Ce sera la dénomination de l’organisme que nous créons en même temps que cet hebdomadaire. Retenez ce nom, qu’il retentisse à vos oreilles, et soyez prêts à répondre à nos appels.
Les vilenies, dans ce pays désaxé, sont évidemment nombreuses ; à les dénoncer complètement nous remplirions les pages de « Liberté ».
Par-dessus toutes il y a celle-ci : la guerre en Algérie, (cette tuerie en série que rien n’excuse ni ne justifie), perpétuée d’un cœur léger par des officiels qui, dans le même temps, nous entretiennent de désarmement et de paix — avec des larmes aux yeux, des trémolos dans la voix.
Que n’agissent-ils dans le sens de leurs déclarations : la guerre en Algérie n’eût jamais commencé, la paix, en tout cas, y serait vite rétablie.
Oui, que n’agissent-ils sincèrement, comme ils discourent : les 90 objecteurs de conscience emprisonnés n’eussent point été inquiétés — leur élargissement, en tout cas, ne tarderait guère.
Ah ! les chics garçons — je veux parler des objecteurs — ils représentent tout ce que le pays a de bon, de noble, et aussi le pacifisme le plus pur.
Parce que nous en sommes convaincus nous ne craindrons pas d’alerter l’opinion publique, de lui crier : Défends les tiens ! Approuve ces héros-là ! Vole à leur secours ! Tu te secourrais toi-même ce faisant puisque, avec ceux-là, il n’y aurait pas de guerre en Algérie, il n’y aurait de guerre nulle part et jamais plus il n’en serait question. Les armées seraient dissoutes et les soldats accompliraient, alors, œuvre pie — transformés en travailleurs. Au lieu de souffrir en prison les objecteurs seraient à l’honneur, en exemple.
Les gouvernants ne l’ignorent pas, eux qui les emmurent depuis si longtemps : depuis 9 ans, 8 ans, 7 ans, 6 ans, 5 ans (en moyenne depuis 3 à 4 ans).
Réalisez-vous tout le drame, mes camarades ?
Nulle autre part au monde il n’y a un Edmond Schaguené, celui de notre première page, enfermé en prison depuis neuf années.
À cinq reprises il a été sorti de sa geôle : le temps d’être happé de nouveau et traduit devant un tribunal militaire. À cinq reprises il a été condamné pour le même motif, opposant sa sérénité à la hargne des juges : refus de la guerre et d’apprendre le maniement des armes.
À cinq reprises !
Il venait de souffrir durant des mois, on le menait à la lumière et il en appréciait le charme, la douceur, tout le bien que cela lui causait. Il dépendait de lui — de lui seul — d’être enfin libre. Il dépendait de lui de ne point retourner à son cachot.
Cinq fois il a vécu cette tentation et cinq fois il a résisté. Cinq fois il a dit non au tribunal : non, je ne veux pas faire la guerre, je ne veux pas être soldat, ma conscience me l’interdit.
Y a‑t-il un être plus beau sur terre, plus courageux, plus digne d’être secouru par vous ?
Schaguené est beaucoup plus qu’un moment de la conscience humaine, il personnifie toute la conscience humaine.
Pour cette raison faudrait-il qu’il meure en prison ?
Louis Lecoin