La Presse Anarchiste

La grande illusion

Voi­ci bien­tôt cin­quante ans, Nor­man Angel, dans « La Grande Illu­sion », démon­trait que les défen­seurs de la guerre changent constam­ment de terrain.

Nor­man Angel publiait son livre dans une époque (1910) où la riva­li­té indus­trielle anglo-alle­mande annon­çait déjà la pre­mière guerre mon­diale. Au-delà de la Manche, comme au-delà du Rhin, et, natu­rel­le­ment, en France même où les élé­ments revan­chards piaf­faient d’impatience, les guer­riers en chambre four­bis­saient leurs plus beaux argu­ments en faveur d’un pro­chain conflit.

Nor­man Angel citait l’opinion bien connue de M. de Moltke : « La guerre est un des élé­ments de l’ordre éta­bli par Dieu dans le monde. Les plus belles ver­tus de l’homme s’y déve­loppent. Sans la guerre le monde dégé­né­re­rait et dis­pa­raî­trait dans un maré­cage de matérialisme ».

De grands esprits, en France comme en Angle­terre, par­ta­geaient cette intel­li­gente opi­nion. Les atro­ci­tés com­mises par les armées napo­léo­niennes en Alle­magne, par les Alle­mands en 1870, par les Anglais au Trans­vaal, par les Bul­gares en Macé­doine, ne ter­nis­saient pas le moins du monde la gloire des armées libératrices.

Il y avait encore tant de gens qui ne ris­quaient pas d’attraper des écla­bous­sures en for­ti­fiant le moral d’un arrière qui tenait tou­jours bon, tant de gens qui ne ris­quaient pas de macu­ler leur cale­çon en pous­sant des « pointes » sur les cartes d’état-major à trois cents kilo­mètres des lignes.

L’argument de M. de Moltke et de ses « confra­ter­nels enne­mis » a bien vieilli. Il est aujourd’hui piteu­se­ment rata­ti­né et il ne se trouve plus beau­coup de cham­pions de la morale divine pour oser par­ler de ces « belles ver­tus de l’homme qui se déve­loppent dans la guerre ».

C’est qu’il y a eu tout de même quelques « per­fec­tion­ne­ments » qui comptent, dans l’art d’étriper, de broyer, de tor­tu­rer son pro­chain. Il est aujourd’hui bien dif­fi­cile d’assimiler à de belles ver­tus cer­tains aspects tris­te­ment fameux de la bête humaine triomphante.

Et les cou­ra­geux stra­tèges qui mènent cam­pagne dans les cafés du Com­merce, à trois cents kilo­mètres du front, risquent main­te­nant de prendre des pru­neaux sur la hure. Ça fait dou­ter pas mal de la sagesse divine et de la néces­si­té des ver­tus qui découlent de la guerre !

On com­mence à se dire que les « grandes guerres » pour­raient bien n’être plus payantes comme l’étaient leurs devan­cières du « bon vieux temps ». C’est alors que pour­rait se dis­si­per cette grande illu­sion dont par­lait l’écrivain bri­tan­nique : Croire que la guerre est pro­duc­trice de richesse.

On fini­ra par s’apercevoir que même les « petites guerres » ne sont plus payantes. Qui pour­rait sou­te­nir que la guerre d’Indochine et le « relais algé­rien » ont consi­dé­ra­ble­ment enri­chi le pays ?

Mal­heu­reu­se­ment, dans ces « petites guerres », l’inévitable horde des tra­fi­quants joue encore, sans dan­ger, un rôle fruc­tueux. La guerre du pétrole qui se pour­suit en est un exemple. Cer­tains jour­naux s’indignent de ce qu’ils appellent : « le scan­dale du Saha­ra. » Il s’agit, nous dit-on, de socié­tés pétro­lières qui reçoivent des sub­ven­tions de l’État pour exploi­ter le pétrole du « Sud », et qui achè­te­raient leur sécu­ri­té en ver­sant des indem­ni­tés assez copieuses aux bel­li­gé­rants des deux clans.

Et l’on s’indigne, ou l’on feint de s’indigner, comme si c’était la pre­mière fois que le mer­can­ti­lisme s’installe dans la guerre, tan­dis que de bons bougres, au nom de la grande illu­sion natio­nale, crèvent pour de sombres foutaises.

Louis Dor­let


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