La Presse Anarchiste

Syndicalisme

Cette revue man­que­rait à sa fonc­tion si elle ne pre­nait har­di­ment la cause des sala­riés en lutte constante en vue d’empêcher la baisse de leur niveau d’exis­tence. Car nous en sommes réduits à cela : les tra­vailleurs n’aug­men­tant plus, depuis long­temps, leur stan­dard de vie, voyant au contraire leur maigre pitance fondre sans cesse — leur pou­voir d’a­chat étant dis­tan­cé par une mon­tée affo­lante des cours. Les batailles qu’ils livrent sont extrê­me­ment fati­gantes, parce que trop sou­vent renou­ve­lées, la mobi­li­té des prix de toutes den­rées les contrai­gnant à reven­di­quer sans arrêt et presque sans profit.

Certes, rien n’est simple après une guerre de soixante mois, au cours de laquelle la folie de des­truc­tion ani­ma le monde entier. Et nous crai­gnons fort que les années pas­sa­ble­ment quiètes d’a­vant 1939 soient réel­le­ment révo­lues ; il fau­drait, en tout cas une sérieuse réor­ga­ni­sa­tion de la socié­té pour avoir l’oc­ca­sion d’ap­pré­cier de nou­veau les avan­tages d’une sem­blable époque — où en tra­vaillant l’on man­geait à sa faim.

Mais les résul­tats décon­cer­tants de cet après-guerre exi­ge­raient au moins que les tra­vailleurs des champs, des bureaux, des ate­liers, de la mine et des usines soient grou­pés dans des syn­di­cats ani­més du bel esprit d’in­dé­pen­dance qui fit la noto­rié­té du syn­di­ca­lisme fran­çais les pre­mières années de ce siècle. Ce syn­di­ca­lisme dyna­mique qui reven­di­quait à bon escient, au seul pro­fit des exploi­tés ; ce syn­di­ca­lisme apo­li­tique et anti­éta­tique que nous ne pou­vons croire à jamais disparu.

Au lieu de ce syn­di­ca­lisme-là, le seul qui vaille, nous dis­po­sons d’une kyrielle de cen­trales syn­di­cales aco­qui­nées aux par­tis poli­tiques, pas­sant le plus propre de leur temps à s’ac­cro­cher aux basques des ministres et dont l’«action » consiste à ren­for­cer l’É­tat par le cré­dit qu’elles lui accordent. Des cen­trales syn­di­cales dont le plus fort de l’ac­ti­vi­té se déroule dans des com­pé­ti­tions bour­beuses, élec­to­rales sou­vent, dont les pro­los font les frais.

Pour­tant, il y a encore des syn­di­ca­listes, dans ce pays. Mais ils sont mino­ri­té à la C.G.T., mino­ri­té à la C.G.T.-F.O., mino­ri­té à la C.G.T. chré­tienne, mino­ri­té dans les syn­di­cats auto­nomes, majo­ri­té dans la C.N.T., forte seule­ment, mal­heu­reu­se­ment, de quelques mil­liers d’adhé­rents et riche sur­tout de très beaux principes.

Dés­unis, dis­per­sés, ils voient le mal fait au syn­di­ca­lisme par les méthodes des fonc­tion­naires syn­di­caux, plus sou­cieux de se main­te­nir dans leurs places que de com­prendre les aspi­ra­tions des syn­di­qués et de les aider à les faire pas­ser dans la réalité.

Ils voient ces choses, les vrais syn­di­ca­listes, et ne peuvent y appor­ter remède pour n’a­voir pas su encore trou­ver la for­mule qui les ras­semble quelque part, dans une quel­conque for­ma­tion où, enfin réunis et unis, ils auraient chance de grou­per autour d’un fanion sans tache de nom­breux syn­di­cats syndicalistes.

Il serait grand temps qu’ils y songent, qu’ils y songent avec la ferme inten­tion d’y parvenir.

Louis Lecoin


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