La classe 20 qui devait être libérée en décembre, ne le sera, si on en croit les on-dit, que fin février.
C’est donc près de trois mois de « rabiot » que des milliers de jeunes gens accomplissent actuellement, non sans colère, contre les responsables de cette incarcération prolongée. Barthou, le ministre patriotard, en avait décidé ainsi : il a fallu que tout le monde s’incline devant ce petit être haut comme trois pommes.
Ces trois mois supplémentaires, ajoutés aux années déjà accomplies, n’auront pas été complètement inutiles… pour la propagande, l’adjudant, Flick et son digne compère, le colonel Ronchonnot, ayant été les meilleurs propagateurs de l’idée antimilitariste.
Du colonel Ronchonnot — type assez répandu dans l’armée — les petite soldats « rigolent » volontiers, car, au fond, il n’est pas terrible et il apparaît plutôt bête que méchant. Souvent, ses boutades font rire, le ridicule dont elles sont empreintes dépassent les limites permises.
Flick, l’adjudant, par contre, est une rosse fieffée et sa psychologie, si bien dépeinte par Courteline dans son Train de 8 h. 47, est assez curieuse.
Ronchonnot., c’est la vieille baderne sans malice ; Flick, c’est la brute abrutie par l’alcool, par le temps de service et par le règlement. Flick est donc un actif… militant anti-militariste, et il fait de la propagande comme M. Jourdain faisait de la prose : sans le savoir !
Si nous savons nous y prendre, ce n’est pas au Communisme, selon saint Lénine que ces futurs libérés viendront, mais bel et bien à l’anarchisme.
Je ne pense pas que ces jeunes soldats, qui, aujourd’hui, appartiennent à l’armée tricolore, consentent, demain, à être embrigadés dans une quelconque armée rouge modelée sur celle de saint Trotsky. Il faudrait qu’ils fussent vraiment naïfs pour ne pas s’apercevoir que toutes les armées — qu’elles soient blanches, rouges, vertes ou rouges — ne valent pas mieux les unes que les autres.
Être commandé aujourd’hui par un Flick, et demain par un Noël Garnier ou un Vaillant-Couturier, le résultat est le même : il faut obéir.
Dans un mois et demi, les petits de la classe 20 vont revenir.
À moins que… le nouveau ministre de la guerre, car ce n’est plus Barthou, c’est Maginot, par un nouvel ukase, n’ajoute encore une rallonge aux trois mois déjà octroyés.
Tout est possible.
Que nos petits soldats ne s’imaginent pas que Maginot vaut mieux que Barthou ou que Barthou vaut mieux que Maginot.
Comme dit l’autre, c’est du « kif ».
Pourtant, si Maginot est trop occupé, soit chez Maxim’s, soit au ministère des Pensions — car il est également ministre des Pensions — peut-être ne songera-t-il pas à faire trop de mal et alors, nos petits « poilus » bénéficieront d’un oubli salutaire.
Encasernés, mes amis, pénétrez-vous bien de cette vérité :
Un mauvais parlementaire vaut bien mieux qu’un bon parlementaire et un mauvais ministre est préférable à un bon ministre, encore que l’un et l’autre ne vaillent pas cher.
Le terme mauvais, en l’occurrence, signifie qu’ils négligent leurs fonctions soit par paresse, soit par incapacité. Délaissant totalement la chose publique, vadrouillant avec leurs folles maîtresses, ceux-ci sont inoffensifs.
Et s’ils se contentent de palper la bonne galette, en revanche, ils nous f… la paix et laissent à leurs collègues plus consciencieux le soin de nous voler et de nous assommer
Un Contempteur de l’Armée
P.-S. je prie ceux de nos camarades susceptibles de fournir des renseignements précis sur la vie au régiment de bien vouloir me les adresser à la Revue.
Me communiquer tous les faits saillants dont ils pourront avoir connaissance : brimades, punitions, mauvais traitements, etc…
On comprendra que notre pauvreté ne nous permet pas d’avoir de grands moyens d’investigation.
Dans l’intérêt de notre rubrique, envoyez-nous des renseignements. Discrétion absolue.
UN C.A.