La Presse Anarchiste

La Revue Anarchiste ouvre une enquête sur le « fonctionnarisme syndical »

La « Revue Anar­chiste » aura constam­ment une enquête en cours. Dès que l’une tou­che­ra à sa fin, l’autre com­men­ce­ra. Ces enquêtes se sui­vront sans inter­rup­tion. Elles por­te­ront sur les sujets les plus variés, mais tou­jours emprun­tés à l’ac­tua­li­té la plus pres­sante et tou­chant aux pro­blèmes les plus importants.

Il ne sau­rait être ques­tion, puisque ce numé­ro est le pre­mier, d’une enquête en cours. Tou­te­fois, nous, en ouvrons urne, dès ce mois-ci.

Il nous paraît que l’ac­tion syn­di­cale est faite pour sol­li­ci­ter pré­sen­te­ment, notre par­ti­cu­lière attention.

D’une part, depuis 1914, le mou­ve­ment ouvrier, à la mer­ci de quelques meneurs per­dant de plus en plus tout contact direct avec la masse des syn­di­qués, a été lamen­ta­ble­ment détour­né des méthodes d’ac­tion et des fins qui lui sont propres ; d’autre part, une mino­ri­té sans cesse accrue s’est consti­tuée dans le but de rap­pe­ler la C.G.T. à ses ori­gines, à son objectif.

Trois années de dis­sen­sions intes­tines, de polé­miques et de que­relles où se confon­daient en désordre les ques­tions de per­sonnes et les conflits de ten­dances, ont ame­né les orga­ni­sa­tions syn­di­cales à une scis­sion que nul effort ne sau­rait désor­mais conjurer.

Il est à pré­voir que, dans quelques jours, la rup­ture devien­dra défi­ni­tive et que la scis­sion sera un fait accom­pli sur lequel per­sonne ne son­ge­ra à reve­nir et que tous renon­ce­ront à contester.

Pas un syn­di­ca­liste sérieux ne pen­se­ra que cette scis­sion doit se bor­ner à sépa­rer l’ac­tion de deux grou­pe­ments d’hommes se détes­tant, se mépri­sant et ne pou­vant plus tra­vailler ensemble. Pen­ser de la sorte, ce serait recon­naître qu’il ne s’est agit en réa­li­té, que d’une riva­li­té de per­sonnes dont les unes ne consen­taient pas à céder la place que convoi­taient les antres.

Il saute aux yeux que la scis­sion a des causes plus pro­fondes ; qu’elle pro­cède de motifs autre­ment graves et qu’elle doit avoir pour consé­quence de dres­ser l’une contre l’autre deux C.G.T. d’es­prit oppo­sé, de moyens d’ac­tion contra­dic­toires et de buts différents.

Un ins­tant, nous avons son­gé à ouvrir une enquête sur l’o­rien­ta­tion syn­di­cale. Mais nous avons esti­mé que, trop vaste, cette enquête ouvri­rait la porte à cette foule de dis­ser­ta­tions doc­tri­nales qui ont acca­pa­ré sans uti­li­té pra­tique les der­nier Congrès de la C.G.T. Nous avons pen­sé que le résul­tat posi­tif d’une telle enquête res­te­rait pro­blé­ma­tique ; que cette enquête pro­lon­ge­rait tout uni­ment les dis­cus­sions plus ou moins per­son­nelles qui ont mis aux prises majo­ri­taires et mino­ri­taires, sans que de ces contro­verses sor­tît un résul­tat efficient.

Nous avons por­té nos vues sur un objet moins ample, ayant un carac­tère plus pré­cis et sus­cep­tible d’a­bou­tir à une conclu­sion favo­cable à une action syn­di­ca­liste révolutionnaire.

Notre choix s’est arrê­té sur :

Fonc­tion­na­risme Syn­di­cal. ― Le fonc­tion­na­lisme syn­di­cal est un mal dont tous les syn­di­ca­listes font l’a­veu ; il est même, dans la pen­sée de beau­coup, le mal dont se meurt l’or­ga­ni­sa­tion ouvrière.

Aus­si, depuis long­temps, l’ardent et sin­cère désir de rendre la C.G.T. à la san­té a appe­lé l’ob­ser­va­tion atten­tive des mili­tants sur le Fonc­tion­na­risme syn­di­cal. Depuis long­temps, les syn­di­ca­listes les plus aver­tis ont com­pris l’im­por­tance ― on pour­rait dire capi­tale — de cette ques­tion et la néces­si­té de la résoudre d’ur­gence. Depuis long­temps, les syn­di­ca­listes liber­taires ont clai­re­ment aper­çu le rôle consi­dé­rable que joue le fonc­tion­na­risme séden­taire et cris­tal­li­sé, dans la marche et le déve­lop­pe­ment de l’or­ga­nisme éco­no­mique de la classe ouvrière.

Nous pen­sons que les cir­cons­tances sont pro­pices à une étude appro­fon­die, loyale et franche de ce pro­blème et que le moment est venu d’en sou­mettre publi­que­ment les don­nées exactes à la conscience éclai­rée des tra­vailleurs ; mieux encore, nous esti­mons que ce débat ne sau­rait être sans péril ajour­né et que, à l’heure où se consti­tue la C.G.T. révo­lu­tion­naire, c’est, pour son ave­nir même, une ques­tion de vie ou de mort.

La Revue Anar­chiste désire sin­cè­re­ment contri­buer, dans la mesure de ses moyens, à l’exa­men et à la solu­tion de ce problème.

Chose étrange : cette ques­tion du fonc­tion­na­risme syn­di­cal pré­oc­cupe l’im­mense majo­ri­té des syn­di­qués et, comme s’il était dû à un inex­pli­cable accord, le silence règne ; à peine est-il rom­pu par quelques troubles-fête. Il faut pour­tant dire ce qu’on pense ; il importe que tous ceux qui, sur cette matière, ont quelque chose d’in­té­res­sant à dire, le déclarent sans ambages.

La Revue Anar­chiste leur ouvre ses colonnes lar­ge­ment, honnêtement.

Tou­te­fois, nous ne croyons pas bon de poser le pro­blème en termes vagues. Dans notre esprit, il ne s’a­git pas de deman­der aux tra­vailleurs syn­di­qués s’ils sont par­ti­sans ou adver­saires du sta­tu quo, c’est-à-dire du fonc­tion­na­risme qui sévit au cœur du syn­di­cat et, tel un ver ron­geur, y pro­page la pourriture.

Hor­mis ceux qui, fonc­tion­naires en exer­cice ou aspi­rant à le deve­nir, envi­sagent une fonc­tion comme une situa­tion ali­men­taire qui leur per­met d’é­chap­per à l’a­te­lier, au bureau, au chan­tier, au maga­sin et leur assure un trai­te­ment fixe suf­fi­sant, tous les syn­di­ca­listes dés­in­té­res­sés condamnent le sta­tu quo. Tous, croyons-nous, sont réso­lus à mettre fin, sans retard, au sys­tème mor­tel qui per­met au même indi­vi­du de s’in­crus­ter à son poste, de s’y blan­chir les mains et de ne s’in­té­res­ser, à la longue, à l’ac­tion ouvrière que dans la mesure où celle-ci lui laisse toute la tran­quilli­té du lendemain.

Nous n’ou­vrons donc pas une enquête sur le point de savoir si les mili­tants du syn­di­ca­lisme sont par­ti­sans ou non du fonc­tion­na­lisme syn­di­cal actuel. Nous consi­dé­rons la ques­tion ain­si for­mu­lée comme défi­ni­ti­ve­ment tranchée.

En ouvrant cette enquête, nous enten­dons faire œuvre pra­tique et nous pres­sen­tons que deman­der à nos cama­rades s’ils approuvent ou condamnent le fonc­tion­na­risme syn­di­cal, ce serait expo­ser nos lec­teurs à suivre sans inté­rêt la sté­rile et insi­pide dis­cus­sion qu’en­traîne le pro­blème syn­di­cal tout entier.

Ce que nous pro­po­sons, c’est de pla­cer la ques­tion en pleine lumière, de la ser­rer de près, de l’en­fer­mer dans le cadre d’une étude pra­tique et d’a­bou­tir à une solu­tion qu’il res­te­ra à appli­quer dons le plus bref délai.

* * * *

Au récent congrès anar­chiste, tenu à Lyon, notre cama­rade, le syn­di­ca­liste Le Meillour a expo­sé, sur le fonc­tion­na­risme syn­di­cal, une série de pro­po­si­tions que nous adop­tons comme base de notre enquête.

« Les fonc­tion­naires du Syn­di­cat, a dit Le Meillour, ont à s’ac­quit­ter de deux besognes : l’une, toute bureau­cra­tique est de pure admi­nis­tra­tion, (comp­ta­bi­li­té et tré­so­re­rie); l’autre, de pro­pa­gande, c’est-à-dire de recru­te­ment et d’é­du­ca­tion. Pour la pre­mière comme pour la seconde, je crois qu’il serait pos­sible, le plus sou­vent, de trou­ver des syn­di­qués de bonne volon­té qui, sans rétri­bu­tion, se char­ge­raient du tra­vail à accomplir.

« S’il en était ain­si, les orga­ni­sa­tions ouvrières réa­li­se­raient des éco­no­mies appré­ciables dont ne man­que­rait pas de pro­fi­ter l’ac­tion syn­di­cale ; de plus, ces­sant d’être liés à leur tra­vail par une rétri­bu­tion fixe, et effec­tuant ce tra­vail d’une façon tota­le­ment dés­in­té­res­sée. nul syn­di­qué ne serait ten­té de se cram­pon­ner au man­dat qu’il aurait spon­ta­né­ment accep­té et qu’il exer­ce­rait gra­tui­te­ment ; en outre, cette absence de rétri­bu­tion pro­dui­rait sur la masse des syn­di­qués un effet moral énorme ; enfin les tra­vailleurs qui res­tent encore, innom­brables, en dehors du Syn­di­cat, n’au­raient plus l’ex­cuse de s’en tenir éloi­gnés, sous le pré­texte qu’ils ne veulent pas coti­ser pour entre­te­nir des fonc­tion­naires dont le nombre et la rétri­bu­tion sont un scan­dale et qui ne voient, dans le pro­lé­ta­riat orga­ni­sé « qu’une vache a lait ».

« Il se peut, cepen­dant, que dans cer­taines orga­ni­sa­tions mas­sives, il y ait un tra­vail de comp­ta­bi­li­té, de caisse et de cor­res­pon­dance qui néces­site un ou plu­sieurs per­ma­nents. Ce sera l’af­faire de ces orga­ni­sa­tions elles-mêmes d’en déci­der. Mais, alors, le mieux serait que, pour la par­tie admi­nis­tra­tive, ces orga­ni­sa­tions uti­lisent des employés et comp­tables pro­fes­sion­nels ― syn­di­qués, s’en­tend ― mais qui, simples employés, ne seraient pas plus fonc­tion­naires en tra­vaillant pour un syn­di­cat, qu’ils ne le sont en tra­vaillant pour un patron.

« Et quand l’œuvre de pro­pa­gande exi­ge­rait qu’un syn­di­qué s’y consa­crât un temps déter­mi­né, par exemple, pour une grève, pour une tour­née, pour un dépla­ce­ment de quelque durée, ce mili­tant, momen­ta­né­ment arra­ché au tra­vail qui lui assure ses moyens d’exis­tence, rece­vrait une rétri­bu­tion cor­res­pon­dante au tarif de sa cor­po­ra­tion, rétri­bu­tion qui com­men­ce­rait avec l’ac­com­plis­se­ment de son man­dat et pren­drait fin à l’ex­pi­ra­tion de celui-ci.

« Dans tous les cas, et si les syn­di­qués ne veulent pas aller jus­qu’à l’a­dop­tion de ces mesures radi­cales pour­tant bien accep­tables, il est un point sur lequel nous serons tous d’ac­cord et, avec nous, espé­rons-le, tous les tra­vailleurs qui ont le sou­ci de l’a­ve­nir syn­di­ca­liste, c’est que les man­dats et fonc­tions doivent être de courte durée, qu’ils ne doivent plus être renou­ve­lables et que, lors­qu’ils arrivent à expi­ra­tion, ils doivent ces­ser auto­ma­ti­que­ment, sans excep­tion d’au­cune sorte. »

* * * *

Eh bien ! La Revue Anar­chiste base sur ces sug­ges­tions l’en­quête qu’elle ouvre immé­dia­te­ment sur le fonc­tion­na­risme syndical.

Cette enquête se trou­ve­ra, de la sorte, enfer­mée dans un cadre déter­mi­né, afin qu’il en puisse sor­tir un cou­rant d’i­dées pré­cis, une volon­té nette et, bien­tôt peut-être, une déci­sion ferme.

Enquête ouverte par « La Revue Anarchiste » sur le Fonctionnarisme syndical
Questionnaire
  1. Esti­mez-vous néces­saire que les Syn­di­cats, les Unions Dépar­te­men­tales, les Fédé­ra­tions et le Bureau Confé­dé­ral aient des fonc­tion­naires rétribués ?
  2. Si oui, pen­sez-vous que ces syn­di­qués appoin­tés, employés aux tra­vaux de pure admi­nis­tra­tion, devraient être des comp­tables pro­fes­sion­nels, tra­vaillant pour l’or­ga­ni­sa­tion syn­di­cale dont ils seraient les employés, comme ils tra­vaille­raient pour un patron ?
  3. Croyez-vous que la besogne de pro­pa­gande (recru­te­ment, édu­ca­tion, etc.), devrait être confiée à des mili­tants syn­di­qués, man­da­tés ad hoc, dont la rétri­bu­tion com­men­ce­rait avec l’ac­com­plis­se­ment de leur man­dat et ces­se­rait avec celui-ci ?
  4. De toutes façons, vous paraît-il néces­saire de limi­ter la durée des fonc­tions, en sorte que, par­ve­nu à l’ex­pi­ra­tion de son man­dat, nul fonc­tion­naire ne puisse être réélu ?
  5. Quelle devrait être, d’a­près vous, la durée maxi­ma des mandats ?

Notre enquête est ouverte. Nous en don­ne­rons les pre­miers résul­tats le mois prochain.

Sébas­tien Faure

P.S. ― La Revue Anar­chiste envoie ce ques­tion­naire et l’ar­ticle qui je pré­cède à un cer­tain nombre de Syn­di­ca­listes notoires. Nous publie­rons, dans le numé­ro 2, la liste de ces Syn­di­ca­listes dont il nous parait inté­res­sant de connaître, sur le Fonc­tion­na­risme Syn­di­cal, le sen­ti­ment et les rai­sons sur les­quelles il s’appuie.

S.F.


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