La Presse Anarchiste

Mémoires d’un libertaire — Chapitre XV

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Chapitre XV
Justice civile et justice militaire

J’ai par­lé peut-être un peu trop lon­gue­ment de la guerre de 1870 et de la Com­mune qui l’a sui­vie. Il m’a sem­blé que ces for­mi­dables évé­ne­ments, dont mon cer­veau de treize ans avait été impres­sion­né, devaient être pour les lec­teurs d’un inté­rêt beau­coup plus sen­sible que mes faits et gestes de gamin.

Je résu­me­rai les évé­ne­ments qui sui­virent jusqu’à notre départ pour la Nouvelle-Calédonie.

Nous démé­na­geâmes nombre de fois pour effa­cer notre trace. L’état de siège durait tou­jours ; le géné­ral Lad­mi­rault, gou­ver­neur de Paris, inves­ti de pou­voirs dis­cré­tion­naires, en usait largement.

Les fusillades som­maires avalent ces­sé, mais non les exé­cu­tions 1La der­nière eut lieu en 1875 : c’était celle d’un sol­dat qui s’était trou­vé à une des mani­fes­ta­tions de la Bas­tille, anté­rieures au 18 mars, le jour même où une foule exas­pé­rée avait jeté à l’eau l’agent secret Vin­zen­ti­ni.; les conseils de guerre, qui jugeaient sans arrêt, se mon­traient impi­toyables. La presse démo­cra­tique était
muse­lée et les reve­nants du moyen âge sié­geant à l’Assemblée de Ver­sailles se ruaient à l’assaut de la
République.

« Étran­gler la gueuse »  était leur mot d’ordre.

Un jour, sou­dai­ne­ment — nous demeu­rions alors rue Fran­çaise — le com­mis­saire de police appa­rut chez nous. Presque poli­ment, il signi­fia à mon père un décret d’expulsion qui lui accor­dait qua­rante-huit heures pour mettre ordre à ses affaires. Apres quoi, le repré­sen­tant de l’autorité se retira.

Nous demeu­râmes stu­pé­faits de la béni­gni­té rela­tive de cette mesure. Plus tard, nous en connûmes la cause.

Le ministre de l’Intérieur était alors Ernest Picard qui, par son mariage avec une demoi­selle Liou­ville, se trou­vait alors allié à la famille de ma mère. En com­pul­sant les listes et dos­siers de com­mu­nards contu­max, il avait ren­con­tré le nom de mon père : Mala­to de Cor­net, gendre de l’universitaire Amand Hen­ne­quin. Le ministre avait eu des égards pour le nom et la paren­té ; il avait pro­non­cé la mesure la moins rigou­reuse en pareil moment : l’exil d’un révolutionnaire.

Sans perdre de temps, nous tînmes conseil. Ou aller ? La période des deux sièges et de la grande ter­reur ver­saillaise avait por­té un rude coup à la situa­tion finan­cière de mes parents. Mon père qui, doué d’une infa­ti­gable acti­vi­té, aimait à bras­ser des affaires, s’oc­cu­pant sur­tout de com­mis­sion et d’ex­por­ta­tion, avait dis­crè­te­ment renoué des rela­tions avec quelques com­mer­çants. Il était en bonne voie et, main­te­nant, tout craquait !

S’exi­ler ? Mais où ? En Angle­terre ? Aux États-Unis ? Mon père ne connais­sait pas un mot d’anglais et ne pos­sé­dait aucune pro­fes­sion manuelle. Moi, j’avais com­men­cé à l’ins­ti­tu­tion Boyer, puis for­cé­ment inter­rom­pu, en même temps que l’étude du latin, celle de l’an­glais et de l’allemand, telle qu’elle se pra­ti­quait alors à coups de thèmes et de ver­sions, dans la méthode Ahn, lais­sant l’élève le plus fer­ré sur la gram­maire inca­pable de sou­te­nir la moindre conversation.

En Bel­gique, les com­mu­nards réfu­giés étaient tra­qués par la police. La foule bien pen­sante était allée bri­ser les vitres de Vic­tor Hugo. En Suisse, en Espagne, il y avait peu à faire.

Nous réso­lûmes de res­ter quand même à Paris, en démé­na­geant une fois de plus.

Un gros sou­ci de mon père avait été de voir mes études inter­rom­pues par la force des cir­cons­tances. Quoique ayant été assez bon lati­niste, il n’avait pas le culte des langues mortes ; le grec, notam­ment, lui parais­sait peu utile. Mais, pour arri­ver un jour au doc­to­rat en méde­cine — ce qui était mon ambi­tion — il fal­lait abso­lu­ment décro­cher les deux bac­ca­lau­réats, ès lettres et ès sciences, pour les­quels la connais­sance au moins super­fi­cielle du grec clas­sique était de rigueur.

J’avais com­men­cé tout seul l’étude de la langue d’Eu­ri­pide et, entre deux démé­na­ge­ments, je pio­chais Bur­nouf. Lec­ture qui me parut plus aride que celle de Paul de Kock. Cepen­dant, ser­vi par une mémoire peu ordi­naire, j’arrivai, mal­gré les cahots de notre exis­tence, à ne pas me lais­ser dis­tan­cer par les bour­geoi­sillons de mon âge, acqué­rant cette ins­truc­tion livresque, tout en sur­face, qui fait hon­neur aux forts en thème. Ins­truc­tion qu’il est néces­saire d’ou­blier en par­tie pour s’en refaire soi-même une plus réelle lorsque l’é­poque de com­pré­hen­sion est arrivée.

Une famille de trois per­sonnes, aux âges et signa­le­ments connus et dont le chef pos­sède un fort accent
étran­ger, a du mal à dis­si­mu­ler indé­fi­ni­ment sa trace, même dans une grande ville comme Paris. En ren­con­trant la piste de l’en­fant, on devait tom­ber sur celle des parents.

Ce fut ma grand’tante qui, venue dans la capi­tale, après avoir ven­du sa mai­son de Toul, se char­gea de
mon pla­ce­ment dans un éta­blis­se­ment scolaire.

Deux de ses amies de pro­vince, Mme Des­loges et la baronne de l’Epinault, qui igno­raient la vie révo­lu­tion­naire de mon père, avaient des influences à l’École com­mer­ciale Saint-Paul : elles m’y firent admettre faci­le­ment. Cet éta­blis­se­ment, anté­rieu­re­ment dénom­mé École des Francs-Bour­geois et fon­dé d’abord dans le Marais par un péda­gogue congré­ga­niste, garde aujourd’­hui son nom d’il y a un demi-siècle et est diri­gé par des pro­fes­seurs laïques. J’ignore quel esprit et quelles méthodes y règnent maintenant.

À l’époque où j’y entrai, au milieu de condis­ciples appar­te­nant à des familles bour­geoises et bien pen­santes, l’enseignement des langues mortes n’y était don­né que facul­ta­ti­ve­ment, la plu­part des élèves se des­ti­nant au com­merce ou à l’industrie Celui de l’anglais et de l’al­le­mand, par contre, était géné­ral, sans valoir mieux que dans tout autre éta­blis­se­ment d’instruction secon­daire. L’histoire y était pré­sen­tée de la façon la plus fausse et la plus réac­tion­naire, la lit­té­ra­ture soi­gneu­se­ment expur­gée. Mais la tenue des livres y était en hon­neur, ain­si que la musique vocale ou ins­tru­men­tale : ces deux branches de l’enseignement ne me pas­sion­naient point, non plus que les mathématiques.

Mon père n’était pas char­mé de me voir là, mais il me savait assez de dis­cer­ne­ment et de volon­té pour ne point m’y abru­tir. Il comp­tait, d’ailleurs, ne m’y lais­ser que très tem­po­rai­re­ment et, en atten­dant, il favo­ri­sait ma pas­sion pour la lec­ture, qui me per­met­tait d’écouter les divers sons de cloche pour me faire des opi­nions personnelles.

Comme presque tout le monde, il croyait proches la levée de l’état de siège et l’amnistie. Du coup, cer­tai­ne­ment, son arrê­té d’expulsion tom­be­rait et, repre­nant sa liber­té d’allures, il me ferait ter­mi­ner mes études au lycée Char­le­magne. En atten­dant, je ser­vais plu­tôt de cou­ver­ture. Com­ment s’imaginer que ce col­lé­gien au képi bleu de ciel, sor­tant d’un éta­blis­se­ment bien pen­sant en la cor­recte com­pa­gnie de fils de richards, pût être le reje­ton d’un farouche communard ?

Mais, hélas ! l’am­nis­tie ne vint pas. Tout au contraire ! Le 24 mai, date fati­dique, anni­ver­saire de notre exode dans Paris, Thiers était ren­ver­sé par l’Assemblée monar­chiste et rem­pla­cé par Mac-Mahon. Celui-ci for­mait aus­si­tôt un minis­tère « de com­bat » pré­si­dé par le duc de Bro­glie. La pre­mière mesure que prirent ces fiers com­bat­tants, appe­lés au pou­voir par le vain­cu de Reich­shof­fen et de Sedan, vain­queur de Paris, fut de révi­ser dans le sens dra­co­nien les dos­siers des communards.

Ranc qui, élu membre de la Com­mune, ne l’était res­té que pen­dant sept jours, après avoir prê­ché en vain la conci­lia­tion, fut pour­sui­vi alors qu’il venait d’être élu dépu­té du Rhône. Il n’eut que le temps de se sau­ver en Bel­gique pen­dant qu’on le condam­nait à mort par contumace.

Fâcheux pré­sage pour nous, comme pour d’autres !

Un soir, comme j’accompagnais ma mère, elle remar­qua dans notre sillage, aux alen­tours de la rue du Roi-de-Sicile, où nous habi­tions, les louches allures d’un personnage.

Visi­ble­ment, il nous suivait.

Ma mère avait l’hor­reur de tout ce qui est vil, Ralen­tis­sant sou­dai­ne­ment son pas, puis se retour­nant, de façon à être bien enten­due de l’homme de la Pré­fec­ture, elle me dit à haute voix :

— Sais-tu qu’il existe des indi­vi­dus qui font métier de suivre des hon­nêtes gens dans la rue et de s’ap­pro­cher hypo­cri­te­ment pour sur­prendre leurs paroles ? Ces indi­vi­dus, plus mépri­sables que les voleurs et les assas­sins, on les appelle des mouchards.

Sans doute, l’homme ne fut-il pas char­mé d’avoir à ava­ler cette sor­tie, aus­si jus­ti­fiée qu’imprudente. Cepen­dant, il ne bron­cha pas : d’autant plus que n’étant point pris à par­tie direc­te­ment, il ne pou­vait souf­fler mot sans se dévoi­ler. La pro­fes­sion de mou­chard, comme beau­coup d’autres plus honorables,
a ses exigences !

Nous nous abs­tînmes de ren­trer droit rue du Roi-de-Sicile et, après avoir pro­me­né der­rière nous l’individu penaud, irré­so­lu, finîmes par le semer.

Cette ren­contre pré­sa­geait la tempête.

Elle fon­dit sur nous.

En ce moment, mon père était en voie de réta­blir sa situa­tion endom­ma­gée par les évé­ne­ments. Sous la gérance d’un cou­sin de ma mère, A. H…, exempt de toute pas­sion révo­lu­tion­naire, il avait créé trois dépôts d’a­li­men­ta­tion, les gar­nis­sant de mar­chan­dises. Déjà, ses éta­blis­se­ments étaient en pleine pros­pé­ri­té. L’un d’eux allait être reven­du avec un très fort béné­fice. Puis ce serait la tour des autres.

Sou­dain, mon père reçut d’un ami, fonc­tion­naire de l’État, cet avis : « Fuyez. Votre dos­sier a été révi­sé : un conseil de guerre vous a condam­né, par contu­mace, à la dépor­ta­tion dans un enceinte for­ti­fiée. On est sur votre trace. »

C’était l’écroulement !

Mon père cou­rut chez un avo­cat de sa connais­sance qu’il avait [?] obli­gé à ses débuts dans le bar­reau. Il le char­gea d’as­sis­ter ma mère pour liqui­der la situa­tion dans les meilleures condi­tions pos­sibles. C’était facile : les mar­chan­dises avaient été ache­tées régu­liè­re­ment, les unes au comp­tant, les autres à terme ; pas un sou de dettes ! pas un billet impayé ! Cette mesure prise, mon père don­na quelques ins­truc­tions au cou­sin, puis il par­tit pour Bruxelles, où il des­cen­dit droit chez Mau­rice Lachâtre.

Mais l’autorité mili­taire était maî­tresse. En ver­tu des pou­voirs dis­cré­tion­naires que lui confé­rait l’é­tat de siège, le géné­ral Lad­mi­rault fit, d’au­to­ri­té, arrê­ter ma mère et notre parent H…, fer­mer les trois mai­sons et ouvrir une ins­truc­tion contre mon père comme… négo­ciant en fuite.

L’affaire se trans­por­tait du ter­rain poli­tique sur le ter­rain du droit commun !

Le même coup qui, en 1849, avait été jésui­ti­que­ment machi­né contre Prou­dhon, fon­da­teur de la Banque du Peuple, pour le décla­rer ban­que­rou­tier 2«L’arrestation de Prou­dhon », article d’Alfred Dari­mon, publié dans le Peuple du 15 juin 1849, repro­duit soixante-dix-huit ans plus tard, par le Peuple du 15 juin 1927..

J’é­tais à ce moment interne à l’école com­mer­ciale Saint-Paul, et, tout en conti­nuant mes études, sui­vais, angois­sé, la tra­gé­die familiale.

Mon père, appre­nant l’arrestation de sa femme, revint aus­si­tôt et cou­rut chez son avo­cat. Valait-il mieux se consti­tuer immé­dia­te­ment pri­son­nier, dans l’espoir d’assurer la liber­té de ma mère, ou bien assu­rer au préa­lable la liqui­da­tion commerciale ?

Tel était le pro­blème déses­pé­rant que se posait le révo­lu­tion­naire, qui ne bron­chait pas devant le péril de mort mais à qui l’idée d’une flé­tris­sure civile, même méri­tée, était intolérable.

La police le tira d’embarras en l’arrêtant.

Il n’y avait pas d’affaire plus poli­tique que celle-là : car c’était le com­mu­nard condam­né par contu­mace et près d’être atteint qui avait fui, non le com­mer­çant sol­vable et ne devant rien à personne.

Mais dans les époques de répres­sion féroce, c’est une joie des par­tis poli­tiques de pou­voir désho­no­rer per­fi­de­ment leurs adversaires.

Au lieu de la dépor­ta­tion, cruelle mais non infa­mante, c’était l’en­fer igno­mi­nieux du bagne qu’on des­ti­nait à mon père comme ban­que­rou­tier frau­du­leux, la pri­son pour ma mère accu­sée de com­pli­ci­té et jetée dans le hideux cloaque de Saint-Lazare, où grouillent toutes les misères morales, tous les vices, toutes les déchéances !

Et cette double infa­mie fut pour s’accomplir, s’a­jou­tant à de longs mois de déten­tion pré­ven­tive. Au
jourd’­hui même, au bout de trois quarts de siècle, emplis de luttes et d’o­rages, quand je me rap­pelle ce
moment de mon exis­tence ou je vis mon père qui avait, depuis trente ans, sacri­fié sa for­tune sa situa­tion et joué sa vie pour la cause de la liber­té ; ma mère, d’une bon­té et d’une droi­ture si hautes, com­pa­raître devant des hyènes à face humaine, une rage froide gronde encore en moi.

Ce sont les étreintes d’angoisse, les révoltes de fureur indi­gnée, venues à ce moment-là secouer mon être, qui ont, bien plus qu’un caté­chisme socia­liste ou anar­chiste, fait de moi, pour le reste de la vie, un révol­té contre l’oppression et l’injustice.

Mais la des­ti­née est inson­dable et c’est sou­vent quand on est au plus bas qu’elle vous relève par un coup de théâtre.

Cette chance in extre­mis, mes parents et moi l’avons eue sou­vent dans les situa­tions les plus désespérées.

La jus­tice de la cour d’as­sises avait pro­non­cé après un réqui­si­toire men­teur où il n’avait guère été ques­tion que de poli­tique, de Com­mune et de la sor­tie du Mont-Valé­rien, mon père s’y trou­vant, pour les besoins de la cause, trans­for­mé de modeste capi­taine en chef de bataillon.

Le cou­sin H…, lui, qui n’avait pas ser­vi la Com­mune, avait été ren­du à la liber­té. Mais voi­ci que le conseil de guerre réclame sa proie : c’est à sa juri­dic­tion seule qu’appartenait mou père. Et son défen­seur Demange, déjà pres­sen­ti un grand avo­cat — le même qui défen­dra un jour Drey­fus — pose la ques­tion sur son véri­table ter­rain : ou la dis­jonc­tion des sen­tences avec leur appli­ca­tion suc­ces­sive, ou la sen­tence unique du conseil de guerre. Miracle ! Le conseil de guerre com­prend, et, écœu­ré de l’œuvre des robins, il l’an­nule en condam­nant contra­dic­toi­re­ment le révo­lu­tion­naire à la dépor­ta­tion simple. Du coup, la pro­cé­dure et la sen­tence infa­mantes sont détruites.

Je suis dans la salle du conseil de guerre, où j’ai enten­du notre ancien voi­sin, l’ex-lieutenant Cha­nois, rendre hom­mage à la conduite humaine du capi­taine de la Commune.

Au pro­non­cé du juge­ment, je vois le visage de mon père et celui de son défen­seur rayon­ner. Ils se serrent cha­leu­reu­se­ment la main. Puis Demange, qui m’a recon­nu, s’avance vers moi et me répète ces paroles d’en­cou­ra­ge­ment qu’il m’a déjà dites dons son cabi­net : « Il n’y a plus qu’à attendre l’amnistie. »

Ain­si mon père, qui a déjà, par deux fois, échap­pé à une sen­tence de mort eu Ita­lie, échappe au bagne que lui réser­vaient les magis­trats fran­çais ! Plus heu­reux que l’instituteur mar­tyr Pierre Vaux, mort for­çat à la Guyane et réha­bi­li­té seule­ment après son décès, il voit la flé­tris­sure effa­cée par les mêmes juges mili­taires qui lui rendent sa qua­li­té d’adversaire politique.

De la pri­son du Cherche-Midi il va être immé­dia­te­ment diri­gé sur le dépôt de Saint-Brieuc, au milieu des com­mu­nards condam­nés à la dépor­ta­tion. Déjà une fré­gate-trans­port, le Var, attend en rade de Brest ce trou­peau de vain­cus qu’il doit trans­por­ter à Nouméa.

Natu­rel­le­ment, du même coup, ma mère va se trou­ver ren­due à la liber­té. L’inique juge­ment de la cour d’as­sises se trou­vant cas­sé pour mon père l’est for­cé­ment pour elle. Des cha­cals de la loi, furieux de voir cette proie leur échap­per, ont beau argo­ter, ten­ter de retar­der la solu­tion : celle-ci est inévi­table. Et c’est au moment où le Var va nous emme­ner tous trois aux anti­podes de la vieille Europe, que l’au­to­ri­té galon­née vient annon­cer à la pri­son­nière qu’elle est libre. De ses dix mois pas­sés au milieu des filles et des voleuses, vic­times de la socié­té, moins hor­ribles que leurs gar­diens, il ne doit plus res­ter que le sou­ve­nir d’un mau­vais rêve.

Cette hideuse masure de Saint-Lazare, où tant de fois je suis allé au par­loir voir ma mère, j’y suis retour­né depuis, à mon retour de la « Nou­velle », pour visi­ter une autre femme cap­tive elle aus­si, et qui a lais­sé la répu­ta­tion méri­tée d’une sainte laïque : Louise Michel.

La grande révo­lu­tion­naire, qui a main­te­nant sa sta­tue devant la mai­rie de Leval­lois-Per­ret, était condam­née comme ins­ti­ga­trice du pillage d’une bou­lan­ge­rie dans laquelle une foule misé­reuse avait pris deux petits pains !

  • 1
    La der­nière eut lieu en 1875 : c’était celle d’un sol­dat qui s’était trou­vé à une des mani­fes­ta­tions de la Bas­tille, anté­rieures au 18 mars, le jour même où une foule exas­pé­rée avait jeté à l’eau l’agent secret Vinzentini.
  • 2
    « L’arrestation de Prou­dhon », article d’Alfred Dari­mon, publié dans le Peuple du 15 juin 1849, repro­duit soixante-dix-huit ans plus tard, par le Peuple du 15 juin 1927.

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