Il est nécessaire de savoir tout ce qui se manigance dans le temple immoral de Thémis.
Nous devons connaître toutes ces choses malpropres dans l’intérêt même de notre propagande et pour édifier la religion de nos camarades.
J’avoue pourtant que l’étude du monde judiciaire n’est guère ragoûtante et le cœur se soulève de dégoût devant la cuisine qui s’élabore dans cette répugnante sentine.
Cependant nous avons là, en cette matière, une source inépuisable de documents intéressant pour lutter avantageusement contre les monstruosités sociales du régime actuel.
Les affaires en cours, nous fourniront amplement des faits, des marchandages, des compromissions qui nous permettront d’étayer nos dires, de justifier nos écrits et de légitimer notre action contre la société capitaliste : but unique de toute notre agitation.
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L’Affaire Vilgrain — Le cas Vilgrain est prodigieux.
Voilà un homme dénué de tous scrupules, criant tempêtant, faisant de la réclame pour la trop ruineuse Union sacrée, jetant l’anathème sur les réfractaires de la Grande tuerie et poussant les masses veules au massacre !
Ce fantoche malfaisant, bourreau conscient de milliers de malheureux, se terre à l’intérieur, décroche un sous-secrétariat de tout repos, s’emplit les poches et participe aux avantages de la curée des gros profiteurs de la guerre.
Le bourgeois, le gouvernant Vilgrain est un voleur et un assassin ; il a ramassé sa fortune dans le sang. Loin d’être une exception, il est un exemple parfaitement conforme à la règle générale.
La mort du président Bulot. — Un chauffeur d’automobile, par une heureuse inadvertance, a écrasé un gros bourgeois âgé et cossu. Transporté à l’hôpital Beaujon, l’accidenté expira quelques jours après.
Blessure à l’omoplate gauche provoquant une gangrène gazeuse, disent les morticoles.
Quel était donc ce bourgeois malchanceux ? Le président Léon Bulot, conseiller à la cour de cassation. Il faut avouer que le hasard fait souvent bien les choses.
La presse capitaliste a déploré la perte de ce juge, de cet intègre défenseur du coffre-fort, en termes pathétiques où l’éloge se mêle harmonieusement au dithyrambe, elle regrette amèrement la mort de ce requin de la magistrature. Reconstituons la vie de ce squale.
Simple juge dans un coin perdu de province, Léon Bulot se montra dès le début de sa carrière, très empressé auprès des politiciens.
Souple, rampant, cet « honnête » magistrat aspirait à développer ses merveilleuses aptitudes sur un théâtre beaucoup plus vaste qu’un chenil de province.
Nommé juge à Paris, il sollicita et obtint la faveur d’être spécialement attaché aux « causes anarchistes ». « Tout juge voit, en chaque inculpe un coupable» ; le sieur Bulot faisait mieux, lui il voyait en chaque inculpé anarchiste un ennemi personnel et abusait lâchement des tristes avantages que confère un code de boue au magistrat qui veut frapper le justifiable de sa haineuse partialité.
Substitut près la cour d’assises de la Seine en 1891, Bulot requit la peine de mort contre Leveille, Dardare et Descamps, les victimes de la trop célèbre « bataille de Clichy ». Il ne réussit pas. Fielleux, vindicatif, il se fit le valet des basses œuvres du ministre Constans dans cette affaire. Les lois scélérates de 1894, lui permirent pleinement d’employer sa détestable phobie contre les anarchistes.
Avocat-général au procès de Ravachol, il demanda âprement sa tête ; il en profita dans son réquisitoire pour baver sur l’idéal libertaire avec l’à-propos d’un aveugle discutant des couleurs.
Ce fut lui qui, en 1894, lors du procès des Trente, occupa le siège du Ministère public et, n’écoutant que sa haine furieuse contre les Anarchistes, eut l’impudence de demander au Jury de condamner à vingt ans de travaux forcés Sébastien Faure, Grave, Matha, Bastard et Paul Bernard.
Mêlé à des scandales judiciaires nombreux, ce politicien en hermine, eut toujours l’habileté de se tenir dans les coulisses ; mais le dernier scandale qui coûta son emploi au sieur Bidault de l’Isle, l’incita à plus de circonspection.
Servant bassement tous les pouvoirs, il fut également protégé par tous.
En 1904, il tonna contre Malato, Vallina, Caussannel et Harwey dans le procès des Quatre.
Le Jury lui réserva un échec humiliant. Malgré ces successifs revers, Bulot, chien couchant de tous les partis au pouvoir, l’échine courbée, la conscience abjecte et rampante, s’éleva, en raison directe de sa platitude, aux situations les plus hautes et aux postes les mieux rétribués. Bonne à tout faire de tous les gouvernants, toujours prêt à s’acquitter des plus basses besognes, y apportant une ardeur d’autant plus vive que la besogne était plus répugnante, il reçut, après chaque service rendu, la récompense due à sa servilité.
Il est mort. La carcasse de ce type accompli du Magistrat-Valet entre en putréfaction.
Et l’Anarchie que cette fripouille du banditisme judiciaire rêvait d’exterminer se propage ; sort Idéal resplendissant fait lentement la conquête du monde, en dépit de tous les Bulot de la terre.
M. Raymond