La Presse Anarchiste

Vous êtes formidables !

C’est vrai !

Nous sommes for­mi­dables et M. Louis Mer­lin, cet Euro­péen numé­ro 1, et ses col­la­bo­ra­teurs ont bien rai­son d’essayer de nous en convaincre en for­çant notre modestie.

Nous sommes formidables !

Il fal­lait le dire au micro pour que nous com­men­cions à l’entendre. Ain­si l’autre soir j’avais la larme à l’œil en écou­tant l’histoire du mon­sieur alcoo­lique, his­toire racon­tée par sa femme et com­men­tée par le speaker.

— Mar­cel, il faut abso­lu­ment faire une cure de dés­in­toxi­ca­tion, sinon tout sera fini entre nous… mur­mu­rait la dame.

— Mon­sieur, ren­ché­ris­sait Pierre Bel­le­mare, écou­tez la voix du bon sens. Notre col­la­bo­ra­teur Roger Cou­derc est sur le trot­toir d’en face. Il vous attend. Des­cen­dez de votre coquet petit inté­rieur, deman­dez le cor­don à la concierge et sor­tez… Roger Cou­derc fera le reste !

Vous êtes for­mi­dable, Roger Couderc !…

Mais Roger Cou­derc ne voyait rien venir.

On était sur les char­bons… ce cochon de poi­vrot allait-il mon­trer le bout de son nez rouge ?

On nageait dans le « suspense ».

C’était mieux qu’au cinéma !

— La porte reste fer­mée ! consta­tait Roger Cou­derc, la voix étran­glée par l’émotion.

— Allons, mon­sieur, un bon mou­ve­ment. Son­gez à votre femme, à votre enfant d’ivrogne…

Nous nous sen­tions tous de plus en plus formidables !

Si nous avions eu l’adresse où se ter­rait le nom­mé Mar­cel, je vous jure que nous serions allés le cher­cher et qu’il serait des­cen­du quatre à quatre… ou bien il nous aurait dit pourquoi ?

Le sali­gaud ne don­nait pas signe de vie.

C’était for­mi­dable !

— Tou­jours rien ! sou­pi­rait le repor­ter spor­tif et déso­lé. Allait-il com­men­ter une nou­velle défaite fran­çaise ? Eh bien ! non… Cette dis­grâce nous fut épargnée.

Le bon poi­vrot ne pro­fi­tait pas de l’occasion pour lever le coude. Il était devant son poste de radio et pre­nait enfin conscience de son devoir.

Il pre­nait aus­si sa décision.

Celle qui s’imposait.

— La porte s’ouvre ! cla­mait triom­pha­le­ment Roger Couderc.

Et le petit mon­sieur nom­mé Mar­cel venait se livrer au bras sécu­lier, por­té par les mil­liers d’auditeurs à l’écoute. Ouf !…

Vous êtes formidable !…

Allez vous faire dés­in­toxi­quer, bonhomme !

Votre femme a été for­mi­dable. L’avez-vous enten­due laver son linge sale devant le micro ? Vous croyez peut-être qu’il ne lui a pas fal­lu du cou­rage pour racon­ter vos petites misères à tout le monde ?

Et sans dés­in­toxi­ca­tion à la clef, dans son cas !

Quelle digni­té devant le mal­heur ! Quelle dis­cré­tion, quelle tenue, quelle dou­leur contenue !

Vous êtes formidable !

Remar­quez bien que si Mar­cel rechute après avoir récu­pé­ré son épouse il aura des excuses !

On doit se sen­tir tout petit devant une femme de cette trempe !

 

 

Mais ce soir-là, nous, les « cher­zau­di­teurs », nous n’avons été for­mi­dables que par per­sonnes interposées.

Nous sommes capables de faire mieux.

Nous sommes formidables !

Avant la guerre, nous l’étions déjà ! Sou­ve­nez-vous des « pou­mons d’acier » de Radio-Cité.

Ils n’étaient pas for­mi­dables, les pou­mons d’acier, que, sans res­pi­rer, nous avons offerts à M. Bleustein ?

Et M. Bleu­stein ? Hein ?

Vous croyez qu’il n’est pas for­mi­dable, cet homme-là ?

Dans sa cabane à lapins des Champs-Ély­sées, il doit y avoir un musée « Publicis ».

Soyez tran­quille, le pou­mon d’acier y figure en bonne place.

Le dimanche, en mati­née et en soi­rée, M. Bleu­stein-Blan­chet se glisse dans l’appareil et sou­rit aux visi­teurs en leur pré­sen­tant ses com­pli­ments et son meilleur souvenir.

Nous sommes formidables !

Du pou­mon d’acier à l’ex-Astoria il y en a des sous­crip­tions publiques et privées…

Mais ne vous ima­gi­nez pas qu’une guerre ou M. Bleu­stein ait pu suf­fire à cou­per notre élan.

Nous sommes tou­jours formidables !

Il suf­fit de crier « Aux gogos ! » et nous sommes là…, pres­sés en rangs ser­rés, coude à coude.

Des petits enfants sont-ils en dan­ger ? Nous voici !

Pou­vons-nous sup­por­ter que la France de M. Jean Nohain soit inca­pable de les opé­rer à cœur ouvert ?

Cette pen­sée est insup­por­table à l’honnête homme, à la brave femme acca­blés d’impôts et de minis­tères de la San­té Publique, de Sécu­ri­té Sociale et autres bienfaits.

Cœur d’enfant est une belle opération !

On n’a vrai­ment pas le droit, quand on est for­mi­dables, de lais­ser le soin de la pra­ti­quer à n’importe qui… et sur­tout à ceux qui sont là pour ça…

Les quelques mal­heu­reux francs que vous ver­sez au per­cep­teur ne suf­fisent pas à finan­cer nos petites guerres permanentes.

Alors si nos enfants dis­pa­raissent avant d’avoir l’âge de défendre la patrie en dan­ger que devien­dront la France, L’Oréal, le Vita­pointe, les bons bis­cuits Bros­sard, la pointe Bique et Bouc, la Légion d’Honneur, la blan­cheur Per­sil, le vin de Fri­leuse et toutes les autres mamelles de la publicité ?

Comme il était émou­vant d’entendre les bons patrons (ceux qui comblent leur per­son­nel de cadeaux) annon­cer la cou­leur de leur générosité :

— Ici, mon­sieur Tar­tem­pion, direc­teur géné­ral de la Socié­té Duglan­dier… Je verse un mil­lion pour vos cœurs d’enfants.

Un mil­lion que le fisc n’aura pas

Ils sont formidables !

Mais quand même un peu moins que les mil­liers de pauvres bougres qui se sont pri­vés de quelques francs, sim­ple­ment parce qu’ils ont bon cœur, et sont tou­jours prêts à faire leur devoir.

N’importe lequel d’ailleurs !

Vous êtes formidables !

Ne vous déchaus­sez pas et si, par impru­dence ou étour­de­rie, vous avez quit­té vos sou­liers, allez pieds nus devant le monu­ment aux morts. Dans une voi­ture du Pos­tillon, Bri­gitte Bar­dot vous attend… en che­mise et la corde au cou !

Elle est formidable !

Remet­tez-lui votre obole. Grâce à vous les cœurs d’enfants vont se refer­mer à vue d’œil.

Vous êtes formidables !

For­mi­dables jusqu’à concur­rence de 200 millions !

Évi­dem­ment, avec ces quelques briques, il n’y a pas de quoi se payer un porte-avions ou une bombe de bonne qualité.

Dom­mage !

Mais, for­mi­dables comme nous le sommes, nous ferons mieux la pro­chaine fois…

C’est juré.

Pierre Laroche


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