La question palestinienne qui a fait et fera couler des flots d’encre reste cependant extrêmement confuse pour l’énorme majorité des gens qui n’arrivent pas à s’y reconnaître dans le fatras des nouvelles, plus contradictoires les unes que les autres. Nous allons nous efforcer, dans cette étude, de donner une vue d’ensemble du problème aussi claire que possible. Nous n’avons pas l’intention de faire ici une histoire du peuple juif, ce qui nous obligerait à trop de développements. Il nous est nécessaire, cependant, de rappeler brièvement, au point de vue historique, que les Sémites de Chaldée, après diverses migrations, se fixèrent en Palestine 1500 ans avant Jésus-Christ. Saül (1100 avant J.-C.) fut le premier roi des Hébreux. À la mort de Salomon, fils de David (vers 930 avant J.-C.) des dissensions éclatèrent entre les tribus, et l’Empire fut divisé en deux : le royaume d’Israël et celui de Juda. Une succession de guerres avec les Macédoniens, les Séleucides, les Chaldéens, etc., se placent pendant sept ou huit cents ans qui permettent à Rome (au début de notre ère) d’asservir la Palestine. Cet asservissement devint définitif sous Adrien, en 135, après plusieurs révoltes dont la plus célèbre, celle de Jérusalem, fut écrasée par Titus. À partir de cette date, les Juifs n’eurent plus d’existence nationale. De là commence leur dispersion dans le monde.
L’État romain ayant soumis les Juifs (ce nom date de l’époque gréco-romaine, auparavant on ne disait que Israélites ou Hébreux) à une législation spéciale, c’est de ce moment que l’existence, les moyens de vivre, commencent pour les Juifs de revêtir une forme particulière, si bien que le nom de juif va être synonyme d’usurier, nom que, nous devons à la vérité de le dire, ils mériteront amplement en mille circonstances. Nous devons à la vérité de dire aussi que les lois sociales faites spécialement pour eux ne leur laissaient guère que la forme commerciale ou l’usure pour subsister, forme qui, pendant de longs siècles, était déshonorante pour qui l’exerçait.
Par ce moyen, perfectionné par eux de génération en génération, ils acquirent des fortunes colossales dont ils furent périodiquement dépouillés. Il en fut ainsi dans tous les pays du monde.
L’Assemblée Constituante, en France, lors de notre grande révolution, leur reconnut les droits civils et civiques. Cependant, dans de nombreux États, et cela jusqu’à nos jours, on leur appliqua des lois qui ne cessèrent de les considérer comme un peuple à part. Chacun a encore en mémoire les ghettos dans lesquels ils étaient confinés et les exactions qui pleuvaient sur eux.
L’antisémitisme les considère comme réfractaires à toute assimilation, comme des étrangers, formant au milieu de pays divers un bloc solidaire dommageable à la Nation.
Les persécutions féroces d’une part, l’amour de l’argent d’autre part, avaient fait du Juif en général, dans le passé, un individu qui nous apparaissait méprisable, vu sa lâcheté devant la répression et les moyens déloyaux pour arriver à la richesse.
Avec la Palestine, nous allons nous occuper d’un individu tout à fait nouveau qui, au contraire, entraînera nos sympathies. Il est évident que la race juive fourmille d’intellectuels et de savants. Il est non moins évident que les couches diverses de cette race dans quelque pays où elles se trouvent, ne sont pas inférieures aux couches des nationaux de ces pays. Dans ces conditions, il était certain que l’on ne résoudrait pas le problème comme on l’a résolu pour les Incas, les Aztèques et autres peaux-rouges, ou pour les peuplades négroïdes « turbulentes » par l’extermination pure et simple.
Plus tard, au contraire, l’indignation mondiale devant les horreurs des camps nazis, où six millions de Juifs périrent, a déterminé une sympathie et un soutien qui n’existaient pas auparavant.
En 1918, cinquante-deux nations approuvèrent la déclaration de Lord Balfour promettant l’établissement d’un foyer juif en Palestine. Le mouvement sioniste (qui veut dire groupement pour une patrie) prit une grande extension. Un enthousiasme immense anima les Juifs du monde entier. Des sommes considérables furent collectées. L’immigration s’accéléra. Une mystique de fondation d’un État juif totalement indépendant se développa.
Cette dernière façon de voir ne devait pas tarder à provoquer des frictions avec l’Angleterre. Celle-ci, en effet, a des intérêts considérables dans le Moyen-Chient. Mentionnons seulement le canal de Suez, donc la route des Indes, le pipe-line qui apporte le pétrole à Haïfa, et les côtes palestiniennes relativement longues, placées en un point méditerranéen qui peut devenir un centre névralgique pour les Anglais, tant pour leurs possessions africaines que pour leurs combinaisons en Arabie et dans leurs dominions et colonies de l’Océan Pacifique.
Il semble que lors de la déclaration Balfour, l’Angleterre pensa que la Palestine, contrôlée par elle d’une manière générale, deviendrait sinon une colonie où dominion, du moins quelque chose d’approchant, en tout cas quelque chose de malléable selon les fluctuations de sa politique comme le sont les États arabes. L’opinion des milliardaires juifs à la Rothschild, entièrement à la dévotion de sa politique, dut l’affermir dans cette façon de voir.
Ces milliardaires achetèrent d’immenses quantités de terrains pour un prix dérisoire et, « philanthropes » comme toujours, se déclarèrent prêts à recevoir le flot des colons qui voudraient bien venir courber l’échine sous l’œil paternel des chiens de leurs bienfaiteurs. Ce fut une lourde erreur.
Guidés par des hommes remarquables, animés d’une foi nouvelle ardente pour la création de leur foyer national, aidés par des dons ou collectes qui produisirent des sommes considérables, le peuple d’Israël aspirait à autre chose que de venir grossir les comptes bancaires de Rothschild.
Voyant le danger pour l’avenir si cet état d’esprit d’indépendance n’était jugulé et devant l’impossibilité de trouver les Juifs à sa dévotion, les Anglais, sans être mandatés ou approuvés par la S.D.N., prirent une option sur l’avenir en fondant le royaume de Transjordanie avec pour roi Habdala, entièrement soumis à eux. La Transjordanie est donc un territoire détaché de la Palestine conçue en 1918. Il est certain qu’il sera revendiqué plus tard, à plus ou moins longue échéance, si l’État juif sort victorieux de ses épreuves présentes et futures. Mais n’épiloguons pas.
Pendant ce dernier quart de siècle, l’émigration juive s’est poursuivie à un rythme accéléré. La Palestine compte aujourd’hui environ un million de Juifs (officiellement 650 000 déclarés par les Anglais). Si l’on y eut mis moins d’entraves, il est certain que ce chiffre serait beaucoup plus considérable. On calcule que le pays peut absorber un million de personnes en dix ans. Les Juifs disent trois ou quatre millions. Il reste encore 13 millions de Juifs, dont 5 millions aux U.S.A., 2 millions en Angleterre et dans ses colonies et dominions, 5 millions en Russie. Notons que ces derniers ne sont soumis à aucun régime d’exception, mais qu’on leur a attribué une république dans le cadre du régime où ils sont très défavorisés sous le rapport des ressources naturelles.
Palestine et Transjordanie peuvent absorber, selon les patriotes fanatiques, 25 millions d’individus, 20 millions selon le gouvernement officiel juif. L’Encyclopédie anarchiste, qui date de vingt ans, dit 3 millions. Sans doute, ce chiffre très bas fut-il avancé en considérant que l’immense partie désertique du pays était condamnée à rester à l’état de désert, impropre à l’établissement de l’homme et alors que l’on ne pouvait prévoir les réalisations extraordinaires qui furent faites depuis et dont nous allons vous entretenir. Combien serait dans l’erreur celui qui se représenterait le Juif palestinien comme nous en avons tant connus autrefois : âpres au gain, sordides d’aspect, vivant dans des taudis et dans la crasse, marmottant leurs éternelles prières, déloyaux dans leurs comportements, bref, le Juif à papillotes et à la barbe inculte avec le pantalon en tire-bouchons ! Ce Juif là, à de très rares exceptions près, n’a pas sa place là-bas, La société de classes, dans le sens européen, ne s’y est pas reformée non plus.
Les émigrants, qui débarquèrent en Palestine au cours de ces vingt ans, étaient surtout des jeunes gens fuyant les persécutions. Ils arrivaient, en général, ne possédant que leurs bras et leur foi. Non la foi religieuse. Mais la foi de trouver une terre enfin accueillante, et pour cette terre ils étaient prêts à tous les sacrifices.
Des dirigeants, ou plutôt des guides intelligents, formés à l’école socialiste (par socialiste j’entends les différentes écoles, y compris celle des libertaires, représentée par le journal anarchiste juif « Arbeiter Stimme » qui paraît quotidiennement depuis une cinquantaine d’années) surent les orienter magnifiquement.
La C.G.T. palestinienne a un esprit syndicaliste et coopératif que nous aimerions voir à nos propres C.G.T. Cela ne se traduit pas par des discours ou des affiches, mais par des réalisations concrètes. La C.G.T. a acheté d’immenses terrains (peu chers autrefois, très chers aujourd’hui). Les émigrants à qui l’on donne les instruments de travail modernes, les semences et les matériaux indispensables, prennent possession de ces terrains, les défrichent tout en se défendant contre les incursions arabes, construisent leurs maisons et, de déserts font des oasis splendides au prix d’efforts surhumains. Parfois, il faut enlever plusieurs mètres de sable avant de trouver la terre arable, les pierres représentent un tonnage impressionnant. Il faut ensuite établir les irrigations, faire les routes. Viennent encore le boisement, la construction des dépendances, etc., avant d’arriver à la culture proprement dite. Le début du confort ne vient qu’après un certain nombre d’années.
Tout cela se fait en communautés où l’on tient compte dans la plus large mesure des goûts, des aptitudes, de la force de chacun pour la distribution du travail.
Il y a deux formes de communautés collectivistes.
Première forme : les bénéfices sont répartis entre tous.
Deuxième forme : tout est à tous, rien à personne. Prise au tas.
La terre, achetée aux Arabes, appartient maintenant à l’État qui a succédé au Fonds National et qui peut la vendre aux particuliers pour 99 ans. Aux collectivités, elle est donnée, mais celles-ci doivent la travailler ou l’État la reprend.
Le bénéfice entier appartient aux collectivités, nul impôt n’est perçu.
Il y a des collectivités religieuses (à peine 20%), jamais de collectivités mixtes. Le salariat ne peut exister dans les communautés agricoles. Ceci explique la décadence des colonies des « philanthropes » à la Rothschild dont les vieux traficoteurs qui les habitent encore vivent misérablement. Cependant, ces « philanthropes » possèdent des milliers d’hectares de terres, en friches pour la plupart, qu’ils refusent de vendre ou de louer aux communautés voisines trop à l’étroit et désireuses de s’étendre, tant ils sont effrayés par l’idéologie révolutionnaire de ces dizaines de milliers de communautaires. Les communautés agricoles forment des bourgs allant d’une centaine à 1500 habitants. Et on en compte trois cents environ.
La C.G.T., en outre, possède des usines, des mégisseries, des chocolateries, des raffineries d’huile d’olive et de sucre, des cimenteries, des fabriques de tabac, de jus de fruits, des écoles, etc., etc… Ses bénéfices sont employés à la création de coopératives presque dans tous les domaines de l’économie, à l’assainissement du pays, etc., etc…
Les coopératives de construction ont construit des milliers de maisons qui restent leur propriété. Non seulement le loyer est fixé par l’organisation, mais toute spéculation est rendue impossible.
Notons que les dirigeants, tant dans les coopératives que dans la C.G.T., les collectivités ou communautés, ne sont pas inamovibles, comme c’est le cas chez nous, mais au contraire sont élus pour un temps très court (généralement un ou deux ans) après quoi ils reprennent leur travail. Ainsi un nombre considérable d’hommes passent aux postes de direction, ce qui fait que nul n’est jamais indispensable.
Les communautés, qui représentent 60 à 80% de l’économie de la Nation, accordent à l’enfant tous les avantages possibles. Celui-ci, dans les communautés vieilles de quelques années, est élevé dans des maternités modèles où des personnes spécialisées s’occupent continuellement de lui ; dans les communautés nouvellement installées, sans avoir le même confort, il est néanmoins l’objet des préoccupations constantes. Le père et la mère viennent le voir chaque jour, leur travail terminé. Cependant, tous les membres de la communauté se considèrent également comme pères et mères de tous les enfante et agissent comme tels.
L’enfant, cependant, n’est pas élevé dans une boîte à coton et bien qu’il soit le souci dominant des membres de la communauté, ceux-ci savent qu’il doit être avant tout un colon futur. En conséquence, son instruction est solide, mais sans être extrêmement poussée. Plus tard, disent les membres des communautés, il en sera autrement. Les tâches actuelles nécessitent des jeunes gens forts, sains, entraînés physiquement. La propreté corporelle, les exercices au grand air prennent donc, avec l’instruction des tâches futures, la majeure partie du temps de l’enfant en dehors de son sommeil. Ne vivant pas dans une atmosphère de compétition sociale, ayant à volonté les choses qui lui sont nécessaires, l’enfant ignore les maux engendrés par l’exploitation et le profit.
Pour bien saisir le développement d’une communauté, on lira avec fruit le roman d’Arthur Kœstler : « La Tour d’Ezra ». Il s’agit, ici, d’une communauté agricole qui vient défricher un coin du désert. On verra ses difficultés du début puis ses réalisations progressives.
L’amour est libre, le mariage également. Les rites de la religion, s’ils sont encore très souvent observés quant au mariage religieux, le sont sans foi et par gentillesse envers le rabbin. Kœstler, à ce propos, nous conte plaisamment le mariage de trois couples qui rient de cette cérémonie. L’une des mariées, enceinte de huit mois, s’est faite remplacer par une amie qui a rempli ce rôle trois fois ces deux dernières années ! Le même anneau sert à tous les membres tour à tour, la communauté n’en possédant qu’un.
Si la propriété privée est bannie des communautés, il existe cependant un certain nombre de capitalistes qui, ayant pu sauver leurs fortunes, se sont installés dans une existence bourgeoise oisive et plus ou moins somptueuse. Ils ne forment, il va sans dire, qu’une infime minorité.
D’après l’abbé A. Glasberg1Vers une nouvelle charte sociale, p. 54., l’économie agricole juive a produit, en 1947 par exemple : 80 millions de litres de lait, 170 millions d’œufs, 67 000 tonnes de légumes, 25 000 tonnes de fruits.
La part de participation revenant dans cette production à la coopération ouvrière est de 61%.
Que deviennent les Arabes dans tout cela ?
Ils vivent, la plupart, comme au temps féodal, gardant la foi ridicule et les rites des ancêtres, n’attendant rien d’ici-bas. Ils végètent dans des maisons sordides et cultivent maigrement leurs champs, derrière la charrue à socle de bois, étonnés de voir des cultures immenses et des villages riants édifiés sur les déserts de sable et de cailloux dont on n’a su rien faire durant des milliers d’années.
Que l’on nous comprenne bien. Nous ne méprisons nullement les Arabes. Nous connaissons leurs qualités, notamment leur hospitalité et le respect de la parole donnée. Mais ici nous ne nous plaçons pas sur le plan sentimental mais dans le domaine des faits.
Toutefois, la catégorie d’Arabes qui a vécu dans les villes et travaillé dans les entreprises juives où son niveau de vie monta de cinq à dix fois ce qu’il était auparavant commence à réfléchir, à admirer, à comprendre ces conditions sociales neuves pour elle. Cela constitue une révolution dans les esprits qui se traduira dans la pratique à une plus ou moins longue échéance. Les roitelets arabes ne feront plus régner très longtemps leur despotisme au détriment de leurs populations avachies par la stricte observance de l’orthodoxie religieuse.
Du reste, il faut que l’on sache que ce ne sont pas les populations arabes qui se heurtent au monde juif.
Ce sont les Anglais et leurs mercenaires polonais d’Anders, nazis rescapés de la dernière guerre, et les aventuriers à la Fawzi-Kaoukji ou grand Mufti.
Nous n’avons pas fini d’être étonnés et, au fur et à mesure que cet ordre social nouveau fera, nous l’espérons, tache d’huile dans le Moyen Orient d’abord, ailleurs ensuite, les plus grands espoirs seront permis pour l’avenir et l’affranchissement des classes spoliées depuis toujours.
Par de très nombreux côtés, l’expérience des communautés juives rappelle celle des communautés d’Aragon et du Levant en Espagne 36 — 37.
Il est curieux de constater qu’il a fallu le terrorisme de l’Irgoun et des groupes Stern qui, par leurs coups de mains audacieux contre les Anglais ont soulevé l’admiration des foules, pour attirer l’attention sur des tentatives d’organisations nouvelles que nous ne pouvons voir que d’un œil extrêmement sympathique.
Au Cours de la guerre 1939 — 1945, les entreprises privées, il y en a, ayant des capitaux plus considérables que la C.G.T. qu’exigeait cette époque de grands investissements industriels et d’équipement en matériel moderne, importé, connurent une certaine prospérité. L’état de chose normal étant revenu, elles ne purent lutter contre les communautés ayant supprimé le profit, et par conséquent la hiérarchie et la bureaucratie qui grèvent les entreprises modernes capitalistes.
Les bénéfices de ces entreprises privées ne répondant plus aux capitaux investis, les capitalistes s’en désintéressèrent et la plupart furent rachetées par le Fonds National, la C.GT. Ou les coopératives. Cette ruche où tout le monde doit travailler (même les rabbins) nous paraît difficilement battable sur le terrain économique.
Les fonds collectés dans le monde affluent toujours en Palestine. Nous avons eu la curiosité, voici quelques semaines, d’assister à l’office de la synagogue de la rue Notre-Dame-de-Nazareth. En une demi-heure environ, par dons de deux, cinq et dix mille francs, plus d’un demi-million fut recueilli. Le prêtre qui officiait l’annonça.
Cependant, toute médaille a son revers ; les tenants des principes monstrueux qui ont régi le monde jusqu’ici n’ont sans doute pas dit leur dernier mot. L’Angleterre, dont le rôle est odieux en cette affaire, soulève les pires difficultés.
La situation veut que l’État palestinien accepte n’importe quelle aide d’où qu’elle vienne.
L’Amérique lui en apporte une, mais sous quelles conditions ? La Russie, emprisonnée dans ses mers fermées du sud et ne désespérant pas un jour, sinon de posséder le détroit des Dardanelles, du moins d’imposer un traité qui lui en assure le libre accès, pose des jalons d’amitié avec la Palestine en vue de son rôle éventuel de « future puissance méditerranéenne ». Ceci concorde parfaitement, d’autre part, avec sa politique d’opposition à l’Angleterre. Il s’ensuit que les armes de toutes sortes arrivent en quantités considérables depuis la proclamation de l’État palestinien. Forteresses volantes américaines, chasseurs, artillerie soviétiques, tout cela afflue en Israël, à pleins bateaux. La Tchécoslovaquie fournit le matériel l’équipement industriel et notamment celui nécessaire au forage de puits pour la recherche du pétrole. À pleins bateaux également arrivent des milliers de jeunes hommes pour la plupart déjà entraînés et prêts à combattre dès leur débarquement, animés d’un enthousiasme indescriptible.
Israël a su faire traîner habilement les négociations pour s’armer prodigieusement. S’estimant imbattable à présent, sauf grande invasion étrangère qui ne manquerait pas de susciter de graves complications internationales, ses prétentions se durcissent.
La mort de Folke Bernadotte en est une illustration. Lorsque, il y a quelques mois, les armées arabes ou dites telles, attaquèrent la Palestine juive, elles subirent un cuisant échec militaire et les Juifs s’emparèrent de la Galilée, territoire attribué, dans le partage, aux Arabes et occupé par eux. Or, dans son projet de médiation, Bernadotte avait proposé Jérusalem comme capitale de l’État arabe et l’évacuation par les Juifs de la Galilée, deux choses dont ceux-ci ne veulent à aucun prix. « Les Arabes nous ont attaqués, nous leur avons pris la Galilée, nous la gardons d’autant plus qu’elle est une de nos terres ancestrales. » Accusé de faire le jeu de l’Angleterre, Folke Bernadotte était tué par un groupe de l’aile gauche du Stern, dit-on.
Lorsque l’on parle des « terroristes », du Stern, on laisse entendre que ce sont là des espèces de bandits irréguliers, Or l’Irgoun et le Stern bénéficient de la sympathie d’une partie énorme de la population. On va jusqu’à dire que ces groupes sont plus populaires que le gouvernement lui-même. On assure que si le Stern voulait recruter, il trouverait immédiatement des milliers d’adhérents.
Cela ne laisse pas de causer certaines inquiétudes, car l’on dit aussi que les staliniens s’évertuent à pénétrer dans ces groupes pour les noyauter. Quand on sait les résultats obtenus dans les pays d’Occident par ce moyen, il y a des raisons d’être inquiet pour l’avenir des communautés agricoles où se développe si heureusement un esprit libertaire.
La création de l’État, d’Israël est aussi inquiétante pour la liberté. Nous savons le rôle néfaste de l’État ; faible aujourd’hui en Palestine, il ne cessera de tenter d’affermir son autorité au détriment des libertés acquises jusqu’ici.
Les communautés seront-elles en mesure de le comprendre et de faire front victorieusement ?
Seront-elles le pont, jeté entre les néfastes sociétés d’hier et celles de demain dont nous rêvons, ou, au contraire, succomberont-elles sous les coups de l’autorité ?
Autant de questions qui restent des interrogations, surtout lorsque l’on voit l’ignorance presque totale des milieux « dits ouvriers » quant aux choses de la Palestine que nous n’indiquons, ici, qu’à grands traits.
Ajoutons qu’une organisation, « Le Bund », se proclame anti étatiste et peut influencer le mouvement social dans le sens libertaire.
De grandes choses ne cesseront de se produire en Palestine. Tachons de ne pas gober sans examen les, nouvelles tendancieuses dont la presse nous abreuvera pour, si cela est possible, participer dans la mesure de nos moyens à la défense de la liberté, à la défense de l’Homme.
Fernand Planche
- 1Vers une nouvelle charte sociale, p. 54.