La Presse Anarchiste

La question coloniale

Le pro­cès de Mada­gas­car vient rap­pe­ler à l’o­pi­nion, si diver­se­ment sol­li­ci­tée en ces temps incer­tains, que le pro­blème colo­nial demeure posé en per­ma­nence. Ce n’est pas dans le cadre d’un article limi­té qu’on peut espé­rer en fixer les don­nées dans toute leur ampleur et leur complexité.

Il fau­drait d’une part, reprendre depuis la Confé­rence de Braz­za­ville jus­qu’aux accords ou ten­ta­tives d’ac­cords pré­sents, tous les actes colo­niaux de nos régimes ou gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs depuis quelques années.

Il fau­drait, d’autre part, consa­crer à chaque aire colo­niale son article. Diver­se­ment évo­lués, condi­tion­nés dans leurs exi­gences par la géo­gra­phie, l’his­toire, le cli­mat, l’é­co­no­mie, leurs rap­ports avec leurs voi­sins immé­diats, les peuples colo­niaux ne consti­tuent pas un tout homogène.

Certes, tous reven­diquent plus ou moins clai­re­ment leur indé­pen­dance poli­tique. C’est là le trait com­mun. Mais cette reven­di­ca­tion élé­men­taire n’a pas par­tout, il s’en faut, la même réso­nance ou le même contenu.

Le pro­blème, il est vrai, serait sim­pli­fié si les États pos­ses­seurs s’é­taient de tout temps pré­pa­rés à cette pré­vi­sible crise de crois­sance des peuples de cou­leur. Si la colo­nie avait été, de tout temps, consi­dé­rée par eux comme un man­dat pro­vi­soire, comme une prise en charge fra­ter­nelle, une sorte de droit d’aî­nesse de civi­li­sa­teur, une tutelle qui vient s’a­che­ver à la majo­ri­té acquise…

Hélas ! l’es­prit de lucre, l’im­pé­ria­lisme, les erreurs et les bru­ta­li­tés, l’ex­ploi­ta­tion inouïe, issue du mépris de l’homme, et, pré­sen­te­ment, la pas­sion obs­cur­cis­sante et l’or­gueil qui ne veut point céder rendent mal­ai­sé toute solu­tion saine.

Je sais la thèse sim­pliste : Par­tons. Quit­tons. l’In­do­chine, Mada­gas­car, l’A­frique, etc. Soit. Mais ce n’est même pas une solu­tion, sinon, dans cer­tains cas, la plus mau­vaise. Ce qui nous inté­resse, n’est-il pas vrai, c’est le sort de l’in­di­gène ? Per­sua­dons-nous que, nous par­tis, sou­vent la tyran­nie sans contre-poids effi­cace des tyrans locaux serait plus lourde à sup­por­ter que les tra­cas­se­ries d’une admi­nis­tra­tion vieillie, sans âme et sans vision… Et nous pas­sons ici, volon­tai­re­ment sous silence, l’im­mé­diate occu­pa­tion étrangère.

Nous par­ti­rons, nous devons par­tir, mais, aupa­ra­vant, il faut que soit mis en place un appa­reil fis­cal, judi­ciaire, éco­no­mique, poli­tique même, qui assure à l’homme de cou­leur une indé­pen­dance, sinon abso­lue du moins déjà suffisante.

En atten­dant, et dans l’im­mé­diat, que faire ? Que faire à Mada­gas­car ? Que faire en Indochine ?

La guerre coû­teuse et sans pro­fit ? C’est la plus folle des solu­tions. On ne recon­quiert pas le cœur d’un peuple à coups de canon ou d’exécutions.

Certes, il y eut, ces der­nières années, dans l’exas­pé­ra­tion, des assas­si­nats cruels d’Eu­ro­péens. N’au­rions-nous rien à nous repro­cher sur ce plan ? Faut-il rap­pe­ler com­ment s’exé­cu­tait dans nos colo­nies le recru­te­ment des troupes de cou­leur durant la guerre de 1914 — 1918 ? Et l’u­sage abu­sif qu’on en fai­sait ensuite ? Faut-il rele­ver la bru­ta­li­té des répres­sions tout au long de cette dou­lou­reuse his­toire colo­niale ? Nous avons à la fois, tous, le devoir de par­don­ner et le besoin d’être pardonnés.

Il faut donc accor­der cette indé­pen­dance deman­dée, nous asso­cier à l’ef­fort de ces peuples deve­nus adultes. L’An­gle­terre nous donne, à cet égard, un grand exemple. Elle a effec­ti­ve­ment conquis l’Inde le jour même où elle l’a volon­tai­re­ment per­due. Méditons-le.

Tâche dif­fi­cile, incon­tes­ta­ble­ment ! D’au­tant que la situa­tion inter­na­tio­nale pré­sente explique trop sou­vent la tur­bu­lence des uns et le rai­dis­se­ment des autres…

L’In­do­chine, Mada­gas­car, l’A­frique, ce sont aus­si des lignes de départs essen­tielles dans le conflit effrayant que la sot­tise et la lâche­té laissent s’our­dir sous nos yeux. Ce sont des hommes qu’on mobi­li­se­ra de gré ou de force, des matières pre­mières qu’on exploi­te­ra, des ter­rains où les manœuvres armées déve­lop­pe­ront leur stratégie.

Ain­si, on se retrouve une fois encore, une fois de plus, devant cette grande que­relle de l’A­mé­rique et de la Rus­sie, que­relle qui com­mande notre des­tin pré­sent comme elle com­man­de­ra notre des­tin futur…

Pas de solu­tions — hors les solu­tions de force — au pro­blème colo­nial dans cet état de pré­guerre qui est le nôtre.

Les uns pous­se­ront ces peuples à la révolte que tant de mal­adresses, pour dire le moins, jus­ti­fient ! Les autres encou­ra­ge­ront les rigueurs pour se ména­ger des ter­rains offensifs.

Jus­qu’au jour où le cou­rage et la sagesse l’emportant, les hommes écar­te­ront toutes ces nuées meur­trières et réa­li­se­ront ain­si les condi­tions d’une fra­ter­nelle association.

À moins qu’ils pré­fèrent, hommes blancs et autres, rou­ler dans un abîme sans fond de dou­leur et de désespoir.

Robert Jos­pin


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