La Presse Anarchiste

Bonjour Angoisse !

Figaro a rai­son, l’humour est une pudeur. Celle du mon­sieur qui, pour ne pas aggraver du sien le cha­grin des autres, refoule ses larmes et sourit dis­crète­ment aux calem­bours qu’il se fait « in pet­to », der­rière le corbillard.

Mais quand c’est l’espérance humaine qu’on enterre, l’humoriste ne plaisante plus. Comme tout le monde, il est de la famille.

Le temps est à l’anxiété. L’actuel drame de vivre est exempt de tout comique, fût-il involon­taire. Du haut en bas de l’échelle, l’humanité tout entière a la frousse de ce qui lui pend au nez et qu’elle prévoit fumant. Mil­liar­daires et paumés, voués pour une fois au même balt­haz­ar, savent qu’ils auront tous droit à l’omelette, la dernière, celle aux champignons atomiques.

On nous rebat les oreilles avec la Belle Époque, répu­ta­tion sur­faite, mais à moitié seule­ment. La Belle Époque, d’une part, fut un âge d’or illu­soire ou, certes, l’on pou­vait men­er la vie de château avec cent sous. C’est ce que fre­donne la chan­son, qui n’ajoute jamais que, les cent sous, on ne les avait pas. Mais d’autre part, et c’est en ceci qu’elle fut belle, ladite époque igno­ra l’anxiété. Sainte et douce igno­rance ! Nous, on a fait nos class­es. L’anxiété, on la lit dans le texte, à livre ouvert.

Jamais la Belle Époque n’eût eu besoin de ces « tran­quil­lisants », que les potards d’à présent vendent à l’angoisse col­lec­tive. Les nou­velles sont si bonnes qu’il est stupé­fi­ant de con­stater qu’aucun directeur de jour­nal n’a encore eu l’idée de décu­pler son tirage en accor­dant une pilule en prime, à pren­dre avant lec­ture, avec chaque numéro.

Autre idée à creuser (moi, je ne creuse jamais, ça me fatigue), celle de la meilleure for­mule de « tran­quil­lisant » pos­si­ble : assez de fric en poche pour voir venir et, planant sur un monde délesté de ses bombes H, une bonne men­ace de paix-éclair, avec ram­pes de lance­ment pour colombe absolue.

L’Homme, ce demeuré, ne « se la racon­te » plus.

Aux rêves hors sai­son, aux mytholo­gies espiè­gles d’autrefois, s’est sub­sti­tuée une réal­ité chaque matin plus lugubre. Dépe­u­plés de nos anciens dieux, les cieux vont devenir — en atten­dant la suite — de grands cimetières à chiens sous la lune. Spout­niks, cer­cueils volants. Les Frisettes n’ont pas fini d’être boudées et de faire le saut de la mort dans le Grand Cirque.

Com­ment n’être pas anx­ieux quand tout démon­tre que c’est bel et bien fini de rire ?

Quelque part à l’Est (mais à l’Ouest, ça va venir), de mau­vais coucheurs organ­isent la révo­lu­tion du sommeil.

Cela con­siste en ceci, qu’après trois heures seule­ment de roupil­lon, en suiv­ant le mode d’emploi, vous vous réveillez, bien dis­pos, l’œil gamin, l’haleine fraîche et le réflexe à tout-va.

Très jolie, la méthode !

Mais qu’imaginez-vous de son application ?

Moi, j’en augure ceci, que « ils » vont nous fauch­er sans pudeur nos ex-heures de ronflette.

— Allez, ouste, au boulot ! Vous dormirez dimanche…

Alexan­dre Breffort