La Presse Anarchiste

Les Français auraient besoin d’une boule de verre

Dans en livre tout récent, M. Dean Ache­son affirme qu’il n’est pas besoin d’une boule de verre pour savoir com­ment fini­ra la guerre d’Algérie. Il y a trois ans que je l’écris et que je le dis avec quelques autres d’entre les « bra­deurs d’empire ». Trois ans durant les­quels des hommes, dont l’esprit est à gauche et le cœur soli­de­ment ancré au centre, ne cessent de nous repro­cher de ne pas croire aux miracles.

C’est M. Ache­son encore qui nous dit pour­quoi nous avons tort d’avoir rai­son. Il demande aux Amé­ri­cains de com­prendre les réac­tions psy­cho­lo­giques des Fran­çais. On doit, explique-t-il, leur lais­ser le temps de se déta­cher des gran­deurs colo­niales. L’ennui, c’est que le temps de ces trop longues réflexions soit celui des occa­sions manquées.

Les évé­ne­ments vont plus vite que la « paci­fi­ca­tion » de M. Lacoste, selon les plans Bor­geaud. La méthode Coué n’ayant jamais for­mé d’hommes d’État, M. Lacoste ruine à la fois notre éco­no­mie, nos vraies chances saha­riennes et ce qui res­tait des espé­rances socia­listes. Que ne lui donne-t-on une boule de verre ?

 

 

On peut dis­cu­ter — et on ne s’en fait pas faute — sur les mérites et les incon­vé­nients divers de l’intégration que les métro­po­li­tains et les colons se sont accor­dés à reje­ter au cours de quatre décades ; des formes pos­sibles d’une fédé­ra­tion dont naguère per­sonne ne vou­lait et qui devient le suprême espoir. On peut dis­cu­ter sur les droits réci­proques des Fran­çais de souche (de souche euro­péenne) et des Arabe-Ber­bères (de souche aus­si, mais afri­caine, eux) ; sur les risques d’une Saint-Bar­thé­le­my fel­la­ga dont on nous disait déjà qu’elle ensan­glan­te­rait la Tuni­sie et le Maroc ; sur les concep­tions démo­cra­tiques à la mode « ultra » par quoi un mil­lion de chré­tiens sans Christ peuvent com­man­der à neuf mil­lions de musul­mans alors que l’éventualité contraire est, paraît-il, impensable.

Ces pro­blèmes existent, bien sûr. Ils ont exis­té sur­tout dans les années où ils com­por­taient des solu­tions que l’on a reje­tées. Ils ont aujourd’hui des don­nées nou­velles qui exigent d’autres manières de cal­cu­ler. Ce sont les don­nées sahariennes.

 

 

Le mou­ve­ment anti­co­lo­nia­liste dans le monde est irré­ver­sible. Le rôle qu’y peuvent jouer les pétro­liers en Algé­rie n’est certes ni moral ni altruiste. Nos faux-sem­blants démo­cra­tiques ne l’étant pas davan­tage, résu­mons les faits. La rébel­lion du Magh­reb cor­res­pond à l’aboutissement pro­bant des pros­pec­tions saha­riennes après les natio­na­li­sa­tions des pétroles ira­niens et du canal de Suez, sui­vies de la menace qui pèse sur les conces­sions de l’Irak et de l’Arabie.

Le pétrole est de nature à chauf­fer les natio­na­lismes. Les com­pa­gnies inté­res­sées n’avaient pas besoin de grande diplo­ma­tie pour que les Magh­ré­bins com­prennent com­bien il était inté­res­sant de prendre une hypo­thèque sur les sources d’énergie cou­lant à leurs confins. Il est clair que du pétrole qui ne change de place que sous le cou­vert de deux ou trois divi­sions de gardes est pra­ti­que­ment inexploitable.

 

 

Rai­son­nons en termes de pétro­liers. Si l’Arabie, inquié­tée par une concur­rence éven­tuelle, reste com­pré­hen­sive, il est bon que l’on ne construise pas de pipe-lines au Saha­ra. Du moins pas trop vite. La guerre, en outre, coû­tant très cher au gou­ver­ne­ment fran­çais, des sous­crip­tions bien com­bi­nées assurent le contrôle des robi­nets. Si les choses se gâtent en Ara­bie, on sait com­ment exi­ger d’un emprun­teur qu’il fasse le néces­saire afin que le pétrole coule à flots à tra­vers un Magh­reb qui aura gagné la par­tie. La fameuse Orga­ni­sa­tion com­mune des régions saha­riennes dont le Magh­reb est exclu ne chan­ge­ra rien à la chose.

Ain­si, nous per­dons sur tous les tableaux, après avoir per­du des vies humaines et dété­rio­ré notre éco­no­mie, alors que nous pou­vions consti­tuer en temps utile une fédé­ra­tion de l’Afrique du Nord, liée à la France dans une manière de Com­mon­wealth. L’exploitation du Saha­ra n’aurait pas posé de pro­blèmes, les mil­liards per­dus dans une guerre inutile nous eussent per­mis d’en conser­ver le contrôle et la démo­cra­tie, l’anticolonialisme, le pres­tige inter­na­tio­nal y auraient trou­vé leur compte.

Mais les inté­rêts des « ultras » et de leurs obli­gés ne s’accordaient pas avec de telles pers­pec­tives. Ils jouent leur jeu à nos dépens comme ils ont joué le jeu des piastres. Que risquent-ils ? On sait com­ment fut enter­rée l’enquête par­le­men­taire sur les tra­fics en Indo­chine. Le patrio­tisme exige des ver­tus de discrétion.

Ch.-Auguste Bon­temps


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