La Campagne pour le Désarmement Nucléaire (CND) fut lancée vers 1958, avec des personnalités comme le philosophe-mathématicien Bertrand Russell, l’écrivain J.B. Priestley, le dessinateur Vicky, le chanoine de l’église Saint-Paul, John Collins, entre autres. Le thème de cette campagne fut quasiment unique et se trouve proche parent de celui du MCAA : condamnation de la bombe atomique, renoncement unilatéral de la Grande-Bretagne à son armement nucléaire de façon à promouvoir d’éventuelles négociations1Voir le chapitre consacré au mouvement antiatomique anglais dans « Une nouvelle force de frappe : l’action non-violente » de Joseph Pyronnet (Ed. Témoignage chrétien).. Cette campagne paraît avoir été une affirmation spontanée de convictions profondes. De nombreuses personnalités s’y sont mouillées ; une actrice de cinéma, Vanessa Redgrave, se présenta un peu comme une Joan Baez anglaise. Pendant cette période eut lieu l’éclosion de recherches théoriques de la part d’universitaires et même de militaires sur une défense civile non violente2« Civilian Defence », brochure comprenant 4 essais (« Plaidoyer pour une défense civile », par Adam Roberts ; « Les problèmes psychologiques dans l’élimination de la guerre », par Jérôme Frank ; « Défense non militaire et politique étrangère », par Arne Naess ; « Dissuasion et libération par la défense civile », par Gene Sharp), a été traduit en français. Récemment a été publié le livre « Strategy of Civilian Defence », composé par Adam Roberts et qui aborde en particulier la pratique de la guérilla.. Les concours à cette campagne furent les plus divers et très nombreux. Les marches de Pâques, les plus imposantes, réunirent jusqu’à 30 000 personnes. Le parti travailliste, alors dans l’opposition, prit position pour le désarmement nucléaire unilatéral en 1960 sous l’impulsion de Frank Cousins. L’âge d’or semble avoir été les années 60 – 61.
Si l’objectif unique de la CND a rassemblé une masse importante de personnes dans une même réprobation morale de l’armement nucléaire, il n’empêche que :
– Cet objectif unique a fait de la CND une composition hétéroclite de personnes venues d’horizons extrêmement divers et a empêché la CND de tabler sur la cohérence de ses propositions et d’exploiter son succès ;
– Cet objectif unique était, pour beaucoup de personnes et en particulier chez les jeunes, dépassé, la protestation s’étendant à une contestation de toute la société britannique (le phénomène bombe étant la conséquence d’un certain comportement social ainsi que d’un certain comportement individuel).
Il semblerait que la dislocation de la CND vienne en conséquence de cela, et probablement d’autres choses qu’il ne serait pas négligeable de rechercher. Le succès des marches de Pâques ne déclina pas rapidement, mais le fait est qu’il va décroissant ; elles sont devenues traditionnelles – et cette expression est caractéristique. En 1961, le leader du parti travailliste, Hugh Gaitskell, réussit à faire revenir celui-là sur ses positions antérieures. C’est également en 1961 que s’est formé le Comité des 100 avec Bertrand Russell, Michael Scott, Michael Randle. Les promoteurs de cette nouvelle organisation directe demandaient de passer à la désobéissance civile3Voir ANV, n° 8.
La CND, après un succès foudroyant, s’est trouvée brutalement devant un mur. Son existence se poursuit, cloisonnée dans la tradition, récupérée par les belles âmes pacifistes.
L’originalité (par rapport à la tradition), le dynamisme se situent principalement dans la section jeune du CND (YCND) et au Comité des 100. Ici la pratique de la désobéissance civile par de petits groupes et la recherche du choc émotionnel dans l’action remplacent la participation massive aux manifestations. Ceci se retrouve en Amérique avec les Comités d’action non violente (CNVA) en particulier, et mériterait une attention scrupuleuse.
Cependant, si l’on en revient à l’Angleterre, j’aurais l’impression d’un malaise actuel. La pratique de la désobéissance civile, qui dure depuis plusieurs années, et qui ne perce pas, engendrerait-elle un malaise de la tradition ? La marche de la Honte illustre, entre autres exemples, un certain tournant dans ce courant britannique ; mais la recherche de la nouveauté dans l’arsenal pacifiste se présente-t-elle comme telle ou bien comme conséquence de « ce » malaise ? Comment interpréter ce qu’écrivait Dick Wilcocks : « Que pensez-vous de faits de petite envergure avec un impact émotionnel et visuel direct ? Ceci serait facile à faire et ne nécessiterait pas forcément un engagement à la désobéissance civile ? » Comment interpréter l’extrait déjà cité de l’éditorial de « Peace News » : « La Paix est belle, vivez-la ! »
Mes connaissances limitées ne me permettent pas de répondre à ces questions que je me sens en droit de me poser. Et cela d’autant plus si par la suite je me réfère à ce qui se passe en France où le MCAA est une pâle imitation de la CND et le restera probablement, car il me semble difficile de réunir toutes les heureuses circonstances qui tracèrent le succès éphémère de la CND.
- 1Voir le chapitre consacré au mouvement antiatomique anglais dans « Une nouvelle force de frappe : l’action non-violente » de Joseph Pyronnet (Ed. Témoignage chrétien).
- 2« Civilian Defence », brochure comprenant 4 essais (« Plaidoyer pour une défense civile », par Adam Roberts ; « Les problèmes psychologiques dans l’élimination de la guerre », par Jérôme Frank ; « Défense non militaire et politique étrangère », par Arne Naess ; « Dissuasion et libération par la défense civile », par Gene Sharp), a été traduit en français. Récemment a été publié le livre « Strategy of Civilian Defence », composé par Adam Roberts et qui aborde en particulier la pratique de la guérilla.
- 3Voir ANV, n° 8