La Presse Anarchiste

Au Palais

Il est néces­saire de savoir tout ce qui se mani­gance dans le temple immo­ral de Thémis.

Nous devons connaître toutes ces choses mal­propres dans l’in­té­rêt même de notre pro­pa­gande et pour édi­fier la reli­gion de nos camarades.

J’a­voue pour­tant que l’é­tude du monde judi­ciaire n’est guère ragoû­tante et le cœur se sou­lève de dégoût devant la cui­sine qui s’é­la­bore dans cette répu­gnante sentine.

Cepen­dant nous avons là, en cette matière, une source inépui­sable de docu­ments inté­res­sant pour lut­ter avan­ta­geu­se­ment contre les mons­truo­si­tés sociales du régime actuel.

Les affaires en cours, nous four­ni­ront ample­ment des faits, des mar­chan­dages, des com­pro­mis­sions qui nous per­met­tront d’é­tayer nos dires, de jus­ti­fier nos écrits et de légi­ti­mer notre action contre la socié­té capi­ta­liste : but unique de toute notre agitation.

* * * *

L’Af­faire Vil­grain — Le cas Vil­grain est prodigieux.

Voi­là un homme dénué de tous scru­pules, criant tem­pê­tant, fai­sant de la réclame pour la trop rui­neuse Union sacrée, jetant l’a­na­thème sur les réfrac­taires de la Grande tue­rie et pous­sant les masses veules au massacre !

Ce fan­toche mal­fai­sant, bour­reau conscient de mil­liers de mal­heu­reux, se terre à l’in­té­rieur, décroche un sous-secré­ta­riat de tout repos, s’emplit les poches et par­ti­cipe aux avan­tages de la curée des gros pro­fi­teurs de la guerre.

Le bour­geois, le gou­ver­nant Vil­grain est un voleur et un assas­sin ; il a ramas­sé sa for­tune dans le sang. Loin d’être une excep­tion, il est un exemple par­fai­te­ment conforme à la règle générale.

La mort du pré­sident Bulot. — Un chauf­feur d’au­to­mo­bile, par une heu­reuse inad­ver­tance, a écra­sé un gros bour­geois âgé et cos­su. Trans­por­té à l’hô­pi­tal Beau­jon, l’ac­ci­den­té expi­ra quelques jours après.

Bles­sure à l’o­mo­plate gauche pro­vo­quant une gan­grène gazeuse, disent les morticoles.

Quel était donc ce bour­geois mal­chan­ceux ? Le pré­sident Léon Bulot, conseiller à la cour de cas­sa­tion. Il faut avouer que le hasard fait sou­vent bien les choses.

La presse capi­ta­liste a déplo­ré la perte de ce juge, de cet intègre défen­seur du coffre-fort, en termes pathé­tiques où l’é­loge se mêle har­mo­nieu­se­ment au dithy­rambe, elle regrette amè­re­ment la mort de ce requin de la magis­tra­ture. Recons­ti­tuons la vie de ce squale.

Simple juge dans un coin per­du de pro­vince, Léon Bulot se mon­tra dès le début de sa car­rière, très empres­sé auprès des politiciens.

Souple, ram­pant, cet « hon­nête » magis­trat aspi­rait à déve­lop­per ses mer­veilleuses apti­tudes sur un théâtre beau­coup plus vaste qu’un che­nil de province.

Nom­mé juge à Paris, il sol­li­ci­ta et obtint la faveur d’être spé­cia­le­ment atta­ché aux « causes anar­chistes ». « Tout juge voit, en chaque inculpe un cou­pable» ; le sieur Bulot fai­sait mieux, lui il voyait en chaque incul­pé anar­chiste un enne­mi per­son­nel et abu­sait lâche­ment des tristes avan­tages que confère un code de boue au magis­trat qui veut frap­per le jus­ti­fiable de sa hai­neuse partialité.

Sub­sti­tut près la cour d’as­sises de la Seine en 1891, Bulot requit la peine de mort contre Leveille, Dar­dare et Des­camps, les vic­times de la trop célèbre « bataille de Cli­chy ». Il ne réus­sit pas. Fiel­leux, vin­di­ca­tif, il se fit le valet des basses œuvres du ministre Constans dans cette affaire. Les lois scé­lé­rates de 1894, lui per­mirent plei­ne­ment d’employer sa détes­table pho­bie contre les anarchistes.

Avo­cat-géné­ral au pro­cès de Rava­chol, il deman­da âpre­ment sa tête ; il en pro­fi­ta dans son réqui­si­toire pour baver sur l’i­déal liber­taire avec l’à-pro­pos d’un aveugle dis­cu­tant des couleurs.

Ce fut lui qui, en 1894, lors du pro­cès des Trente, occu­pa le siège du Minis­tère public et, n’é­cou­tant que sa haine furieuse contre les Anar­chistes, eut l’im­pu­dence de deman­der au Jury de condam­ner à vingt ans de tra­vaux for­cés Sébas­tien Faure, Grave, Matha, Bas­tard et Paul Bernard.

Mêlé à des scan­dales judi­ciaires nom­breux, ce poli­ti­cien en her­mine, eut tou­jours l’ha­bi­le­té de se tenir dans les cou­lisses ; mais le der­nier scan­dale qui coû­ta son emploi au sieur Bidault de l’Isle, l’in­ci­ta à plus de circonspection.

Ser­vant bas­se­ment tous les pou­voirs, il fut éga­le­ment pro­té­gé par tous.

En 1904, il ton­na contre Mala­to, Val­li­na, Caus­san­nel et Har­wey dans le pro­cès des Quatre.

Le Jury lui réser­va un échec humi­liant. Mal­gré ces suc­ces­sifs revers, Bulot, chien cou­chant de tous les par­tis au pou­voir, l’é­chine cour­bée, la conscience abjecte et ram­pante, s’é­le­va, en rai­son directe de sa pla­ti­tude, aux situa­tions les plus hautes et aux postes les mieux rétri­bués. Bonne à tout faire de tous les gou­ver­nants, tou­jours prêt à s’ac­quit­ter des plus basses besognes, y appor­tant une ardeur d’au­tant plus vive que la besogne était plus répu­gnante, il reçut, après chaque ser­vice ren­du, la récom­pense due à sa servilité.

Il est mort. La car­casse de ce type accom­pli du Magis­trat-Valet entre en putréfaction.

Et l’A­nar­chie que cette fri­pouille du ban­di­tisme judi­ciaire rêvait d’ex­ter­mi­ner se pro­page ; sort Idéal res­plen­dis­sant fait len­te­ment la conquête du monde, en dépit de tous les Bulot de la terre.

M. Ray­mond


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