En
cette époque dont la décadence n’exclut, point la
banalité, en ces temps où Clément Vautel et.
Louis Forest, représentent l’opinion de plusieurs millions de
Français, qui prétentieusement se qualifient « moyens »,
il m’est toujours agréable de recevoir des périodiques
qui par leur titre seul sont voués au mépris des
masses. La majorité de mes contemporains qui se prosterne
devant la minorité qui les exploite a donné depuis
quelques années de telles preuves de sottise que j’en arrive à
me méfier de tout ce qui est ratifié par les foules,
et, d’une façon générale, il suffit qu’un livre
ou un périodique se recommande d’un nombre imposant de
lecteurs pour me faire redouter l’inanité de son contenu.
Aussi, et logiquement, puisqu’elle ne tire qu’à trois mille, ai-je
ouvert avec curiosité le n° 12 de la Révolution
Surréaliste. Je ne m’en suis pas mal trouvé.
Certes, elle contient des articles, des dessins que je ne suis point
arrivé à comprendre, malgré mes efforts ; je ne
les condamnera pas pour cela sans appel, peut-être sont-ils
trop obscurs (et ce n’est, qu’un défaut auquel leurs auteurs
pourront, remédier) peut-être devancent-ils mon
entendement et ne suis-je, par comparaison, qu’un Henri Bidou,
critique notoire et achalandé défenseur de la pensée
française à condition qu’on en fasse des conserves d’où
seront exclues les vitamines bienfaisantes.
J’ai cependant pu me délecter dans la revue précitée
d’un long papier d’Andrée Thirion sur l’Argent et si je n’ai
pas très bien saisi la portée du Chien Andalou, j’ai
beaucoup goûté le « Police, haut les mains ! »
de Marcel Fourrier et l’enquête de ladite revue : Quelle
sorte d’espoir mettez-vous dans l’amour ?
Quand on compare cette question à celle que posait avant-hier
« l’enquêtrice » de l’Intransigeant, Jean Portail, on
juge des lecteurs de l’un et de ceux de l’autre. Jean Portail
évidemment soucieux des destinées humaines formulait
ainsi son angoisse : « Les hommes donnent-ils à Noël
plus de bonbons qu’autrefois ? » On n’a jamais rien entendu de
plus bête, même par la bourgeoisie de Louis Philippe qui
eut au moins le mérite de ne point remporter « La
Victoire » puisqu’elle eut le bon sens de ne pas faire la
guerre.
Dans Plus Loin un article de Mikol répond victorieusement au livre
de H. Dubreuil : Standards. Mikol a vécu trente-deux ans dans
le monde ouvrier d’Amérique ; il y fit preuve d’une activité
extraordinaire. Sa longue étude ne devrait-elle pas être
opposée aux critiques qui ont lancé Standards en
acceptant sans contrôle les conclusions d’une enquête de
quelques mois.
Dans son numéro de fin Décembre, « l’En dehors »,
sous la signature d’E. Armand commente de belle façon une
lettre de Clémentine Sautiquet et lui fait justement observer
que « la terminologie qu’elle emploie diffère à
peine de celle des moralistes de distributions de prix. »
Évidemment. D’ailleurs il faut ignorer l’ABC des saines
conceptions amoureuses d’Armand pour lui parler de « l’âme
sœur » et autres balivernes exploitées par les poètes,
ce qui nous importe peu, mais, ce qui nous touche toujours,
génératrices de crimes passionnels, suicides et autres
manifestations spéciales à l’espèce humaine,
Sans avoir lu encore les Songes Perdus je suis d’accord avec Ixigrec
pour l’enthousiasme qu’il manifeste à l’égard d’un
homme tel que Han Ryner dont la philosophie se développe
depuis de si longues années dans la clarté d’un style
prestigieux. Quant à l’article de Georges Brandes, il a le
double intérêt de servir la vérité
historique en démolissant le malentendu chrétien dont
l’humanité souffre depuis deux mille ans.
Dans « La voix libertaire », M. Theureau prend position pour
Guillot militant objecteur de conscience qui au lieu de « se
démerder » pour éviter le service militaire a crié
publiquement son dégoût de la servitude, ce qui lui
vaudra d’être traduit, en conseil de guerre. J’admire les
martyrs quels qu’ils soient car ils représentent toujours une
minorité qui proteste et qui, par conséquent, m’est
toujours sympathique. Mais quand ces martyrs souffrent pour des
libertés qui seront un jour aussi banalement reconnues que
celle de ne point se découvrir devant un procession ou du
refus de pratiquer les rites religieux, je ne puis m’empêcher
de les saluer humblement, « Ceux-là » qui
contribuent si violemment à l’émancipation future de
l’individu.
L’Idée libre publie un chapitre inédit des Songes Perdus d’Han Ryner.
Le Songe d’Apologhistes. Il y a dans ces quatre pages une philosophie
pleine d’humour, une originalité de pensée exprimée
avec une maîtrise qui laisse bien derrière soi dans sa
simplicité les filandreux pamphlets à l’adresse de la
théologie.
En cette même revue Manuel Devaldès sous ce titre Le Pot
d’Aloes donne dès le début d’excellents conseils aux
révolutionnaires intellectuels trop souvent démunis de
documents : l’article est à lire dans son entier ainsi que
celui d’André Lorulot qui nous montre comiquement une
superstition en lutte commerciale avec une religion. J’en passe et
des meilleurs, comme dit Ruy Gomez dans Hernani.
J’apprends que Jean Bernamont, ancien élève de l’École
Normale Supérieure agrégé de physique a fait la
grève de la faim (ce qui le conduisit à l’hôpital
de Bourges) pour protester contre le service militaire. C’est le
Semeur qui me donne cette nouvelle vérifiée et
confirmée depuis. Les journaux bien pensants n’en avaient
soufflé mot. Vous voyez bien, jeunes gens de bonne famille,
qui ne trouvez chez vous que Le Matin, Le journal, l’Intransigeant ou
l’Écho de Paris que vos renseignements sont incomplets et
qu’il ne vous suffit point pour avoir un aperçu de la marche
des idées de lire le prix Goncourt ou Femina.
Dans le Libertaire, Barcelone fouille vigoureusement de son crochet les
ordures marseillaises les vraies, celles dont le déballage eut
lieu au cours du dernier procès ; c’est une belle page qui nous
donne un aperçu de la pourriture électorale.
J’ai lu aussi dans ce même journal une copieuse analyse signée
R. Boucher sur le livre de Johannsen : Quatre de l’Infanterie. Voilà
un beau livre ! Il fait frémir d’indignation, par son réalisme
et ses conclusions nettes, le Français moyen, le Pacifiste
moyen, le patriote moyen, le bourgeois moyen, l’ouvrier moyen, tous
ceux qui méritent ce qualificatif infâme de par sa
neutralité même et qui sen glorifient plus méprisables
en cela que le castrat qui lui au moins souffre de sa déchéance.
Quatre de l’infanterie ! Voilà un des très rares livres contre
la guerre. Je dis très rares. Car pour qu’un livre mérite
le titre de pacifiste, il ne suffit pas qu’il dépeigne les
horreurs d’une boucherie. Tout le monde, le général de
Saint-Just lui-même, Léon Bailby ou Poincaré
savent (sans en avoir reçu) qu’il est très désagréable
d’être arrosé d’un jet de liquide enflammé. Ce
n’est pas en décrivant la guerre aux hommes qu’on leur en
inspire le dégoût ; la preuve c’est, que toute l’histoire
de France est rouge de sang. Non. On. n’est vraiment contre la guerre
qu’en démontrant aux individus la duperie et l’exploitation
dont ils sont victimes dans cette affaire qui ne profite qu’à
ceux qui la dirigent. Cette démonstration si facile est
presque toujours négligée par les écrivains dits
« de guerre » qui toujours soucieux du tirage de leur livre
n’osent point dévoiler les mille et un trucs, pièges,
appeaux et chausse-trappes par lesquels les conducteurs de peuples
font tomber leurs ouailles dans leurs trébuchets.
Aussi, pour que cette démonstration soit faite aussi amplement que
possible, ferai-je observer à tous les périodiques dont
je viens de parler, y compris celui où mes bavardages seront
insérés, qu’ils n’emploient pas suffisamment cette arme
merveilleuse : le dessin souligné d’une légende.
C’est bien long d’écrire un livre.
Un dessin de Steinlen, quelques lignes au-dessous et voilà une
propagande plus rapide qu’un roman, aussi efficace et aussi durable.
Aurèle Patorni