d’excréments, destruc­tion de la logique de chaque jour et du con­di­tion­nement en habi­tudes, sem­blable aux essais for­mulés par les pre­miers dadaïstes à Zurich et à Paris dans les années 20). »3« Peace News » 10 juin 1966..

Des doutes sérieux furent émis au sujet de ce hap­pen­ing d’Alconbury. Albert Hunt écrit : « L’idée de Kus­tow d’utiliser le théâtre à l’extérieur, dans les man­i­fes­ta­tions, me sem­ble être la meilleure chose que quelqu’un lié au mou­ve­ment paci­fiste ait amenée depuis longtemps. Ce sera dom­mage si tout cela est dis­crédité par manque réflex­ion et de pré­pa­ra­tion »4« Peace News » 1er juil­let 1966.. On par­le de « pré­ciosité d’avant-garde », de risque « d’amateurisme et de facil­ité ». Le 3 juil­let, env­i­ron 300 per­son­nes par­ticipèrent à la marche con­ven­tion­nelle, excep­té que « le long de la route, un son tel une lamen­ta­tion, mon­tait à l’étonnement des auto­mo­bilistes : c’était un “aum” spas­mod­ique, le son du mantra boud­dhique. Mêlés à la poésie con­nue con­cer­nant le Viet­nam et au chant, les sons du mantra étaient très impres­sion­nants »5« Peace News » 8 juil­let 1966.. Quant au hap­pen­ing, la pre­mière par­tie, allé­gorique, fut ratée pour des raisons tech­niques. « L’autre par­tie prit la forme d’une lec­ture pas très inspirée de poésie. C’était une bonne idée, mais cela aurait été davan­tage un hap­pen­ing si une plus active par­tic­i­pa­tion avait été encour­agée et sus­citée, et si plus de spon­tanéité était adv­enue. Un ou deux man­i­fes­tants n’étaient pas d’accord avec la lec­ture, car ils ne « voy­aient aucune rela­tion entre l’art et la paix ». Mais le sen­ti­ment général parais­sait être fait d’amusement mod­éré, de stupé­fac­tion ou de tolérance. »6« Peace News » 8 juil­let 1966.

D’autres man­i­fes­ta­tions ont eu lieu, comme celle de Coul­port en Écosse auprès de bases bri­tan­niques Polaris, qui voulaient égale­ment relever d’un style nou­veau de man­i­fes­ta­tion, mais pour lesquelles ce style apparem­ment peu réus­si fut controversé.

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La marche de la honte

Si le spec­ta­cle de mar­i­on­nettes de Kus­tow est un moment impor­tant de cette quête de formes nou­velles de man­i­fes­ta­tion, la « marche de la honte » en est un autre.

Cette marche, organ­isée par le Comité des 100 lon­donien sur la propo­si­tion de Jim Rad­ford, eut lieu le 30 avril 1967 à Lon­dres et tirait son orig­ine dans la com­plic­ité et le sou­tien de la Grande-Bre­tagne à la poli­tique viet­nami­enne des USA.

Jim Rad­ford pro­po­sait « une man­i­fes­ta­tion pour beau­coup dirigée vers la presse étrangère, qui mon­tre la Grande-Bre­tagne comme un satel­lite US et qui tienne les mem­bres du gou­verne­ment et de l’ordre établi comme objets de mépris. Une man­i­fes­ta­tion avec un impact visuel réel qui dira au monde qu’il y a des gens en Grande-Bre­tagne qui com­pren­nent et n’aiment pas le fait qu’ils vivent sous un régime de pan­tins ». Le thème de cette marche était « nous avons honte », phrase inscrite sur toute pan­car­te ou banderole.

Rad­ford suggérait :

– Des jeux scéniques comme des con­fes­sions abjectes lues par Wil­son, Brown, l’archevêque de Can­ter­bury, la reine, etc.
– Des chars com­por­tant égale­ment des jeux scéniques (George Brown se ten­ant par­mi des ruines avec des femmes ram­pant, pleu­rant sur des enfants morts, décla­mant sans fin au milieu d’une mitraille : « Je ne crois pas que nos alliés améri­cains fassent pareille chose.  Un sol­dat US fustigeant des Viet­namiens à moitié nus avec des zébrures rouges peintes sur leur dos, et pour sous-titre : « Le gou­verne­ment bri­tan­nique sou­tient le rôle légitime des États-Unis au Vietnam. »
– un orchestre jouant de la musique funèbre ; des foulards noirs pour les femmes, des ban­deaux noirs aux bras des hommes.
– Deux porte-dra­peau traî­nant par terre de grands dra­peaux bri­tan­nique et améri­cain, des­tinés à être détru­its en fin de marche.
– Des ban­nières por­tant d’immenses car­i­ca­tures (John­son ten­ant Wil­son en laisse, un enfant dans sa gueule – sous-titré : « La Grande-Bre­tagne forme des chiens de guerre pour les forces US au Viet­nam », etc.)
– Des ban­deroles : « Nous avons honte – parce que la Grande-Bre­tagne tenait seule con­tre le fas­cisme et main­tenant le sou­tient au Viet­nam », « Nous avons honte – parce que des sol­dats bri­tan­niques entraî­nent les traîtres viet­namiens à tuer leur pro­pre peu­ple », « Nous avons honte – parce que des savants bri­tan­niques ont mis au point des gaz de guerre à utilis­er con­tre les civils au Vietnam. »
– Un badge spé­cial : « J’ai honte d’être bri­tan­nique à cause du Viet­nam » – des dra­peaux améri­cains sur carte postale avec des bombes ou des svastikas au lieu d’étoiles, des cita­tions typ­iques de John­son en guise de raies.
– Le max­i­mum de pub­lic­ité auprès de la presse.

Les risques d’amateurisme, provenant d’une inter­pré­ta­tion lais­sée, en con­fi­ance, à la libre guise de cha­cun, sem­blent ici avoir été moin­dres. Le tra­vail était plus élaboré et en fonc­tion d’une par­tic­i­pa­tion mas­sive au défilé. La con­tro­verse se situerait ailleurs. Loin de con­tester le flirt entre le théâtre et le mou­ve­ment paci­fiste, Bob Overy met­tait en garde con­tre le dan­ger (d’une man­i­fes­ta­tion quel­conque) à col­porter un men­songe, ou tout au moins le dan­ger d’une cer­taine incon­sis­tance. Par­ticiper, c’était se déclar­er hon­teux ; était-ce vrai ? « Je ne suis pas assez patri­ote – écrit Bob Overy. Dois-je fein­dre le besoin de faire des excus­es auprès de l’étranger pour Harold Wil­son parce que je ne crois pas qu’il me représente. Dois-je fein­dre le patri­o­tisme afin de fein­dre l’outrage pour le béné­fice de la presse étrangère ? »

(« Peace News » des 13, 20 jan­vi­er et 5 mai 1967.)

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La paix est belle, vivez-la

Il ne faudrait pas s’arrêter aux « aven­tures » des expéri­ences anglais­es. Cela est sec­ondaire. Ce qui me paraît plus impor­tant est cette quête d’un débouché de la part du courant paci­fiste le plus act­if (YCND, Comité des 100, etc.). Coller des élé­ments de spec­ta­cle au clas­si­cisme des man­i­fes­ta­tions est une ten­ta­tive qui n’a pas ral­lié l’opinion. Va-t-on, inspiré par l’Amérique, vers une nou­velle ten­ta­tive ? En tout cas, un édi­to­r­i­al de « Peace News » (26 mai 1967) sem­ble abor­der le sujet. En voici quelques extraits, qui pour­raient très bien nous con­cern­er en France :

« Il n’y a pas de mou­ve­ment paci­fiste rad­i­cal en Grande-Bre­tagne. Il n’y a pas de cam­pagne à grande échelle pour inciter les sol­dats à la désaf­fec­tion. Il n’y a pas de large refus à l’impôt sur le revenu pour la pré­pa­ra­tion à la guerre Il y a quelques inter­ven­tions paci­fistes con­tre les défilés mil­i­taires, peu de ten­ta­tives sérieuses pour gên­er la pro­pa­gande des ser­vices de recrutement.

« Pourquoi en est-il ain­si ? Sommes-nous sérieux dans notre oppo­si­tion au mil­i­tarisme ou non ? En Amérique un nou­v­el ent­hou­si­asme aide les paci­fistes rad­i­caux à définir leur vie d’une manière nou­velle. Ils en sont venus à la con­stata­tion sim­ple que la paix est belle : à être exprimée dans leur corps, dans leurs pen­sées et dans leurs actions, dans leur art, leurs joies, leur énergie spon­tanée ; bref, dans leur style de vie.

« Nos chances de sur­vivre au XXe siè­cle sont si minces que par con­tra­dic­tion il sem­ble que la seule manière raisonnable de regarder le monde pour ceux qui croient que la paix est pos­si­ble est une manière opti­miste. Si seule­ment un nom­bre con­séquent de gens com­men­cent à croire que la vie peut être belle, alors pour­rons-nous rejeter la mort, le vide d’esprit de la foule ; si seule­ment nous décou­vrons dans notre vie la joie dont nous sommes capa­bles, alors pour­rons-nous détourn­er l’aspiration humaine hors de la ten­dance volon­taire au sui­cide qui sem­ble inhérente aux poli­tiques mil­i­taristes actuelles.

« Ce qui ressem­ble à un tel mou­ve­ment appa­raît peut-être inévitable­ment aux États-Unis en ce moment.

« […] Est-ce qu’une vision équiv­a­lente, un tel ent­hou­si­asme peu­vent se pro­duire dans notre pays ? N’ayant pas chez nous une guerre étrangère majeure pour nous faire bouger, devons-nous pour­suiv­re la triste ronde des march­es, des piquets et des pétitions ?

« II y a des signes d’une énergie nou­velle dans, par exem­ple, la man­i­fes­ta­tion à l’ambassade grecque et sa suite, la Marche de la Honte, et dans les man­i­fes­ta­tions du Viet­nam Action Group : mais il s’agit là encore d’actions de protes­ta­tion plutôt que de l’extension logique et naturelle, dans sa par­tie publique, d’une manière de vivre conçue glob­ale­ment et élaborée en col­lab­o­ra­tion par des gens d’opinions sem­blables. Il y a, pour ce groupe paci­fiste à venir, un vide à rem­plir quelque part entre le Comité des 100, le Peace Pledge Union et les lecteurs de l’« Inter­na­tion­al Times ». Ce groupe ne se tourn­era pas vers les politi­ciens et peut-être pas vers autre chose que son pro­pre nom­bril. Il se regardera lui-même et ver­ra que la paix est belle. […]

« Cer­tains pré­pareront quelque chose de sub­til pour le jour de l’armistice et le dimanche du sou­venir lorsque des rites mar­ti­aux inap­pro­priés mar­quent la fin de la Pre­mière Guerre mon­di­ale de triste mémoire.

« D’autres se deman­deront com­ment ils peu­vent éviter leurs impôts sur le revenu et décider de tra­vailler à leur compte ou de chômer ou d’être tra­vailleur volon­taire. D’autres fer­ont le tour des bases mil­i­taires présen­tant la paix aux sol­dats – et d’autres encore dis­tribueront des tracts au bureau de recrute­ment et décideront de ne pas s’inscrire auprès des autorités mil­i­taires si l’appel devait à nou­veau ruin­er leur vie.

« De tout cela quelque chose sor­ti­ra. Ce sera une ten­ta­tive pleine de fan­taisie et forte. Elle peut être écrasée comme elle peut ne pas l’être. Mais cette ten­ta­tive s’offre là, si nous le voulons. »

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Avec les hap­pen­ings, réus­sis ou non, nous dis­cer­nons deux idées prin­ci­pales quant aux méth­odes d’action :

– Faire fusion­ner les notions con­ven­tion­nelles de par­tic­i­pant et de spec­ta­teur passif ;
– Rechercher des élé­ments qui provo­quent une réac­tion dans le pub­lic (à qui l’on veut par­al­lèle­ment faire per­dre son rôle pas­sif) et qui accrochent son atten­tion. Le théâtre four­nit beau­coup de ces éléments.

Nous avons vu cela à tra­vers des actions en Europe. Les Améri­cains sem­bleraient avoir été plus heureux dans leur recherche d’un « impact émo­tion­nel et visuel direct » dans « des faits de petite enver­gure ». Peut-être est-ce parce que la notion de mou­ve­ment organ­isa­teur est beau­coup moins stéril­isante, étouf­fante qu’en Europe ? Parce que cela ne se pas­sait pas au cours de man­i­fes­ta­tions con­ven­tion­nelles (march­es avec pan­car­tes que l’on replâtre avec des élé­ments neufs) ? Parce que ces man­i­fes­ta­tions demandaient plus d’engagement ?

À l’université de Penn­syl­vanie, impliquée dans la recherche pour la guerre chim­ique et biologique, recherche liée à la guerre du Viet­nam, un sit-in eut lieu du 26 au 28 avril 1967. Ce sit-in de cinquante-trois heures, organ­isé par un comité ad hoc : STOP (Étu­di­ants Opposés à la Guerre Bac­téri­ologique), débu­ta par l’installation d’une ving­taine d’étudiants dans les bureaux du prési­dent de l’université. Ils por­taient des masques à gaz qui drama­ti­saient leur action et rendaient l’ambiance glaciale. Plus de deux cents étu­di­ants par­ticipèrent au sit-in, soutenus de l’extérieur par un piquet du CNVA de Philadelphie.

De même, les étu­di­ants de l’université de Iowa pen­dant qua­tre jours, début novem­bre 1967, con­tre le recrute­ment de « marines » à l’intérieur de l’université. Une pro­ces­sion funèbre en bonne et due forme (une bière portée par des étu­di­ants, suiv­ie de pleureuses) ame­na les man­i­fes­tants jusqu’à la rési­dence du doyen. Là le mort habil­lé en sol­dat s’est réveil­lé pour s’écrier, mécon­tent, que lui et ses cama­rades tués au Viet­nam ne pou­vaient dormir en paix, faisant allu­sion à la tuerie con­tin­ue. Du sang récolté par­mi les étu­di­ants fut répan­du sur les march­es et se voulait être la dernière effu­sion. Une péti­tion fut signée du sang des manifestants.

Le 16 sep­tem­bre 1967, des rues de New York furent par­cou­rues par une cen­taine de jeunes gens vocif­érant à pro­fu­sion, appelant à la haine et à la tuerie : « Mort, mort immé­di­ate, tuez-les tous, c’est dans la tra­di­tion améri­caine », « Libérez les nations opprimées en les bom­bar­dant », « Mas­sacrez les Viet­namiens, ils ne sont pas comme nous ». Des pan­car­tes por­taient : « Tuez, brûlez les enfants ! » « Écorchez vivants les Asi­a­tiques », « Invitez un nazi à déje­uner », « Vive la bru­tal­ité poli­cière pour les Noirs », « Émas­culez les paci­fistes… et les séna­teurs ». C’étaient des paci­fistes stig­ma­ti­sant l’hystérie fas­cisante par un procédé homéopathique. « Les pas­sants qui générale­ment au cours des man­i­fes­ta­tions s’approchent, curieux ou ironiques, lan­cent des plaisan­ter­ies ou répon­dent aux cris des man­i­fes­tants, gar­daient cette fois un silence atterré. »

Les activ­ités provos ont égale­ment atteint les États-Unis. Un des hap­pen­ings faisant le plus preuve d’imagination, organ­isé par les provos de San­ta Mon­i­ca (Cal­i­fornie), se pas­sa, en févri­er 1967, aux portes d’une réu­nion de gens de droite. Là les purs patri­otes ne trou­vèrent pas des gens qui protes­taient, mais seule­ment une mince ligne de beat­niks de droite qui por­taient des pan­neaux : « Vic­toire au Viet­nam », « À quel prix la lib­erté », « West­more­land en 1968 » et qui chan­taient l’hymne améri­cain, d’ailleurs fort mal. Là-dessus une foule hargneuse s’amassa et des ques­tions soupçon­neuses furent émis­es : « Qui êtes-vous ? » « Des provos Bircher. » « Que voulez-vous au Viet­nam ? » « La vic­toire. » Cepen­dant, la foule prit con­science des san­dales, des cheveux longs et de la mau­vaise manière dont était chan­té l’hymne nation­al, et devint menaçante. Finale­ment, un citoyen s’écria : « Nom de Dieu, chantez cor­recte­ment » et assom­ma un pro­vo. Sur ce les provos quit­tèrent les lieux pour aller dépos­er une plainte.

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Les exem­ples dans ce sens peu­vent abon­der au gré de l’imagination. Mais des États-Unis est venue égale­ment une troisième idée, un nou­veau style de man­i­fes­ta­tion. C’est celui-ci qui jus­ti­fie prin­ci­pale­ment l’éditorial de « Peace News » et qui s’accorde au thème : « La paix est belle, vivez-la ! » Nous allons en don­ner quelques indications.