La Presse Anarchiste

Pauvres Sciuscia !

J’avais une classe de petits bon­shommes de six ans : ou appre­nait à lire en écoutant de belles his­toires, on s’ap­pli­quait, on aimait son tra­vail. Un soir, le feu des hommes se déchaî­na dans la nuit print­anière. Au lende­main, la classe était inutil­is­able, il y avait des man­quants qu’on con­duisit au cimetière sous des fleurs blanches.

Je vous revois : Lulu, tur­bu­lent bra­con­nier, pour qui l’é­tang et les bois n’avaient point de secrets ; Gas­ton, si docile, qui lev­ait sur moi ses yeux de jeune faon ; petit Pierre, l’in­firme, emmuré vivant dans le souter­rain de la gare ; vos regards inno­cents res­teront pour tou­jours en moi comme un muet, mais vivant reproche.

Lev­ez-vous et accusez !

Et vous, les vic­times des per­sé­cu­tions raciales, les orphe­lins du vil­lage Pestalozzi, échap­pés des enfers de Ham­bourg, de Mar­seille, de Varso­vie, tous les « Scius­cia » du monde con­damnés à vivre de rap­ines, les jeunes noirs améri­cains exé­cutés sur la chaise élec­trique, les malades des sanas, les jeunes délinquants.

Lev­ez-vous et accusez !

Et vous, les enfants non désirés, jetés au vent de la vie comme une semence lancée par une main aveu­gle, les enfants mar­tyrisés, les enfants élevés sans soins, sans joies, sans amour.

Lev­ez-vous et pronon­cez con­tre la Société un impi­toy­able, réquisitoire :

« Hommes, qu’avez-vous fait ?

« Pourquoi nous avoir conçus puisqu’avec toute votre sci­ence vous êtes inca­pables d’or­gan­is­er pour nous un monde viable, vous ne savez que con­stru­ire des machines à tuer et vous avez oublié que les vraies richess­es sont pour nous l’air, l’eau, le soleil, la lumière, le blé, la ver­dure, les fleurs et l’amour. »

Oui, enfants de toutes les races, accusez, accusez, car vous êtes tous mar­qués au sceau du malheur.

Et toi, mon fils, qu’en­chantent les mar­bres grecs et les cours­es dans la forêt,. mes soins et ma ten­dresse font de toi un priv­ilégié ; mais tu es, comme les autres, un con­damné à mort.

Un jour, d’autres que moi, pour jus­ti­fi­er leurs ambi­tions démesurées, voudront t’ap­pren­dre la néces­sité de tuer ou d’être tué et sac­ri­fieront à leur Moloch mod­erne tes forces, ton tra­vail, ta jeunesse.

Enfants, avant qu’il ne soit trop tard, je voudrais pren­dre ici votre défense, dénon­cez les abus dont vous êtes les vic­times inno­centes, dire vos besoins, citer en exem­ple ceux qui vous ont com­pris et aimés, et, proclamer que notre rôle de mères édu­ca­tri­ces, c’est de vous défendre con­tre toutes les forces du mal, c’est de faire de vous des hommes libres.

Denise Roman-Michaud


Publié

dans

par

Étiquettes :