La Presse Anarchiste

Défense de l’homme

Le monde est anxieux au suprême degré et l’in­quié­tude emplit tous les cœurs si elle n’as­som­brit pas tous les visages. La peur est par­tout et cha­cun crâne, comme l’autre siffle, pour paraître cou­ra­geux. La crainte du len­de­main angoisse toute l’hu­ma­ni­té ; elle obnu­bile tous les esprits, enve­lop­pant dans son ombre tous les hommes, les défa­vo­ri­sés et les favorisés.

Les défa­vo­ri­sés qui, en tra­vaillant, voient leur pou­voir d’a­chat s’a­me­nui­ser tou­jours plus, et que la lan­ci­nante ques­tion de la man­geaille tour­mente au point de rayer de leurs pré­oc­cu­pa­tions ce qui ne concerne pas direc­te­ment le méchant plat du jour.

Les favo­ri­sés qui, appré­hen­dant tous les effon­dre­ments, sont capables des pires canaille­ries plu­tôt que d’a­ban­don­ner cer­tains de leurs pri­vi­lèges — ris­quant de tout perdre pour ne pas atté­nuer l’é­cart qui les sépare des premiers.

Le monde est anxieux parce que les humains, au lieu de pan­ser leurs bles­sures, au lieu de répa­rer, en par­tie, les désastres d’une guerre affreuse, au lieu d’as­su­rer les bases de nou­velles socié­tés habi­tables pour tous, s’en­gagent dans une infer­nale course à l’a­bîme. Car, en fin de compte, nous nous jet­te­rons de nou­veau dans le plus vaste des conflits armés pour n’a­voir pas vou­lu abor­der et résoudre des pro­blèmes urgents, dans l’es­poir aus­si de recu­ler cer­taines échéances.

Des gou­ver­nants affo­lés et pleins de dérai­son, des gou­ver­nés sans bous­sole, oscil­lant de tous côtés, voi­là ce qui sur­vit de la der­nière guerre.

La méchan­ce­té, la bêtise et un égoïsme mons­trueux, voi­là ce qui carac­té­rise l’homme d’aujourd’hui ?

L’Homme ! Un bien beau mot pour dési­gner quoi ?

L’Homme est tout sim­ple­ment en voie de dis­pa­ri­tion — ron­gé par une pape­ras­se­rie tatillonne, anni­hi­lé par une machi­ne­rie abru­tis­sante — ses organes sont atro­phiés, ses sens avi­lis et un auto­ma­tisme dégra­dant le dimi­nue encore davan­tage de jour en jour.

Que faire ?

Une mino­ri­té qui désire agir, qui ne peut déses­pé­rer, se le demande.

Tout est à recon­si­dé­rer, tout est à recom­men­cer, car tout a fait faillite.

Pour­tant, les hommes ne sont pas plus mau­vais main­te­nant qu’ils ne l’é­taient autre­fois. Ils sont dérou­tés. Tout leur échappe, jus­qu’à leurs der­niers droits — l’É­tat-Ten­ta­cule, pro­fi­teur réel de la guerre, sai­gnant sa proie jus­qu’à l’ul­time goutte.

On ment aux hommes effron­té­ment. Jamais ils ne furent dupés avec une telle aisance, un pareil cynisme, à croire que la presse et la radio les des­servent plus qu’elles ne les servent, à croire que les régimes que nous subis­sons sont ter­ri­ble­ment per­ver­tis­sant puis­qu’ils trans­forment en moyens d’as­ser­vis­se­ment des modes d’ex­pres­sion inven­tés pour affranchir.

Les hommes vont à la dérive, les pauvres, et ils en sont bien excu­sables, quand on songe à leur cer­veau vidé, à leur sang ané­mié par toutes les vicis­si­tudes qu’ils connurent au cours des dix années passées.

Qui les sauvera ?

Hélas ! ils sont per­dus s’ils comptent sur autrui, s’ils ne se tirent pas eux-mêmes d’embarras en pre­nant en main leur des­tin que les chefs et les mau­vais ber­gers gal­vaudent. Ils consa­cre­ront leur anéan­tis­se­ment durant des géné­ra­tions s’ils ne s’a­grippent aux berges et ne reprennent pied pour s’é­lan­cer à la recon­quête du ter­rain abandonné.

Nous dési­rons ardem­ment les y aider, de toute notre clair­voyance et avec l’éner­gie que l’on est en droit d’at­tendre de nous.

Pour­quoi ? Par soli­da­ri­té, d’a­bord. Ensuite, parce que leur sort sera le nôtre.

Mais que nous appa­rais­sons ché­tifs à côté des cala­mi­tés déchaî­nées ou mena­çantes, que notre voix semble faible en face du canon qui gronde et de la bombe, qui éclate.

Quand même, nous pre­nons la parole. Et notre revue s’ap­prête à mettre l’ac­cent où il faut, où il est trop sou­vent oublié inten­tion­nel­le­ment ; se met en mesure de parer les coups et d’en assé­ner au besoin.

Nous rap­pel­le­rons des véri­tés pre­mières et nous dirons tou­jours ce que nous pensons.

Nous écri­rons que nous situons l’Homme au faîte de tout. Que le pro­duit de ses labo­rieux efforts doit lui reve­nir entiè­re­ment et non être gâché pour des ins­ti­tu­tions dévo­rantes faus­se­ment parées d’é­cla­tantes vertus.

Nous réha­bi­li­te­rons l’Homme à ses propres yeux ; nous lui don­ne­rons le goût de vivre en har­mo­nie avec ce qu’il réa­li­se­ra de pro­fi­table à son épa­nouis­se­ment. L’Homme deve­nu maître enfin de la créa­tion pour le bien-être de la créa­ture, voi­la notre but.

Ave­nir encore loin­tain, sans doute ; mais, dans le pré­sent, Défense de l’Homme accom­pli­ra une œuvre utile : nous dénon­ce­rons les ini­qui­tés et les infa­mies si cou­rantes main­te­nant ; nous nous por­te­rons au secours de l’homme pros­crit ou incar­cé­ré, de l’homme vic­time des gang­sters légaux ou illé­gaux. Défense de l’Homme fera réflé­chir et pen­ser, don­ne­ra peut-être à beau­coup le goût de l’ac­tion. Elle contri­bue­ra plus que qui­conque à décen­tra­li­ser l’exis­tence des indi­vi­dus, à fédé­ra­li­ser ceux-ci, afin qu’ils échappent plus aisé­ment à l’emprise éta­tique, afin qu’ils assument une res­pon­sa­bi­li­té vraie et qu’ils acquièrent une per­son­na­li­té véri­table. Car, condam­ner l’é­tat de choses actuel ne ser­vi­rait de rien si déjà nous n’en­vi­sa­gions de le rem­pla­cer avantageusement.

« Mais, s’é­crie quel­qu’un pen­ché sur mon épaule, c’est le pro­gramme des anarchistes ! »

Qu’im­porte ! Ce devrait être le pro­gramme de tous les hommes de cœur, de ceux qui ne s’in­clinent point devant les forces du mal. C’est du socia­lisme bien com­pris. Un socia­lisme qui ignore la dic­ta­ture. Un socia­lisme que le par­le­men­ta­risme n’a pas édul­co­ré, que le minis­té­ria­lisme n’a pas domes­ti­qué. Un socia­lisme conçu à la mesure des hommes déci­dés à se défendre et en passe de s’émanciper.

Louis Lecoin


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