La Presse Anarchiste

Les livres

Il est une phrase telle­ment répétée, telle­ment red­ite, que j’hésite à l’écrire au seuil de cet arti­cle. Pour­tant, elle va situer d’emblée ma pen­sée sur le ter­rain où je veux la main­tenir : la cri­tique est aisée mais l’art est dif­fi­cile. Voilà ce que je désir­erais ne jamais per­dre de vue. Cette chronique que je tiendrai régulière­ment va me per­me­t­tre, j’en suis sûr, de sig­naler des jeunes tal­ents, d’en rap­pel­er de plus anciens à des mémoires paresseuses et surtout, sans aucun par­ti-pris, de com­menter libre­ment l’actualité lit­téraire. Dans un jour­nal qui porte un titre aus­si beau que celui de Lib­erté, il serait, recon­nais­sons-le, sou­veraine­ment injuste de ne pas s’efforcer de penser avec clairvoyance.

C’est pourquoi je ne prends pas l’engagement de ne défendre ici ou de ne traiter que des livres qui dévelop­pent les idées qui nous sont chères. D’abord, il y en aurait trop peu. Ensuite, cette façon d’agir irait à l’encontre de mes sen­ti­ments pro­fonds. Nous repro­chons trop amère­ment à nos adver­saires de ne pas recon­naître le tal­ent des nôtres pour agir, aujourd’hui, de la même façon. Je dirai sûre­ment, si l’occasion s’en présente, que Péguy a mis son tal­ent au ser­vice d’une injuste cause, mais nul ne me fera recon­naître qu’il ne fut pas un grand poète.

Et puis, j’aimerais tous faire partager mes ent­hou­si­asmes. Bien enten­du, nul ne peut juger pour autrui, mais je serais très fier si, dans quelque temps, vous achetiez un livre parce que j’en aurai recom­mandé la lecture.

Nous débor­derons le cadre de la cri­tique, vous ver­rez. La cri­tique, en général, détru­it. Nous nous efforcerons de con­stru­ire. J’ai dit que je par­lerai de livres oubliés.

En effet, la pub­lic­ité et l’actualité cachent sou­vent aujourd’hui des écrivains de tal­ent, dis­parus par­fois, et qui demeurent dans l’ombre. Nous écarterons les voiles dont ils sont recou­verts. Et si j’emploie cette pre­mière per­son­ne du pluriel, ce nous qui relie le lecteur au cri­tique, c’est que je compte sur vous. Comme je voudrais que vous comp­tiez sur moi. Je demeur­erai atten­tif à toutes vos sug­ges­tions, voire à vos obser­va­tions. Je lirai tous les livres que vous me sig­nalerez, car le rôle du cri­tique est tel que, sou­vent, il s’attarde sur des out­rages d’intérêt moin­dre au détri­ment d’autres qui ris­queraient de pass­er inaperçus si on ne les lui sig­nalait amicalement.

Nous allons peut-être, ici, con­stru­ire une chronique inhab­ituelle. Elle dépend sûre­ment de moi. Mais égale­ment de vous.

La place me manque main­tenant pour vous par­ler d’un livre. Ce sera pour la prochaine fois. J’ai préféré, pour notre pre­mier dia­logue, vous dire ce que j’espère accom­plir. Néan­moins, je tiens à vous indi­quer le titre du livre qui vous occu­pera et le nom de son auteur. Il sera ques­tion de Tan­guy, de Michel del Castillon.

Il s’agira d’une his­toire qu’aucun de nos amis ne pour­ra lire sans être boulever­sé, mais aus­si et surtout, d’un très jeune mais déjà remar­quable écrivain.

Pierre Bergé