Le jour même où le premier numéro de Liberté sort de presse, l’actualité illustre opportunément l’utilité d’un journal qui prendra, chaque semaine, la défense des objecteurs de conscience : deux hommes, totalement différents par leur formation et leurs convictions, mais se retrouvant dans le même refus de porter les armes contre leurs semblables, sont traduits devant le tribunal pour cette seule raison.
Près de Périgueux, un brave homme de 54 ans, peintre-paysagiste, animateur du syndicat d’initiative local, fut arrêté, voici quelques semaines, par les gendarmes. Pourquoi ? En 1939, Georges Burgat, libertaire, objecteur de conscience, ne répondit pas à l’appel de mobilisation et se réfugia à Rouen sous un nom d’emprunt. Et depuis douze ans, il vivait paisiblement à Domme, n’y comptant que des amis, et voici pourquoi, comme le relate le journal local, « cette drôle d’affaire passionne Domme, haut lieu du tourisme et de la gastronomie ».
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Dans la banlieue parisienne, Christian Desmazières, ouvrier maçon, militant catholique, quitte cette semaine son chantier afin de se présenter pour la quatrième fois devant le tribunal. Lui qui avait fait son service militaire et même obtenu la médaille militaire, estima un jour que ses convictions de chrétien étaient incompatibles avec sa participation à toute guerre et loyalement en avertit l’autorité militaire en refusant d’accepter son fascicule de mobilisation. À son dernier passage devant le tribunal, Desmazières ayant déclaré : « D’ailleurs cette guerre d’Algérie est stupide et sans issue », le président s’était récrié et Desmazières ayant expliqué ingénument : « Ce n’est pas moi qui l’affirme : c’est M. Guy Mollet, dans sa déclaration électorale », le tribunal avait renvoyé Desmazières devant un expert psychiatre. C’est pourquoi Desmazières est traduit de nouveau en justice.
Dernière heure
Mardi, à 15 heures, la 13e Chambre correctionnelle de la Seine avait à se prononcer définitivement sur le cas de Christian Desmazières.
En vain Me Pierre Stibbe qui le défendait invoqua-t-il l’autorité de la chose jugée et la peine accomplie : insensible à une argumentation juridiquement fort pertinente pourtant, le Président Becognée ne voulut rien entendre : deux mois de prison ferme.
Compte rendu d’audience dans notre prochain numéro.